samedi 6 mai 2017

Petit pays ★★★★★♥ de Gaël Faye

Éditions Grasset, août 2016
217 pages
Prix du roman Fnac 2016
Prix Goncourt des lycéens 2016
Prix du premier roman 2016
Prix des étudiants France Culture 2016

Quatrième de couverture

"Au temps d'avant, avant tout ça, avant ce que je vais raconter et le reste, c'était le bonheur, la vie sans se l'expliquer. Si l'on me demandait "Comment ça va ?" je répondais toujours "Ça va !". Du tac au tac. Le bonheur, ça t'évite de réfléchir. C'est par la suite que je me suis mis à considérer la question. À esquiver, à opiner vaguement du chef. D'ailleurs, tout le pays s'y était mis. Les gens ne répondaient plus que par "Ça va un peu". Parce que la vie ne pouvait plus aller complètement bien après tout ce qui nous était arrivé." GF                                                                                                             
  Avant, Gabriel faisait les quatre cents coups avec ses copains dans leur coin de paradis. Et puis l'harmonie familiale s'est disloquée en même temps que son «petit pays», le Burundi, ce bout d'Afrique centrale brutalement malmené par l'Histoire.
  Plus tard, Gabriel fait revivre un monde à jamais perdu. Les battements de coeur et les souffles coupés, les pensées profondes et les rires déployés, le parfum de citronnelle, les termites les jours d'orage, les jacarandas en fleur... L'enfance, son infinie douceur, ses douleurs qui ne nous quittent jamais.

Mon avis ★★★★★

«Le génocide est une marée noire, ceux qui ne s'y sont pas noyés sont mazoutés à vie.»
Patienter avant de me plonger dans une lecture plébiscitée par les critiques, aux nombreux prix parce qu'il y a des chances qu'elle me plaise aussi, pour faire durer le plaisir de la découverte, petit moment savoureux et grisant. Le livre rejoint très vite ma bibliothèque, en haut de ma PAL (celui-ci depuis sa sortie) et puis j'attends le bon moment...
Il est arrivé, et l'avant a disparu, laissant la place à un après ... comblant toutes mes espérances.

Un coup de coeur, oui, parce que votre livre, Gaël Faye, est un petit bijou de délicatesse, de justesse, parce que vous abordez le dernier génocide du siècle dernier avec une telle humanité, à travers les yeux de l'enfance, de l'innocence et parce que cette histoire, en partie la vôtre je suppose, m'a émue. Elle laisse des traces indélébiles, à l'image de celles que la violence de la guerre ne pourra jamais effacer, celles que vous évoquez avec tant de force dans votre livre, vectrices de tant de souffrances, saccageant corps et âmes.

Vous racontez, sous les traits de ce jeune garçon de dix ans, Gabriel, le bonheur innocent d'une enfance joyeuse, la bande de potes, les passe-temps, les petits défis, leur petit trafic de mangues ... et puis, l'Histoire, qui va rattraper ces enfants et les faire grandir bien trop vite.
La douceur sucrée que vous avez su distiller avec merveille et que l'on savoure lentement, laisse alors sa place à la violence...et quand ce "petit" pays devient un piège mortel, que le dernier verrou [a] sauté, la fuite, quand elle fût possible, ce révéla être la seule issue...

Votre écriture est belle, poétique, et je referme ce livre, convaincue qu'il m'accompagnera longtemps, très longtemps; et une question, naïve, qui me taraude : pourquoi ? Pourquoi ? Trois mois de massacres avant que l'opération Turquoise française ne soit lancée...Trois mois ! J'ai honte ... le gouvernement français a eu sa part de responsabilités, les Nations Unis aussi, en prenant la décision de réduire les effectifs militaires à leur minimum sur le territoire rwandais et ainsi quasiment anéantir les possibilités de secours humanitaires, et tant d'autres encore ...Putain de monde !

Bravo Mr Faye, bravo et merci pour cet émouvant témoignage !
«On ne doit pas douter de la beauté des choses, même sous un ciel tortionnaire. Si tu n'es pas étonné par le chant du coq ou par la lumière au-dessus des crêtes, si tu ne crois pas en la bonté de ton âme, alors tu ne te bats plus, et c'est comme si tu étais déjà mort.»
« Alors qu'on se chamaillait, on entendait au loin, dans les collines, des tirs de blindés AMX-10. Avec le temps, j'avais appris à reconnaître leurs notes sur la portée musicale de la guerre qui nous entourait. Certains soirs, le bruit des armes se confondait avec le chant des oiseaux ou l'appel du muezzin, et il m'arrivait de trouver beau cet étrange univers sonore, oubliant complètement qui j'étais.
La guerre, c'était peut-être ça, ne rien comprendre.

La guerre entre les Tutsi et les Hutu, c'est parce qu'ils n'ont pas le même territoire ?
Non, ça n'est pas ça, ils ont le même pays.
Alors...ils n'ont pas la même langue ?
Si, ils parlent la même mangue.
Alors, ils n'ont pas le même Dieu ?
Si, ils ont le même Dieu.
Alors...pourquoi se font-ils la guerre ?
Parce qu'ils n'ont pas le même nez.
Dans ce petit pays où tout le monde se connaissait, seul le cabaret permettait de libérer sa parole, d'être en accord avec soi. On y avait la même liberté que dans un isoloir. Et pour un peuple qui n'avait jamais voté, donner sa voix avait son importance. Que l'on soit grand bwana ou simple boy, au cabaret, les cœurs, les têtes, les ventres et les sexes s'exprimaient sans hiérarchie.
Cet après-midi-là, pour la première fois de ma vie, je suis entré dans la réalité profonde de ce pays. J'ai découvert l'antagonisme hutu tutsi, infranchissable ligne de démarcation qui obligeait chacun à être d'un camp ou de l'autre. Ce camp, tel un prénom qu'on attribue à un enfant, on naissait avec, et il nous poursuivait à jamais.
La guerre, sans qu'on lui demande, se charge toujours de nous trouver un ennemi. Moi qui souhaitais rester neutre, je n'ai pas pu. J'étais né avec cette histoire. Elle coulait en moi. Je lui appartenais.

Il n'y a plus de pitié dans leurs cœurs. Nous sommes déjà sous terre. Nous serons les derniers Tutsi. Après nous, je vous en supplie, inventez un nouveau pays.
Elles retournaient dans leur pays après trente ans d'exil. Elles en avaient rêvé de ce retour, surtout la vieille Rosalie. Elle qui voulait finir ses jours sur la terre de ses ancêtres. Mais le Rwanda du lait et du miel avait disparu. C'était désormais un charnier à ciel ouvert.
La souffrance est un joker dans le jeu de la discussion, elle couche tous les autres arguments sur son passage. En un sens, elle est injuste.
...et puis l'hémorragie, le Rwanda qui dégouline sur le Burundi, deux millions de femmes, d'enfants, de vieillards, de chèvres, d'interahamwe ...d'estropiés, d'innocents, de coupables...Tout ce que l'humanité peut porter de petites gens et de grands salauds. Ils ont laissé derrière eux des chiens charognards, des vaches amputées et un million de morts à flanc de colline pour venir chez nous se servir en famine et choléra. C'est à se demander comment le Kivu va se relever de ce foutu merdier ! 

- Vous avez lu tous ces livres ? j'ai demandé.
- Oui. Certains plusieurs fois, même. Ce sont les grands amours de ma vie. Ils me font rire, pleurer, douter, réfléchir. Ils me permettent de m'échapper. Ils m'ont changée, ont fait de moi une autre personne.
[...] Un livre peut te changer ! Et même changer ta vie. Comme une coup de foudre. Et on ne peut pas savoir quand la encontre aura lieu. Il faut se méfier des livres, ce sont des génies endormis.
Grâce à mes lectures, j'avais aboli les limites de l'impasse, je respirais à nouveau, le monde s'étendait plus loin, au-delà des clôtures qui nous recroquevillaient sur nous-mêmes et sur nos peurs.»
« J’ai écrit ce roman pour faire surgir un monde oublié, pour dire nos instants joyeux, discrets comme des filles de bonnes familles: le parfum de citronnelle dans les rues, les promenades le soir le long des bougainvilliers, les siestes l’après-midi derrière les moustiquaires trouées, les conversations futiles, assis sur un casier de bières, les termites les jours d’orages... J’ai écrit ce roman pour crier à l’univers que nous avons existé, avec nos vies simples, notre train-train, notre ennui, que nous avions des bonheurs qui ne cherchaient qu’à le rester avant d'être expédiés aux quatre coins du monde et de devenir une bande d’exilés, de réfugiés, d’immigrés, de migrants. »
Le Clip de "Petit Pays" de Gaël Faye
Khadja Nin, chanteuse originaire du Burundi, 
interprète de ce très beau titre Sambolera
Paroles en Kirundi et leur traduction : ici
Une très belle découverte. 
À lire aussi l'article rédigé par un journaliste du Soir.

2 commentaires:

  1. J'ai énormément aimé ce roman, véritable pépite (alors que je me méfie des livres à ce point populaires). Ici, le succès est mérité me semble-t-il : beaucoup de poésie et de chaleur, d'émotion et de justesse.

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  2. Je suis d'accord avec toi, une pépite !!
    Merci pour ton message, à très vite.

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