mercredi 14 juillet 2021

La Harpe d'herbes ★★★★☆ de Truman Capote

Un esprit de rébellion couve avec délicatesse et tendresse cette histoire. Un sentiment d'injustice pousse certains protagonistes à se percher à la cime d'un arbre. Une prise de hauteur qui éveille et scanne les consciences. 

Le narrateur/auteur revient sur son enfance, avec humour et une légère gravité
C'est pour nous, lecteur, l'occasion d'une rencontre avec des personnages bien campés, auxquels on s'attache, l'occasion d'une escapade dans une charmante contrée, dans un champ de hautes herbes indiennes où « les vents d'automne tirent des feuilles sèches une musique de soupirs humains, une harpe de voix »
L'occasion aussi de contempler le portrait peu flatteur d'une Amérique bondieuse, raciste, corrompue ... 

Une deuxième lecture pour moi de ce livre aux allures de fable, aussi agréable que la première, empreinte de poésie, de nostalgie et d'une douce amertume. Une lecture qui donne par moment envie de se rouler dans l'herbe, de se percher au sommet d'un arbre, de partager un ragoût d'écureuil avec Dolly et Collin, d'écouter les bruissements de la harpe d'herbes. 
Une lecture vibrante, sensible qui happe à condition, je pense, de lâcher prise, de ne pas être dans le contrôle. 
« Si peu de choses reviennent comme autrefois après qu'elles ont changé. »

« Quand ai-je donc entendu parler pour la première fois de la harpe d'herbes ? Bien avant l'automne où nous allâmes habiter dans l'arbre ; quelque automne auparavant, dirons-nous et, comme de juste, ce fut Dolly qui m'en parla ; il n'y avait qu'elle pour inventer un nom pareil, une harpe d'herbes. »

« Au pied de la colline il y a un champ de hautes herbes indiennes qui change de couleur avec les saisons : allez le voir en automne, à la fin de septembre, quand il a pris la couleur rouge d'un coucher de soleil, quand les ombres écarlates y soufflent comme des lueurs de feu et que les vents d'automne tirent des feuilles sèches une musique de soupirs humains, une harpe de voix. »

« Je crois que mon père et ma mère étaient fort amoureux l'un de l'autre. Elle pleurait toujours quand il partait vendre ses frigidaires. Elle avait seize ans quand il l'avait épousée ; elle n'avait pas trente ans quand elle mourut. Le jour de sa mort, papa, en l'appelant par son nom, déchira ses vêtements et s'enfuit tout nu dans la cour. »

« Il fit un signe de la main, et il était difficile de ne pas remarquer le charme avec lequel Dolly lui rendit son salut. On eût dit qu'un portrait de famille venait d'être nettoyé. »


« Le violon couleur lie-de-vin, blotti sous son menton, lança une trille quand elle l'accorda ; un papillon perché effrontément sur l'archet fut projeté en spirale quand l'archet, balayant les cordes, chanta une musique qui semblait une tempête de neige faite de papillons en plein vol, un feu d'artifice de printemps doux à entendre dans ces bois que tordait l'automne. »

« Catherine disait, ne vous inquiétez pas, mon chéri, vous n'avez besoin que d'une chose, qu'on vous étire un peu. Elle me tirait les bras, les jambes, me manipulait la tête, comme si ç'avait été une pomme pendue à une branche récalcitrante. Mais ce qu'il y a de sûr, c'est qu'en deux ans elle me fit passer de quatre pieds cinq à cinq pieds sept, et je peux le prouver par les entailles sur la porte de l'office, car même à présent que tant de choses ont disparu, maintenant qu'il n'y a plus que le vent dans le fourneau et l'hiver dans la cuisine, ces encoches de croissance restent comme des témoins. »

« « Non, non, je vous en prie », recommandait Dolly au juge quand celui-ci essayait de lui expliquer les règles du jeu. « J'aime le mystère. Tous ces cris, toute cette joie : ça ne serait peut-être pas si grandiose, si heureux, si je savais pourquoi. » »

« Insensiblement, à mesure que la montre tissait le bruit du temps, l'après-midi s'orientait vers le crépuscule. Le brouillard de la rivière, la brume d'automne laissaient traîner des pâleurs lunaires parmi les arbres bleus et les arbres cuivrés, et un halo, une image de l'hiver encerclait le soleil déclinant. »

« Mais Catherine n'aimait pas la cabane dans l'arbre ; elle ne savait pas, comme Dolly le savait et me le fit savoir, que c'était un bateau, que si asseoir c'était côtoyer les rivages nuageux des rêves. »

« J'ai suivi ton conseil. Autrement dit, j'ai cessé de baisser la tête. Tu m'as dit que ça te donnait des vertiges. Et il n'y a pas si longtemps, tu m'as dit que je te faisais honte. Après avoir vécu si longtemps avec toi, il m'a été extrêmement pénible de comprendre que ç' avait été en pure perte. Peux-tu imaginer ce que cela peut être, ce sentiment de pure perte ? »

« J'ai lu quelque part que le passé et le futur sont une spirale, dont chaque anneau contient le suivant et en prédit le thème. Peut-être en est-il ainsi ; mais ma propre vie m'apparaît plutôt comme une série de cercles fermés, d'anneaux qui n'évoluent pas avec la liberté d'une spirale : pour moi, passer d'un anneau à l'autre signifie faire un bond et non une glissade. Ce qui fait ma faiblesse, c'est le répit entre les deux, l'attente avant de savoir où il faudra sauter. »

Quatrième de couverture

C'est l'histoire d'un petit garçon orphelin qui, installé dans une cabane perchée sur un arbre, vit dans une atmosphère de fable, bercé par le murmure, pareil au son d'une harpe, qui monte d'un champ de hautes herbes indiennes. 
Dans ce roman, Truman Capote fait ses adieux au monde émerveillé de l'enfance.

Éditions Gallimard, mai 1978 
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Maurice-Edgar Coindreau 
224 pages 

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