jeudi 28 avril 2022

La dignité des ombres ★★★★☆ de Matthieu Niango

Nimrod, une cité futuriste, une société civilisée, hiérarchisée et démocratique doit faire face à d'inquiétantes disparitions. Le décor est vite planté et le dépaysement immédiat ! 
Un roman SF passionnant par l'intrigue mystérieuse qui s'installe assez vite et qui fait tendre cette lecture vers le thriller captivant. Mais un livre déroutant aussi. On passe du page- turner à une lecture tout à coup, plus ardue, qui nécessite de se poser, de prendre du recul, d'analyser cette société au modèle démocratique, que l'auteur nous décrit précisément en se répétant parfois d'ailleurs, dans le but ne pas perdre le lecteur peut-être ! Ce qui n'est pas si mal ;-)
Au fur et à mesure de cette lecture, ce sont les failles de ce système démocratique qui nous sautent aux yeux. Il sonnait pourtant "idéal", impartial au début. Comme une promesse. Place aux zones d'ombres qui ne sont pas sans nous rappeler celles de notre société actuelle.
Une lecture très intéressante qui interroge, qui nous pousse à la réflexion. La démocratie est-elle démocratique ? Les libertés, les droits humains élémentaires y sont-ils toujours respectées ? 
Merci à Babelio et son masse critique, aux éditions Julliard et Matthieu Niango pour ce moment de lecture privilégié. 

« À l'exception de celui des Lumineux, qui en possédait cinq, chaque ordre se composait de trois rangs : ceux capables d'exécuter des tâches que les machines ne savaient pas réaliser appartenaient au premier ; ceux en mesure de les surpasser relevaient du deuxième, et ceux dont le travail était de qualité équivalente au leur, du troisième. Quiconque était incapable de faire aussi bien qu'une machine, ou échouait au Grand Concours, qui déterminait l'ordre de chacun, devenait une Ombre. »
« Les lois proposées par le Conseil sont soumises aux Nimrodiens, qui élaborent, et votent également, toutes les autres. Le Conseil de la ville peut décider jusqu'à 3% des lois-alors appelées décrets. Tout acte légal est révisable. La société n'a pas de constitution, prétendue loi fondamentale que l'on accuse, selon le mot de la penseuse Thècle, très goûtée à Nimrod, d' "enfermer les enfants dans les rêveries glacées des morts. » 

«- Il y a trop d'obligations à Nimrod. Proposer des lois, les décider... C'est souvent ennuyeux. Je sais que "cet ennui, c'est le prix de notre liberté", comme dit cette bonne vieille Thècle. Mais on peut mieux faire. Les discussions en assemblées locales ne sont pas toujours utiles. Les gens parlent plus facilement d'affaires publiques près des Torches ou dans les tavernes. »

« - [...] Il y a de la nervosité à Nimrod. Surtout du côté des Luminés de troisième rang. Pour les gens comme moi, ça va encore. 
- Qu'entendez-vous par "les gens comme vous"? 
- Ceux qui font ce dont les machines sont totalement incapables, là où il y a besoin d'humain, de sentiments. On ne se sent pas trop menacés, pas vrai ? Mais ceux qui font juste aussi bien qu'elles, ou même seulement un peu mieux. Là, il y a un vrai risque. »
« - Je hais les gens qui souffrent d'une soif inavouable de reconnaissance. [...]
Cette foutue gratitude à laquelle ils aspirent à en mourir, ils n'hésitent pas à se tourner vers des êtres plus en souffrance qu'eux pour la leur extorquer par les soins qu'ils leur prodiguent. Par exemple, les réfugiés des colonies mises au pas... on voit ce genre de sales gens militer pour eux, parce qu'ils savent que ces losers ne les contrediront pas, qu'ils les regarderont avec des yeux pleins d'une soumission animale. Il ne faudrait surtout pas leur donner les moyens de s'organiser eux-mêmes. Ça non ! Oh ! Oh ! Mais les bêtes, les vraies bêtes, dans le genre, c'est le must... ça ne proteste pas, ça se laisse tirer d'affaire. Oh ! Oh ! Jéza est ce type d'héroïnes lâches. Je préfère les vrais salauds, ceux qui font le mal en toute franchise, plutôt que des filles comme elle, qui se mettent en quête de malheureux et leur répètent : « C'est affreux ce qui t'arrive, attends, je vais t'aider, mon pauvre chéri. Tu n'as pas mal ? Mais si, cherche bien. Juste là ! » »

«   [...] il faut canaliser ce qui fait basculer le monde d'ère en ère, le pousse hors de ses gonds : la violence. Nous commémorons les actions qu'elle inspire. Nous aimons les histoires dont elle est l'héroïne, nous nous repaissons follement des blessures qu'elle inflige. Mais un jour, de nouveau, le démon passe des contes à la vie. Imposons aux Nimrodiens un bain glacé pour soigner une bonne fois leurs ardeurs. Alors, d'eux-mêmes, ils déverseront la potion amère de la violence dans les égouts de l'histoire. »

« La violence mesure l'imperfection des lois. »

« Certains cherchent à dominer même par la bienveillance. Ceux qui disent vouloir le pouvoir pour le bien désirent souvent le contraire : faire le bien pour avoir le pouvoir. Celui qui éprouve sincèrement l'indignation contre tout ce qui place quiconque au-dessus des autres peut rendre un grand service à l'humanité. »

Quatrième de couverture

Dans un lointain futur, la ville de Nimrod ne survit que grâce à l'énergie vitale du feu. En apparence, c'est un modèle de démocratie où les citoyens élaborent et votent les lois en toute transparence. Mais le feu, qui alimente la cité et la protège de créatures menaçantes, reste un secret jalousement gardé. L'étrange disparition d'un jeune homme, la multiplication des vols de torches et l'apparition d'un énigmatique graffiti contestataire vont changer la donne. Cham, enquêteur, doit faire toute la lumière sur ces événements aussi mystérieux qu'inhabituels. Entre science-fiction, thriller et anticipation écologico-politique, ce roman à l'imaginaire débordant nous plonge dans un univers atemporel qui interroge en creux les failles et les faux-semblants des sociétés démocratiques.
 
Éditions Julliard,  avril 2021
254 pages

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