samedi 27 février 2021

L'enfant céleste ★★★★☆ de Maud Simonnot

« Dès sa naissance on le sait.
On se dit que cet enfant-là est différent.
Pourtant on ne le formule pas, on vient d'une famille pudique, et puis bien entendu toutes les mères doivent éprouver ce sentiment d'être devant un être singulier, forcément merveilleux.
On le tient entre ses deux mains, ce nourrisson réfugié dans une noix, si petit, si doux. Les reflets d'or clair de ses cheveux. Et ce regard un peu voilé qui ne le quittera plus. Lunaire. Oui, c'est ça, un enfant céleste. »
Une lecture inattendue ! 

Je m'attendais à lire sur les difficultés rencontrer par une maman à élever et accompagner au quotidien son enfant surdoué
Il y a de cela en effet dans cette lecture. « Qu'est-ce que cet enfant vient déranger pour susciter aussi peu de compréhension ? » Un manque d'empathie, de pédagogie qui provoquent souffrance et désarroi. La différence est une source de souffrance. Le jugement des autres est dévastateur. Pas évident, peut-être, de se dire qu'elle est une source de richesse. On vit dans une société de compétition, intransigeante, où l'élite irréprochable est l' exemple à suivre. Tant de différences conduisent les hommes à porter un regard négatif ou positif sur son prochain. Stendhal écrit dans le Rouge et le Noir : « J’ai suffisamment vécu pour voir que la différence engendre la haine ». Homo homini lupus est... Que peut-on y faire ? Éduquer ? Rééduquer ? Repenser notre société ? Ou est-ce le propre de l'homme ? Une caractéristique intrinsèque avec laquelle il faut composer... 
« Il m'a dit ce qu'il sait par expérience. Qu'un surdoué ce n'est pas quelqu'un de plus intelligent mais quelqu'un qui ne peut pas ne pas voir la fausseté du monde sans que ça lui soit insupportable. Qui réinterroge sans cesse le récif collectif, inepte, factice. Il faut juste aider Célian à rendre acceptable cette quête de sens, pour qu'elle ne devienne pas obsessionnelle. Lui apprendre à se laisser traverser par des émotions sans s'en aliéner, et en faire une liberté. »
Mais "L'enfant céleste", c'est aussi une immersion dans la nature, au contact des éléments entre ciel et terre, c'est la découverte d'une île préservée et légendaire de la mer Baltique, l'île de Ven, où il fait bon s’enivrer d'embruns, admirer le ciel étoilé et les planètes.
En parlant de planètes justement, "L'enfant céleste", c'est aussi la rencontre avec un astronome danois du XVIIème siècle, Tycho Brahe, celui qui aurait inspiré l'intrigue d'Hamlet. [ Saviez-vous que les personnages des oeuvres de Shakespeare tournent autour d'Uranus ? ;-) En effet, les noms de ses satellites découverts au XXème siècle sont tirés des personnages des oeuvres de Shakespeare (Puck, Titania, Ophélie, Cordelia...). ]
C'est l'émerveillement d'un enfant, un doux rêveur explorateur, observateur, collectionneur de la nature. 
C'est l'amour inconditionnel d'une mère pour son enfant.
C'est une pause excentrée de la tumultueuse vie  parisienne, une pause salutaire qui apaise les meurtrissures, une connexion essentielle avec le monde, une renaissance... 
C'est un doux voyage à deux voix.
Ce sont de belles pages.

Je conseillerais une lecture lente pour en apprécier toute la substance. Les chapitres sont extrêmement courts, et de nombreux sujets sont abordés. Si l'on passe trop vite de l'un à l'autre, il est possible que l'on se perde en route à mon avis.

« J'ai rêvé, l'autre soir, d'îles plus vertes que le songe. » Saint-John Perse, Amers. En exergue

« « Avez-vous déjà eu le sentiment d'être abandonnée ? »   
La phrase de Marceline m'est revenue tandis que, assise sur les marches en haut du cimetière de ma ville natale, je contemplais les tombes et le lac artificiel au-delà. 
[...]
J'ai inspiré profondément avant de regarder, tout en bas du champ des pleurs, la tombe de cet homme, mon père, qui s'était suicidé quand j'avais sept ans, me laissant la fin de l'enfance pour tout héritage. »

« Je suis obligé de bouger mes mains, c'est plus fort que moi. Je massacre mes gommes, je mange mes stylos, je me baisse sans arrêt pour ramasser mes cahiers? J'ai encore cassé ma règle, Maman ne vas pas être contente. 
Je n'arrive pas à ne plus m'ennuyer. J'essaie, vraiment pourtant. Les autres élèves aussi semblent s'ennuyer, mais chez eux l'ennui doit être moins fort.
Je me demande pourquoi je suis là. Pourquoi nous sommes tous là. Je préférerais me promener dans la nature et observer les animaux. Ils sont plus heureux que nous. Ils ne vont pas à l'école, pourtant ils sont plus heureux c'est sûr. Ils se roulent dans l'herbe, dorment au soleil. Ils n'ont pas de montre. »

« Posée là toute la journée derrière la fenêtre de ma chambre en compagnie d'un vieux chat, le regard perdu au-delà des collines bleues de mon enfance, je ne ressentais que l'appel du vide et une extrême fatigue. Mon existence était une eau qui coule entre les mains. Je désirais dormir, oublier et être oubliée. Ne plus jamais avoir mal, ne plus jamais aimer. »

« Il m'a dit ce qu'il sait par expérience. Qu'un surdoué ce n'est pas quelqu'un de plus intelligent mais quelqu'un qui ne peut pas ne pas voir la fausseté du monde sans que ça lui soit insupportable. Qui réinterroge sans cesse le récif collectif, inepte, factice. Il faut juste aider Célian à rendre acceptable cette quête de sens, pour qu'elle ne devienne pas obsessionnelle. Lui apprendre à se laisser traverser par des émotions sans s'en aliéner, et en faire une liberté. »

« Poincaré écrit qu'on ne saurait imaginer combien la croyance à l'astrologie a été utile à l'humanité : « Si Kepler et Tycho Brahe ont pu vivre, c'est parce qu'ils vendaient à des rois naïfs des prédictions fondées sur les conjonctions des astres. Si les princes n'avaient pas été si crédules, nous continuerions peut-être à croire que la Nature obéit au caprice, et nous croupirions encore dans l'ignorance. » »

« Dans mon imaginaire, le Nord a toujours été associé à une atmosphère limpide, comme si l'esprit pouvait être purifié par les vents et la rigueur des paysages. »

« Il a suffi que je pénètre dans ces bois scandinaves pour que tous les habitants qui peuplaient ma forêt renaissent sur mes pas : le garde-champêtre taiseux, la mare grouillante de vies minuscules, le martellement des geais et les cris des hulottes...Comme cette enfance a passé vite, recouverte par le désenchantement, les épreuves précoces. Ou peut-être pas. Peut-être que ce paradis perdu est toujours en moi. Peut-être que c'est là que j'habite pour toujours. »

« La forêt de Ven exhale un parfum pénétrant et délicieux. Ses larges ramures étouffent les sons, seules les feuilles qui ne détachent et tombent en tournoyant ou les bruissements d'ailes troublent la magie de l'instant. J'aimerais m'enfoncer dans les hautes herbes, me fondre dans la terre de ces bois...
Mais dans la lumière, là-bas, apparaît Célian, flanqué de ce bon gros chien caramel qui ne le quitte plus. La vie m'appelle au bout de l'allée et j'avance sous les branches de plus en plus clairsemées qui font place au bleu du ciel, vers mon fils. »

« J'ai tellement été accablée par l'étrangeté de cet homme qui se tenait au bord de l'amour comme un échassier au bord de l'eau, et qui avait choisi de laisser l'équivoque obscurcir notre relation... J'accepte peu à peu, enfin, qu'il n'y ait aucune explication à cet abandon brutal, à la confiance trahie. Pierre me laissera toujours seule avec ces vérités qui se dérobent. »
« Elle s'est inquiétée quand j'étais à la maternelle parce que je ne dessinais jamais de bonhommes. Je ne voulais pas faire de fleurs non plus. Un jour j'ai dit que je ne savais pas laquelle dessiner et Maman a répondu que j'avais raison de ne pas tracer les ronds entouré de pétales des modèles. Elle trouvait idiot aussi les ciels barrés d'un trait. »

« Célian, allongé sur le dos à côté de moi, semble absorbé par la Voie Lactée. J'évoque ces mondes flottants qui gravitent en silence, le mouvement à la fois apparent et inimaginable de cette nuit infinie, son architecture secrète, et ces astres morts dont l brillance nous éblouit encore. Il me répond que ce qui le fascine le plus ce ne sont pas les étoiles scintillantes mais le noir entre lumières. »

« Quant au leurre de la mémoire, on n'a rien écrit de plus juste sur la fin du chagrin que Proust : "pour atteindre à l'indifférence", il faut "traverser en sens inverse tous les sentiments" par lesquels l'amour a passé. Mais le progrès de l'oubli est irrégulier. »

« Ce voyage laissera bien plus que des grains de sable et des fleurs séchées entre les pages de mes carnets. J'ai parcouru le cycle entier du chagrin, la souffrance s'est dissoute dans la pureté des paysages de Ven. »

« Les personnes libres trouvent ce à quoi elles aspirent - c'est leur privilège. »



Quatrième de couverture

Sensible, rêveur, Célian ne s’épanouit pas à l’école. Sa mère Mary, à la suite d’une rupture amoureuse, décide de partir avec lui dans une île légendaire de la mer Baltique. C’est là en effet qu’à la Renaissance, Tycho Brahe – astronome dont l’étrange destinée aurait inspiré Hamlet – imagina un observatoire prodigieux depuis lequel il redessina entièrement la carte du Ciel.

En parcourant les forêts et les rivages de cette île préservée où seuls le soleil et la lune semblent diviser le temps, Mary et Célian découvrent un monde sauvage au contact duquel s’effacent peu à peu leurs blessures.

Porté par une écriture délicate, sensuelle, ce premier roman est une ode à la beauté du cosmos et de la nature. L’Enfant céleste évoque aussi la tendresse inconditionnelle d’une mère pour son fils, personnage d’une grande pureté qui donne toute sa lumière au roman.

Maud Simonnot a passé sa jeunesse dans le Morvan et plusieurs années en Norvège qui l’ont inspirée pour ce livre. Sa biographie de Robert McAlmon, La Nuit pour adresse (Gallimard, 2017) a reçu le prix Larbaud et a été finaliste du prix Médicis essai.

Les Éditions de l'Observatoire, août 2020
166 pages

jeudi 25 février 2021

Le voyage d'Octavio ★★★★☆ de Miguel Bonnefoy

En attendant de me procurer le dernier roman de Miguel Bonnefoy, j'ai eu envie d'aller voir du côté du premier roman de ce jeune auteur franco-vénézuélien. Bien m'en a pris. 
Le voyage d'Octavio est un conte qui raconte les aventures d'un paysan vénézuélien et analphabète, Don Octavio, grand autant par la taille que par le coeur, auquel on s'attache très vite. 
« Personne n'apprend à dire qu'il ne sait ni lire ni écrire. Cela ne s'apprend pas. Cela se tient dans une profondeur qui n'a pas de structure, pas de jour. C'est une religion qui n'exige pas d'aveu. »
On le suit sur une centaine de pages. L'histoire commence à Saint-Paul de Limon - la légende du citronnier qui donna son nom à cette ville est magique. 
Octavio y vit, dans un bidonville, se débrouille comme il peut et tente tant bien que mal de cacher son illettrisme. Sa rencontre avec Venezuela, une charmante et élégante actrice, va changer sa vie. Elle lui apprend à lire.
« Quand il parvint à lire une phrase entière sans hésiter, et qu'il ressentit l'émotion brutale de la comprendre, il fut envahi par le désir violent de renommer le monde depuis ses débuts. »
Il devient ensuite l'employé d'un cambrioleur très particulier. 
Un événement l'oblige à quitter sa ville, il part pour un long voyage de deux années à travers son pays, ponctué de splendides paysages, de belles rencontres et de découvertes.  

Une bien jolie fable onirique et rabelaisienne sur le Venezuela, emplie de poésie et d'humour, qui fait du bien. 
Derrière la petite histoire, Miguel Bonnefoy cache la grande Histoire, celle de son pays d'origine. Une fresque qui met en avant le Venezuela. Un pays ancré dans ces pages. 
La fin est sublime, un enracinement lumineux. « Il faisait partie de ces hommes qui, comme les arbres, ne peuvent que mourir debout. »

Merci Miguel Bonnefoy, quel plaisir de vous lire et de vous écouter également. Vous êtes captivant. Vous avez la volonté d'amener avec la langue française toute l'idiosyncrasie de votre peuple, et bien vous en prenez avec ce premier roman le bon chemin.

INCIPIT
« Dans le port de la Guaira, le 20 août 1908, un bateau en provenance de la Trinidad jeta l'ancre sur les côtes vénézuéliennes sans soupçonner qu'il y jetait aussi une peste qui devait mettre un demi-siècle à quitter le pays. Les premiers cas se présentèrent sur le littoral, parmi les vendeurs de pagres et les marchands de cochenille. Puis suivirent les mendiants et les marins qui, aux portes des églises comme aux portes des tavernes, éloignaient à force de prières les misères et les naufrages. Après une semaine, le pavillon de quarantaine fut hissé et on décréta qu'il s'agissait d'une épidémie nationale. La deuxième semaine, les autorités ouvrirent la chasse aux rats et on paya une pièce d'argent pour chaque bête morte. La troisième semaine, on isola les malades pour faire des prélèvements et on extirpa des ganglions aussi gros que des œufs. Il fallut peu de temps pour voir les premiers feux dans les basses-cours et les fumées de soufre sortir des cabanes. Au bout d'un mois, lorsque la maladie approcha les portes de la capitale, on sortit en grande procession le premier saint en bois. »

« Parmi ces maisons, à la robe d’une montagne, il y avait celle d’un créole qui avait planté contre sa haie un citronnier robuste, aussi vieux que lui, dont les fruits se mêlaient au gui du feuillage. La procession s’était approchée. Le Créole était sorti avec un fusil à verrou et une grappe de cartouches sous l’aisselle.
- Je tue le premier qui franchit la haie, avait-il crié depuis la rambarde. Et je commencerai par celui que vous promenez. Nous allons voir si les saints ne meurent pas.
   Les porteurs firent demi-tour sans discuter. Mais à l’instant de repartir, la couronne d’épines resta accrochée à l’une des branches de l’arbre. Le créole épaula l’arme et, au milieu d’une injure, tira une seule balle dont l’éclat résonna longtemps dans la montagne. La balle sépara la statue de la branche, secoua le feuillage et fit tomber sur les têtes, comme un pluie de bubons verts, des centaines de citrons qui roulèrent jusqu’aux portails des cabanes.
   On crut au miracle. On utilisa la pulpe jaunie pour les infections, on fit sécher les zestes qu’on saupoudra sur les poissons et on purifia l’air avec l’acidité des huiles. On mélangea le citron au gingembre dans des marmites et on les fit passer, porte après porte, à toutes les alcôves, avec un secours que deux mille ans de médecine n’avaient su offrir. En dix mois, on fit reculer dix ans de peste.
   Voici l’histoire du citronnier du Seigneur telle qu’on la trouve à peu près sous la plume du poète Andrés Eloy Blanco, dans les livres de mon pays. »

« C'étaient des montagnards et des caravaniers, des chrétiens suivant la promesse d'un archevêque, des nomades. Ils s'arrêtaient quelques jours pour manger chaud. Tout ces hommes répétaient qu'ils n'étaient que de passage. Ils visitaient les cantines et les dépendances,souriaient à une douce aubergiste et,finalement, y restaient toute leur vie. À la lisière d'un petit terrain, ils élevaient alors un moulin, labouraient un potager près d'une gorge d'eau et s'abandonnaient sans résistance,sous un ciel dont la rondeur faisait rouler le soleil, à un temps qui ne connaissait pas de saison. »

« Personne n'apprend à dire qu'il ne sait ni lire ni écrire. Cela ne s'apprend pas. Cela se tient dans une profondeur qui n'a pas de structure, pas de jour. C'est une religion qui n'exige pas d'aveu.
Cependant, Don Octavio avait toujours gardé ce secret, creusé dans son poing, feignant une invalidité qui lui épargnait la honte. Il n'échangeait avec les êtres que des mots simples, taillés par l'usage et la nécessité. Il avait traversé l'humanité en comptant sur ses doigts, devinant certains mots par la somme de leur lettres, lisant ailleurs, les yeux et les mains, la pantomime des autres, étranger à la jalouse relation des sons et des lettres. Il parlait peu, ou presque pas. Par mimétisme, il répétait ce qu'il entendait, parfois sans comprendre, supprimant des syllabes, prononçant à l'ouïe, et souvent les paroles déposées sur ses lèvres étaient comme des aumônes enfermées dans ses mains. De ce monde, il ne prenait que l'oxygène : au monde, il ne donnait que son silence. »

« Devant les autres, il ne se taisait que pour sentir le silence le protéger à la façon d'une carapace, comme d'autres ne parlaient que pour sentir sur leur langue l'impatience de leurs propos. Étranger à la beauté des phrases, la discrétion était sa demeure. Et dans cette torpeur, il ignorait les inconvénients de son silence comme le sage ceux de sa sagesse. »

« Un matin, il se surprit de voir que mujer s'écrivait aussi simplement.- J'aurais pensé que pour un personnage aussi considérable, y'avait un mot plus difficile, s'était-il exclamé.
Et longtemps après, il roulait encore dans sa mémoire les syllabes de ce mot, mujer, liant et déliant son corps au sien, la tête lourde tout à la fois de manque et de plénitude. »

« Comme les monstres ou les génies, Octavio devait quitter le monde sans descendance. Sa robustesse, son élan pour la vie, il l'héritait directement de cette masse de liberté qu'il ne pouvait transmettre à personne. Il faisait partie de ces hommes qui, comme les arbres, ne peuvent que mourir debout. »

« Les illettrés reviennent du silence comme les malades de la peste [...]. »

« Il tomba par hasard sur une allégorie de la littérature et découvrit qu’on la représentait comme une grande dame drapée de soieries, muette et blanche, une lyre à la main devant une assemblée de marbre. ... Il pensa que la littérature ne pouvait pas ressembler à cette image éloignée des femmes. La littérature devait tenir la plume comme une épée ... dans une lutte obstinée pour défendre le droit de nommer, pétrie dans la même glaise, dans la même fange, dans la même absurdité que ceux qui la servent. »

« - Les démocraties n'ont pas toujours raison, rappela-t-il.
El Negro ricana.
- De quoi ris-tu ?
- C'est que les interdire, c'est avoir toujours tort. »

« Sa peau prit une couleur de sable, comme si on l'avait taillée dans un bloc de quartz. Aux hommes, il ne racontait jamais son histoire. Il évitait la compagnie des bavards, préférant celle des perdrix et des ramiers, dans l'ombre vaste des samanes. À l'aube, il marchait dans les rues en quête d'un bonheur. Au crépuscule, il se traînait jusqu'à un abri que la charité lui avait offert. Il avait cette attitude recueillie, désœuvrée. La nuit, il ne rêvait pas. »

« Don Octavio observa longtemps ces paysages de craie et de roche, où rien ne ressemblait à l’homme, où tout lui appartenait.
- Certains disent qu’ils ont été découverts par le peintre allemand Antonio Goering, continua Venezuela. D’autres par les soldats de Lope de Aguirre ou par Villegas, avant de fonder Burburata.
- Ils disent quoi ?
- Je ne sais pas. On trouve de magnifiques interprétations dans les livres d’Aristide Rojas. Peut-être des luttes locales entre les communautés du lac de Valencia, entre les Tacariguas et les Araguas. Peut-être simplement une manière d’exprimer la nature. »

« Il atteignit les forêts de San Estabàn où, après un marécage, des îlots de mangroves divisaient la mer en petites lagunes. Là, des grues bleues se rassemblaient pour aller migrer vers d'autres marais. Il s'enfonça sous un épais couvert. La pénombre paraissait à cet endroit comme une autre expression de la lumière. Il découvrit une ancienne construction laissée à l'abandon et un petit pré d'herbages où des ânes noirs venaient paître jusqu'au ventre. »

« Don Octavio ne refusait jamais. Ce n'était pas l'homme devenu animal, l'homme devenu mule. Cette traversée était devenue vitale pour lui tant l'alchimie qui s'y opérait trouvait, dans le torrent de son âme, son sens unique et véritable. »

« Les femmes le voulaient pour fils, les filles pour époux. À El Dique, on lui offrit la colline en héritage. Octavio continuait son chemin. Dans sa marche, il avait pour le monde un dévouement presque poétique. Certains parlaient d'un géant né d'un torrent, d'autres d'un esclave arraché à la liberté. Quand on lui demandait, il répondait qu'il venait de la terre. »

« Les jeunes filles apprirent à écrire sous la dictée des garçons à compter les fruits d'un arbre en un seul coup d’œil. Parfois, les enfants manquaient  pour aller vaquer aux foins ou à la garde des troupeaux. Octavio pardonnait ces absences, séduit par l'idée de les imaginer instruits par la nature. »

« Il ne voulait pas parler des fusillades qui avaient mis le bidonville à feu, des charpentes à demi effondrées de l'église, des femmes blessées, des milices qui intervinrent pour défendre leurs intérêts et des corps de police qui tiraient derrière les murs. Il ne voulait pas parler de ça à Octavio qui, éloigné de cette réalité, s'en était construit une autre, semée de noyers, de mahots et de mimosas, où des paysans peuplaient l'horizon, où des enfants taillaient des branches pour faire un manche d'outil, où des femmes portaient des œufs dans le creux de leur devantière. »

« Des écrivains publics faisaient payer une fortune les lettres d'amour, les vieux comptaient les mois en grains de mais et les marchands racontaient aux enfants des légendes pour les éloigner de la nuit. C'était une époque simple et craintive. Le village n'était alors menacé que de superstitions et de croyances populaires [...].
Avec le temps, touffu et foisonnant, le flanc de la colline se gonfla de baraques et de blocs, la vie ne cessant d'apparaître. Année après année, il se chaussa de pierres et se peupla d'hommes qui fuyaient la misère des grandes villes. Ils montaient jusqu'au sommet de la colline, trouvaient une friche loin des autres et y dressaient une maison de tôle ondulée. Avec l'expansion des quartiers, on dut organiser des élections démocratiques désignant des présidents et un conseil. le marché noir fit concurrence aux anciens commerces, tandis que l'ombre des platanes abritait des femmes auxquelles, tantôt l'alcool, tantôt les malheurs, avaient volé un époux.
Les vieilles légendes poussaient les enfants hors des maisons. Beaucoup se retrouvaient aujourd'hui dans la contrebande, souvent par crainte d'être exclus, ou parce qu'il était plus dangereux parfois de ne pas y entre. Les nuits étaient agitées, révoltées, elles s'encombraient souvent d'un crime, au détour d'une ruelle. Les jeunes filles subissaient des grossesses précoces et avortaient avec des cuillères qu'on faisait bouillir dans des casseroles. C'était une carte de la colère. »

« - [...] Elle me rappelle que nous, les Vénézuéliens, où que nous soyons, sommes toujours des enfants du mythe. 
- Du mythe ? 
[...]
- Du mythe, parfaitement. Chaque peuple a sa plaie fondatrice : la nôtre est dans l'effondrement de notre histoire. Nous avons dû nous tourner vers le mythe pour la reconstruire. C'est d'ailleurs plus ou moins la même chose qui est arrivée aux Grecs. »

« [...] notre peuple n'a pas érigé de pyramides. Nos rois n'ont pas créé des États. Nos princes n'ont pas construit de murailles. Le Venezuela n'a été historiquement qu'un pays de passage pour les empires. Un pays du « por ahora ». Les édifices coloniaux, les palais de gouvernance, les académies militaires, rien ne porte d'avenir, de mémoire. Tout cela a été construit « por ahora »... « por ahora » avant de descendre à Potosí où se trouvaient les mines les plus riches ... « por ahora » avant de fonder les grandes vice-royautés de Colombie... « por ahora » avant d'ouvrir le paysage des transnationales. »

Quatrième de couverture

Le voyage d’Octavio est celui d’un analphabète vénézuélien qui, à travers d’épiques tribulations, va se réapproprier son passé et celui de son pays. Le destin voudra qu’il tombe amoureux de Venezuela, une comédienne de Maracaibo, qui lui apprend l’écriture. Mais la bande de brigands «chevaleresques», menée par Rutilio Alberto Guerra, pour laquelle il travaille, organisera un cambriolage précisément au domicile de sa bien-aimée. Avant que ne débute un grand voyage dans le pays qui porte son nom. Octavio va alors mettre ses pas dans ceux de saint Christophe, dans ceux d’un hôte mystérieux, dans ceux d’un peuple qu’il ignore. Car cette rencontre déchirante entre un homme et un pays, racontée ici dans la langue simple des premiers récits, est d’abord une initiation allégorique et amoureuse, dont l’univers luxuriant n’est pas sans faire songer à ceux de Gabriel Garcia Marquez ou d’Alejo Carpentier.

Éditions Rivages, janvier 2015
124 pages
Prix de la vocation 2015
Prix Fénéon 2015
Prix Edmée-de-La-Rochefoucauld
Finaliste du Prix Goncourt du premier roman 2015

mardi 23 février 2021

Pour la beauté du geste ★★★★☆ de Marie Maher

Une lecture émouvante, à la tension sous-jacente, ponctuée de situations cocasses décrites avec un intelligent recul et avec humour, et puis des situations moins drôles et une atmosphère qui s'intensifie au fur et à mesure

L'autrice revient sur les lieux de son enfance, pour l'enterrement du père. Un soulagement. On le comprend dès le début.
Sa mère est morte, la première, il y a un moment déjà. Elle, celle qu'elle aimait tant. Alors que l'autre, le père, elle l'aime moins, voir pas vraiment. Lui, elle l'appelle Pa, parce que les deux syllabes, elle n'a jamais pu. Il est un père malveillant. Il est celui qui a laissé la mère trimer, s'occuper du foyer ... Lui, il était bien trop occupé à s'en jeter quelques uns dans le gosier. Ça aurait dû être l'inverse. Elle n' aurait pas dû partir la première. 
« Le plus dur, c'est de ne pas regarder la pierre en face du trou, le marbre vieux rose et d'un cruel mauvais goût. Un autre nom y est gravé, en doré. Celui de ma mère morte. La vue de ce nom me ferait me fendiller de la tête aux pieds comme un vase chinois. Non seulement tu ne lui as pas donné la chance de connaître la vie sans toi mais en plus, tu vas la rejoindre pour l'éternité. La pauvre, c'est long l'éternité. Depuis combien d'années tu avais payé pour avoir ce trou ? C'est toi qui as tout organisé, bien sûr. Le seul voyage que tu lui auras offert. »
Lui, il est celui qui aboie, qui grogne plutôt qu'il ne parle. Les mots qui sortent de sa bouche ne sont qu'insultes; autant d'égratignures qui marquent à jamais un enfant. 

Elle a dû y retourner dans la maison de son enfance, avant l'issue funeste, pour faire le tri des affaires de la maman. Il l'a exigé. Parce que lui, ne sait pas, ne veut pas, trouve ça normal que ce soit elle qui le fasse.

Et comme on regarderait passer un train, les pages défilent vite. Sous nos yeux, par bribes, la vie de cette femme se dessine, une vie qu'on devine plutôt qu'on ne la lit. Au bout du chemin, la lumière, la possibilité d'un après ... heureux, les doigts perdus dans le long manteau de poils gris de ce nouveau compagnon à quatre pattes. La mort du père. Une délivrance. Il est temps de tourner la page.

Des phrases courtes, minimalistes et des silences pour suggérer, à pas feutrés, la douleur, la colère, la rage. Les blessures de l'enfance.

Un premier roman, court, fort, intense sur un sujet délicat. Abordé avec beaucoup de pudeur, de retenue, avec la beauté d'un geste délicat. Un roman qui m'a bouleversée. « Tu es une reine maman. » Ma reine.
« Écrire. Revenir sur les plaies pour donner à voir les merveilles sur lesquelles elles ouvrent. Écrire pour ouvrir le champ, élargir les définitions et révéler les différences de terrain, refuser le nivellement. » 

INCIPIT
« Vous êtes arrivés en gare de. Assurez-vous de n’avoir rien oublié dans le train. Veuillez emprunter le passage souterrain s’il vous plaît. 12 h 05. Je vais prendre un café en terrasse dans le bar en face de la gare. Malgré la pluie. Je me mettrai sous l’auvent. J’ai froid. Je me sens bien.

Je regarde les gouttes d’eau accrochées à la bordure de la toile. Chaque goutte suspendue le long de la bande de tissu qui une fois tombée laissera la place à la suivante. La suivante qui une fois tombée laissera la place à la suivante. Qui une fois tombée laissera la place à la suivante. Qui une fois tombée. Un allongé s’il vous plaît.

Deux taxis sont garés sur le parking en face de la gare. Aucun n’a bougé depuis que je suis arrivée. Ce sont les taxis de la gare. Ils acceptent leur condition.

C’est le moment d’y aller.

Le trou me semble très grand, beaucoup plus grand que lui ne l’était.
Je regarde mes pieds, j’ai eu raison de mettre mes bottes de motard, avec ma jupe à volants, ça a de l’allure. Je me suis toujours sentie prête à affronter le monde avec ces bottes, même si aujourd’hui je n’ai plus grand-chose à craindre puisque je n’ai plus rien à craindre de toi. Je suis au premier rang, c’est normal. Au bord du trou. Autour, les gens sont rassemblés en grappes. De temps en temps un grain s’échappe d’une grappe pour s’introduire dans celle d’à côté. Des chuchotements, des raclements de gorge. Dans mon dos, les grappes n’ont d’yeux que pour moi, les têtes se tournent, les mains accrochent le bras du voisin. Est-ce qu’ils pleurent ? J’ai envie de regarder. Mes lunettes de soleil n’ont pas quitté le haut de mon nez. Personne ne voit que mes yeux ne sont pas gonflés. Pas même humides. Un homme avec une casquette noire s’avance au bord du trou, face aux gens. Il tend le bras dans leur direction, paume face au ciel, les invite à se rassembler. Les grappes se resserrent, les chuchotements s’interrompent, seuls les raclements de gorge persistent à participer.

Tu en as mis du temps pour te décider à faire ce voyage, et maintenant voilà que tu lambines pour sortir de la voiture. Tu n’as pas encore ouvert les portières. Tu arrives enfin dans ta boîte en roulant sur deux rails en métal. Ils ont l’air bien huilés, le bruit est sourd quand tu avances. Tu n’avances pas bien vite, je ne comprends pas pourquoi tu traînes comme ça. Maintenant tu fais des pauses. Tu t’arrêtes. Tu repars. Tu t’arrêtes. Tu repars. Il est trop tard pour réfléchir. Il faut y aller.

Deux grandes cordes entourent la boîte. Quatre hommes en costume noir veillent à ce que la boîte prenne la bonne direction. Tu ne vas pas encore te défiler. La boîte est maintenant tout au bord du trou. Tu n’as jamais été si près du but. Les hommes prennent les cordes dans leurs mains. On entend des nez qui reniflent un peu fort, des bouches qui laissent échapper des souffles, des doigts qui froissent des mouchoirs en papier. C’est l’heure du départ. Les quatre hommes accompagnent la boîte dans sa lente descente au fond de la terre. Tu fais un gros « ploc » quand tu arrives en bas. La discrétion n’a jamais été ton fort. Je me demande comment ils vont remonter les cordes qui sont maintenant sous la boîte, au fond du trou. Apparemment c’était prévu, les quatre hommes s’accroupissent et jettent les bouts de corde le long de la boîte. Elles resteront avec toi. Ce n’est pas très esthétique, et ça risque de te gêner, je te connais. J’ai oublié le bouquet de roses rouges que je devais distribuer aux gens pour qu’ils t’en jettent une sur la boîte. Ta sœur l’a dans la main. Elle pense toujours aux choses essentielles. Elle a le teint jaune et les lèvres serrées comme si on lui avait collé un bout de sparadrap dessus. Avec sa coloration auburn et sa mise en plis surlaquée on dirait qu’elle porte un casque orange. Elle tire une rose du bouquet et me la donne. C’est moi qui dois ouvrir le bal. Tu me fais trop d’honneur. J’avance tout au bord du trou, je l’aurais imaginé plus profond. Mon regard tombe sur le couvercle de ta boîte. Moins de deux mètres te séparent du sol. Je suis déçue, inquiète surtout. J’ai peur que tu remontes. Le groupe des grappes derrière moi s’impatiente. J’ai envie de prendre mon temps. Comme toi. Je sais que tout le monde attend mon geste. J’ai envie de les faire languir, qu’ils aient un peu pitié. Ils pourraient, ils n’ont jamais rien compris. Aujourd’hui, c’est une chance. Je balance très lentement le bras au bout duquel pend la rose rouge, comme pour prendre mon élan. Les yeux plantés dans la boîte, j’entends des pieds qui commencent à gratter la terre, des soupirs qui m’invitent à être courageuse. Je me retourne avant de le faire ou je ne me retourne pas ? Je ne me retourne pas, ce n’est pas mon genre. Allez, mon prochain mouvement de bras vers l’avant lâchera la rose. Et puis non, le suivant. Voilà. Le « ploc » de ma rose a été plus discret que le tien, un « plic » plutôt. Plic Ploc. »

« Regarde celui-là, c'était ton préféré. Il est là, il est venu dire au revoir à tonton. Il pose la main sur mon épaule en signe de réconfort et s'essuie les yeux qui ont l'air vraiment humides. Il a toujours été parfait. A débuté sa carrière de saint dès sa naissance. A tout de suite affiché la couleur. Né le jour de la fête des mères, dimanche 28 mai. Même le jeté de sa robe est superbe, un mouvement ample et délicat. On dirait qu'il a répété. Je pense que les autres se retiennent d'applaudir. Et celui-là, regarde, tu ne l'as jamais aimé. Il faut dire que s'il n'y avait eu que des gens que tu avais aimés, vous n'auriez pas été nombreux. Ça m'aurait évité un aller-retour an train. »

« Le plus dur, c'est de ne pas regarder la pierre en face du trou, le marbre vieux rose et d'un cruel mauvais goût. Un autre nom y est gravé, en doré. Celui de ma mère morte. La vue de ce nom me ferait me fendiller de la tête aux pieds comme un vase chinois. Non seulement tu ne lui as pas donné la chance de connaître la vie sans toi mais en plus, tu vas la rejoindre pour l'éternité. La pauvre, c'est long l'éternité. Depuis combien d'années tu avais payé pour avoir ce trou ? C'est toi qui as tout organisé, bien sûr. Le seul voyage que tu lui auras offert. »

« La maison était entourée d'une voie ferrée. On entendait les trains qui souvent ne marquaient pas l'arrêt dans la ville. Pas d'arrêt, rien que la vitesse, et le bruit de la vitesse. Le bruit de la vitesse des trains qui me secouait et m'empêchait de dormir. Les parents pensaient que la nuisance sonore allait être un problème pour vendre la maison un jour. Moi, je pensais que ces passages dans un fracas de bruit métallique étaient un plus, il fallait juste trouver où ils se prenaient ces trains qui ne s'arrêtaient pas chez nous. Ils passaient plusieurs fois par jour, parfois trois, parfois quatre, sans jamais s'arrêter. »

« Quand il y avait encore le passage à niveau, les trains à grande vitesse s'arrêtaient plusieurs fois par jour. C'est pour ça que je savais où ils allaient. C'était normal qu'ils s'arrêtent. Et puis j'ai grandi. Au rythme de la démolition du passage à niveau et de la construction du passage souterrain qui allait le remplacer. Et ils ne se sont plus arrêtés. Un passage souterrain uniquement pour les piétons, les voitures devraient descendre dans le tunnel qui sent toujours l'urine pour rejoindre la gare ou le centre. Il fallait que je trouve comment on monte dans ces trains qui ne s'arrêtent pas. Je me suis renseignée. J'ai pensé qu'on se moquait de moi. On m'a fait un croquis. Pour prendre les trains qui ne s'arrêtent pas : prendre un train qui s'arrête. Faire le trajet de quarante-cinq minutes. Arriver vingt-cinq kilomètres en arrière. Descendre. Ne pas sortir de la gare. Passer sur le quai d'en face. Monter dans le train qui ne s'arrête pas. Conclusion, revenir en arrière pour repasser par mon point de départ sans m'y arrêter. J'essaierai.
La dernière fois que j'ai pris un train qui s'arrête, c'était le jour des grappes. »

« Je suis toujours une locomotive lancée à grande vitesse qui traverse une petite ville désertée mais qui ne s'arrête pas, avec au-dessus de la tête une maison démodée dont personne ne voudra et dans le bas du dos, un passage à niveau démoli, remplacé par un souterrain qui sent la pisse. Mon autoportrait. »

« La dernière fois que je me suis trouvée devant cette stèle, il n’y avait qu’un nom, le mauvais. Ce n’est pas ce qui était prévu. J’aurais dû lui faire promettre de ne pas me laisser seule avec toi. Je n’aurais jamais imaginé te balancer une rose sur la tête avec deux noms gravés sur le bout de marbre, trente ans que tu nous disais que tu n’en avais plus pour longtemps. Et ce jour-là, tu étais encore là. Bien droit sur tes bottines à talonnettes. Tes bottines à talonnettes que j’entends encore résonner sur le carrelage parce que j’ai grandi avec elles, du moins j’ai essayé. Ce jour-là, c’est toi qui étais au bord du trou, moi je n’ai pas pu. J’étais ivre et mon amoureux me tenait à bout de bras, j’étais rentrée dans le bar à côté de l’église. Un dernier et j’y vais. Encore un dernier et j’y vais. Allez, le dernier et j’y vais. Ce jour-là, je n’avais pas de lunettes, je n’ai pas regardé la boîte descendre dans le trou, je n’ai pas pu. Je n’ai pas distribué de roses non plus, chacun est venu avec la sienne. Il y avait beaucoup de monde, la tête me tournait et mon ventre était en train de se déchirer. Je plaquais mes mains dessus. J’ai vomi. Après, plus aucun souvenir. Je crois que je me suis évanouie. Les pompiers sont venus me chercher et je me suis réveillée à l’hôpital.
Je n’ai plus de roses. Ce n’est pas grave, il n’y a plus personne. Ou encore quelques curieux que tu ne connaissais même pas et qui ont fait de ton voyage leur promenade de l’après-midi. J’ai prévenu tout le monde que je ne resterai pas après. Ta sœur a commandé quelques bouteilles de vin, de jus d’orange pour les enfants et quelques quiches en guise de pot de départ. J’ai payé. Il paraît que le champagne, ça ne se fait pas dans ce genre d’occasion, dommage je serais peut-être restée. Ils attendent tous à l’entrée du cimetière, c’est sûr. Je veux juste qu’il y en ait un qui me conduise à la gare. »

« Ça va aller, je ne pense pas à ce que je fais, j'avance le plus méthodiquement possible, je fais des listes. Deux trois formalités à régler et je rentre. Il faut que je m'habitue à faire des allers-retours. Tout laisser pour le moment, au moins pour les visites. Je ne comprends pas ce qui a de la valeur ici ou ce qui n'en a pas. Tu sais que dans la région, les maisons qui sont loin du centre-ville sont plus chères que les maisons qui sont en ville ? Mieux vaut être éloigné de la ville qui n'en est pas vraiment une. Par contre, dans une ville plus grande à vingt-cinq kilomètres, c'est plus cher en ville. Plus la ville est petite, plus c'est cher quand on s'en éloigne mais quand la ville est un peu plus grande, mieux vaut s'en approcher. Je préfère faire appel à une agence, je n'ai pas les arguments. »

« Je t'avais appelé parce que j'avais l'impression de ne pas faire autrement. Que j'étais obligée. Que de ne pas le faire, ce serait pire. Tous les jours je disais je le ferai demain. J'ai dû décrocher le combiné une bonne dizaine de fois, je savais que c'était toi qui allais le faire. Allô. Pa. Les deux syllabes, je n'ai jamais pu. Une seule c'était déjà difficile, je la collais au mot d'avant pour n'en faire qu'un seul. C'était difficile mais je l'avais fait, je t'avais appelé. Tu ne pouvais pas dire le contraire. AllôPa. T'aurais pu le faire aussi mais c'est moi qui l'ai fait. Allô, allôPa, c'est moi. Alors ? Alors rien. Et toi ? Qu'est-ce que tu veux ? Rien, je voulais savoir comment. Pour tenir un peu plus longtemps j'ai pris un crayon de papier dans l'autre main. J'ai pris une feuille et je faisais des ronds les uns après les autres, des ronds de plus en plus petits, de plus en plus rapprochés, jusqu'à ce qu'ils deviennent tous un seul et même point. Alors ? Alors rien. Et puis tu n'as pas pu t'en empêcher, tu as allumé la télévision. J'appuyais tellement fort sur la pointe de mon crayon de papier que de la poudre noire se déposait sur la feuille. C'était l'heure des infos, je le savais, c'est même un peu pour ça que je t'avais appelé à cette heure-là. [...]Tu m'avais demandé de venir te voir. Je ne voulais pas. Je n'étais jamais revenue dans la maison depuis qu'elle était morte. [...] Je t'avais demandé pourquoi . Me voir, il fallait une raison. Pourquoi. Pourquoi. Pour trier ses affaires, pardi ! Ranger un peu tout son bordel. Ça braillait toujours derrière toi. Que j'en prenne un peu et que j'en donne, il y en avait plein les placards. Qu'est-ce qu'elle avait besoin de tout ça ? Ça t'arrangeait que ce soit moi qui le fasse. Si je ne le faisais pas, tu allais tout brûler et on n'en parlerait plus. Et après, faudrait pas que je vienne chialer. Parce que qu'est-ce que je croyais ? Que tu me demandais de venir pour profiter du bon air, pour me reposer, reprendre des forces ? »

« Je me gare devant la maison, baisse un peu le son de l'autoradio, pose le menton sur le volant et regarde le ruisseau qu'a formé la pluie sur la route en pente. J'ai pris l'habitude ces derniers jours de marquer des temps d'arrêt dans mes journées, pas la force de les vivre d'une traite. La pluie rend ici le paysage encore plus misérable qu'il ne l'est. Ici, la pluie n'a aucune poésie. »

« Quand j'étais adolescente, il avait été question de déplacer le Poilu pour construire un parking. Ça avait fait, dans la ville, l'effet d'une Troisième Guerre mondiale. La même année que la catastrophe de Tchernobyl, que le bombardement de la Libye par les États-Unis, que le passage de la comète Halley, des émeutes de la faim en Zambie, de la guerre du Liban et de la mort de Coluche. Mais rien n'a égalé l'effroi face au projet de déplacer le Poilu. Mobilisation générale des anciens combattants, mobilisation des deux tiers de la population. Le parking allait être construit dans le plus grand respect du Poilu, en ne lui demandant pas d'élire domicile ailleurs mais en lui offrant un ballet de voitures à ses pieds. Le parking entourerait le Poilu. Il n'était pas peu fier. Je n'ai pas eu tant d'honneurs. Pourtant. »

Quatrième de couverture

Retourner dans le village pour vendre la maison.
Ça devrait être facile, elle ne l’a jamais aimée cette maison plantée au bord d’une voie ferrée.
C’est la dernière chose à faire, les parents sont morts. L’un après l’autre. Se sont suivis de peu, mais dans le désordre. C’est parti de là. Ou de la télé qui hurlait dans le salon.
Elle n’y est jamais retournée depuis l’accident du père. L’accident qu’on avait classé sans suite, elle ne savait pas qu’on classait les accidents. Elle ne savait pas non plus qu’à dix ans, on ne redessine pas le monde avec du café sur une toile cirée.
Ça devrait être facile, elle a une vie maintenant.
Revenir, vendre, accueillir tout ce qui pourra la faire tenir debout.
Et garder près d’elle le grand chien gris.

Alma Éditeur, mars 2020
117 pages

lundi 22 février 2021

Paris, mille vies ★★★★★♥ de Laurent Gaudé

Soufflée, je suis, par cette errance nocturne, par cet élan du coeur, par cette déambulation épique entre passé et présent, par les mots de Laurent Gaudé qui soulèvent des passés, par cette invitation à raviver les souvenirs  le temps d'une nuit, et à convoquer les mille et une vies, tant de vies qui sont passées dans Paris, « tant d'existences qui se sont pressées, puis ont disparu pour faire place à d'autres ».

Paris, lieu de vie, lieu de combats, lieu de mort, lieu d'amour, lieu de mémoire. Un amoncellement d'ombres et d'histoires à faire revivre, à tirer de la nuit, « un amoncellement de tout : tristes défaites, destins heurtés, héroïsme anonyme et vies de rien »
« Puisses-tu ne jamais oublier ceux qui meurent sur tes pavés
Comme ceux qui s'embrasent sur tes bancs...»
Quel livre ! D'une intensité incroyable !

À la frontière entre l'épopée et la poésie, le fantastique et l'autofiction, Laurent Gaudé met en lumière Paris et certains de ses grands moments historiques, et fait revivre Villon, Rimbaud, Hugo, Artaud, d'autres fragments de vies anonymes si justement contées par Laurent Gaudé, pour faire ressortir la quintessence de la vie, en sublimer l'insouciance, la force, l'héroïsme mais aussi, attirer notre regard, comme il le fait si bien, sur la violence que l'homme  exerce inexorablement sur ses frères.  

Un sublime, onirique et libérateur voyage dans le temps et dans l'espace, « Tressage d'époque et fouillis de souvenirs », dans un quartier de Paris, dans lequel j'ai habité quelques temps une chambre de bonne, donnant sur le cimetière de Montparnasse et son silence.   

Un petit bijou littéraire à ne pas bouder, vraiment ! Glissez-vous dans cette longue nuit parisienne, laissez-vous porter par les mots de l'auteur, emporter par leur souffle, laissez-vous happer par la ville, devenez à votre tour le prisonnier de soixante et unième minute...« Il faut accepter de parler avec le ventre, de recevoir avec les muscles, les tripes, de se laisser ébranler au coeur. »
« C'est l'heure de l'invisible et des mots. »

« « Qui es-tu, toi ?... » Je n'arrive pas à me débarrasser de sa question. Je reprends lentement ma marche, mais c'est comme s'il continuait de me la poser. Et pourtant, il est parti. Cela n'a duré que quelques secondes. Nous n'avons été que deux hommes qui se croisent dans une ville immense, deux hommes au milieu de centaines de milliers de vies qui vont, viennent, s'agitent, parlent, rient, souffrent, espèrent...Il est parti en me donnant probablement la seule chose qu'il possédait, sa question, et je réalise que jamais personne ne me l'avait posée, que jamais, donc, je n'ai eu à y répondre, et c'est probablement ce qui m'a fait supposer que la réponse était évidente, qu'il suffisait d'énoncer son âge ou sa profession, d'avancer que l'on est marié ou pas, père ou pas, tous ces attributs qui nous définissent, alors que maintenant, soudain, en essayant de convoquer quelque chose en mon esprit, je prends conscience que je ne trouve rien , ou plutôt trop, bien trop de choses, de souvenirs, de définitions possibles, superposables, et je me dis alors que la vie a passé. »

« La jeunesse est là, aux terrasses des cafés du boulevard Edgard-Quinet. Je la vois. Elle a envie de vivre plus vite, plus fort, de faire résonner l'instant avec fracas, et je ne suis plus tout à fait avec eux. Ils sont si nombreux, tous ces jeunes gens. J'ai longtemps été l'un d'eux et j'aimais, moi aussi, me glisser dans les longues nuits de Paris. Soirées de vin, de bière et de rires. Soirées d'irrévérence et de promesses que l'on se fait à soi et aux autres de toujours garder grand appétit du monde. J'ai eu, moi aussi, cet âge-là et nous avons dévoré ces années en nous léchant les doigts pour ne rien en perdre. Je les regarde. Rien n'a changé. Les mains se frôlent, les cigarettes se fument. Il y a des rires un peu forcés, des éclats de voix, des œillades plus discrètes. Dans tout Paris, des milliers, des dizaines de milliers de jeunes gens discutent, trinquent et font joyeusement du bruit. Tant de vies sont là, sous mes yeux, tant d'existences : ceux venus de province, ceux qui sont en train de passer leurs examens, ceux qui hésitent, ont peur, viennent de tomber amoureux, cherchent un petit boulot pour l'été. Tous ces rêves de métier, de voyages, d'amour, toutes ces adresses échangées, ces messages envoyés, comme chaque fois, pour faire vibrer la vie. Je les contemple, mais je suis déjà ailleurs. Et eux ne me voient plus. Peut-être est-il temps de m'éloigner et de tout saluer pour la dernière fois ? »

« Tout pourrait être différent de mille façons, de mille variations. Mais non, le malheur a faim. »

« Tout est dangereux. Oui, je le sens : Paris retient son souffle, devinant que l'Histoire va avancer d'un coup, que tout va s'accélérer - ce qui veut dire : sang, cris, vies perdues, courses dans les rues, ce qui veut dire urgence et inattendu, comme toujours lorsque l'Histoire se réveille. Il faudra faire vite, avoir de la chance, garder son sang-froid. Tous les jeunes qui sont dans les comités de résistance ont hâte, ont peur, regardent le ciel, attendent des nouvelles, ont du mal à s'endormir, craignent de ne pas être à la hauteur, se demandent ce qui sera demain, ce qui ne sera plus [...]. »

« Villon prend sa part de rire et de farce. Peut-être est-ce que ce sont ces cris-là, ces visages au sourire large qu'il reconvoquera en son esprit lorsqu'il sera au fond d'une cellule ? Il le fera pour se dire qu'il a vécu, oui, vécu, qu'il est riche de tant d'éclats de vie qu'il peut bien disparaître puisqu'il ne meurt pas vide. »

« En ces rues, la colère et la joie se sont toujours embrassées à pleine bouche. La danse et la bagarre, les nuits douces et les heures sombres. En ces rues, du sang a coulé sur le pavé. »

« La rue Saint-Jacques est belle comme une femme qui s'attache les cheveux pour que sèche la sueur de la danse. »

« Paris n'arrive plus à compter tout ce qui a vécu, crié et saigné en elle. Elle est trop pleine et cherche des bouches pour la dire. Il faut retourner les morts, mais il y en a trop... »

« À cet instant, vous êtes les souverains d'une ville aveugle. Rencontre inouïe où Haïti parle à New York et Bamako à Fort-de-France. Des hommes monde se réunissent, passent devant la vieille statue de Montaigne au pied lustré par les années, et ils ont la force de ceux qui font trembler la pensée et fécondent le fleuve des mots. Je les regarde. Ils profitent de ces instants pour se parler, échanger, revenir sur un point, poursuivre leurs discussions de grandes voix de colère. Ils savent qu'ils ne seront plus jamais ensemble et que Paris, sans le savoir, leur offre le précieux cadeau d'un banquet de la pensée. » (Ces hommes, ce sont : Aimé Césaire, Amadou Hampâté Bâ, James Baldwin, Jacques Stephen Alexis, René Depestre, Frantz Fanon, Édouard Glissant, Léopold Sédar Senghor...) 

« Folie, folie...La ville s'emplit d'ombres. Elles sont bancales, trouées, se sentent désarmées face à la brutalité des regards. Folie... Ayez pitié d'eux car il y a, dans le dessin de leur geste, dans la brûlure qu'ils ont au fond des yeux, une vérité nue qui touche aux grands mystères. »

« Il faut accepter de parler avec le ventre, de recevoir avec les muscles, les tripes, de se laisser ébranler au coeur. »

« La beauté n'a jamais été fille de raison. »

« Paris aime les gares, comme un aveugle aime celui venu de loin qui lui parle de terres qu'il ne verra pas. Sept gares comme sept portes à avaler le monde. Sept gares à foule par lesquelles fuir lorsqu'il faut tout quitter. Paris aime le bruit des wagons, les annonces de retard ou de changement de quai, les regards perdus de tous ceux qui se croisent mais ne se voient pas. Paris et ses sept gares, filles de l'acier, du charbon et des foules pressées. Carrefours affairés où tout converge. Sept gares et des milliers d'annonces, de crissements de roue, de sifflets. Paris à tous les vents et où tout se mêle : le désir et l'épuisement, le rêve et l 'ennui. »

« La terre, aujourd'hui, ce sont mes mots, et je les jette doucement sur les âmes tourmentées. »

« Il n'y a eu pour eux que le peloton et l'outrage. Antigone crie parce que leurs meurtriers les ont salis en les tuant à la va-vite. Ils ont escamoté leur exécution et se sont débarrassés des dépouilles avec honte. Les assassins savaient probablement que la mort de ces deux garçons ne changerait rien, ne suffirait pas à inverser le cours des choses et à les préserver de la défaite. Mais ils ont tiré tout de même. Par habitude. Ne sachant que faire d'autre. Ou par plaisir. Pour châtier ceux qui allaient gagner, leur faire mal jusqu'au bout. Et tant pis si cela n'a pas de sens. Tant pis si ce sont deux jeunes gens de vingt ans qu'on immole. L'affront brûle autant que le meurtre et Antigone n'en finit plus de crier sur cette jeunesse saccagée. »

« Une seule chose nous sauve, c'est 'intensité. Il n'y a qu'elle à opposer à la fragilité de nos existences. Vivre. Vivre avec densité. Comme une course à n'avoir pas le temps de tout embrasser. »

« Paris s'apaise. Mon père est tout près, je le sens. Je retrouve son odeur, le grain de sa voix, tous ces détails que la mort nous vole. Je vais devoir le laisser partir à nouveau mais je l'ai ramené au présent. Il a marché sur mes épaules, déambulé dans les rues de cette ville qu'il nous a offerte, à mon frère et moi. C'est le rêve qu'ils ont eu, avec ma mère : offrir Paris à leurs enfants. Que tout commence ici. Alors cette ville est mienne, oui, parce qu'elle m'a été donnée. Et tout ce qui bruisse en elle, la clameur du passé, le fracas, les révoltes, les foules pressées, le pas hésitant des poètes, les solitudes côte à côte et les grands espoirs des foules, sont miens. Je prends tout. Je retrouve Paris. Et je sens mon père sourire avec douceur, heureux de voir que tout continue au-delà de lui. »

« Nous avons inventé l'immortalité et elle fait un doux bruit de papier. Les mots se transmettent de siècle en siècle. L'éternité est là : dans chacun des livres que nous ouvrons. Tout est intact. Sur les pages que nous parcourons des yeux, nous retrouvons la voix exacte du passé. Tout ce qui semblait fragile, voué à un oubli certain, la description d'une sensation fugace ou d'un paysage changeant, tout cela est gravé. Alors, oui je retourne aux mots. J'ai peuplé ma vie avec eux. »

« Hier est perdu, aujourd'hui, déjà, s'éclipse mais je connais les mots qui me consolent et je vais les dires [...] « C'est à cause que tout doit finir que tout est si beau. » »

Quatrième de couverture

     Un soir de juillet, sur l'esplanade de la gare Montparnasse, le narrateur est apostrophé par un homme agité qui répète plusieurs fois sa question : Qui es-tu, toi ?
       Guidé par cette ombre errante, il déambule de nuit dans un Paris étrangement vide où les époques se mêlent. Tant de présences l'ont précédé dans cette ville qui l'a vu naître, et ce sont autant de fantômes qu'il faut dire, apaiser, écrire, avant de revenir au grand appétit de la vie.
      Entre art poétique et récit fantastique, l'auteur célèbre sa ville et se souvient, à la fois sincère et discret, heureux d'être un parmi les hommes et de chanter, le temps d'une nuit, ces mille vies qui nous devancent, nous accompagnent, nous prolongeront.

Éditions Actes Sud, octobre 2020
88 pages

dimanche 21 février 2021

Enfants de poussière ★★★★☆ de Craig Johnson

J'ai commencé par la série "Longmire" avec Molosses. Je m'étais dit que je reviendrais lire Craig Johnson, me rendrais de nouveau à Durant dans le Wyoming pour élucider une enquête aux côtés du shérif Walt Longmire. C'est son humanité qui m'avait plu, son coeur tendre, son côté un peu bourru et sa relation attentionnée avec sa fille Cady, avec ses collègues. 
J'ai retrouvé ce colosse avec plaisir, de même que d'autres protagonistes bien campés qui ne m'étaient plus inconnus, comme son ami amérindien Henri Standing Bear. 
Enfants de poussière est un très bon thriller, le démarrage est un peu lent, pas simple à comprendre, j'ai eu un peu de mal à assembler les morceaux, mais une fois que c'est parti, je n'ai pas pu lâcher le bouquin. Et c'est une double enquête que j'ai suivie. Deux mystères, un survenu dans le passé pendant la guerre du Vietnam, l'autre, quelques quarante années plus tard, dans le Wyoming, dans le comté fictif d'Absaroka, isolé du monde, témoin de tensions entre communautés, et, dans cet opus, peuplé de revenants de la guerre.  

Enfant de poussière est « la traduction de l'expression américaine dust child qui désigne ces enfants non désirés, nés pendant la guerre du Vietnam, rejetés par la société, comme leurs mères, souvent accusées d'être des prostituées. »
Lire Craig Johnson, c'est, à mon avis, avoir la garantie de lire un très bon polar, à l'intrigue bien ficelée, aux personnages hauts en couleur, mais c'est aussi, s'enrichir au contact des autres, apprendre, et réfléchir sur notre société. 
Avec Enfants de poussière, Craig Johnson dénonce les violences de notre civilisation, et nous montre l'homme capable du plus beau et même du pire ! Il nous donne aussi un réel aperçu des traumatismes qu'une guerre laisse derrière elle... 

Prochain rendez-vous : le premier tome de cette série. J'ai commencé par le sixième, ici le quatrième, j'ai comme envie de faire les choses un tant soit peu dans l'ordre ;-) Parce que j'accroche de ouf !

« Je restai là, à la regarder s’éloigner dans un hurlement de pneus lorsqu’elle sortit du parking. Je tentai de comprendre ce que j’avais fait de travers. Je savais que j’étais un peu rouillé, mais sa réaction paraissait un peu brutale. Je démarrai le Bullet et mis ma ceinture. Henry resta assis sans dire un mot. Le chien ne dit rien non plus»

«  Je pensais à tous les souvenirs pernicieux qui m'assaillaient depuis quelque temps, les griefs, les doutes, l'orgueil blessé, la culpabilité, et toute l'amertume causée par le débat moral au sujet d'une guerre achevée depuis longtemps. Je restais là avec la même impression que celle que j'avais eue dans le tunnel lorsque le grand Indien avait essayé de m'étrangler. Je m'étouffais en repensant à un passé qui provoquait malaise, agitation et perte de repères. »

«  Le Vietnamese Amerasian Homecoming Act a ouvert la voie à des dérives ; un certain nombre d'agents vietnamiens travaillant au consulat américain se mettent en cheville avec des "courtiers" qui achètent les passeurs qui ... Comment dit-on en langue familière ? ... font entrer en douce des illégaux aux États-Unis. Le consulat américain leur accorde un visa dès qu'ils emmènent leur nouvelle...heu...famille, disons, avec eux. Ces courtiers se font près de vingt mille dollars par visa accordé aux accompagnants. »

« Je continuai à pianoter à la recherche de la partie sonore du clavier en pensant à Ho Thi Paquet, à son corps abandonné si lâchement à côté du tunnel de l'autoroute, à Tran Van Tuyen et à l'expression de son visage lorsque je l'avais interrogé au cimetière, et enfin à Mai Kim. Je repensai à la photo cachée dans la doublure du sac à main, à la personne que j'étais au Vietnam, à la manière dont Virgil White Buffalo regardait les enfants dans la cour, de l'autre côté de la rue. »

« Le rapport du service d'immigration et de naturalisation indiquait que, dans les dernières années, cinquante mille immigrantes clandestines avaient été amenées aux  États-Unis pour le seul usage de l'industrie du sexe. L'histoire de Ho Thi Paquet et Ngo Loi Kim faisait dresser les cheveux sur la tête, mais il n'y avait pas que cela. 
- Enfants de poussière était un écran pour cacher l'importation des jeunes femmes, et Trung Sisters Distributing les distribuait dans les bordels du monde entier, jusqu'à Londres. »

«  Il savait que nos chemins n'étaient pas si différents l'un de l'autre. Nous nous étions enfuis le plus loin possible de la guerre, jusqu'aux franges de notre société, mais le Vietnam nous avait rattrapés : les circonstances, deux filles désespérées, un méchant très méchant, une vieille photographie et une lettre décolorée s'en étaient chargés. »

Quatrième de couverture

Le comté d'Absaroka, dans le Wyoming, est le comté le moins peuplé de l’État le moins peuplé d'Amérique. Aussi, y découvrir en bordure de route le corps d'une jeune Asiatique étranglée est-il plutôt déconcertant. Le coupable paraît pourtant tout désigné quand on trouve, à proximité des lieux du crime, un colosse indien frappé de mutisme en possession du sac à main de la jeune femme. Mais le shérif Walt
Longmire n'est pas du genre à boucler son enquête à la va-vite. D'autant que le sac de la victime recèle une autre surprise : une vieille photo de Walt prise quarante ans plus tôt, et qui le renvoie à sa première affaire alors qu'il était enquêteur chez les marines, en pleine guerre du Vietnam.

Enfants de poussière entremêle passé et présent au gré de deux enquêtes aux échos inattendus. Ce nouveau volet des aventures du shérif Longmire et de son ami de toujours, l'Indien Henry Standing Bear, nous entraîne à un rythme haletant des boîtes de nuit de Saïgon aux villes fantômes du Wyoming. 

Enfants de poussière s'enfonce plus profondément que tout autre roman de Johnson dans les ténèbres du passé de Longmire.
LOS ANGELES TIMES

Éditions Gallmeister, février 2012
324 pages
Prix SNCF du Polar 2015

jeudi 18 février 2021

L'autre qu'on adorait ★★★★☆ de Catherine Cusset


🎶 Avec le temps
Avec le temps, va, tout s'en va
On oublie le visage et l'on oublie la voix
Le cœur, quand sa bat plus, c'est pas la peine d'aller
Chercher plus loin, faut laisser faire et c'est très bien
Avec le temps
Avec le temps, va, tout s'en va
L'autre qu'on adorait, qu'on cherchait sous la pluie
L'autre qu'on devinait au détour d'un regard
Entre les mots, entre les lignes et sous le fard
D'un serment maquillé qui s'en va faire sa nuit
Avec le temps tout s'évanouit 🎶
....

Un livre consacré à la perte d'un ami suicidé (on l'apprend dès le prologue), écrit comme on écrirait une éloge funèbre. Catherine Cusset s'adresse, avec un tutoiement,  à Thomas Bulot, un jeune universitaire brillant, ami de son frère et qui a été son amant, puis son ami. 
Le tutoiement est à appréhender, il peut surprendre. Un détail, parce que l'écriture de Catherine Cusset est très belle.
Sans aucune concession, elle retrace la vie de Thomas, la fin du lycée en 1986, son parcours universitaire chaotique aux États-Unis, ses amours fous et sincères, ses doutes et ses espoirs, ses excès, ses abus... Un homme adoré de beaucoup, un  « être poétique » comme il se définissait lui-même, une personnalité mouvante, qui rattrapée par certains troubles psychologiques et la détresse qu’ils engendrent, se cogne et sombre ...
« Tu es parfois sujet à des accès de dépression pendant lesquels ta vision du monde est d’un pessimisme absolu. C’est le cas en ce moment. Tu as hésité à me parler de cette humeur qui envahit ta vie, telle une marée noire et tue en toi tout désir, de ce vide qui t’engloutit comme des sables mouvants. »
Un livre qui fourmille de citations littéraires, Proust notamment - Thomas écrit une thèse sur "Proust et le classicisme" -, et de références musicales. 

Catherine Cusset rend un très bel hommage à cet ami disparu, un hommage poignant, empreint de vérité et écrit dans un style acéré. Elle se souvient de ce beau parcours de vie, elle le retranscrit avec lucidité, elle interroge aussi...
« Tu vas mieux. Sans raison. Ton énergie revient avec le printemps. Quand tu te réveilles le matin, la journée ne t’apparaît plus comme un désert impossible à traverser. »
J'ai dévoré ce livre mais un petit hic, malgré tout, je m'attendais à davantage d'empathie de la part de l'autrice/narratrice, de charge émotionnelle. L'emploi du "tu" y est certainement pour quelque chose. Néanmoins, une belle lecture.

« Allongés par terre dans ta chambre, vous écoutez The Cure ou, en chantant à tue-tête, Ferré, Reggiani, Brel, Dutronc et Serge Gainsbourg. Vous chantez aussi faux et fort l’un que l’autre, vous hurlez en imitant les mimiques faciales du vieux Léo aux tempes grisonnantes que vous avez vu à la télévision, et son poing qui s’abat quand il bute sur le mot « peinard » : Avec le temps… Avec le temps va, tout s’en va / Et l’on se sent blanchi comme un cheval fourbu / … »

« D’un commun accord on baptise cette relation naissante « amitié érotique ». Il ne s’agit pas d’amour. Le sentiment qui nous lie est léger et joyeux. Personne ne doit savoir ce qui se passe entre nous, surtout pas mon frère et sa bande de copains. »

« Notre maisonnette te paraît un palace par rapport à ton trou à rats d'Harlem, avec ses quatre chambres à l'étage, toutes petites mais lumineuses, dont les fenêtres à guillotine donnent sur le ciel bleu et le jardin vert vif qui sent bon l'herbe coupée. Elle est à cinquante mètres de la mer. Tu découvres une côte découpée qui ressemble à celle de la Normandie et de la Bretagne. En fin d'après-midi Alex sert l'apéritif dans le jardin. Il fait frisquet, tu lui empruntes un pull marin, vous parlez du jeune gouverneur de l'Arkansas que personne ne connaissait il y a un an, qui a grandi dans la pauvreté et qui vient d'être élu président : un de ces destins fabuleux que permet l'Amérique. Alex met en route le barbecue et grille des brochettes d'agneau dont l'appétissant fumet caresse tes narines. Un whisky dans une main, une cigarette dans l'autre, appuyé contre le dossier d'une confortable chaise longue en bois, tu entends pépier un moineau. »

« [...] tu passes [...], dans une petite communauté de musiciens, trois semaines aussi intenses que le voyage au Japon, peut-être même plus intenses, puisque le seul vrai voyage, comme le dit Proust, ne consiste pas à aller vers de nouveaux paysages mais à voir l'univers avec les yeux et les oreilles d'un autre, et que c'est par l'art que « nous volons vraiment d'étoiles en étoiles. » Tu constates à Dijon ce que tu n'aurais jamais cru possible il y a un an devant la tombe de ta mère : tu es heureux. Proust n'écrit-il pas dans son Carnet de 1908 que « le bonheur n'est qu'une certaine sonorité des cordes qui vibrent à la moindre chose et qu'un rayon fait chanter » ? »

« Cette année tu as suivi le cours d’un grand professeur de français sur Baudelaire, et tu t’es rappelé ton unique amour : la littérature. Gagner de l’argent n’est pas une motivation suffisante : tu veux la liberté de lire, de penser et d’écrire. L’Amérique a cela de merveilleux qu’il n’est pas trop tard pour changer de voie. Comme Élisa, comme moi, tu vas t’inscrire en doctorat de lettres en postulant pour une bourse et tu deviendras professeur, pas en France, mais aux Etats-Unis où l’accès aux postes est fondé sur le mérite, où un universitaire est princièrement traité, le métier prestigieux et la liberté de l’esprit respectée. »

« Tu ne peux même pas aller te reposer dans la petite maison du Connecticut car nous avons déménagé et vivons provisoirement dans un endroit du New Jersey inaccessible autrement qu’en voiture. En congé sabbatique cette année, je circule entre les Etats-Unis et la France. Un après-midi de novembre où tu me retrouves dans un café du Village, tu me révèles ce que tu n’as dit à personne : tu es parfois sujet à des accès de dépression pendant lesquels ta vision du monde est d’un pessimisme absolu. C’est le cas en ce moment. Tu as hésité à me parler de cette humeur qui envahit ta vie telle une marée noire et tue en toi tout désir, de ce vide qui t’engloutit comme des sables mouvants. En nommant ce néant, tu tentes de lui donner une existence, de le mettre à distance, de construire une défense. Mais quel rapport entre ce noir d’encre qui te submerge quand tu es seul et ces mots que tu prononces devant un cappuccino, dans un café de New York, face à un visage ami ? »

« La femme que nous aimons est « une image, une projection renversées, un "négatif" de notre sensibilité », écrit Proust dans À l'ombre des jeunes filles en fleurs. Rien de plus juste. La souffrance que t'inflige Olga est l'image latente de ton amour. Si tu parviens à accepter ce qu'elle exige de toi, cet amour aura une force herculéenne. Mais tu reviens malgré toi buter contre ce petit fait qui ne s'emboîte dans une aucune logique pouvant lui donner un sens favorable. Le téléphone portable, c'est le seul moyen de la joindre à tout moment et de savoir où elle est. Quelle autre raison qu'une double vie pourrait motiver son refus ? Avec qui est-elle en ce moment, alors que son répondeur à la maison se déclenche et qu'elle ne décroche pas, même en entendant ta voix ? Insatiable comme elle est, lui suffis-tu ? Swann se trompait-il quand son intuition lui disait qu'Odette était infidèle ? »

« Tu ne la comprends pas mais tu l'aimes. Tu ne pouvais aimer qu'une Russe, c'est l'évidence. Une femme qui te comble autant qu'elle te torture, une femme dont l'âme a des méandres où tu te perds et avec qui l'amour est un mystère sacré. »

« Ce qui compte, c'est ce que tu sens quand tu écoutes l'adagio du Quinzième Quatuor de Beethoven [...]. C'est là qu'est ta vérité ; ta vie. Toi, ton vrai toi, ton être poétique, celui qui rit avec un ami, regarde une femme, un ciel ou un tableau, est absent de ces pages. Si tu aimes tant Proust, c'est pour son intuition fondamentale : la vie véritable est dans les fragments de temps qui échappent au temps. 
La fameuse madeleine n'est rien d'autre que la rencontre du présent et du passé qui permet de sortir de l'angoisse de la mort en n'étant ni dans le passé ni dans le présent mais entre les deux. Cette phrase du "Temps retrouvé" s'est imprégnée en toi : « Une minute affranchie de l'ordre du temps a recréé en nous pour la sentir l'homme affranchi de l'ordre du temps. Mon texte, c'était l'anti-Proust. » »

« Proust encore :  « Il y a dans ce monde où tout s'use, où tout périt, une chose qui tombe en ruines, qui se détruit encore plus complètement, en laissant encore moins de vestiges que la Beauté : c'est le Chagrin. » »

« ... Richmond. C'est une ville attachante. Du Sud, avec un ciel méditerranéen, un magnifique automne. Elle te change des villes blanches qu'étaient Portland et Salt Lake City. Ancienne pour l'Amérique, elle a une histoire : c'est là que fut voté en 1786 le règlement pour la liberté religieuse rédigé par Thomas Jefferson qui institua la séparation de l’Église et de État. Et c'est à Richmond qu'a grandi celui qui fut un des héros de ton enfance, le champion de tennis Arthur Ashe. De la ségrégation au sida, sa vie est comme un concentré de l'histoire des États-Unis dans la seconde moitié du vingtième siècle : toi qui as toujours été fasciné par les prouesses sportives, tu te demandes si tu n'as pas là un sujet en or, qui pourrait donner un roman formidable, qui deviendrait ensuite un film hollywoodien.
Le casque sur la tête, Nina Simone, Betty Carter ou Keith Jarrett dans les oreilles, tu sillonnes à vélo cette ville qui n'était qu'une entité abstraite quand tu y as débarqué en août et qui devient, au fil de ta dérive sur l'une et l'autre rive de la James River, un agrégat d'images, de musées, de parcs, de quartiers à l'identité bien distincte. Ici et là tu t'arrêtes, surpris par une maison ancienne qui a survécu à l'incendie de la ville par les Anglais, ou par un porche en fonte ouvragée. Au musée des Beaux-Arts tu es ému de trouver des oeuvres de Poussin et de Delacroix : un petit bout de chez toi, si loin. Tu vas voir des films au Byrd Theater, au Landmark Theater, au Carpenter Center, dont tu admires les façades Art nouveau. »

« Je suis ton amie, je ne suis pas méchante, tu l’as compris. Mais comme j’ignore la fragilité, comme j’ignore le mal qu’on fait à l’autre en posant le doigt sur ses zones les plus sensibles et en appuyant dessus ! Ma pauvre petite fille qui n’a pas cinq ans, tu as peur pour elle, peur que son bulldozer de mère ne l’écrase sans même s’en rendre compte. Peut-être n’écriras-tu rien, mais au moins tu ne feras ce mal-là à personne. Tu te préfères dans la peau du bouffon pathétique que dans celle d’une femme qui te donne à lire un tel texte en te demandant ton avis “littéraire”. Un texte qui n’est pas seulement blessant, mais mauvais. Tu es partial, soit, puisqu’il s’agit de toi, mais tu n’as aucun doute. »

« Après t’être terré tout l’automne et l’hiver, tu t’éveilles avec le printemps. Tu commences à connaître ce rythme, le très haut suivi du très bas, les montagnes russes des émotions, le bonheur du printemps et de l’été suivi du désastre de l’automne et de l’hiver, suivi d’un nouveau printemps. Proust retrouve le temps, et toi la joie. Sans doute est-ce le rythme de la vie…»

« Malgré la mort, malgré le deuil, vous êtes follement amoureux l'un de l'autre. Ou à cause de ? « Les "quoique" sont toujours des "parce que" méconnus  », écrit, dans "À l'ombre des jeunes filles en fleurs", celui qui a tout compris, tout pensé, tout dit. »

« Quand nous dînons en tête à tête ce soir-là, tu me racontes septembre et ton désir de suicide. Je n’ai pas l’air trop inquiète, pas même quand tu me dis avoir penser à mettre un sac de plastique sur ta tête comme mon beau-père pour ne pas te louper. Tu remarques mon imperceptible haussement d’épaules, comme si je trouvais indécent d’oser te comparer à mon beau-père qui est passé à l’acte. C’est vrai que, vue de New York, de ce restaurant de Chinatown où tu dégustes un poulet au sésame dont tu trouves la saveur exquise, ta dépression de Venise ne parait pas mortelle. »

Quatrième de couverture

« Quand tu penses à ce qui t’arrive, tu as l’impression de te retrouver en plein David Lynch. Blue Velvet, Twin Peaks. Une ville universitaire, le cadavre d’un garçon de vingt ans, la drogue, la police, une ravissante étudiante, une histoire d’amour entre elle et son professeur deux fois plus âgé : il y a toute la matière pour un scénario formidable.
Ce n’est pas un film. C’est ta vie. »

L’autre qu’on adorait fait revivre Thomas, un homme d’une vitalité exubérante qui fut l’amant, puis le proche ami de la narratrice, et qui s’est suicidé à trente-neuf ans aux États-Unis. Ce douzième roman de Catherine Cusset, où l’on retrouve l’intensité psychologique, le style serré et le rythme rapide qui ont fait le succès du Problème avec Jane, de La haine de la famille et d’Un brillant avenir, déroule avec une rare empathie la mécanique implacable d’une descente aux enfers.

Éditions Gallimard, collection Blanche, août 2016
300 pages
Finaliste du prix Goncourt 2016