dimanche 30 janvier 2022

Hadès Argentine ★★★★☆ de Daniel Loedel

Un roman pas simple de part son sujet, de part sa structure éclatée, parsemée d'allers et venues entre un présent troublé et un déchirant passé. Rien de plus compréhensible, car c'est dans le tête du protagoniste, Tomás Orilla, que l'auteur nous invite...Un protagoniste titubant, déambulant dans une longue marche hallucinée, confronté à ses angoisses, ses fantômes, sa culpabilité, ses amours et ses trahisons. 
Dans son intimité, nous sommes conviés. Dans son besoin de faire le deuil, de trouver la rédemption, « de remettre au fond de leurs tombes des fantômes obstinés ».
Alors oui rien n'est simple.
Dans sa tête, tant de souvenirs qui suintent, une pagaille de pensées, d'images de souffrances, de peines, de violences perverses, de traumatismes, de mots qui questionnent, déstabilisent, de phrases lancinantes, d'anecdotes incroyables, de fragments de douceurs aussi, se percutent, se télescopent, inondent ses pensées, entravent le chemin vers la sérénité. 
Comment trouver la paix intérieure après ça ?
Ça. C'est. Un coup d'état. 1976. Argentine. 
Des illuminés, des pervers au pouvoir. 
Un monde qui bascule dans le chaos. 
Des vies sont prises, et les fantômes hantent les esprits des rescapés, des exilés, souvent.
Quel livre, me suis-je dit en tournant la dernière la page. 
Quelle histoire ! Qui nous laisse le coeur à vif. Qui égratigne.
Quelle maîtrise ! Une lecture pourtant déstabilisante, qui mériterait peut-être une seconde lecture. 
Des pages que l'on feuillette, auxquelles on s'accroche plutôt. Loin de la balade poétique bucolique, on marche dans les pas de ceux qu'un régime "militairement" autoritaire, arbitraire et totalitaire a incommensurablement fait souffrir, « soutenu par les Etats-Unis, qui avait kidnappé et assassiné à sa guise des dizaines de milliers de gens, au prétexte d'endiguer le communisme ».  A contraint au pire. 
Ce chemin n'est toutefois dénué ni de poésie, ni d'élégance, bien au contraire. Mais de la veine de cette poésie qui bouscule, questionne et crée l'inconfort. 
Quand des illuminés, des pervers prennent le pouvoir, c'est un monde qui s'écroule. Ce sont des idéalistes qui payent de leurs vies. Et c'est un lecteur bien en peine avec tout ça.
Elle n'est pas simple cette lecture. Empreinte d'humanité, d'amours, de sacrifices, de bris et de fureurs.
Un livre à lire. Témoignage d'une douloureuse histoire familiale.
Un auteur que je vais suivre indubitablement.  

« La verdure oscillant dans le vent, l'architecture parisienne, ces charmantes boutiques spécialisées comme les magasins de parapluie  - la ville demeurait immaculée malgré tout ce qui pouvait s'y passer. Buenos Aires ne montrait jamais ses cicatrices, ne laissait jamais rien brouiller sa surface ; c'était une ville faite pour l'oubli aussi bien que la nostalgie, même si j'étais personnellement incapable d'éprouver l'un ou l'autre. »
« Nous sommes revenus ici, ta petite rebelle chérie et moi, fondamentalement en nous glissant dans des fissures. En profitant de failles fugaces et incertaines, comme tous ces fantômes misérables dont on parle dans les histoires. Mais il faut que tu comprennes, cet endroit, l'au-delà - ça te change. Ça te tue encore et encore, vraiment, à chaque instant. Au bout d'un moment, ce n'est pas seulement ta vie que tu perds, c'est toi. Alors revenir de cette manière, ce n'est pas bon, tu vois. Il te manque quelque chose, il te manque tout. C'est un simple épiphénomène, pas la réalité. Pas la vie. »

« Isabel était-elle devenue péroniste parce qu'elle était une rebelle, ou une rebelle parce qu'elle était péroniste ? Cette question de la poule ou de l'œuf n'était pas évidente à trancher, mais je penchais plutôt pour la première hypothèse. Le péronisme était le vecteur idéal pour tous ceux qui, comme elle, aspiraient au changement mais ne possédaient pas nécessairement une idéologie ou un programme totalement définis. Après que l'homme lui-même eut été chassé du pays en 1955 et son parti interdit, leurs aspects de droite avaient été largement oubliés, et cette étiquette était peu à peu devenue un fourre-tout pour les populismes de tous bords, une bannière pratique pour tous ceux qui souhaitaient entrer sur le champ de bataille. Comme Isabel me le confia au cours de cette marche : « Le péronisme, c'est comme la poésie - on e peut pas l'expliquer, seulement le reconnaître. » »

« Alors que février s'acheminait doucement vers mars, les tremblements de peur devinrent plus durs à contrôler. On voyait de plus en plus de drapeaux argentins ostensiblement agités sur les écrans de télévision et on entendait de plus en plus de discours prononcés par des amiraux et des généraux au sujet de la guerre pour la liberté et la démocratie, les mêmes termes, exactement, que ceux brandis par leurs opposants. On voyait de plus en plus de soldats dans les rues, de plus en plus de barrages de police. [...] On lisait des gros titres en une des quotidiens nationaux, évoquant des fusillades au cours desquelles seuls des « terroristes » étaient tués, et aucun soldat ni officier blessé. [...] La seule chose que vous n'entendiez jamais, c'étaient les détonations. Elles avaient beau monopoliser les conversations, la mort, la violence et la guerre se déroulaient hors champ. Mais les forces qui en étaient responsables n'en semblaient pas moins puissantes. Bien au contraire : cette invisibilité les parait d'une aura magique encore plus grande, tel un sorcier frappant à distance, implacable. Si j'ai sursauté quand le Colonel m'a donné son revolver, c'est sans doute moins à cause de l'arme elle-même que du fait que contre une force aussi invisible, cela faisait l'effet d'un bouclier chétif au point d'en être dérisoire. »

« Les gens disent que les militaires vont détruire ce pays. Mais la destruction, c'est le progrès, Tomasito. C'est le seul moyen de mesurer le progrès, d'ailleurs. Scientifiquement, je veux dire. Mon père - un chimiste, ne l'oublie pas, et un bien meilleur joueur d'échecs que toi ou moi - m'a dit un jour que la seule indication du fait que le temps est une direction, du passé vers l'avenir, c'est l'entropie. Et qu'est-ce que l'entropie, Tomás ? Un désordre. Une destruction de l'ordre. La direction dans laquelle elle s'étend est la direction dans laquelle le temps progresse. Donc, quand quelque chose se casse, qu'un pays vole en éclats - c'est cela, le temps. »
« Je ne savais trop quoi faire de ça. Quoi en penser, je veux dire : que vous arrivait-il si vous commenciez à voir l'humanité dans les monstres ? Qu'arrivait-il à votre humanité ? A votre propre monstruosité ? »
« Je veux dire qu'elle, elle avait peur. Son amour des montagnes russes, des fusillades et de toute cette agitation en quête d'une vie qui ait du sens ? Qui se soucie de ça, si ce n'est de peur qu'elle ne s'achève un jour ? Oh, je suis sûr que tu as tiré un certain réconfort au fil des années, de l'idée qu'elle n'avait pas peur, qu'elle était prête à affronter sa propre mort. Ça rendait la chose plus facile à avaler pour toi, pas vrai ? Si elle avait choisi ce qui était arrivé, si elle n'avait jamais voulu que cela se passe d'une autre manière ? Mais il y en a toujours. D'autres manières, d'autres choix. D'autres coutumes dans l'armoire, si tu préfères. »
« Et le silence, après - tu ne l'avais encore jamais vraiment entendu, non plus. Tu ne savais pas encore combien il allait devenir assourdissant. »

« Autre pensée tournant en boucle : ces choses que je savais. Elles continuaient de fusionner avec les choses que je ne savais pas et d'en épouser la forme. Les faits éprouvés s'effilochaient, les hypothèses me concernant ne s'ancraient plus dans rien, et voguaient librement. Étais-je une bonne personne ? Me souciais-je seulement de la morale ? Que pouvait donc bien changer une seule personne, son amour ou sa mort ? Rien de tout cela ne compte. Rien de tout cela ne vaut la peine qu'on s'y accroche. »

Quatrième de couverture

Tomás Orilla a fui Buenos Aires aux heures les plus sombres de la « Guerre Sale » argentine des années 1970. Depuis, il s’appelle Thomas Shore et est traducteur à New York. Mais après dix ans d’absence le passé le somme de rentrer, le convoquant sur les lieux de sa jeunesse qui ont vu naître son amour pour la fascinante Isabel, portée disparue depuis des années. Tel un Orphée moderne descendant aux enfers pour chercher son Eurydice, ce voyage au cœur des ruines enfumées de son pays conduit Tomás dans les tréfonds de sa mémoire, où l’attendent ses démons et les ombres de ceux qu’il a abandonnés. Il n’a alors d’autre choix que d’interroger les compromis que l’on fait parfois par amour – ou par lâcheté.
Hadès, Argentine, par sa narration audacieuse et la force morale de son propos, est une ode touchante et brutale aux victimes des guerres intestines. Un premier roman très remarqué qui expose avec finesse comment la violence, la trahison et l’aveuglement peuvent conduire au pire un individu, et tout un pays.

« Un roman beau et envoûtant »
PHIL KLAY (auteur de Fin de mission)

Éditions La croisée, avril 2021
397 pages
Traduit de l'anglais (États-Unis) par David Fauquemberg
Prix du Premier Roman étranger 2021
Finaliste du Prix Femina étranger 2021

dimanche 23 janvier 2022

La maison des Hollandais ★★★★☆ d'Ann Patchett

La Maison des Hollandais pourrait être la maison de tout un chacun. Elle inspire et donne des élans ; mais toute maison, tout lieu de convergence familiale, même bâti d'or et de lumière, ne conjugue, in fine, qu'avec les êtres qu'elle abrite. Les belles parures n'attendrissent pas nécessairement les cœurs. 
Un simulacre tout au plus. 
Nauséabond. Ici. Pour la mère de Maeve et Danny. 
L'amour a ses failles. Dans un bien triste fracas, la porte parfois se referme. 
Que j'ai aimé cette lecture. 
Elle embrasse la vie dans tous ses éclats. 
Conjuguer famille et aspiration personnelle n'est pas toujours compatible. Les états d'âme, les aspirations, les penchants sont propres à chacun. Alors quand,  dans l'arène familiale, l'équilibre fait défaut, cela peut parfois amener à la rupture. 
Quand la cellule familiale ne se drape plus de la douceur à laquelle elle pourrait par définition être assujettie, quoi de plus salvateur que de pouvoir compter sur l'amour d'une soeur, la bienveillance d'un frère.
J'ai aimé leur force. 
Leur optimisme, à tous les deux, m'a ému face à l'adversité (l'abandon, somme toute relatif mais l'abandon malgré tout, d'une mère, puis d'une belle-mère).
La haine est là, forcément, celle qu'ils entretiennent face à leur belle-mère, notamment. Mais avec, j'ai trouvé, si peu violence.
J'ai aimé ce lien fraternel qui unit Maeve et Danny. 
Danny raconte. Danny bouleverse. 
L'enfance. Tatouée dans nos cœurs. De son empreinte, à jamais elle nous marque. 
Danny raconte. Recrée cette famille désunie. Rebâtie ?
Un roman qui pour moi a gratté où il faut, comme il faut.
On se rend compte bien souvent trop tard de ses erreurs. C'est pourtant d'elles qu'on apprend. De celles des autres aussi. 
Bordel. Pourquoi faut-il que les mots arrivent trop tard ?
Se guérir des erreurs des autres, sans dispute, pour éviter l'aigreur. Le chemin n'est pas simple. 
Merci Ann Patchett !

« La Maison des Hollandais, comme on l'appelait à Elkins Park, à Jenkintown et Glenside, et jusqu'à Philadelphie, ne faisait pas référence à son architecture mais à ses habitants. La Maison des Hollandais étaient le lieu où ces Hollandais au nom imprononçable vivaient. Depuis certains postes d'observation lointains, elle semblait flotter à quelques centimètres au-dessus de la colline sur laquelle elle était construite. Les carreaux de verre entourant les portes vitrées à l'entrée étaient aussi grands que des vitrines, et fixés par des vignes en fer forgé. Le soleil se reflétait sur les fenêtres qui en renvoyaient les rayons sur l'immense pelouse. Elle était peut-être néoclassique, mais avec une simplicité dans les lignes qui l'apparentait plutôt au style méditerranéen ou français, et les manteaux de cheminée en faïence de Delft du salon, de la bibliothèque et de la chambre de maître avaient beau ne pas être hollandais d'origine, on disait qu'ils avaient été arrachés à un château à Utrecht et vendus aux VanHoebeek pour payer les dettes de jeu d'un prince. La maison, manteaux de cheminées compris, avait été achevée en 1922. »

« « Je considère le passé objectivement », a dit Maeve. Elle contemplait les arbres. 
« Mais on superpose le présent au passé. On regarde en arrière à travers le prisme de ce qu'on sait aujourd'hui, si bien qu'on ne considère pas le passé du point de vue de celui qu'on était, mais de celui qu'on est, ce qui veut dire que le passé a été radicalement modifié. » 
Maeve a aspiré une bouffée de cigarette et elle a souri. J'adore ! C'est ce qu'on t'apprend à la fac ?
- Introduction à la psychiatrie.
- Promets-moi de devenir psy. Ca nous serait tellement utile.»

« Cette nuit-là, dans le lit de ma soeur, j'ai fixé le plafond en ressentant pour de bon la disparition de notre père. Pas celle de son argent ni de sa maison, mais celle de l'homme à côté duquel je m'asseyais en voiture. Il m'avait tellement protégé du monde que j'ignorais totalement ce dont le monde était capable. Je ne m'étais jamais dit que lui aussi avait été enfant. Je ne lui avais jamais posé aucune question sur la guerre, et c'est au titre de père que je l'avais jugé. C'était irréparable, et ça s'ajoutait au catalogue des erreurs que j'avais commises. »

« Il y a peu d'occasions dans la vie où il arrive qu'on fasse un bond, et que le passé qui avait été notre socle s'écroule, tandis que l'avenir sur lequel on voudrait atterrir n'est pas encore en place. Pendant un moment, on demeure suspendu sans rien connaître, ni personne, pas même soi. C'est un présent d'une vivacité presque insupportable que j'ai expérimenté cet hiver-là, quand Maeve m'a emmené dans le Connecticut au volant de son Oldsmobile. Elle continuait à dire qu'elle voulait s'en débarrasser , mais nos souvenirs du passé étaient si rares. Le ciel était d'un bleu tranchant ; le soleil ricochait sur la neige ; tout nous aveuglait. On avait avoir tout perdu, on avait été heureux cet automne-là, dans son petit appartement. [...] le monde était en marche et on avait le sentiment que rien ne pourrait l'arrêter. »

Quatrième de couverture


Danny Conroy grandit dans une somptueuse demeure en banlieue de Philadelphie. Malgré un père distant et une mère partie sans laisser d’adresse, il peut compter sur l’affection de sa sœur adorée, Maeve, l’intelligence et la drôlerie incarnées. Unis par un amour indéfectible, ils vivent sous l’œil attentif des “Hollandais”, les premiers propriétaires de la maison, figés dans les cadres de leurs portraits à l’huile.

Jusqu’au jour où leur père leur présente Andrea, une femme plus intéressée par le faste de la bâtisse que par l’homme qui la possède. Ils ne le savent pas encore, mais pour Maeve et Danny c’est le début de la fin. Et une fois adultes, ils n’auront de cesse de revenir devant la Maison des Hollandais se heurter aux vitres d’un passé douloureux.

À travers le destin de ces deux quasi-orphelins, Ann Patchett tisse un roman subtil et pénétrant sur les liens filiaux et les lieux de l’enfance – qui tous nous hantent.

Éditions Actes Sud, janvier 2021
311 pages
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Hélène Frappat

samedi 22 janvier 2022

Division avenue ★★★☆☆ de Goldie Goldbloom

Troublant portrait que celui de Surie Eckstein, 57 ans, mère à de nombreuses reprises, et grand-mère d'une trentaine de petits-enfants. Elle attend des jumeaux. Son secret. Car il faut protéger la communauté et la famille avant tout, quoiqu'il en coûte. 
Cette communauté, c'est la communauté juive hassidique du quartier de Williamsburg situé à Brooklyn et dont l'artère principale est justement Division avenue.
Et pour nous lecteurs, c'est le poids de ce silence et des traditions qui peu à peu nous saisit, nous happe au rythme des fêtes et rites religieux si nombreux, si riches culinairement parlant, au rythme des visites de Surie chez la sage-femme, Val, la seule au courant de son secret, au rythme de ses réflexions. 
Cette grossesse bouleverse son mode de vie et ses habitudes cloisonnées mais elle est aussi une pause finalement pour elle, le temps de prendre le temps de regarder en arrière, de se réconcilier avec une période de son passé, de se pardonner.  
On apprend beaucoup à travers ce portrait tout en finesse, sur les conditions de vie d'une femme dans un milieu religieux insulaire, sur comment fonctionne une famille juive ultra-orthodoxe. Une communauté tout en contradiction, qui prône le bonheur et la fête, la solidarité mais une communauté aux nombreux tabous, qui manipule les plus jeunes et qui empêche l'individu de se définir. Interdit le changement. Interdit la différence. Interdit l'homosexualité. 
« Une profonde aspiration à lui parler des jumeaux l’emplit, comme l’eau s’engouffrant dans une cruche tenue sous la surface d’un bassin, mais elle persista à ne rien dire. Il y avait en elle deux désirs qui s’entortillaient, celui de parler et celui de se taire. Braver son secret et en être libérée ou le conserver et s’assurer ainsi une parcelle de pouvoir. »
Un roman riche, profond et fouillé, peut-être un peu trop. Goldie Goldbloom est elle-même juive-orthodoxe. Elle emploie beaucoup de termes en hébreu, expliqués sous forme de notes en fin d'ouvrage. Quel dommage de ne pas les avoir mis en bas de chaque page concernée. Si on n'est pas initié, ça hache franchement la lecture. Beaucoup de sujets abordés mais peu exploités qui pourront peut-être en laisser quelques-uns sur le bord de la route.
Une lecture intéressante, mais avec quelques bémols malgré tout !

« A seize ans, une Surie jeune mariée était venue vivre dans l'immeuble de trois appartements qu'habitaient Dead Onyu et Dead Opa. A seize ans toujours, elle avait eu son premier enfant, un garçon. Dead Onyu, alors jeune femme fringante de trente-huit ans, venait de donner naissance quelques jours plus tôt à son dix-septième enfant, si bien qu'elle n'était pas en état de lui prêtre assistance. « Votre famille ne me laisse pas souffler », avait dit Val à Dead Onyu. C'était sa première année à Williamsburg et elle n'avait pas la moindre compréhension de la communauté.
« On pourrait s'attendre à ce qu'une vieille pro comme vous sache désormais comment éviter ça, avait-elle ajouté. Ne pensez-vous pas que le moment est venu de lever le pied ? Est-ce que vous n'avez pas suffisamment démontré à Hitler que vous ne vous laisserez pas tuer ? » »

« Revenant auprès de la sage-femme après plusieurs circuits dans l'appartement, Surie lui avait dit : « Pourquoi faudrait-il que je crie, pourquoi faudrait-il que je geigne, alors que je suis en train d'accomplir ce que je dois faire ? Alors que je m'acquitte de mon rôle au sein de la Création ? Dieu merci, je connais ma place dans le monde. La Torah parle de bien des choses, mais toujours, toujours des enfants qui sont engendrés, des enfants pour lesquels on doit se sacrifier. Chaque partie de ma vie est tournée vers les enfants, les mettre au monde, les élever. [...] »»
« Personne ne lui posait la question, déclara Surie, mais qu'y avait-il, après tout, de si terrible dans la fait d'aimer un homme plutôt qu'une femme ? Est-ce que la Torah interdisait d'aimer ? Elle ne savait pas, ne voulait pas savoir, ce que Lipa faisait derrière des portes closes. Mais elle ne savait pas davantage ce que ses amies, des femmes qu'elle connaissait depuis cinquante ans, faisaient en privé. Aucune ne parlait de ces choses. Comme elle aurait voulu que le voile du secret soit aussi abaissé dans le cas de Lipa ! Cela se serait-il passé différemment s'il avait pu amener un jeune homme à la maison et le présenter à la famille, lui montrer les albums de photos, l'invite à leur repas de Hanoucca ? Lipa aurait-il toujours été de ce monde s'ils avaient su l'aimer tel qu'il était ? »

« [...] Purim était un temps dévolu à la joie, à un bonheur sans limites. Dieu ne permettrait pas qu'elle meure en une telle journée de liesse. »

« Au sein de cette communauté, en ces lieux, chacun se conformait à un code invisible. Si Surie détonait à la maternité, ici, grosse à cinquante-sept ans, elle serait frappée d'anathème, dans un milieu qui accordait tant de prix à l'uniformité. »
« « Mes enfants et mes petits-enfants auront toujours un foyer.
- Mais que se passerait-il, lui objecta Val, que se passerait-il si un de vos enfants se détournait de la religion ? Ou s'il devenait un Hitler ou un Oussama ben Laden ? »
Surie fit la grimace.
« Comme vous y allez ! Vous n'avez rien de plus raisonnable ? 
- D'accord. Que se passerait-il si vous aviez un fils qui soit gay ? Vous connaissez le mot gay ? Est-ce qu'il pourrait rester parmi vous ? Est-ce que vous l'aimeriez tout pareil ? » 
Surie sentit son visage se pétrifier, un vent glacé lui parcourut les côtes. 
« Oui, nous continuerions de l'aimer.
- Mais n'est-il pas exact que votre communauté rejette les enfants qui sont comme ça ? C'est ce que j'ai entendu dire. Les jeunes qui se démarquent d'une manière ou d'une autre ? »
Au fond de la poche de son manteau, Surie serrait les lunettes vert citron au point qu'une des charnières métalliques lui blessait la paume de la main. Elle secoua la tête.
« Mais si ! insista Val. Les journaux publient des articles à ce sujet. Il y en avait un il n'y a pas longtemps, un écrivain qui disait avoir été "élevé comme un veau" et ensuite conduit à l'abattoir quand il n'est plus entré dans le moule. »
Les lunettes entaillaient la chair de Surie. Un fluide brûlant se répandit sur sa main glacée.
« Si ce n'est pas soumis à conditions, qu'est-ce qui l'est ? "Sois comme moi et on t'aimera." N'est-ce pas votre credo ? » »

Quatrième de couverture

Il existe à New York une rue au nom évocateur : Division Avenue. Elle se situe dans une partie spécifique de Brooklyn, le quartier juif orthodoxe. C'est là que vit Surie Eckstein, qui peut s'enorgueillir d'avoir vécu une vie bien remplie : mère de dix enfants, elle passe des jours tranquilles avec sa famille. Alors qu'elle pensait être ménopausée, Surie découvre qu'elle est enceinte. C'est un choc. Une grossesse à son âge, et c'est l'ordre du monde qui semble être bouleversé. Surie décide de taire la nouvelle, quitte à mentir à sa famille et à sa communauté. Ce faisant, Surie doit affronter le souvenir de son fils Lipa, lequel avait – lui aussi – gardé le silence sur une part de sa vie. Un secret peut avoir de multiples répercussions : il permettra peut-être à Surie de se réconcilier avec certains pans de son passé. Avec Division Avenue, Goldie Goldbloom trace le portrait empathique, tendre et saisissant d'une femme à un moment charnière de son existence. Et nous livre un roman teinté d'humour où l'émancipation se fait discrète mais pas moins puissante.

Éditions Christian Bourgois, janvier 2021
356 pages
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Eric Chédaille

dimanche 16 janvier 2022

Aquarium ★★★★☆ de David Vann

Ouvrir un livre de David Vann, ce n'est plus anodin pour ma part. Depuis son glaçant Sukkwan Island, l'intime conviction d'être exposée à l'amertume de la vie ne se départit de moi quand vient le moment d'effeuiller les mots de David Vann. L'estomac noué. Un contact avec le drame, la violence semble inévitable. Et le besoin de reprendre son souffle également.  
À ce contact, il est étrange de l'écrire, de le penser mais j'ai cette impression folle que l'on en ressort grandi, bouleversé, anéanti peut-être, mais avec cette sensation d'avoir puisé dans l'horreur, la noirceur, un supplément d'âme, une puissance insoupçonnée. La nature omniprésente y est certainement pour beaucoup.
 Je ne sors jamais indemne d'une lecture de David Vann.
Aquarium....on y apprend beaucoup sur le monde englouti, un monde à la fois magique, majestueux, éblouissant « Ils étaient les émissaires d'un univers plus vaste. Ils représentaient les possibles, une sorte de promesse » ... oppressant aussi.  En surface, la sensation d'oppression y est tout aussi présente, imposée par un passé ne pouvant distiller que rancœur et haine.
Il est question de l'abandon d'un père dans ce roman, de la folie, de la rage, de la colère d'une mère, d'une fille avant d'être une mère, qui s'étire à l'infini, d'une confrontation familiale explosive, de sentiment d'injustice (il me hante encore celui-ci, c'est d'ailleurs un sentiment qui souvent m'accompagne), mais également, d'amitié, de rédemption et de pardon
La noirceur éblouit, oui, parfois, grâce à l'amour et à la force de persuasion d'un enfant.
La touche finale, merci M. Vann est parfaite. Parfaite pour réfléchir et aller de l'avant, ouf ! 

« Tout est possible avec un parent. Les parents sont des dieux. Ils nous font et nous détruisent. Ils déforment le monde, le recréent à leur manière et c‘est ce monde-là qu‘on connaît ensuite, pour toujours. C‘est le seul monde. On est incapable de voir à quoi d‘autre il pourrait ressembler. »

« Rien n'était vivant dans notre appartement. Des murs blancs et nus, des plafonds bas, des lumières crues, si désolé en l'absence de ma mère. Le temps, un élément sur le point de se figer. »

« Ce sont les meilleures questions, celles qui restent sans réponse. »

« L'unique raison qui me poussait à parcourir cette rue chaque après-midi, c'était le bleu au bout, la mer visible car nous nous trouvions sur une colline. Ce bleu était la promesse de l'aquarium. Une allée menant à un sanctuaire. J'aurais pu m'inscrire à une activité périscolaire, mais je choisissais délibérément d'aller voir les poissons. Ils étaient les émissaires d'un univers plus vaste. Ils représentaient les possibles, une sorte de promesse. »

« Nous en savons tant sur l'acidification des océans, alors je devrais haïr les méduses, messagères de tout ce que nous avons détruit. De mon vivant, les récifs auront fondu, se seront dissous. D'ici la fin du siècle, presque tous les poissons auront disparu. L'héritage tout entier de l'humanité ne consistera qu'ne une seule chose : une lignée de substance visqueuse et rouge sur la chronologie paléo-océanographique, une époque sans coquille de carbonate de calcium qui s'étirera sur des millions d'années. La triste étendue de notre stupidité est accablante. Mais quand je contemple une méduse lunaire, sa constellation en ombrelle qui pulse dans la nuit infinie, je me dis que tout ira bien, peut-être. »

« Le pire, dans l'enfance, c'est de ne pas savoir que les mauvais moments ont une fin, que le temps passe. Un instant terrible pour un enfant plane avec une sorte d'éternité, insoutenable. »

Quatrième de couverture

Caitlin, douze ans, habite avec sa mère dans un modeste appartement d’une banlieue de Seattle. Afin d’échapper à la solitude et à la grisaille de sa vie quotidienne, chaque jour, après l’école, elle court à l’aquarium pour se plonger dans les profondeurs du monde marin qui la fascine. Là, elle rencontre un vieil homme qui semble partager sa passion pour les poissons et devient peu à peu son confident. Mais la vie de Caitlin bascule le jour où sa mère découvre cette amitié et lui révèle le terrible secret qui les lie toutes deux à cet homme.

La prose cristalline de David Vann nous apprend comment le désir d’amour et l’audace de la jeunesse peuvent guérir les blessures du passé. Aquarium est un pur moment de grâce offert par l’un des plus grands écrivains américains actuels.

Éditions Philippe Rey, août 2021
271 pages
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Laura Derajinski

mercredi 12 janvier 2022

Où vivaient les gens heureux ★★★★☆ de Joyce Maynard

Mais justement... où vivaient les gens heureux ?
Il y avait cette « ferme au bout du chemin sans issue, avec son frêne géant devant l'entrée », le petit coin de paradis idéal pour fonder une famille et y couler des jours heureux drapée de l'amour d'un mari et de joyeux marmots...Eleanor est tombée sous le charme de cette bâtisse, de la cascade en contre bas, de la nature environnante, de ce sublime frêne traversant les siècles.
Un joli décor témoin du tourbillon de la vie dans lequel nous embarque l'écriture captivante de Joyce Maynard.  Bouleversant, troublant de vérités. 
Les yeux humectés parfois, j'ai aimé cette exploration profondément humaine des liens familiaux, des complexités du mariage, de la maternité. J'ai aimé le portrait de cette femme, découvrir son parcours, ses blessures, ses joies, ses doutes ; j'ai tremblé pour elle, eu peur que son "Crazyland" devienne un point de non retour. Ne guérit-on jamais vraiment de son enfance ? J'ai aimé me questionner sur la maternité et le rôle de la mère. Jusqu'où est-on mère ? En quoi un trop-plein d'amour, d'abnégation et de surprotection peut nuire à la relation mère-enfants et être synonyme de souffrance ? On ne peut protéger ses enfants de tout. Ils ont leur propre chemin à suivre et la culture du zéro risque leur est inévitablement dommageable. 
Voilà, vous l'aurez compris, c'est une histoire qui fait réfléchir. Elle aborde de nombreux thèmes, famille, amour, enfance, quête du bonheur, ou encore celui plutôt rare en littérature de la transsexualité. Elle nous amène aussi à nous interroger sur le lâcher prise à travers le pardon et à comprendre que le pardon, c'est à soi-même qu'on le donne. 
Ce texte semble, au fur et à mesure qu'on tourne les premières pages d'une grande simplicité. Il est pourtant d'une grande profondeur de pensée, enrichi d'une "bande son" qui en amène encore davantage je trouve. Otis Redding, The Doors, The Beatles, Leonard Cohen, Guns N' Roses, Cat Stevens, Tracy Chapman...en accompagnant Eleanor et sa famille, nous bercent nous aussi, et intensifient nos émotions.
 « I wish I had a river I could skate away on. 
Finalement, on survit à beaucoup de choses. On en est transformé. Mais on continue. » 

« Comment se peut-il que la personne avec qui on a partagé les moments les plus intimes, un très grand amour, une immense douleur, des joies et aussi des chagrins, devienne un étranger ? »
« Jusqu'à ce soir-là, elle ne le savait pas capable d'une telle froideur ou, il faut l'appeler par son nom, d'une telle colère froide. Peut-être était-ce ce qui arrivait quand quelqu'un qui avait été amoureux ne l'était plus. »

« Il faudrait s'adapter - Eleanor après tout l'avait déjà fait à maintes reprises. Et elle comprit, en lisant ce qu'Al avait écrit, que c'était à cela que ressemblait une bonne nouvelle. Qu'est-ce qu'un parent pouvait désirer davantage pour ses enfants que les voir être leur vrai moi et vivre pleinement leur vie ? C'était ce que faisait Al, enfin. »

« I wish I had a river I could skate away on. 

Finalement, on survit à beaucoup de choses. On en est transformé. Mais on continue. »

« Au bout du compte, il s'agit d'un roman sur l'importance de demander et d'accorder le pardon. C'est une leçon qu'on apprend peut-être avec l'âge - une leçon inestimable, quel que soit le moment où elle est acquise. »

Quatrième de couverture

Lorsque Eleanor, jeune artiste à succès, achète une maison dans la campagne du New Hampshire, elle cherche à oublier un passé difficile. Sa rencontre avec le séduisant Cam lui ouvre un nouvel univers, animé par la venue de trois enfants : la secrète Alison, l'optimiste Ursula et le doux Toby.
Comblée, Eleanor vit l'accomplissement d'un rêve. Très tôt laissée à elle-même par des parents indifférents, elle semble prête à tous les sacrifices pour ses enfants. Cette vie au cœur de la nature, tissée de fantaisie et d'imagination, lui offre des joies inespérées. Et si entre Cam et Eleanor la passion n'est plus aussi vibrante, ils possèdent quelque chose de plus important : leur famille. Jusqu'au jour où survient un terrible accident...
Dans ce roman bouleversant qui emporte le lecteur des années 1970 à nos jours, Joyce Maynard relie les évolutions de ses personnages à celles de la société américaine – libération sexuelle, avortement, émancipation des femmes jusqu'à l'émergence du mouvement MeToo... Chaque saison apporte ses moments de doute ou de colère, de pardon et de découverte de soi.
Joyce Maynard explore avec acuité ce lieu d'apprentissage sans pareil qu'est une famille, et interroge : jusqu'où une femme peut-elle aller par amour des siens ? Eleanor y répond par son élan de vie. Son inlassable recherche du bonheur en fait une héroïne inoubliable, avec ses maladresses, sa vérité et sa générosité.

« Joyce Maynard au sommet de son art. »
The New Yorker

Éditions Philippe Rey, août 2021
547 pages
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Florence Lévy-Paoloni

Une terre promise ★★★★★ de Barack Obama

Quel pavé ! Et quelle lecture ! Elle se termine sur la fin de son premier mandat, et brasse une multitude de sujets, vous vous en doutez bien. Il est sacrément généreux M. Obama et ne fait pas dans la concision. J'avoue que quand il aborde des sujets comme l'économie, j'aurais bien aimé qu'il fasse un poil plus court ;-) 
Sachez qu'il se perçoit comme quelqu'un de naïf, et bien forcément j'ai envie de dire que la naïveté devrait être indispensable pour briguer un poste de président. Je suis apolitique, mais profondément attiré par les personnes qui mettent, ou du moins qui semblent mettre l'humain au coeur de leur considération. Et de loin, Barack Obama semblait être un humaniste. Alors oui, forcément, j'ai eu envie de le découvrir à travers ses mots, été curieuse de lire son histoire, ses émotions en tant que mari, papa et président. Et je ne regrette en rien cette lecture. Forcément, c'est son point de vue, il raconte son histoire et d'aucuns diront qu'il l'édulcore; moi, j'admire cet homme et après ma lecture, je continue à croire qu'il est un grand homme.
Je ne vais pas m'étaler sur le contenu de ce pavé, on connait tous une bonne partie de l'Histoire. Je retiendrai le bel hommage qu'il rend à ceux qui l'ont accompagné, soutenu, épaulé,  aidé, ceux qui ont combattu à ses côtés pour faire passer des lois et tracer le changement promis dans de nombreux domaines et notamment celui de la santé. Rien n'est simple, toute logique disparaît dès lors que les bouillons d'intérêts et de conflits permanents entre partis rentrent dans une danse macabre qui dessert totalement l'intérêt des gens. Un autre point que je retiendrai : ses actions, voire plutôt ses tentatives d'actions pour lutter contre le réchauffement climatique et préserver notre planète. C'est toujours effarant de lire que mettre l'accent sur le réchauffement climatique dans une campagne électorale n'a pas bonne presse, peut faire perdre des voix, voire perdre les élections. Vu récemment sur Netflix le film Don't look up, une géniale dystopie qui dénonce avec beaucoup de cynisme une défiance généralisée à l'égard de la science. Ce film a complètement fait échos avec les propos tenus par Obama dans son livre. Les scientifiques alertent, mais nos élus n'en ont rien à carrer... 
Et sinon morceler la lecture et faire un break entre chaque partie (il y en a sept) peut être une idée pour éviter la saturation. Cela n'a pas été mon cas, mais j'avais du temps à consacrer à cette lecture donc j'ai pu enchaîner les pages sans trop me poser de questions si ce n'est que j'ai moins lu que prévu pendant la trêve de Noël ;-)
Une pensée pour mon beau-père, à présent de l'autre côté du chemin. C'est lui qui avait glissé ce livre pour moi sous le sapin l'an dernier, et c'est souvent drapé de son souvenir que j'ai tourné ces pages. Merci Pierre.
Les mots de la fin : dense, instructive, émouvante... la première partie des mémoires d'Obama est passionnante !





Quatrième de couverture

Un récit fascinant et profondément intime de l’histoire en marche, par le président qui nous a insufflé la foi dans le pouvoir de la démocratie.
Dans le premier volume de ses mémoires présidentiels, Barack Obama raconte l'histoire passionnante de son improbable odyssée, celle d'un jeune homme en quête d'identité devenu dirigeant du monde libre, retraçant de manière personnelle son éducation politique et les moments emblématiques du premier mandat de sa présidence - une période de transformations et de bouleversements profonds.
Barack Obama nous invite à le suivre dans un incroyable voyage, de ses premiers pas sur la scène politique à sa victoire décisive aux primaires de l'Iowa, et jusqu'à la soirée historique du 4 novembre 2008, lorsqu'il fut élu 44e président des États-Unis, devenant ainsi le premier Afro-Américain à accéder à la fonction suprême.
En revenant sur les grandes heures de sa présidence, il nous offre un point de vue unique sur l'exercice du pouvoir présidentiel, ainsi qu'un témoignage singulier sur les ressorts de la politique intérieure et de la diplomatie internationale. Il nous entraîne dans les coulisses de la Maison-Blanche, du Bureau ovale à la salle de crise, et aux quatre coins du monde, de Moscou à Pékin en passant par Le Caire. Il nous confie les réflexions qui l'ont occupé à certains moments cruciaux - la constitution de son gouvernement, la crise financière mondiale, le bras de fer avec Vladimir Poutine, la réforme du système de santé, les différends sur la stratégie militaire des États-Unis en Afghanistan, la réforme de Wall Street, le désastre provoqué par l'explosion de la plateforme pétrolière Deepwater Horizon, et enfin l'opération commando qui a conduit à la mort d'Oussama Ben Laden.
Une terre promise est aussi un récit introspectif - l'histoire du pari qu'un homme a lancé à l'Histoire, d'un militant associatif dont la foi a été mise à l'épreuve sur la scène internationale. Barack Obama parle sans détour du défi colossal qu'il lui a fallu relever : être le premier candidat afro-américain à la présidence, incarner "l'espoir et le changement" aux yeux de toute une génération galvanisée par la promesse du renouveau, et devoir à chaque instant prendre des décisions d'une gravité exceptionnelle. Il évoque la façon dont sa vie à la Maison-Blanche a pu affecter sa femme et ses filles, et parle sans fard des moments où il s'est retrouvé en proie au doute et à la déception - sans pour autant renoncer à croire qu'en Amérique le progrès est toujours possible.
Ce livre puissant et magnifiquement écrit est l'expression de la conviction profonde de Barack Obama : la démocratie n'est pas un don du ciel, mais un édifice fondé sur l'empathie et la compréhension mutuelle que nous bâtissons ensemble, jour après jour.

Éditions Fayard, octobre 2020
848 pages
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Pierre Demarty, Charles Recoursé et Nicolas Richard