mercredi 20 juillet 2022

La Ville rousse ★★★☆☆ de Fabrice Lardreau

Quand les renards arrivent en ville, celle-ci se teinte de roux. Cette incursion animale en zone urbaine ensauvage les cœurs, diffuse des ondes de choc, et c'est la guerre urbaine qui s'impose.
La ville, c'est Lutetia. Christian Maupertuis est aux manettes pour construire le Grand Métro. Un cacique, qui met tout en oeuvre pour protéger son chantier. Sans scrupule. Un sale type, mon avis et celui des militants écologistes, comme ceux que traquent son ami d'enfance, sous ses ordres, Patrick Amiot, qui a la charge de stopper net toute entrave à ses projets, au moyen de ce doux mélange de testostérone et de poudre à canon qui clôt les clapets. 

Nous ne sommes pas bien loin de notre réalité.

Un mélange des genres dans ce roman social, policier/fable écolo qui laisse des traces indéniablement, suscite le débat, ouvre l'esprit, donne des idées. 
À quand un capitalisme plus féminin ? Plus réfléchi ? Plus sobre ? Comment changer l'Homme, le diriger vers le chemin de la raison, de la solidarité ?
Solidarité et innovation ne sont pas incompatibles. Si ? 
Ah ... j'oubliais, la justice comme chef d'orchestre, cela va de soi ;-)

Cependant une lecture qui se mérite. Elle part un peu dans tous les sens. La plume est de qualité, les sujets sont forts. Mais la concentration est de mise pour éviter la déroute.

Merci à Babelio, aux éditions Arthaud poche pour cette lecture, certes en demi teinte mais nécessaire et diablement intéressante.

« Cette mise à nu inquiète. Plusieurs ONG ont récemment dénoncé un risque de pollution: la terre extraite pour le Grand Métro contiendrait des métaux lourds. Un militant écologiste a même affirmé qu'avec la pluie, ces particules issues des pro fondeurs pourraient contaminer les nappes phréatiques via un « phénomène de ruissellement ». Nous avons dû intervenir. On ne peut pas tout laisser dire, quand même... À écouter ce mon sieur, la Compagnie aurait commis une faute technique, mais aussi morale, mettant en présence des strates de temps ennemies, organes incompatibles et inflammables. »

« ... réchauffement climatique. Partout sur le Vieux Continent, on luttait contre les îlots de chaleur urbaine en plantant à tour de bras Façades végétalisées, créations de pares, coulées vertes, jardins potagers, toitures arborées, rien n'échappait au mouvement. Très en retard sur ce plan, la mairie de Lutetia, sous la pression de ses administrés, étouffant pendant les canicules chaque année plus marquées, est passée à la vitesse supérieure. Débutée sur la place de l'Hôtel-de-Ville, devenue un jardin à l'anglaise, poursuivie à l'arrière de l'opéra Garnier, sur le parvis de la gare de Lyon et autour des voies sur berge, la vague verte a submergé la capitale. On aménageait les toits, on cassait les cours des écoles, des lycées et des institutions pour gazonner, planter arbres, buis sons, plantes grimpantes et massifs de fleurs. Repeinte au cours du temps, totalement réaménagée, la tour Montparnasse 
émergeait comme un buisson géant taillé au cordeau. Cernée d'une forêt luxuriante, la pyramide du Louvre, quant à elle, évoquait un édifice inca livré au regard des Conquistadors... Enfin, projet phare suscitant la fierté lutétienne: l'immeuble-pont végétalisé érigé porte Maillot, juste au-dessus du périphérique, et doté de mille arbres. J'ai visité l'endroit peu après son inauguration, à l'occasion d'une mission de surveillance: on aurait dit un bateau géant échoué au-dessus des routes. De l'intérieur, ce complexe de verre évoquait l'arche de Noé sanctifiant l'argent - dix étages de bureaux, logements, commerces, un hôtel et des restaurants. Dans les immenses patios, le long des coursives, des pins et des bouleaux, des grappes de verdure apaisant les visiteurs... 
Tout cela n'est plus que décombres. Le lieu s'est volatilisé lors de l' « Effondrement », ainsi que l'a nommé l'Histoire. L'avantage des grandes tragédies, c'est qu'elles figent la mémoire : vous saurez à jamais où et avec qui vous étiez quand vous avez appris la nouvelle. En ce 21 juin, je me trouvais pour ainsi dire en bonne compagnie dans une chambre d'hôtel haut de gamme. Cynthia, vingt-cinq printemps, brune au teint mat, formes rebondies, travaillait comme hôtesse d'accueil à l'Archipel, au siège de la Compagnie. Mon rendez-vous avec le P-DG, lorsque je me m'étais présenté, l'avait apparemment impressionnée. Vous connaissez M. Maupertuis? m'avait-elle demandé avec un regard admiratif. Sérieux? Capitalisant sur le prestige, j'avais obtenu un rendez-vous le soir même. Cynthia, qui voulait devenir actrice et rêvait d'aller en Californie, pratiquait une forme de sexualité que je qualifierais de décomplexée. Rien ne la gênait, aucune pratique ne lui semblait taboue, contre-indiquée ou perverse. Un vrai bonheur. »

« Vous vous rendez compte que ce type, ce sale type qui a empoché l'année dernière deux millions d'euros de stock-options- deux millions notez bien!, exploite ces pauvres gens à longueur d'année pour des salaires de misère ! Maupertuis est un prédateur de la pire espèce, un nuisible et un hypocrite...  »

Quatrième de couverture

« Le renard est devenu familier. On l’apercevait partout, au coeur de la nuit ou au petit matin, arpentant les rues, les avenues, franchissant les ponts, traversant les places… »

Dans une ville appelée Lutetia, Christian Maupertuis dirige une multinationale chargée de la construction d’un Grand Métro. En homme avisé, il n’hésite pas à s’allouer les services d’un tueur à gages pour supprimer tout obstacle à l’expansion de son empire, du militant écologiste au défenseur des droits de l’Homme. Solitaire et désabusé, Patrick Amiot exécute cette mission sans états d’âme et en toute impunité. Jusqu’au jour où les renards envahissent la ville, ensauvagent les habitants et paralysent le chantier. Objet de tous les fantasmes, cristallisant les peurs et les passions, Goupil provoque une guerre urbaine sans merci. Lutetia devient un terrain de chasse, le théâtre d’un affrontement social où l’homme et l’animal se confondent…

Éditions Arthaud Poche,  mai 2022
157 pages