mercredi 11 janvier 2023

Quand tu écouteras cette chanson ★★★★★ de Lola Lafon

« Le 18 août 2021, j'ai passé la nuit au Musée Anne Frank, dans l'Annexe. Je suis venue en éprouver l'espace car on ne peut éprouver le temps. On ne peut pas se représenter la lourdeur des heures, l'épaisseur des semaines. Comment imaginer vingt-cinq mois de vie cachés à huit dans ces pièces exiguës ? »
L'Annexe, lieu où Anne a écrit son journal, dernier lieu où elle et sa famille ont été réunis, avant que l'ignoble pan de l'Histoire que nous connaissons bien ne les sépare à jamais. Lola Lafon raconte sa nuit passée dans ce lieu, une expérience extrême que l'on comprend nécessaire pour l'auteure, convoquant et se confrontant au fantôme d'Anne Franck, « vénérée et piétinée », à celui d'Otto Franck, le père d'Anne, seul rescapé, traumatisé, mais également à ses propres fantômes.
Un récit fort, émouvant, intimiste, riche d'informations notamment sur la jeune vie brisée d'Anne Franck, sur l'ardent désir d'une adolescente vive et drôle en dépit du reste, de devenir écrivaine et d'être publiée. Lola Lafon lui rend un bel hommage.
« Si la mémoire s'étiole, les mots, eux, restent intacts, ils sont notre géographie du temps. »

« Les hommes sont complices de ce qui les laisse insensibles. »
George Steiner

« Mais ce qui à la fois est absent aussi bien que présent, sache-le voir, par la pensée, d'un regard que rien ne déroute. » 
Parménide

« Comme elle est aimée, cette jeune fille juive qui n'est plus. La seule jeune fille juive à être si follement aimée. Anne Frank, la soeur imaginaire de millions d'enfants qui, si elle avait survécu, aurait l'âge d'une grand-mère; Anne Frank l'éternelle adolescente, qui aujourd'hui pourrait être ma fille, a-t-on pour toujours l'âge auquel on cesse de vivre.
Anne Frank, que le monde connaît tant qu'il n'en sait pas grand-chose. Une image, celle d'une pâle jeune fille aux cheveux sagement retenus d'une barrette, assise à son petit secrétaire, un stylo à la main. Un symbole, mais de quoi ? De l'adolescence ? De la Shoah ? De l'écriture ?
Comment l'appeler, son célèbre journal, que tous les écoliers ont lu et dont aucun adulte ne se souvient vraiment ? Est-ce un témoignage, un testament, une œuvre ? Celle d'une adolescente enfermée pour ne pas mourir, dont les mots ne tiennent pas en place.
Celle d'une jeune fille, qui n'aura pour tout voyage qu'un escalier à monter et à descendre, moins d'une quarantaine de mètres carrés à arpenter, sept cent soixante jours durant. »

« Anne Frank vénérée et piétinée. »

« Comment l'appeler ? Je dis Anne, mais cette fausse intimité me met mal à l'aise. Je ne peux pas dire Anne, quelque chose m'en empêche, qui, au cours de ma nuit, se matérialisera par l'impossibilité d'aller dans sa chambre. Alors je dis Anne Frank, comme on fait l'appel, comme on évoque l'ancienne élève brillante d'un collège fantomatique. Deux syllabes.
La nuit, je me la figurais semblable à un recueillement, à un silence. J'imaginais la nuit propice à accueillir l'absence d'Anne Frank, je me préparais à être au diapason du vide, à le recevoir.
Je me suis trompée. La nuit s'est habitée, éclairée de reflets; au cœur de l'Annexe, une urgence se tenait tapie encore, à retrouver. »

« « Les mesures antijuives se sont mises en place, petit à petit. Nous refusions de nous laisser atteindre, il fallait garder la tête haute. Il nous était interdit d'emprunter les transports publics ou de posséder un vélo ? Nous irions à pied. Nous n'avions plus l'autorisation de nous rendre au cinéma, au concert ? Tant pis, nous jouerions de la musique à la maison. À l'été 1941, les directeurs de lycée ont dressé des listes des élèves - de sang juif ». En classe, on nous a obligées à nous asseoir à part. Peu de temps après, nous avons été exclues. Margot était dévastée, elle allait attendre ses anciennes camarades de classe à la sortie des cours, tant elles lui manquaient.
Les enfants juifs n'avaient plus le droit d'aller à l'école ? Qu'à cela ne tienne, il y avait de très bons professeurs juifs, nous ferions nos propres écoles.
Nous nous accrochions à n'importe quelle joie: Otto louait des films qu'il projetait à ses filles, Anne confectionnait des tickets qu'elle adressait à ses amies. Tout y était parfaitement imité: l'horaire de la séance, le siège réservé. » »

« Certaines rencontres commencent au moment où on se quitte, quand le temps presse. Alors les mots battent au coeur de l'essentiel. »

« Anne n'œuvrait pas pour la paix. Elle gagnait du temps sur la mort en écrivant sa vie. N'oubliez pas ceci, insiste Laureen Nussbaum: Anne Frank désirait être lue, pas vénérée. Hannah Arendt qualifiait l'adoration dont elle est l'objet de " sentimentalisme bon marché aux dépens d'une immense catastrophe "... Elle n'est pas une sainte. Pas un symbole. Son Journal est l'œuvre d'une jeune fille victime d'un génocide, perpétré dans l'indifférence absolue de tous ceux qui savaient. N'utilisez pas le mot espoir, s'il vous plaît.  »

« Otto Frank, qui, lorsqu'il fut question de faire de l'Annexe un musée, en 1960, exigea que l'appartement demeure dans l'état où il l'avait retrouvé. Qu'on en soit témoin, du vide, sans pouvoir s'y soustraire ; qu'on s'y confronte. Voyez ce qui jamais ne sera comblé.
Ainsi, en sortant, on ne pourra pas dire: dans l'Annexe, je n'ai rien vu. On dira : dans l'Annexe, il y a rien et ce rien, je l'ai vu. »

« S'habitue-t-on à être en danger ?
La peur est-elle un envahissement brutal, semblable à un courant d'arrachement, cette force qui entraîne au large contre laquelle on ne peut lutter, ou la peur se dilue-t-elle dans les jours qui passent, et on finit par s'y faire, à la peur ?
Les angoisses s'accumulent, elles résonnent. L'angoisse de se trahir. De faire frémir, d'un geste trop vif, les tissus opaques qu'Anne Frank et son père clouent aux fenêtres le jour de leur arrivée. L'angoisse de tomber malade, de laisser échapper un éternuement, une quinte de toux, De ne pas pouvoir être soigné. »

« L'angoisse, écrit-elle le 8 novembre 1943, est une masse sombre qui ne nous pousse ni en bas, ni en haut, mais se tient devant nous, mur impénétrable, qui s'apprête à nous détruire mais ne le peut pas encore. »

« Quelques semaines avant de partir à Amsterdam, je lis, comme je le fais toujours avant de me lancer. Cet amoncellement de petits savoirs - une approche timide du « sujet > est mon préliminaire amoureux. C'est aussi une façon de repousser la plongée dans l'écriture, d'attendre que celle-ci soit impérative.

Je lis comme on trace un cercle autour d'un point, sans m'en approcher. Je lis comme on se prépare à entrer dans un labyrinthe. Je lis des articles universitaires qui s'intéressent à la dif- férence entre empreinte et trace, je relis Dora Bruder de Patrick Modiano, je lis une biographie d'Audrey Hepburn, dont la mère vénérait Hitler : l'actrice refusa d'interpréter le rôle d'Anne Frank au cinéma, craignant de ne pas être " légitime " à le faire. »

« Je suis celle dont le cerveau se brouille dès lors que le sujet est abordé. Au lycée, j'ai évité les cours consacrés à la Deuxième Guerre mondiale. J'affirme que je n'ai pas besoin de voir, de lire : je sais cette histoire. Je sais les parcours de ceux qui, autour de 1920, ont dû fuir une mort annoncée, celle des pogroms, des ghettos, en Russie, en Pologne. Qui ont étreint des mères, des pères, des frères et des soeurs, sans promesse de se revoir. Qui ont tout quitté. Ils se sont défaits de leur nom, de leurs désirs et de leur langue - mais ce choix n'en était pas un, ils ne seraient jamais de simples citoyens dans leur propre pays. »

« La mémoire est un lieu dans lequel se succèdent des portes à entrouvrir ou à ignorer; la mémoire, écrit Louise Bourgeois, « ne vaut rien si on la sollicite, il faut attendre qu'elle nous assaille ». »

« J'aimerais m'emparer du téléphone et réconforter ce flou conspué. Le flou est une espèce en voie de disparition dans un monde où règne l'exigence de transparence. On y vante la limpidité, la clarté d'une intervention médiatique. Savoir résumer son propos en quelques mots est un savoir contemporain, un idéal d'agence immobilière. »

« Aucun des protecteurs n'aimait qu'on vante son courage. Peut-être avaient-ils raison : le courage est une décision qui se manifeste face au danger, à un moment précis. Leur courage, lui, se raconte au pluriel; ce sont des courages, une étendue de courages, de chaque matin et de tous les soirs, deux années durant, à chaque fois qu'ils poussaient la porte de la cachette. »

« Elle est semblable à un reflet, l'inconscience, qui renvoie la générosité. Peut-être est-elle l'essentielle de cette histoire. »

« « Souvent pour comprendre, il faut regarder au coeur même du vide. » Cette phrase d'Antonioni est citée dans La Paix avec les morts de Rithy Panh et Christophe Bataille. Je l'ai recopiée dans mon carnet quelques jours avant d'entrer dans la nuit.
Je m'approche du papier peint encadré, et au cœur même du vide, je ne vois que quelques chiffres et de fines lignes, bien droites. Au cœur même du vide, un père inscrit, tous les mois, au crayon à papier, des preuves de vie, Otto Frank note qu'ici, en deux ans, Margot a pris un centimètre et Anne, treize.
A son retour d'Auschwitz, seul dans l'Annexe vide, Otto Frank y passera des heures: il décollera précautionneusement ce rectangle de papier peint. Il ne peut pas perdre ça, aussi. La seule chose qu'il lui reste, ce sont ces traits de crayon, d'un gris léger, qui disent qu'en ce lieu, privée de soleil, de printemps et de vent, la vie a arraché quelques centimètres à l'ombre. »

« Quelle étrange façon d'être au monde que ce retrait à un poste d'observation. On assiste à la vie, suffisamment proche d'elle pour en saisir les nuances, mais en se tenant loin du vacarme comme des certitudes, pour qu'elles n'aveuglent pas la page blanche. On peut toujours tracer des plans et faire comme si on savait où on allait, mais l'écriture est un chemin sans destination, l'écriture a la beauté inquiétante de ce qui ne mène nulle part, et ce pendant des mois, parfois.
C'est un geste apatride que celui d'écrire, une échappée sans ancrage, en terres inconnues. Mes romans me baladent, ils me mènent en bateau. Je crois avancer. Au bout de plusieurs semaines d'écriture, ne sais plus rien sauf ceci : ma route est une impasse. Le récit m'échappe, il attend, ailleurs. »

« Je ne parviens pas à éviter cet égarement. Consentir à me perdre est une étape de l'écriture. Consentir à perdre, aussi. À m'avouer vaincue, battue. Accepter d'abandonner toute tentative de domination sur l'écriture, tout ce que je tenais pour certain. Il faudra avancer dans l'obscurité, tâtons, trébucher sur des mots qui regimbent, des paragraphes rétifs; la langue n'est pas un objet inerte dont on se saisit et qu'on plie à sa  volonté. C'est elle qui nous transforme, qu'on lise ou qu'on écrive.

Elle retient ce qui vacille dans l'oubli, paysages, silhouettes, elle nous retient, nous rattrape quand on imagine ne plus y croire, les mots sont là, tangibles, vivants. Pourquoi écrit-on ? Si j'ai oublié comment se termine le roman Confessions d'un gang de filles, de Joyce Carol Oates, ces quelques lignes, je les connais par cœur :
« Quoique vous fassiez, que vous le fassiez seule ou non, à quelque moment que vous le fassiez, de quelque façon que vous le fassiez, pour quelque raison que vous le fassiez, quelque mystérieux que soit le but dans lequel vous le fassiez, n'oubliez jamais que sur l'autre plateau de la balance il y a toujours le néant, la mort, l'oubli. Que c'est vous contre l'oubli. » »

« Si la mémoire s'étiole, les mots, eux, restent intacts, ils sont notre géographie du temps. »

« Tenir son journal, régulièrement ou sporadiquement, est un engagement: dire je, c'est affirmer sa singularité.
Le je d'Anne Frank reflète tout ce qui nous appartient et qu'elle a perdu : la lumière du dehors, la brise, l'éblouissement du soleil et la noirceur infinie de ce qu'on ne perçoit pas, entre les étoiles. Il contient un tout de petits riens : la vie quotidienne dans l'Annexe était aussi faite de dîners à préparer, de café à réchauffer, de livres aux pages cornées, de disputes et de larmes, et même, narguant l'opacité des fenêtres recouvertes de feutrine, d'un minuscule coin de ciel, au grenier.
Le je d'Anne Frank est addictif. On en veut plus, encore. On le suit, ce petit je, soumis à tant d'émotions contradictoires, qui décrète ne pas aimer sa mère et qui sanglote d'être esseulée. Un je d'une drôlerie vacharde, qui n'a aucun scrupule à régler ses comptes avec son entourage. Un je qui sait, à quatorze ans, que la politique n'est pas un sujet pour adultes, mais un intolérable quotidien d'enfant.
Un je qui n'a pas le temps de feindre d'être  « comme il faut ». C'est sans fausse pudeur qu'Anne Frank décrit minutieusement son sexe, la masturbation et ses crises d'angoisse. »

« Les extraits choisis des textes qu'on porte aux nues révèlent ce que nous désirons en retenir. Si nous tenons absolument à ce qu'Anne Frank nous parle de la « bonté innée des hommes », il n'est pas très étonnant que ce paragraphe, écrit le 3 mai 1944, ne soit pas passé à la postérité :
On ne me fera pas croire que la guerre n'est provoquée que par les grands hommes, les gouvernants et les capitalistes, oh non, les petites gens aiment la faire au moins autant, sinon les peuples se seraient révoltés contre elle depuis longtemps! Il y a tout simplement chez les hommes un besoin de ravager, un besoin de frapper à mort, d'assassiner et de s'enivrer de violence, et tant que l'humanité entière, sans exception n'aura pas subi une grande métamorphose, la guerre fera rage, tout ce qui a été construit, cultivé, tout ce qui s'est développé sera tranché et anéanti, pour recommencer ensuite !  »

« Elle abandonne les mots, ils cèdent la place au souffle de la vieille dame, un souffle heurté : 
« Les conditions de... survie...au camp de Bergen-Belsen... c'était... (Souffle) »
Quelques semaines plus tard, elle m'envoie ce mail: « Je pourrais te raconter mille fois l'inhumanité, le cauchemar qu'a été Bergen-Belsen, ça serait inutile. Tu ne parviendrais pas à l'imaginer. Heureusement. »
Ce n'est pas avouer l'impuissance de l'écriture d'avouer qu'on ne peut imaginer, il ne faut pas imaginer, comment prétendre imaginer. Ce verbe-là, imaginer », n'a pas sa place dans ma nuit. Pourtant, il le faut, même et surtout si on n'y parvient pas. Il faut essayer d'imaginer. »

« L'exil - perdre racine - est un mal dont les symptômes me sont familiers. Je ne peux en témoigner à la façon d'une sociologue ou d'une psychiatre, mais comme petite-fille d'exilés. Je sais les désordres de ceux qui ont dû se défaire de leur prénom, de leur langue, de leur pays, de leur maison, de leurs parents, de leurs désirs. Les survivants et les exilés ne sont pas des héros. Ce sont des épuisés qui font comme si Ils sont tels qu'Elie Wiesel les a écrits dans Le Jour:
« Ils ressemblent aux autres. Ils mangent, ils rient, ils aiment. [...] Mais ce n'est pas vrai : ils jouent, parfois même sans le savoir. Quiconque a vu ce qu'ils ont vu ne peut pas être comme les autres. [...] Un ressort s'est cassé en eux sous l'effet du choc. »
Ce sont des parents follement inquiets à l'idée de ne pas parvenir à protéger leurs enfants. Ce sont des parents qui les somment de ne pas se faire remarquer, qui leur inculquent l'art de dis paraître, de se fondre dans le paysage. 
Ce sont des grands-parents follement fiers de la plus minuscule réussite de leurs petits-enfants, de tout ce qui confirmera l'appartenance au pays d'accueil. Des grands-parents qui, lorsqu'on leur récite une banale poésie française en sixième, ont les larmes aux yeux. »

« Quand l'arbre généalogique a été arraché, la naissance d'un enfant revêt une importance particulière : le nouveau-né devient une preuve de survie. Il ne pourra se contenter d'exister. Il héritera d'un devoir: celui de vivre plus fort, pour et à la place des disparus.
Comme il est lourd, ce cadeau. On tente de composer sa vie, on pense avoir trouvé sa voix. En arrière-fond, une mélodie persiste, qu'on connaît sans jamais l'avoir apprise. Tout se mélange. Des vies interrompues se mettent en travers de la nôtre. On est l'obligée de celles et ceux qui n'ont pas eu droit à une suite, on est leur très obligée. Leur ombre est écrasante, leur mort exige qu'on y réponde. Mais comment ? »

« L'anorexie est, je crois, la langue que parlent celles qui héritent de récits silencieux. »

« Mister Frank le survivant, que des négationnistes ont accusé d'avoir inventé sa fille.
J'ai choisi de ne pas écrire leurs noms ici : leur identité est interchangeable. Ce sont d'abord d'anciens chefs des Jeunesses hitlériennes, puis des pamphlétaires d'extrême droite, des conspirationnistes, des négationnistes. Ils se succèdent et se répondent au travers des décennies. Le sujet les obsède, ils y consacrent des livres, des tribunes, ils se répandent en commentaires sur chacune des pages Internet consacrées à la jeune fille. Mais si je n'écris pas leurs noms, il me faut dire leur acharnement à effacer Anne Frank. La gamine d'Amsterdam leur est insupportable, dont le récit est la preuve qu'on savait, celle qui nous interdit de prétendre qu'on ne savait pas.
Le 9 octobre 1942, Anne Frank écrit : Nos nombreux amis et connaissances juifs sont emmenés spar groupes entiers. [...] On les transporte à Westerbork dans des wagons à bestiaux. [...] Nous supposons que la plupart se font massacrer. La radio anglaise parle d'asphyxie par le gaz. 
Ils s'acharnent, les négationnistes, mais montrent peu de rigueur : pour la plupart, ils n'ont pas même fait l'effort de lire le Journal en entier.

Impossible, dit l'un, que les clandestins aient passé l'aspirateur. On les aurait entendus. Les clandestins font le ménage quand le bâtiment est vide, entre midi et 13 heures, ou le dimanche, écrit Anne Frank.
Là, clame triomphalement un autre, des mots écrits au stylo-bille, lequel était inusité en 1944 ! Cette preuve » est aussi fausse que les précédentes. Les quelques phrases au stylo-bille sont rédigées sur des languettes de papier, insérées dans le manuscrit : ce sont les notes de travail d'une des graphologues ayant examiné l'authenticité du texte dans les années 1960. Elle en a témoigné. »

« Je ne peux m'empêcher de penser que, peut- être, Anne Frank aurait souri de lire qu'un négationniste affirma, comme preuve ultime de falsification, qu'aucune jeune fille de quinze ans n'aurait été capable de penser et encore moins d'écrire ce qu'il avait lu dans le Journal: c'était bien trop intelligent et irrévérencieux, pour une gamine. »

« L'irrévérence des jeunes filles devrait être l'objet de toutes nos attentions, elle devrait être archivée et transmise. Il faudrait les chérir, ces trop courtes années durant lesquelles les jeunes filles ignorent la prudence, le respect et le remords.
Elles mentent avec métier et sans état d'âme, mangent avec les doigts, grimpent sur des toits et, bras dessus bras dessous, elles prennent toute la place sur les trottoirs. Leur seule peur est de nous ressembler. De devenir ces êtres à bout de souffle qui se plaignent qu'elles ne manquent pas d'air ».
Les parents aiment à raconter les mots d'enfants de leurs tout-petits; ils s'émeuvent de leur fantaisie, de leur drôlerie. L'adolescence à venir, elle, est redoutée à la façon d'une maladie, d'une comète menaçant le paysage, dévastatrice. »

« Comme nous la craignons, l'extralucidité adolescente, ce regard de voyant qui met à nu nos compromis.
Relire son journal intime, c'est se confronter à l'adolescente qu'on a été. Lui ferait-on honte, ou de la peine? A-t-on baissé les bras? Est-on devenue sage, trop sage, par manque de courage? Il faudrait relire régulièrement son journal pour rester à la hauteur de son adolescence. »

« Ida n'a trouvé de repos qu'au sein de fictions, ces romans qu'elle a commencé à déchiffrer avec lenteur à plus de soixante-dix ans.

C'est elle, Ida Goldman, la raison de ma nuit dans l'Annexe; elle qui m'a offert, j'avais une dizaine d'années, une médaille dorée frappée du portrait d'Anne Frank. La maladresse de ce portrait peu ressemblant offre à Anne Frank le futur qu'elle n'a pas eu: elle paraît âgée d'une quarantaine d'années. Cette médaille, m'expliqua ma grand-mère, il me faudrait toujours la conserver. N'oublie pas.

Certains objets sans valeur nous sont intime- ment précieux. Ils témoignent d'un être, d'un amour, d'un lieu qui n'est plus. On ne peut supporter l'idée de les perdre, mais on a du mal à les regarder, tant leur pouvoir d'évocation est puissant. On les conserve au secret, dans une boîte, une enveloppe, en lisière de mémoire.
Jusqu'à ma nuit dans l'Annexe, ces choses » auxquelles je tiens tant semblaient n'avoir rien en commun, sauf ma crainte de les égarer.
Ma médaille Anne Frank, un chapelet aux perles de plastique bleu, une dizaine de lettres rédigées sur des feuilles d'une transparence de ciel. Et le photomaton de l'adolescent qui me les a écrites. Un adolescent vêtu d'un pull marin, ses cheveux soigneusement lissés pour la photo.
La nuit les a réunis. »

« En dessin, le point de fuite est « ce point imaginaire destiné à aider le dessinateur à construire son œuvre en perspective ». En anglais, on parle du vanishing point. Margot disparue, évanouie dans l'histoire, est mon point de repère dans le Musée, celle qui m'indique le chemin.
Son regard me suit, elle m'interroge : alors ? Dans une heure, je sortirai. Je ne vais quand même pas m'en aller comme ça ? Sans avoir pris le temps de saluer la gamine, sa petite sœur ?  »

« Comment raconter la fin d'une histoire sans la dore, si ce n'est en y laissant des silences, comme en musique : une respiration entre deux notes, la promesse d'une suite.
Ils n'ont pas disparu, ils sont là, les absents. Ils persistent et la trace que laisse leur absence est une question.
Que faire d'une seule nuit, il faudrait des années pour y répondre. Il y a si peu de temps, il n'y en aura jamais assez. Il n'y aura jamais assez de vivants pour répondre aux morts.
Qu'elle nous cherche, leur absence, qu'elle ne cesse pas de nous chercher. »

« Alors il s'est offert un magnifique concert, qui réunirait sur une même scène Blondie, Jacques Higelin et les Bee Gees.
Cette chanson, en particulier, il l'a passée et repassée.
Elle est très vieille mais elle n'a pas d'âge. Elle me bouleverse, je ne sais pas pourquoi. Plus je l'écoute plus son sens m'échappe, il me faudrait des années, encore, à l'écouter. On peut-être qu'il ne faut pas essayer de la comprendre ni de l'expliquer.

I started a joke
Which started the whole world crying
[...]
Till I finally died, which started the whole world living
Oh, if I'd only seen that the joke was on me

Les dernières phrases de sa dernière lettre ressemblent à une prière discrète, à un adieu qui se voudrait nonchalant. 
Faisons un pacte, si tu veux bien: quand tu écouteras cette chanson, tu penseras à moi.
P.-S. Ne m'oublie pas trop vite quand même. P.-S. 2 Je te demande de ne pas m'oublier trop vite.

Quand j'écouterai cette chanson je penserai à toi, Charles Chea. Mais je ne parviens pas à écouter cette chanson sans penser à toi alors je n'écoute pas cette chanson.
P.-S. Dans le clip vidéo de I Started A Joke, des points d'interrogation noirs flottent au ralenti, dessinés autour des musiciens.
P.-S. 2 Je suis devenue écrivaine. »

Quatrième de couverture

Le 18 août 2021, j'ai passé la nuit au Musée Anne Frank, dans l'Annexe. Anne Frank, que tout le monde connaît tellement qu'il n'en sait pas grand-chose. Comment l'appeler, son célèbre journal, que tous les écoliers ont lu et dont aucun adulte ne se souvient vraiment. Est-ce un témoignage, un testament, une œuvre? Celle d'une jeune fille, qui n'aura pour tout voyage qu'un escalier à monter et à descendre, moins d'une quarantaine de mètres carrés à arpenter, sept cent soixante jours durant. La nuit, je l'imaginais semblable à un recueillement, à un silence. J'imaginais la nuit propice à accueillir l'absence d'Anne Frank. Mais je me suis trompée. La nuit s'est habitée, éclairée de reflets; au cœur de l'Annexe, une urgence se tenait tapie encore, à retrouver.

Lola Lafon est l'autrice de six romans, tous traduits dans de nombreuses langues, dont La Petite Communiste qui ne souriait jamais (Actes Sud, 2014), récompensé par une dizaine de prix, et Chavirer (Actes Sud, 2020) qui a reçu le prix Landerneau, le prix France Culture-Télérama ainsi que le choix Goncourt de la Suisse. 

Éditions Stock, Collection "Ma nuit au Musée",  août 2022
248 pages
Prix Décembre 2022
Prix Les Inrockuptibles 2022 

vendredi 6 janvier 2023

Zizi cabane ★★★★☆ de Bérengère Cournut

Émotions et fantaisie sont au rendez-vous pour une lecture tout en poésie et tendresse. 

La mort, le deuil et la reconstruction avec l'absence quoique in fine,  la disparue n'est pas tout à fait absente. Car ce livre est un conte où les songes, les rêves, la douce folie des choses et des êtres se matérialisent et ainsi apaisent, allègent les âmes. 

Zizi Cabane - à la lecture vous découvrirez la chouette explication de ce titre, de même que des prénoms farfelus des enfants, si attachants, notamment "Chiffon" qui rend de vieux chiffons plus beaux que des cartes - est un beau moment suspendu de lecture, une  charmante, onirique et réjouissante lecture.

Une lecture qui met du baume au cœur.

« J'ai été la femme de Ferment 
et la mère de trois enfants

Je m'appelais Odile, j'étais jeune 
j'aimais rire et pleurer en même temps 
J'avais parfois peur de la vie 
et beaucoup, beaucoup d'envies

Puis il y a eu ce jour où je suis partie 
Ce n'était pas volontaire 
c'est venu comme un truc qui sort de terre

Ça avait la tête, la silhouette d'un poisson 
ainsi que ses couleurs, ses reflets 
ça filait dans le ruisseau du jardin - 
parfois par bancs entiers 
Je les voyais chaque matin - 
je jure que je les voyais!
et qu'ils m'appelaient
un à un

Alors une nuit où il faisait chaud et clair 
j'ai mis les pieds dans le ruisseau
J'ai descendu le cours d'eau 
jusqu'à l'endroit où ils allaient 
- c'était loin-

J'ai parcouru
beaucoup de terres et d'océans 
mais ce devait être à la vitesse de la lumière 
car au matin, j'étais de nouveau 
près de Ferment et des enfants - 
bien plus enveloppante qu'avant

Ils ne me voyaient plus 
ou plutôt pas encore 
car j'étais tressée d'or 
Mais j'étais là
sous leur peau, sous leurs doigts 
sous chacun de leurs pas - 
et dans leur âme je crois

C'est ainsi qu'a commencé
le plus beau, le plus long des voyages 
dont le mouvement tient
dans un nom
dans une mémoire...
le nom et la mémoire de
Zizi Cabane »

« Ferment, faut chercher à comprendre, pas ni à contrarier la nature. L'eau veut couler ? Y a qu'à la laisser faire. On va lui aménager un lit. »

« En tout cas, même si ce n'est pas flagrant, il y a un air de ressemblance entre Odile et lui... Pas dans les traits, car Odile était le portrait de maman, mais dans la silhouette. Le même élancement, peut-être. Et puis cette joie perpétuelle, mêlée d'angoisse et de timidité... C'est très troublant.  »

« Odile, mon Odile, est-ce toi qui nous as envoyé Marcel Tremble ? Tu me connais, j'ai du mal à croire aux romances : Marie Madeleine trompant Henri la veille de leur mariage, Suzanne ne sachant rien ou se taisant de façon têtue jusqu'à aujourd'hui, tas Jeanne embrassant ce conte de fées sur fond de station essence... C'est beaucoup pour moi, qui t'ai aimée notamment parce que fuyais les familles compliquées, les non-dits, les secrets... Pourtant, veux-tu que je te dise ? Je l'aime comme s'il était ton père, ce Marcel Tremble.
D'abord, parce qu'il amuse les enfants - ce que j'ai du mal à faire depuis un an et demi que tu es partie. L'autre jour, j'ai entendu Chiffon rire aux éclats en voyant Zizi courir et crier sous le jet du tuyau d'arrosage que Marcel faisait semblant de ne pas maîtriser. Ça m'a donné le frisson, tant il y avait longtemps que notre cadet n'avait pas montré une telle joie. Quand Béguin est là, et a fortiori ta sœur, je peux les laisser tout seuls, je n'ai plus peur. Car jusqu'à présent, j'ai eu beaucoup de mal à m'éloigner d'eux, ne serait-ce qu'aux heures de travail. Et c'est pire lorsque je suis dans notre jardin ou notre maison.
Et je crois que si je veux être parfaitement honnête, ce n'est pas pour les enfants que j'ai peur - mais pour moi. Que t'est-il arrivé. Odile ? J'ai parfois la crainte de disparaître moi aussi, sans avoir d'explication à cela. »

« C'est étrange comme, parfois, rien a l'air d'être quelqu'un. »

« Ai-je seulement imaginé un jour que je pourrais être une source en même temps qu'une maison ? Que je pourrais couler depuis le haut d'une colline et rendre fous deux hommes d'un coup sans en concevoir d'embarras ? Ferment me ravage, Marcel me jardine. »

« En ajoutant du bleu ou du vert à des traces de graisse et de cambouis, il fait apparaître des rivières, des rivages, des montagnes. Les grosses taches deviennent des iles volcaniques: je vois aussi des plages et des cavernes. Comment fait-il de si belles choses à partir de ramasse-poussière et de chiffons de vidange ? Et surtout pourquoi ne nous les a-t-il jamais montrés ? En reposant soigneusement les chiffons l'un sur l'autre, je m'aperçois que celui du haut n'est pas tout à fait sec. Quand a-t-il fait cela ? Et surtout, pourquoi en cachette de moi ? »

« ... des lambeaux magnifiés, qui s'effilochent vers la mer ou les montagnes. Je suis subjuguée par la finesse des traits sur ces trames grossières. Je ne sais rien dire, aucun mot ne sort de ma bouche. Seulement des larmes de mes yeux en cascade. Et bientôt, ce sont carrément des hoquets qui me secouent. 
« Qu'est-ce que tu as, ma banane ? demande Chiffon. Pourquoi tu pleures ? » Je ne peux pas lui répondre, mais je crois qu'il voit aussi le sourire qui se cache derrière mes larmes. Je finis par me calmer, et il me montre les cartes une par une, tout en racontant d'invraisemblables voyages. Tous partent d'un ruisseau dans la campagne, mais pas forcément le nôtre. Il y en a qui courent d'abord dans des prairies pour aller chatouiller de grands moulins tandis que d'autres sortent des parois d'une montagne avant de devenir torrents et de creuser des gorges. Il y en a qui naissent d'un lavoir - ça, ça ressemble quand même pas mal au nôtre - et qui finissent en canaux dans des villes qu'on appelle Amsterdam, Venise ou Amiens. Il y en a aussi qui commencent à la fontaine d'un village, d'autres encore qui jaillissent directement des entrailles de la terre. lls immergent d'abord les herbes alentour, formant un gour puis des marais, mettent longtemps à se décider, puis cheminent finale- ment dans une douce plaine, descendent lentement jusqu'à la mer. Ils sont innombrables, ces ruisseaux, me semble-t-il, et je les aime tous. Mais il y en a un qui m'émeut particulièrement, c'est celui qui part d'une source dans la rocaille et qui disparaît aussitôt sous terre pour ne reparaitre que tout au bord d'une rivière, à laquelle il se mêle discrètement, dans les joncs. Chiffon raconte comment ses eaux caressent les poissons sans être vues de quiconque, et coiffent les algues au fond du lit. Je m'étais calmée au récit des premiers voyages ; voici qu'à l'évocation de celui-ci, je pleure de plus belle.
« Ça va aller, Zizi, ça va aller, je te le promets », murmure Chiffon en me prenant dans ses bras. Je vois bien qu'il est ému lui aussi. Nous regardons les cartes à terre, et nous pleurons de joie. »

« Ça se passe dans la grande salle du réfectoire, rendue silencieuse par la vigilance des surveillants. Les élèves sont assis chacun à une table, empêchés d'être bêtes par les règles du silence... C'est merveilleux. »

« Mais ce soir, oui, je reflète la lune pour eux, comme je jouais 
autrefois du hochet devant leurs yeux. Comment me souvenir 
des soins que je leur prodiguais alors ? Lorsque j'étais leur mère, 
qu'ils étaient mes boutons d'or ?
J'ai aimé, je crois, porter ces petits êtres, avoir dans ma main 
l'entièreté de leurs têtes - et même les sentir bouger en moi avant  de les connaitre
Ferment, j'ai aussi aimé les concevoir dans le secret de notre 
chambre. J'ai aimé te voir en père ébahi, tendre et attentif lorsque 
nous étions tous à bord du même lit
Chaque enfant a été l'occasion d'un nouveau voyage dans nos 
identités mêlées. Tu étais si inquiet lorsque je portais Zizi. 
Moi, j'étais alors si lourde et si légère, abandonnée au désordre annoncé de la fratrie  ... »

« Il faudra que tu sois brave alors, il ne faudra pas le retenir. 
Nous débordons tous un jour du lit qui ne peut plus nous contenir. 
Oh, Ferment... si tu savais comme je danse là-bas, dans le grand 
large et le froid. Comme je t'aime aussi - et comme je m'abreuve 
au brouillard de tes nuits...

Il est temps, maintenant - 
adieu, Ferment »

« Je travaillais toute la journée, je ne supportais plus le contact du gravier froid et du béton. Alors j'ai creusé plus profondément - carrément jusqu'à la terre meuble et grasse. Je l'ai fait remonter cerne bonne terre, puis j'ai amené de la chaleur et de la lumière. L'eau de la chaudière et les lampes à incandescence ont tout de suite produit leur effet, l'atmosphère est devenue douce et tiède. Ça m'a rappelé les serres qu'on avait visitées une fois ensemble, avec les enfants. Tu avais aimé cette ambiance calme et lumineuse. J'ai cru que j'allais parvenir au même résultat. Que j'allais pouvoir faire pousser des plantes et que ça allait m'apaiser, dissoudre cette boule que j'ai au ventre depuis que tu as disparu. Est-ce bien une boule au ventre, d'ailleurs ? C'est plutôt comme un trou sans fond, un truc qui, chaque matin, menace de m'aspirer... »

« Comment puis-je encore me souvenir de toi ? Et de notre mère qui 
s'obstinait à nous mettre des chaussettes qui nous laissaient les genoux 
à l'air, quand nous aurions voulu cacher nos jambes maigrelettes ?

Tu étais la plus jeune, et maintenant c'est toi qui as pris place auprès 
de ma famille, et qui fais la louve aussi bien que moi. Même si 
ces temps-ci, tu as les larmes faciles et que ça t'agace

Tu ne peux pas savoir que c'est juste un peu de moi qui se glisse 
par tes interstices, que c'est avec toi que je partage encore des 
élans, des pudeurs, des caprices. Tu ignores à quel point cette nuit, 
ta présence m'apaise 
[...]
Et toi, Jeanne, tu prendras le même envol. Tu n'as pas à demeurer 
sans homme, sans amour, sans désir d'écrire la vie autrement qu'en 
chiffres. Ton professeur de maths me plaît. Il a un détachement 
discret, ce corps un peu replet qui fait les bonnes demeures 
des femmes inquiètes. Il fuit parfois un peu, mais quand il sourit et 
te presse, Jeanne, ses yeux laissent passer le flot de son âme. Ne me 
demande pas comment je sais cela. D'où je suis désormais, je vois 
ce que j'ignorais auparavant 
[...]
À présent, je passe par l'espagnolette, c'est bien assez. Ne t'inquiète 
pas, Jeanne. Une dernière caresse sur tes épaules, un dernier frisson 
sur ton échine; je suis heureuse de t'avoir revue, frangine. Je prends 
avec moi les rêves des deux petits, celui de Chiffon, celui de Zizi.
Ils sont fous, ces deux-là! Emplis d'eau et de marais spongieux, 
habités par des brumes sans mémoire, ils voyagent dans des paysages 
qui sont comme eux, sans âge ni origine

Je suis le vent, Jeanne
Et je vous emporte tous 
plus loin encore 
là où le chagrin et la mort 
ne sont plus rien »

« J'ai des enfants
- je me souviens -
J'ai un mari
- je me souviens - 
Tous ont un jour ou l'autre 
dormi contre mon sein 
Et je sais désormais 
par quel moyen 
prolonger notre lien
C'est une histoire de veines 
et de chagrins qu'on mêle 
De nappes, de mares et de sels 
De charbon aussi - 
d'eaux profondes et de gemmes »

« [...] on ne peut pas toujours vivre sous une épaisseur de mystère. J'avais une femme, elle a disparu, sans laisser de traces. Ou plutôt : sans laisser de traces de sa mort, parce que, des traces de sa vie, les nôtres en sont remplies. Ce sont les révoltes de Béguin, les obsessions de Chiffon, les rires et les chagrins de Zizi... Leur mère est partie tout en restant en eux ; et moi, je ne peux plus être un éternel tourment. »

« Au final, je ne sais pas, moi, à qui parler de ce souffle froid... parce que même tata ne comprend pas. Quand j'essaie de savoir si elle le sent aussi, elle court me chercher un gilet, un anorak, une écharpe... En fait, elle ne m'entend pas.

Alors j'y pense la nuit. Je me demande si Odile, elle, comprendrait et quand est-ce qu'on pourra en parler. Je commence à avoir des doutes sur le fait qu'on pourra un jour la revoir. Je me demande pourquoi elle est partie, ce qu'elle avait à faire... Si elle n'était pas malade, elle aussi. »

« Dis-moi, Odile, dis-moi comment on survit à tout ça. Dis-moi où nous avons trouvé la force de tant nous réjouir ce soir, alors que je vois la béance que tu laisses en chacun de tes enfants, comme en moi ou en Jeanne. »

« « Non, attends, arrête ! je suis chatouilleuse....» Puis m'est revenue dans la foulée la fluidité trouvée avec les années celle de tout ton être s'offrant à moi, nuit après nuit. Même lorsque tu portais nos enfants, Odile, tu restais souple et légère à mon approche. J'ai l'impression de n'avoir jamais usé de mes muscles avec toi. T'aimer, c'était comme descendre un cours d'eau, je me laissais porter par le courant. Nous finissions toujours ensemble dans la furie de la mer, mais ton corps était l'élément premier dans lequel je me noyais... D'où te venait cet abandon, Odile ? Est-ce lui qui t'a finalement emportée tout entière, cette nuit-là ? Odile... Je n'en peux plus de ton absence. Je n'en sortirai pas. »

Quatrième de couverture


Éditions Le Tripode,  août 2022
240 pages

mercredi 4 janvier 2023

Respire ★★★★☆ de Joyce Carol Oates

Respire
Ne m'abandonne pas 
Respire, je t'en prie
Respire
Et puis, le silence
Il y a ces soupirs, ce dernier soupir, que l'on ne cessera jamais d'entendre.
L'absence. La détresse. La maison vide. Le chagrin. La folie qui guette et étreint le (sur)vivant.
Les souvenirs. L'amour.

Et il y a ces pages, si bien écrites, percutantes.

Joyce Carol raconte le deuil, ce long, difficile et déroutant chemin de croix que tout un chacun a emprunté, emprunte ou empruntera pour expier la perte d'un être cher. 

Une grande écrivaine.

« L'esprit est à soi-même sa propre demeure; il peut faire en soi un Ciel de l'Enfer, un Enfer du Ciel. »
John Milton, Le Paradis perdu

« Qu'il est dur d'entrer dans une maison vide. » Anonyme 

« L'espoir est l'appât empoisonné. Les hommes y mordent et meurent. »

« Ce soupir, tu ne l'oublieras jamais. Ce soupir, tu l'entendras quasiment chaque heure de chaque jour de ce qu'il te reste de vie.
Ce soupir, et le silence qui suit pareil au silence suivant un coup de tonnerre. »

« [Nouveau Mexique] Une région nouvelle. Un haut plateau désertique, des bataillons de nuages sculptés, des ciels sombres et meurtris à la Greco. L'oeil était invinciblement attiré vers le haut, intimidé par la lame acérée et blessante de la beauté.
Et l'air, à deux mille quatre cents mètres d'altitude, d'une pureté virginale, teinté de blanc, sensiblement plus pauvre en oxygène que celui (urbain, pollué, proche du niveau de la mer) auquel ils étaient habitués à Cambridge, Massachusetts.  »

« Ce mur de brique auquel on se heurte, chez l'autre. Un jour. Ce mur qui est la fin de l'intimité. Ce mur qui sépare.
Le mur de la déraison, de l'intransigeance. Le mur dont vous pouvez rire, qui demeure (néanmoins) inébranlable. Michaela n'arrivait pas à comprendre: son mari (cordial, appréciait que Michaela l'interroge sur de nombreuses facettes de sa vie, y compris sa petite enfance; mais il opposait une résistance à une certaine sorte d'attention, tournant autour de la faiblesse, de l'infirmité, du vieillissement. Une sorte d'attention évoquant l'indiscrétion, l'indécence. »

« Sapez la fierté d'un homme, vous risquez de blesser sa vanité. Et un homme est sa vanité. »

« Sa prose est impressionniste, dans le style de Virginia Woolf: des états d'esprit aussi mouvants que les sables du désert, prenant des formes sans cesse nouvelles et saisissantes, imprévisibles. »

« Pendant qu'il conduit Eurydice hors de l'Hadès, Orphée doit lâcher sa main sans explication alors qu'il ne marche pas à son côté, mais devant elle; troublée, Eurydice y voit un reproche, elle doute de son amour et crie son nom; sans réfléchir, Orphée se retourne pour la réconforter, comme un époux réconforterait sa femme -  et à l'instant même Eurydice meurt.
Parce que Orphée l'aime au point d'oublier l'avertissement qui lui interdit de se retourner si elle l'appelle. Au moment même où Eurydice désespère de l'amour d'Orphée, son amour pour elle garantit qu'il la détruise. Les légendes anciennes. Ce qu'il y a de plus humain en nous sera notre malédiction, et assurera notre damnation. »

« ... il faut choisir entre une douleur (insoutenable) et la lucidité ou une douleur (anesthésiée, assourdie) et la confusion d'esprit.
Sauf que, lorsque la douleur est insoutenable, on ne peut pas être vraiment lucide.
Nous n'avons donc pas vraiment le choix, docteur. C'est ce que vous dites. 
Oui, je le crains - c'est ce que je dis. »

« Ne pas reconnaître son propre visage ? Cela semblait à Michaela difficilement croyable, chez quelqu'un (comme Sacks) d'un aussi haut niveau par ailleurs.
Gerard lui avait assuré que c'était vrai. On ne savait presque rien de la façon dont les neurones « reconnaissent » les visages. C'est si rapide et, généralement, exact.
Prosopagnosie - une pathologie neurologique où les neurones ne déchargent pas, ne « reconnaissent pas. Dans certains cas, elle est acquise, dans d'autres elle est consécutive à une maladie ou à une lésion cérébrale. Parfois encore, elle est simplement liée à l'âge. »

« Car quand soins palliatifs est prononcé, on reconnaît - II n'y a pas d'espoir.
Pas d'espoir. Les mots sont obscènes, indicibles. Être sans espoir, c'est être sans futur. Pire encore, pour reconnaître être sans futur - il faut avoir « abandonné ». »

« Car bien sûr personne ne respecte le désir naïf du suicidé de ne pas être ressuscité. »

« Comme veuve, Michaela est infatigable, alerte. La vie de veuve est celle d'une pénitente portant son cœur (grotesque, sanguinolent) à l'extérieur de son corps. »

« Si l'espèce humaine a une religion, pensait-elle, ce doit être celle de l'humanité. Sentiments humains, amour humain. Responsabilité humaine. »

« Cette urne contient les cendres de mon mari que je rapporte chez nous. Le visage sombre, respectueux, le personnel laissera passer la veuve. Sans doute l'un des agents de la sécurité dira-t-il dans un murmure Mes condoléances, madame.
De la même façon que d'autres passagers transportent de petits chiens en avion, dans des sacs pouvant être glissés sous le siège devant eux, Michaela transportera l'urne, les cendres, les restes cinéraires de son défunt mari, qu'elle glissera sous le siège devant elle.
Comme nos vies sont absurdes, pense-t-elle, atterrée. Quand la personne n'est plus que matière - obscène.
Il est beaucoup moins honteux de mourir. Qu'il est étrange que si peu de passer à l'acte. gens y aient pensé ou aient eu le courage de
Cet élancement de culpabilité dans le ventre, une sorte de nausée, que la veuve soit toujours en vie alors que le mari est mort. »

« Ce n'est pas notre souffrance, mais la souffrance des autres qui nous détruit. Pas notre mort que nous redoutons, mais la mort de ceux à qui nous ne souhaitons pas survivre. »

« Comment est-il possible que tu sois en vie et que je sois toujours morte !
Mais non : tu veux dire Comment est-il possible que tu sois mort et que je sois toujours en vie... 
Dans la salle suivante tu lis que les conquérants espagnols, les colons ont massacré des millions d'indigènes. Tu lis une histoire abominable d'exploitation, d'esclavage impliquant l'Église catholique. Prêtres jésuites, missionnaires catholiques, missions espagnoles, églises érigées dans des régions reculées afin de les soumettre. Tu lis que des enfants indiens ont été enlevés à leur famille, forcés de vivre dans des orphelinats catholiques, affublés de noms chrétiens, empêchés de parler leur langue maternelle. Tu lis que des enfants indiens se sont évadés des orphelinats pour rentrer chez eux, ou tenter de rentrer chez eux. Tués lors de leur évasion, morts par suicide. Un aspect de l'histoire coloniale américaine passé sous silence: le suicide des enfants. Massacres, lynchages perpétrés par l'armée. Scalps. Villages incendiés. Morts par contagion: variole, rougeole, syphilis, tuberculose. D'après les estimations, en 1491, la population d'Amérique du Nord comptait cent quarante-cinq millions d'indigènes; en 1691, elle avait diminué de quatre-vingt-quinze pour cent.
Cent trente-huit millions d'indigènes exterminés ! Un génocide. Des siècles avant que le mot voie le jour.
Rien de tout cela ne t'étonne. Rien de tout cela ne devrait t'étonner.
Su mais oublié, dans une brume d'approximation et d'à-peu-près, comme la distance entre la Terre et le Soleil mesurée en années-lumière que tu n'as apprise que pour l'oublier, dans cette catégorie de l'oublié-su, ou plutôt du su-oublié.
Avec de gros écouteurs, tu écoutes un enregistrement d'enfants pueblos interviewés des décennies plus tôt. Ce sont peut-être des enfants enlevés à leur famille et forcés de vivre dans des orphelinats catholiques où des choses terribles leur étaient faites et où ils se faisaient à eux-mêmes des choses terribles, ils parlent un anglais hésitant, d'une voix si que tu ne saisis pas leurs mots; et parfois leur voix se lézarde, s'éteint et tu n'entends plus que des parasites et des pleurs.
À moins que ce ne soit toi qui pleures? Essuyant idiotes yeux larmoyants, ta bouche molle et triste. »

« Tu reconnais immédiatement le dieu charognard Ishtikini avec son crâne grotesquement disproportionné, ses yeux fixes, son ventre gonflé et son pénis filiforme en érection. La plus grande représentation de ce dieu-démon est une statue, haute d'une trentaine de centimètres, curieusement accroupie genoux pliés; la plus menaçante est plus petite, faite de métal de récupération et d'éclats de verre, dotée de petits yeux de fouine qui semblent bouger dans leurs orbites et fixer l'observateur. Un autre Ishtikini, taillé dans du bois de bouleau, a la même expression malveillante que la sculpture que tu as dissimulée sous le lavabo de la salle de bains.
Tu ne peux t'arrêter de grelotter, de trembler. Dans une description d'Ishtikini tu apprends ce que tu ne savais pas jusque-là- que le dieu-démon « insatiable» a le pouvoir de s'enfouir dans des corps vivants à la façon des chacals, dévorant cerveaux, cœurs, entrailles, parties génitales.
Ishtikini (dieu charognard, dieu Crâne des Indiens pueblos zuni) est à la fois dieu et démon : appétit vorace jamais satisfait. Skli est représentée par plusieurs figures lubriques, dessins et sculptures, plus grotesques les unes que les autres. On se dit que seul un homme a pu créer ces visions obscènes de la « femme » - une bouche hurlante en O, des seins pareils aux mamelles d'une truie, un vagin grossièrement sanglant. Il est donc étonnant de découvrir une BD d'une artiste navajo féministe contemporaine qui présente la déesse-démon comme une sorte de Wonder Woman, une héroïne affublée d'énormes lunettes noires de marque, aux lèvres rouge vif, aux seins comme des obus, nue, exception faite de cuis- sardes de cuir aux talons de huit centimètres qui montent presque jusqu'à l'entaille sanglante de l'entrejambe - un spectacle audacieux ! »

« Viens, Michaela ! Plus haut.
Tu grimpes un escalier en spirale. Vite! Tu clignes férocement des yeux. Des larmes dans tes yeux. De la poussière, du sable dans tes yeux.
Dans un clocher à côté d'une église « historique » en adobe, des marches de pierre raides, usées, inégales et incurvées sous tes pieds comme une roche érodée.
C'est la belle mission espagnole de San Gabriel de Isleta. Fondée en 1597 par des pères franciscains. Une église d'adobe patinée par le temps, murs, clocher et cimetière, croix en bois haute de six mètres, visible à des kilomètres dans la plaine désertique d'un mauve brumeux.
Tu es venue ici pour cela. Attirée par la croix Onze kilomètres à l'ouest à l'ouest de Santa Tierra. 
Qu'est-ce qu'une croix sinon des bras écartés. Apparence d'un torse, quelque chose qui est parvenu à tenir debout, bras implorants écartés.
Gerard avait marqué d'un astérisque la mission San Gabriel de Isleta dans le guide. 
Plus haut, plus haut. Vite ! »

Quatrième de couverture

Originaires du Massachusetts, Michaela et Gerard s'ins- tallent pour huit mois dans un institut universitaire renommé de Santa Tierra, au Nouveau-Mexique. Mariés depuis une dizaine d'années, ils voient dans ces paysages d'une beauté saisissante, quoique étrange, l'occasion de vivre enfin leur voyage de noces. Mais à peine sont-ils arrivés que Gerard, victime d'une mystérieuse maladie, est hospitalisé d'urgence. Loin de ses proches, Michaela est subitement confrontée à la terrifiante et vertigineuse perspective du veuvage.

Joyce Carol Oates livre le récit fiévreux d'une femme qui a trouvé dans le rôle d'épouse sa force d'accomplissement et qui, à tout juste trente-sept ans, est appelée à s'occuper de son mari mourant. Tandis que Michaela exhorte désespérément Gerard à respirer, elle se demande si son amour, aussi puissant soit-il, suffira à le Gouvernée par son chagrin, Michaela perd pied, confond le passé et l'avenir, redoute sa propre mort sur ces terres arides et poussiéreuses aux dieux-démons omniprésents.

Respire... explore avec ferveur le sentiment de loyauté attaché à l'amour conjugal, et questionne: comment rester fidèle à soi-même alors que l'être que l'on admire le plus est sur le point de disparaître?

« Respire... est une allégorie éblouissante du chagrin. C'est une méditation poignante sur le temps du deuil, qui n'a ni début ni fin. »
The New York Times

Éditions Philippe Rey,  septembre 2022
395 pages
Traduit de l'américain par Claude Seban

lundi 2 janvier 2023

Isadora ★★★★☆ d'Amelia Gray

Étrange, complexe et singulière lecture. 
Portrait d'une danseuse américaine du début du XXème siècle, une danseuse aux pieds nus, une artiste en avance sur son temps et une mère meurtrie par la mort de ses enfants qui doit faire face à la douleur, se reconstruire, continuer, se libérer en dansant « Danser, c’est exprimer sa vie intérieure »
Amelia Gray nous donne à voir, avec humour (noir) et poésie, l'histoire fascinante de cette femme. En analysant profondément la psychologie de l'artiste et de la coterie qui l'entourent (mari, soeur, beau-frère, mère, amant...), elle densifie incroyablement cette biographie. Je découvre une auteure qui a une imagination débordante et qui m'a donné du fil à retordre ! La prose est grandiose, la langue très belle, mais la lecture a été fastidieuse pour moi. Je ne regrette pourtant pas cette lecture transpercée par de belles et fortes émotions, et me réjouis d'avoir été au bout ;-).
Pour les amoureux de la grande littérature.
Vous l'avez lu ? Vous connaissez cette auteure ?

« Avril 1913: le monde goûte à la prospérité des temps modernes. Alors que la Grande Guerre éclatera dans quelques mois, l'Europe vibre d'inventions, d'art et de changements sociétaux. Sans se douter qu'un conflit mondial l'attend au tournant, la classe moyenne grandissante savoure un sentiment de paix, de prospérité et d'optimisme.

Isadora Duncan s'est placée au cœur même de tout cela. Née en Californie, elle a convaincu sa mère, ses deux frères et sa sœur de la rejoindre sur le Vieux Continent: nous sommes en 1899, à l'aube du xx siècle, et elle a vingt-deux ans. Les Duncan s'installent à Londres l'année où le RMS Oceanic fait son voyage inaugural et où Marconi réussit la première liaison radio transmanche.

À une époque où les danseuses se ceignent de corsets et le public la précision rigoriste du ballet, Isadora consacre le travail de toute une vie à une théorie de la danse soutenant que, si l'idéal de beauté est à trouver dans la nature, alors le danseur idéal doit se mouvoir naturellement. À vingt-six ans, elle donne à Berlin une conférence intitulée «La danse de demain », qui tourne en dérision les muscles et les os déformés» des plus grands danseurs de ballet du monde et dénonce la tragédie de la restriction des corps alors inhérente au genre. Elle exhorte son public grandissant à s'intéresser à l'art et aux idées des Grecs, dont la théorie des formes de Platon, qui conforte l'idée selon laquelle l'art doit aspirer à l'émulation de la nature. Les danses d'Isadora, simples valses et mazurkas à première vue, cherchent par l'aisance de leurs mouvements à saisir l'expression vitale et viscérale de la beauté dans sa forme la plus pure.

Ravie de l'intérêt lui que porte la presse à sensation, Isadora connaît un succès fulgurant et se sert de sa réputation pour accéder à la gloire. Bannie de certains théâtres parce qu'elle se produit en tunique et pieds nus, elle trouve, grâce à son talent intuitif et novateur, un premier public à Vienne, Paris, Londres, Moscou et New York.

Sa vie sentimentale tout aussi prolifique fait jaser la bonne société. En 1906, elle donne naissance à Deirdre, dont le père est Gordon Craig, un metteur en scène et scénographe qu'elle appelle Ted. Quatre ans plus tard naît Patrick, le fils de Paris Singer. Capitaliste invétéré, Paris jouit de la fortune accumulée par son père, inventeur de la machine à coudre, tout autant qu'il est hanté par le succès de ce dernier, que lui rappellent sans cesse les vitrines du monde moderne faisant partout la réclame des neuf cents points par minute. Paris offre à Isadora la possibilité de faire coïncider l'ambition de ses idées et la réalité de ses finances, et malgré des disputes explosives, dans les années qui suivent la naissance de Patrick, le couple est heureux. 
Au début du xx siècle, Paris et Isadora parcourent l'Europe avec les enfants. Isadora travaille sans relâche, donne spectacles et conférences, organise des fêtes qui durent des semaines. Avec Elizabeth, sa soeur à l'infinie patience, elle crée ses premières écoles, pour enseigner à une génération de danseuses le genre de mouvement naturel qui deviendra bientôt la danse moderne. Et c'est ainsi que la famille s'attelle à la difficile tâche de bâtir un mouvement artistique.

Avril 1913: Isadora Duncan est à l'apogée de son pouvoir. Elle se trouve à l'aube d'un grand bouleversement, tant dans son existence personnelle que dans le monde. Une énergie enfle autour d'elle, qui la fascine et imprègne son travail. Isadora augure que de cette énergie naîtra une révolution artistique et qu'elle-même se trouvera à l'avant-garde d'une époque consacrée au sublime.
Malheureusement, elle se trompe. »

« Qu'est-ce que l'amour sinon des griffes et des regards en arrière? Otant les peluches du carré de dentelle à son cou, la fillette lisse avec un peu de salive la rose de coton accrochée à son cour Chaussettes blanches et chaussures souples, manches purilles à des cloches de plongeur. Le tailleur avait béni cette robe et lui avait souhaité le meilleur en cousant son nom dans les ourlets : Deirdre, toujours sérieuse et qui se tient bien quand parlent les adultes. »

« Tu dois l'imaginer même si je suis sûre que tu préférerais t'y soustraire, et je dois te le décrire même si je préférerais de toute évidence oublier. C'est là le devoir des vivants, le sort jeté à ceux qui doivent poursuivre leur route tandis que les morts ont trouvé le repos. Tu devrais aller t'asseoir dans un endroit calme des coulisses, peut-être près du cagibi où tu caches le gin. »

« Un cri pénétrant jailli de mes entrailles s'est répandu brusquement vers les murs et le sol. Il formait une résidence sonore qui résonnait dans l'écale vide de mon corps, mes côtes telle une toile d'araignée en lambeau tendue sur ma colonne vertébrale, berceau affaissé pour mon cœur en charpie. »

« Bien sûr, ils ont un problème d'inondation. Une fois qu'Étienne à l'œil jaune a eu fini de nous adresser, entre deux rots, ses condoléances élémentaires, tout en jouant avec la chaîne de la pendule à coucou de son bureau pour en rééquilibrer les poids, j'aurais dû appeler la voiture, laisser diverses excuses sur un bout de papier et me faufiler dehors par la petite porte, les yeux fixés devant moi, d'une manière à peine visible, tout en giflant les enfants pour ramener de la couleur à leurs joues. Mais le devoir est un piège efficace, auquel il est difficile d'échapper dans les meilleures conditions, aussi nous trouvons-nous tous les trois confinés par la mort dans un sous-sol mal éclairé, tandis qu'en haut ils s'occupent de toilettes bouchées. Une coulée d'égouts pestilentielle traverse le hall en marbre, jusqu'au tissu dont on a recouvert la table où gisent les enfants. L'eau noire imprègne bientôt le linge, encore cette matière liquide qui vient faire des ravages pour nous rappeler son pouvoir. »

« J'ai bâti mon monde sur l'impression que j'avais d'être portée en avant sur mes orteils, rassemblant dans mes bras ouverts la vie côtière telle une moisson pour la libérer ensuite, sans songer un seul instant à tempérer cela par l'idée que cette énergie pourrait s'éteindre. »

« Paris découvrit que la culpabilité était une émotion robuste. Elle pouvait se conserver des années dans le climat tempéré de la mémoire, rangée comme un bon fromage parmi les meules moisies de l'amour et de la peur. La culpabilité élabore un récit: la vieille femme pose sa fourchette pour songer à une fille qu'elle a évitée sur le chemin de l'école. L'homme marque une pause sur le seuil de sa maison pour se souvenir d'un chien qu'il a torturé vingt ans plus tôt avec un pétard. La culpabilité conçoit son propre châtiment: la femme achète des rubans aux enfants qu'elle croise dans le parc, mais ils la fuient en hurlant; l'homme nourrit un chien bâtard sur un terrain vague avec du riz et du lait, essuie la gale souillée autour de ses babines, accroupi pour tenter de saisir une expression dans son regard. Mais la culpabilité n'est pas une chose logique, une série de poids et de contrepoids à équilibrer. C'est un manège précaire, où sont sculptés à la main tous les choix que celui qui l'emprunte aurait pu faire. Ici, Paris insiste pour qu'ils fassent le chemin à pied ; là, il vérifie les freins ; ici, il envoie leur mère au lieu de la gouvernante; là, c'est lui-même qui  y va. Les anneaux d'or lui échappent des mains. Sa vie entière, il cherchera à les atteindre. »

« Au chevet d'Isadora à Corfou, où la maladie, joviale, menace de la faire chavirer

Si j'avais eu tort tout ce temps et qu'il existe bien une vie après la mort, je peux divertir l'équipe céleste des heures durant en leur décrivant dans le moindre détail cette chambre de quatre sous. Un mobilier tristounet entoure le lit, et même si l'hôtelier a fait grand cas de la salle de bains privée, j'aimerais autant prendre mon bain devant tout le monde si cela peut me donner des témoins pour les araignées. La salle de bains n'est équipée que d'une seule fenêtre hublot, à peine assez grande pour que je puisse y passer le bras. Dehors, les goélands plongent en diagonale vers l'abîme et en remontent avec des bouts de poisson ensorcelé.
Peut-être suis-je en convalescence en enfer, dans un cercle de la souffrance où les damnés battent les tapis avec des raquettes de tennis et poussent des chariots de bois par les chemins pavés tandis que geint inlassablement une insignifiante sirène, et à l'instant où cela me devient insupportable, la sirène s'éteint en un gémissement déçu et le ferry baisse sa passerelle pour le débarquement des passagers. Le charme de ce port s'est tari moins d'une heure après notre arrivée et à présent, au bout d'un mois, j'aimerais autant être roulée en boule dans une eau fangeuse au fond d'un puits. »

« Max se surprit à penser souvent à Elizabeth, et lors- qu'il fut temps de quitter le foyer familial, il envisagea de se faire engager dans son école. Cette première soirée ouvrit aussi la voie à leur relation amoureuse, qu'il avait toujours appréciée car elle avait pour fondations des idées communes. Il avait su tout de suite que les conversations avec Elizabeth lui offriraient une plus grande connaissance du monde que ce qu'il obtiendrait assis aux pieds d'un penseur célèbre. Les idées d'Elizabeth étaient pour lui très claires, très faciles à interpréter. Si elle parlait d'un paysage, il en comprenait la nature par la description simple qu'elle en faisait; elle évoquait toute l'existence à l'avenant, qu'elle songeât au dîner ou se livrât à un plaidoyer sur la nécessité de l'affection physique. Elle vivait dans le monde comme une invitée familière. Max trouvait dans la vie d'Elizabeth une logique à la sienne. Et c'est ainsi qu'il tomba amoureux. »

« Nous nous retrouvâmes à essayer de nous immiscer dans une communauté soudée où tous attendaient des autres qu'ils leur donnent la réplique, prêts à humilier quiconque osait sortir du rang. Le changement exigeait du courage, et le courage, visiblement, exigeait du changement. »

« Son sexe s'enchâsse parfaitement entre mon pouce et mon index. Je me demande pourquoi on n'a pas pris l'initiative de mesurer la valeur de chaque homme à sa longueur, puis d'accrocher le résultat à son col avec son groupe sanguin et ses plus grandes peurs. »

« C'était une saison particulièrement bonne pour la danse, et on sentait en ville que si les choses continuaient ainsi, nous finirions peut-être l'année par d'incalculables progrès dans les domaines de l'art et de la science, progrès qui nous projetteraient dans l'ère de la dignité humaine et de l'amour. Je me produisais au centre de la grande salle de la Gaîté-Lyrique, le public debout autour de moi. D'immenses fenêtres ouvraient sur la neige, et l'étoile de boussole gravée dans le bois me donnait l'impression de danser sur une carte du monde.
Je dansais sans doute sur du Chopin, car à l'époque il n'y en avait que pour Chopin. Avant que le pianiste ne se lançât, j'aimais rester debout une minute en silence, afin de m'imprégner de mon public et de respirer avec lui. J'espérais que tous auraient le sentiment que j'improvisais spécialement pour eux, alors que j'avais en réalité pratiqué chaque mouvement en séquence pendant des semaines, même ma façon d'aller me mettre en position et l'aisance avec laquelle je demandais au pianiste un certain mouvement ou une certaine cadence.
L'impression de spontanéité finit d'ailleurs par faire bien son œuvre, de sorte que je me sentis peu à peu trop obligée de prouver ma propre maîtrise, ce qui fit perdre à toute l'entreprise une partie de sa magie, mais ce fut bien après cet hiver de 1909, où la magie était présente à profusion. »

« Les fleurs étaient si fraîches que la vie semblait encore pulser en elles, leur impudeur conférait à la pièce une teinte franchement sexuelle. J'ouvris enfin la porte en grand et Paris Singer m'apparut dans toute sa splendeur, colonne faite homme - quiconque n'est jamais tombé amoureux d'une colonne de pierre n'a pas passé assez de temps en leur compagnie. »

« Paris, fils d'Isaac, descendu du mythe, à la barre de la fortune de son père, Isaac Singer, lequel avait légué à ses enfants un si opulent banquet que ceux-ci ne pouvaient qu'espérer trouver l'énergie requise pour en consommer une tranche minuscule. Ils étaient contraints de sourire vaillamment lors des soirées, tandis les que gens regardaient autour d'eux comme si Isaac en personne écoutait la conversation. Les femmes racontaient à Paris leurs rêves dans lesquels son père se présentait au pied de leur lit, entre deux rangs de machines à coudre, inventeur nimbé de poudre d'or, et leur faisait violemment l'amour dans des kilomètres de pantalons à ourlets. »

« Maintenant que l'un et l'autre sont enfin partis, le calme du matin revient. J'ai devant moi de douces heures de contemplation pour constater que le chagrin présente des contours parfaits en tant qu'aventure intime et que la mélancolie peut s'interpréter devant un public ; le chagrin véritable, en revanche, mérite qu'on le protège et qu'on le choie. Le chagrin est le seul espoir de la pauvre âme qui se débat dans l'eau, la seule pierre que le corps peut porter et qui sera peut-être assez lourde pour le couler. »

« Les hommes ne méprisent rien tant que leur propre confort et détestent les femmes qui, dans leur vie, le leur offrent. Ils attendent de leur épouse la sécurité et  des autres femmes le danger, sans se rendre compte que toutes risquent la mort à fréquenter des inconnus et passent donc leur vie à tenir ces menaces à distance, une tasse qui ne doit jamais se renverser sur les hommes qu'elles aiment, lesquels pendant ce temps les détestent pour ce qu'elles feignent d'être. La maternité est une situation encore plus sombre, car la mère laisse grandir dans son corps l'architecte de sa propre fin ; l'enfant qui ne la tue pas en couches lui brisera plus tard le cœur. Les hommes, eux, doivent se fabriquer le genre de danger qui se présente sans relâche aux femmes. »

« C'était perturbant de se dire que l'art, tout comme l'invention, pouvait être transformé et dépasser ce pour quoi il avait été créé, simplement en continuant d'exister. Bien sûr, une toile pouvait être détruite, mais le dommage psychique d'un changement de régime politique sur une œuvre d'art pouvait être plus dévastateur encore. Il s'imagina les machines à coudre de sa famille créant les uniformes de compagnies entières de soldats en guerre, les coutures parfaites des drapeaux ennemis. »

« Les voyages permettent de se complaire dans le narcissisme le plus pur. La petite chèvre sur le rivage m'a rappelé la Californie, les dômes vitrés de l'hôtel deux autres que j'avais vus à Moscou. Je n'avais jamais vu de porte aussi étrange, si bien qu'aussitôt elle devient pour moi le symbole de Constantinople, de toute la Turquie, et l'expérience ne sert qu'à aplatir un peu plus le monde. C'est une pratique honteuse, mais la plupart des touristes s'y adonnent, font en sorte que le monde se rapporte à eux et non le contraire, et ainsi nous évitons la peine de nous fondre dans quoi que ce soit de nouveau. »

« Depuis très jeune, Paris était si naturellement fait pour profiter de la largesse de son père qu'il en était venu à attendre les mêmes cadeaux du monde. En ce sens, il devint un membre de la classe des consommateurs, même s'il combattait amèrement cet honneur.

Lorsque Isadora se présenta dans sa vie, il saisit sa chance de servir de canal pour son travail. Il s'émerveillait de la voir produire et consommer en très grande quantité et en circuit fermé, traversant au pas de course sa salle de répétition à sa dixième heure de pratique avec le même plaisir qu'elle consacrait aux interminables après-midi passés à lire de la poésie dans son bain. Elle demeurait trois jours entiers au lit et occupait le quatrième à rédiger assez de notes de conférence pour remplir une bassine. Elle n'était ni la rêveuse frivole à laquelle il s'était attendu, ni le miracle né de la terre génératrice qu'elle semblait vouloir être aux yeux de tous; elle était quelque chose de tout à fait autre et de tout à fait séduisant. Elle ne désirait que contrôler les limites de son corps - ce qui la distinguait on ne peut plus de Paris, qui voulait pour sa part contrôler la superficie de multiples propriétés –, mais dans son petit domaine à elle, elle était insatiable et sans compromis, de telle manière que, par comparai- son, Paris se sentait amateur et négligent. Même si elle appréciait toujours les fleurs qu'il lui portait, elle semblait hermétique aux louanges et aux sentiments, si bien qu'il se gardait de faire trop l'éloge de ses talents stupéfiants; il pouvait déposer des cadeaux à ses pieds, mais en cela il ne serait pas différent de ces autres qui se prosternaient devant elle, de ces faux amis qui attendaient dehors lors des obsèques, essayant de l'apercevoir pendant qu'elle entrait. Paris s'enorgueillissait de comprendre Isadora mieux que la plupart des gens ne le pourraient jamais. Elle travaillait à ressembler à une silhouette sur un vase, mais elle était plus essentielle que la silhouette ou le vase lui-même, ou même que le musée dans lequel il était exposé. Elle était une tour, une flèche, un clocher rutilant en cuivre forgé dans le feu et s'élevant par-dessus le chaos pour percer le ciel sans nuages. Il pouvait difficilement lui avouer tout cela et endurer ensuite une de ces semaines où il devrait la regarder se pavaner, mais c'était vrai et elle le savait. »

« Dans le puits de ténèbres autour de nous, des murmures s'élèvent. Je n'ose pas regarder. Ils desserrent les lanières de ma tunique et exposent mes seins. Ils me tripotent et me reniflent comme des chiots, leurs joues incroyablement froides se réchauffent à mon contact. Ils tètent dans un silence de glace pendant que, les rivés droit devant moi, au-delà du plafond, à travers la yeux charpente et le toit, je m'aperçois que je flotte, légère comme l'air, sans oser respirer pour ne pas les perdre à nouveau.  »

« Je leur ai appris à écouter le point qui pulse sous leurs côtes, à se déployer à partir de lui comme une bannière, je leur ai appris à courir et à bondir, à se changer en colonnes si parfaites qu'ils pourraient durer toujours. Je leur ai appris à consommer la beauté, à l'accueillir en eux et à fabriquer la danse que cette beauté leur avait offerte, un art qui n'existe que comme la beauté seule peut exister, en tant que la vie elle-même rassemblée dans un instant. Je leur ai appris tout cela, mais je ne leur ai jamais appris à nager. »

« Isadora parle

- Tous les hommes sont mes frères, toutes les femmes sont mes sœurs, et tous les petits enfants de la terre sont mes propres enfants. Quelle si fragile chose est l'art dans un monde où les enfants meurent? On m'a apporté mes bébés qui se tenaient main dans la main.
« Pour échapper aux griffes du fleuve, je dus le remercier pour ce qu'il me donnait et en demander encore. Alors qu'il semblait emporter la vie, il me donna tout de la vie. La mort m'enseigna qu'il n'y avait pas de malveillance dans un fleuve. Et donc j'appris, ainsi qu'apprend un enfant, un mot après l'autre: le monde ne nous enlève rien, il recèle seulement ce que nous remettons entre ses mains. À la mort des enfants, j'appris que tous les fleuves de la terre étaient mes enfants. »
« La vie est une bête glorieuse, la mer son œil de Léviathan. Je me montre mal en point face à vous, portant le monde comme un vêtement, j'ai combattu cet animal, mais à présent, je le chevauche. Je me serre contre lui autant que je peux, j'empoigne sa fourrure à la racine tandis qu'il court et je garde la tête haute, car la vie est une bête qui rue autant qu'elle peut pour écraser sa charge, l'unique but du voyage entraperçu çà et là le long du chemin. » »

« Elle croit que ses souffrances seront récompensées par la gloire, que la joie et la douleur trouveront un équilibre sur la balance de sa vie, mais elle se trompe. Le bonheur ne se gagne pas. Nous tombons dessus tels des ivrognes, avant de retrouver notre contenance et de poursuivre notre chemin en titubant, à la recherche du monde entier comme on danse. »

« Je me suis appuyée sur plusieurs ouvrages dans l'écriture de ce roman. En particulier, 1913: In Search of the World Before the Great War, de Charles Emmerson (non traduit en français), et Isadora : A Sensational Life, de Peter Kurth (non traduit en français). Mes remerciements tout particuliers à Mary Sano et à son Studio of Duncan Dancing à San Francisco, qui contribue à faire vivre la méthode d'Isadora avec beaucoup de sensibilité et de dévouement, et propose volontiers des leçons même aux plus empotées. »

Quatrième de couverture

Isadora Duncan est au sommet de sa carrière, quand, en 1913, ses deux enfants meurent à Paris dans un accident de voiture. Incapable de danser, et à la limite de la folie, elle entame alors un voyage en Méditerranée en quête d'une manière de se réinventer en tant que femme et en tant qu'artiste.

Avec ce roman biographique, féministe et psychologique d'une rare finesse, Amelia Gray dresse le portrait magistral de l'une des plus grandes artistes du xx siècle.

C'est flamboyant, c'est créatif, c'est cruel, terriblement ambitieux aussi, comme si l'écriture d'Amelia Gray collait parfaitement au rythme et aux mouvements de la danse d'Isadora.

Éditions de l'Ogre,  août 2022
570 pages
Traduit de l'américain par Nathalie Bru