dimanche 23 janvier 2022

La maison des Hollandais ★★★★☆ d'Ann Patchett

La Maison des Hollandais pourrait être la maison de tout un chacun. Elle inspire et donne des élans ; mais toute maison, tout lieu de convergence familiale, même bâti d'or et de lumière, ne conjugue, in fine, qu'avec les êtres qu'elle abrite. Les belles parures n'attendrissent pas nécessairement les cœurs. 
Un simulacre tout au plus. 
Nauséabond. Ici. Pour la mère de Maeve et Danny. 
L'amour a ses failles. Dans un bien triste fracas, la porte parfois se referme. 
Que j'ai aimé cette lecture. 
Elle embrasse la vie dans tous ses éclats. 
Conjuguer famille et aspiration personnelle n'est pas toujours compatible. Les états d'âme, les aspirations, les penchants sont propres à chacun. Alors quand,  dans l'arène familiale, l'équilibre fait défaut, cela peut parfois amener à la rupture. 
Quand la cellule familiale ne se drape plus de la douceur à laquelle elle pourrait par définition être assujettie, quoi de plus salvateur que de pouvoir compter sur l'amour d'une soeur, la bienveillance d'un frère.
J'ai aimé leur force. 
Leur optimisme, à tous les deux, m'a ému face à l'adversité (l'abandon, somme toute relatif mais l'abandon malgré tout, d'une mère, puis d'une belle-mère).
La haine est là, forcément, celle qu'ils entretiennent face à leur belle-mère, notamment. Mais avec, j'ai trouvé, si peu violence.
J'ai aimé ce lien fraternel qui unit Maeve et Danny. 
Danny raconte. Danny bouleverse. 
L'enfance. Tatouée dans nos cœurs. De son empreinte, à jamais elle nous marque. 
Danny raconte. Recrée cette famille désunie. Rebâtie ?
Un roman qui pour moi a gratté où il faut, comme il faut.
On se rend compte bien souvent trop tard de ses erreurs. C'est pourtant d'elles qu'on apprend. De celles des autres aussi. 
Bordel. Pourquoi faut-il que les mots arrivent trop tard ?
Se guérir des erreurs des autres, sans dispute, pour éviter l'aigreur. Le chemin n'est pas simple. 
Merci Ann Patchett !

« La Maison des Hollandais, comme on l'appelait à Elkins Park, à Jenkintown et Glenside, et jusqu'à Philadelphie, ne faisait pas référence à son architecture mais à ses habitants. La Maison des Hollandais étaient le lieu où ces Hollandais au nom imprononçable vivaient. Depuis certains postes d'observation lointains, elle semblait flotter à quelques centimètres au-dessus de la colline sur laquelle elle était construite. Les carreaux de verre entourant les portes vitrées à l'entrée étaient aussi grands que des vitrines, et fixés par des vignes en fer forgé. Le soleil se reflétait sur les fenêtres qui en renvoyaient les rayons sur l'immense pelouse. Elle était peut-être néoclassique, mais avec une simplicité dans les lignes qui l'apparentait plutôt au style méditerranéen ou français, et les manteaux de cheminée en faïence de Delft du salon, de la bibliothèque et de la chambre de maître avaient beau ne pas être hollandais d'origine, on disait qu'ils avaient été arrachés à un château à Utrecht et vendus aux VanHoebeek pour payer les dettes de jeu d'un prince. La maison, manteaux de cheminées compris, avait été achevée en 1922. »

« « Je considère le passé objectivement », a dit Maeve. Elle contemplait les arbres. 
« Mais on superpose le présent au passé. On regarde en arrière à travers le prisme de ce qu'on sait aujourd'hui, si bien qu'on ne considère pas le passé du point de vue de celui qu'on était, mais de celui qu'on est, ce qui veut dire que le passé a été radicalement modifié. » 
Maeve a aspiré une bouffée de cigarette et elle a souri. J'adore ! C'est ce qu'on t'apprend à la fac ?
- Introduction à la psychiatrie.
- Promets-moi de devenir psy. Ca nous serait tellement utile.»

« Cette nuit-là, dans le lit de ma soeur, j'ai fixé le plafond en ressentant pour de bon la disparition de notre père. Pas celle de son argent ni de sa maison, mais celle de l'homme à côté duquel je m'asseyais en voiture. Il m'avait tellement protégé du monde que j'ignorais totalement ce dont le monde était capable. Je ne m'étais jamais dit que lui aussi avait été enfant. Je ne lui avais jamais posé aucune question sur la guerre, et c'est au titre de père que je l'avais jugé. C'était irréparable, et ça s'ajoutait au catalogue des erreurs que j'avais commises. »

« Il y a peu d'occasions dans la vie où il arrive qu'on fasse un bond, et que le passé qui avait été notre socle s'écroule, tandis que l'avenir sur lequel on voudrait atterrir n'est pas encore en place. Pendant un moment, on demeure suspendu sans rien connaître, ni personne, pas même soi. C'est un présent d'une vivacité presque insupportable que j'ai expérimenté cet hiver-là, quand Maeve m'a emmené dans le Connecticut au volant de son Oldsmobile. Elle continuait à dire qu'elle voulait s'en débarrasser , mais nos souvenirs du passé étaient si rares. Le ciel était d'un bleu tranchant ; le soleil ricochait sur la neige ; tout nous aveuglait. On avait avoir tout perdu, on avait été heureux cet automne-là, dans son petit appartement. [...] le monde était en marche et on avait le sentiment que rien ne pourrait l'arrêter. »

Quatrième de couverture


Danny Conroy grandit dans une somptueuse demeure en banlieue de Philadelphie. Malgré un père distant et une mère partie sans laisser d’adresse, il peut compter sur l’affection de sa sœur adorée, Maeve, l’intelligence et la drôlerie incarnées. Unis par un amour indéfectible, ils vivent sous l’œil attentif des “Hollandais”, les premiers propriétaires de la maison, figés dans les cadres de leurs portraits à l’huile.

Jusqu’au jour où leur père leur présente Andrea, une femme plus intéressée par le faste de la bâtisse que par l’homme qui la possède. Ils ne le savent pas encore, mais pour Maeve et Danny c’est le début de la fin. Et une fois adultes, ils n’auront de cesse de revenir devant la Maison des Hollandais se heurter aux vitres d’un passé douloureux.

À travers le destin de ces deux quasi-orphelins, Ann Patchett tisse un roman subtil et pénétrant sur les liens filiaux et les lieux de l’enfance – qui tous nous hantent.

Éditions Actes Sud, janvier 2021
311 pages
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Hélène Frappat

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