jeudi 12 juillet 2018

La Chambre des époux ★★★☆☆ de Eric Reinhardt

Son roman « L'amour et la forêt » m'avait beaucoup plu.  « Cendrillon » m'était tombé des mains, et celui-ci, eh bien...je ne m'attendais pas à ça du tout. La quatrième de couverture était bien alléchante, et puis patatra, je referme ce livre en me demandant si j'ai bien tout compris ;-)

J'ai aimé le thème de ce roman gigogne : accompagner un être chère dans sa lutte contre la maladie grâce notamment à la musique. L'auteur fait l'éloge de l'amour, de la beauté et de l'art. Complètement d'accord avec la quatrième de couverture pour cela "Éric Reinhardt livre ici une saisissante méditation sur la puissance de la beauté, de l’art et de l'amour".
« Il faudrait toujours se comporter, quelles que soient les circonstances, de manière à devenir nostalgiques. C'est à dire produire de la beauté. Quelles que soient les circonstances, coûte que coûte, objectif obsessionnel, produire de la beauté. Même avec un cancer. Surtout avec un cancer. La beauté du présent, d'être ensemble, de se battre, de s'aimer. L'intensité et la rareté. Le cancer peut être vécu comme quelque chose de positif. Son traitement ouvre une période pendant laquelle on chemine vers une libération. »
C'est l'histoire dans l'histoire qui m'a gênée, m'a perdue à plusieurs reprises, et a interrompu le charme qui naissait, renaissait pourtant. 
C'est dommage. 
A relire donc pour moi, plus tard, après avoir pris le temps d'écouter l'auteur parler de son roman afin de mieux comprendre ses choix. 
Faites-vous votre propre avis...les 176 pages de ce roman se lisent très vite.
« Décider d'être deux plutôt que seul, fusionner et être plus fort et plus intelligent, plus enjoué, plus déterminé, plus patient, plus réfléchi, plus résistant, plus ingénieux, plus perspicace sur le chemin de sa vie parce qu'on est deux, parce qu'on a choisi d'emprunter à deux le même chemin tout en gardant ses rêves à soi et des visées distinctes, c'est une façon comme une autre, je crois, de concevoir l'amour, peut-être aussi la plus belle, peut-être même la seule en réalité. »

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« Porté par élan inouï. Rien ne pouvait m'arrêter. Elle m'a donné la force d'écrire. Je lui ai donné la force de guérir. Elle a été ma force et j'ai été la sienne. C'est l'expérience la plus hallucinante qui j'ai jamais vécue.
Si j'étais redescendu un jour en lui disant, Je n'y arrive pas, j'abandonne, c'est impossible d'écrire dans ces conditions, j'aurais eu peur qu'on s'engage dans une voie périlleuse où nous accepterions de nous laisse dominer par les circonstances de la vie.
L'amour et une proximité urgente, entière, incandescente, qui donne un prix inestimable à chaque instant.
(Je crois que rien n'est plus fort dans la vie que le plaisir anticipé de retrouver sa bien-aimée à la fin de la journée, et de laisser ce plaisir-là innerver d'une sorte d'orgasme doux, diffus, qui part du ventre, les heures que l'on passe sous l'emprise de cette attente - et quand on a la chance de connaître ça on n'a besoin de rien d'autre que d'eau fraîche, c'est bien vrai.) »
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Quatrième de couverture

Nicolas, une quarantaine d’années, est compositeur de musique. Un jour, sa femme Mathilde apprend qu’elle est atteinte d’un grave cancer du sein qui nécessite une intense chimiothérapie. Alors que Nicolas s’apprête à laisser son travail en plan pour s’occuper d’elle, Mathilde l’exhorte à terminer la symphonie qu’il a commencée. Elle lui dit qu’elle a besoin d’inscrire ses forces dans un combat conjoint. Nicolas, transfiguré par cet enjeu vital, joue chaque soir à Mathilde, au piano, dans leur chambre à coucher, la chambre des époux, la symphonie qu’il écrit pour l’aider à guérir. 
S’inspirant de ce qu’il a lui-même vécu avec son épouse pendant qu’il écrivait son roman Cendrillon voilà dix ans, Éric Reinhardt livre ici une saisissante méditation sur la puissance de la beauté, de l’art et de l'amour, qui peuvent littéralement sauver des vies.


Editions Grasset, août 2017
176 pages

Le lecteur de cadavres ★★★★★♥ d'Antonio Garrido

Superbe ouvrage ! 
Une épopée fascinante dans la Chine médiévale et exotique, inspirée d'un personnage réel : la vie extraordinaire d'un homme du Moyen Âge asiatique, du premier médecin légiste de l'histoire : le Chinois Song Ci.
Absolument captivant ! Mais comment ai-je pu passer à côté de cette pépite ?

Un roman historique, un roman d'amour et d'aventures, un très bon polar ...cet ouvrage est tout cela à la fois. Un immense régal !

Un grand merci à l'auteur pour ces notes en fin d'opus, des notes très intéressantes et passionnantes. Il nous explique comment il en est arrivé à composer ce chef d'oeuvre (c'est mon avis ;-)) et comment il s'y est pris. Il évoque les cinq volumes du traité légiste, le Xi Yuan Ji Lu publié en 1247, un ouvrage dense et minutieusement structuré qui lui a permis de construire cette passionnante histoire, absolument fidèle à la réalité.
Si tout comme moi, vous aviez manqué ce roman, foncez, vous allez vous régaler !

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« Il disposa les jattes en veillant à ce qu'elles forment un nombre de pair, et dirigea le bec de la théière vers la fenêtre de façon qu'il ne vise aucun des convives. Il plaça au centre le vin de riz, la bouillie et, à côté, les croquettes de carpe. Il regarda la cuisine noircie par le charbon et l'évier fendillé. Cela ressemblait davantage à une forge délabrée qu'à un logis.
Il sentit l'aiguillon du désir parcourir son corps. Cela faisait longtemps qu'il ne s'était pas étendu auprès d'une fleur.
Ainsi tu veux savoir à quoi se consacre une nüshi...Au lieu de jouer, j'ai appris à embrasser à lécher. Au lieu de rire, j'ai appris à donner du plaisir.
Peut-être existe-t-il vraiment d'infinies façons de mourir. Mais ce dont je suis sûr, c'est qu'il n'y a qu'une façon de vivre. »

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Quatrième de couverture

Inspiré d’un personnage réel, Le lecteur de cadavres nous plonge dans la Chine Impériale du XIIIe siècle et nous relate l’extraordinaire histoire de Ci Song, un jeune garçon d’origine modeste sur lequel le destin semble s’acharner. Après la mort de ses parents, l’incendie de sa maison et l’arrestation de son frère, il est contraint de fuir son village avec sa petite sœur malade.
Ci se retrouve dans les quartiers populaires de Lin’an, la capitale de l’Empire. où la vie ne vaut pas grand-chose. Il devient un des meilleurs fossoyeurs des « champs de la mort », puis, grâce à son formidable talent pour expliquer les causes d’un décès, il est accepté à la prestigieuse Académie Ming.
L’écho de ses exploits parvient aux oreilles de l’Empereur. Celui-ci le convoque pour enquêter sur une série d’assassinats qui menacent la paix impériale. S’il réussit, il entrera au sein du Conseil du Châtiment, s’il échoue : c’est la mort.
C’est ainsi que Ci Song, le lecteur de cadavres, devint le premier médecin légiste de tous les temps.
Un best-seller captivant et richement documenté où, dans la Chine opulente et exotique de l’époque médiévale, la haine et l’ambition se côtoient, comme l’amour et la mort.

Editions Grasset, 2014

755 pages
Prix international du roman historique 2012

Promets-moi d'être heureux ★★★★☆ de Célestin Robaglia


Un premier roman très agréable à lire, une écriture fluide, une jolie histoire sur la sobriété heureuse, un bel éloge à dame nature ; Bravo Célestin Robaglia, de partager avec nous cette histoire, bravo pour votre parcours personnel et merci. 
Un grand merci également à Babelio et aux éditions SOLAR pour ce très beau moment de lecture. 
En pleine période de doute, de questionnement, de vide, de moins bien ... cette reconnexion à la nature m'a fait le plus grand bien. 
Aucun druide pour ma part au fond de mon jardin pour m'aider à trouver des solutions, mais quelques outils (se défaire de nos à priori, de nos croyances, faire confiance à notre intuition,  renouer avec nos rêves, avec la nature, s'entraider...) libératoires à présent grâce à vous Célestin, et à votre roman. 
"Promets-moi d'être heureux"... une promesse qui ne devrait jamais nous quitter et nous permettre ainsi de savourer au mieux l'instant, vivre en harmonie avec soi, danser pied-nu (et ben oui pourquoi pas ;-)), s'affranchir de toute contrainte matérielle, vivre pleinement pour soi et avec les autres, savoir se réinventer...
MERCI. 
« La vraie source du bonheur est là, ici et maintenant, unique instant d’éternité que chaque être peut découvrir au fond de lui-même et que seule la sagesse du corps libéré du mental peut appréhender. »
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« L'existence est le plus grand miracle qui soit, et les gens passent leur temps à la fuir.
Comme les autres, je descends. Comme tout le monde. Comme toujours.
Ce n'est pas rentable, la nature. Elle ne parle pas, elle se tait, elle se laisse faire. Vous pouvez déverser un pétrolier dans la Manche, bourre ses entrailles de déchets radioactifs, elle ne dira rien, et les quelques humains qui se sentent concernés n'ont rien d'autre que leurs larmes à opposer aux sociétés cyclopéennes et à leurs firmes de lawyers. Dans notre monde, l'argent est tout-puissant. Il permet tout, et justifie donc tous les moyens pour être acquis : la misère, la faim, la destruction même de notre planète... 
... le seul espoir qui me reste, le seul que je me permets : celui que la nature survive après l'inévitable cataclysme qui emportera les humains une fois qu'ils auront pollué la dernière source, transformé le dernier arbre en papier, consumé la dernière goutte de pétrole.
C'est la promesse de l'aube, qui porte en elle cet espoir fou que rien n'est joué et qu'il ne tient qu'à nous de décider de tout changer.
La coopération est une des grandes lois de la nature, et il est grand temps que l'être humain se le rappelle.
Le disque solaire pointe soudain à l'horizon, étirant sur les champs de blé sa lumière rosée.
...pour trancher entre deux impossibles, j'ai choisi de me couper de toute rationalité, de me laisser emporter dans une inconscience euphorique, laissant de côté mes doutes en me réfugiant dans la vague idée [...] que tout se résoudrait naturellement en temps voulu.
Ton chemin n’est pas le mien, ni celui de quelqu’un d’autre. Ta vie est unique, et toi seul a le pouvoir de choisir comment être heureux et ce que tu feras pour y parvenir… La voix de ton cœur est la seule qui puisse te guider de manière infaillible.
Se préparer au malheur, c'est le vivre deux fois.
Observe chaque croyance que tu as, sur la vie, l’amour, l’argent ou la mort, par exemple, et demande-toi : « Cette croyance me rend-elle heureux ? » Si ce n’est pas le cas, change immédiatement de croyance.
On aime prendre le rôle de victime, car ça permet d'évacuer momentanément son mal-être par la plainte, mais je te dis ceci : choisir d'être victime, c'est abdiquer son pouvoir.
Le chemin du bonheur n'a rien avoir avec le chemin de la justice. [...] si j'estime être à chaque instant le créateur de ma réalité, je m'offre l'opportunité de la changer quand le résultat que je vis ne me convient pas. Tu peux mettre autant d'énergie que tu veux à te plaindre, ça ne te rendra pas ta maison, mais tu peux reprendre ton pouvoir, utiliser cette énergie à trouver une issue positive, et le vent pourra alors soulever des montagnes.
La peur empêche essentiellement de profiter du moment présent. »
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Quatrième de couverture

Maintenant, promets-moi d'être heureux, lui souffle Clara dans son rêve... 

Désabusé par la vie, Gabriel a renoncé à ses rêves de changer le monde. À 27 ans, il est enlisé dans sa routine parisienne et partage son quotidien avec son cousin Noé, un rêveur asocial. La vie de Gabriel bascule lorsqu'il se retrouve sans préavis tuteur d'Aziliz, sa nièce de dix ans. Avec une sagesse déconcertante, Aziliz remet en cause le simulacre de vie qu'il mène avec Noé et le pousse à écouter ses désirs enfouis. Gabriel se rappelle alors la promesse qu'il a faite à sa sœur, Clara, lors d'un rêve étrange. Poussé par cet engagement, il décide de tout plaquer. Sans projet ni point de chute, il part avec Aziliz et Noé direction la Bretagne, avec un seul rêve : trouver un lieu où ils pourront vivre en symbiose avec la nature. Pour Gabriel, c'est le début d'un cheminement personnel. Au contact de l'essence vibratoire de la forêt, il se reconnecte à sa propre nature et apprend à cultiver les bonheurs simples de la vie. Cette histoire poignante, au cœur de la forêt bretonne, promet de vous relier à la nature. Toute la magie de la sobriété heureuse pour vivre en harmonie avec soi...

Editions SOLAR, juin 2018
293 pages





Pour en savoir un peu plus sur l'auteur et son parcours de vie, c'est par ici.

dimanche 8 juillet 2018

Mets le feu et tire-toi ★★★★☆ de James McBride

« [...] dans le Comté de Barnwell, juste de l'autre côté de la frontière de la Caroline du Sud, là où James Brown est né, et là où il résidait quand il est mort, on n'a pas de doutes sur qui il était. Là-bas, il n'est pas qu'une sorte de fluide, mais bien quelque chose qui vit et qui respire. [...] se rendre dans la ville natale de quelqu'un pour y entendre encore le rire et la fierté. On aime James Brown à Barnwell. Les gens ne veulent pas voir le chaos de sa vie; ils se fichent pas mal de ces charognards d'avocaillons qui se sont précipités pour nettoyer la carcasse, comme de ses enfants qui se battent pour avoir les millions que Brown a légués aux pauvres au lieu de les leur laisser à eux. Le mal, ils l'ont assez vu dans leurs propres vies, et cela, depuis des générations, suffisamment pour remplir leur propre recueil d'histoires tristes. Alors pourquoi parler de ça ? Riez et soyez heureux dans l'amour du Seigneur ! James Brown avait atteint les sommets quand il est mort. L'homme blanc peut bien dire tout ce qu'il veut. Note ça dans ton petit carnet, mon gars : on s'en fiche. Nous on sait qui était James Brown. Il était des nôtres.Maintenant il dort avec le seigneur. Il est dans de bonnes mains ! Bon, allez, reprends un morceau de tarte...»
Une enquête biographique absolument fascinante ! 
James McBride nous fait entrer de plein pied dans l'univers chaotique et bouillonnant du roi de la Soul James Brown, "Mr Dynamite", l'icône de l'Amérique noire.
« Ne les laissez jamais voir que vous transpirez. Arrivez comme quelqu'un d'important. Repartez comme quelqu'un d'important. »
Bien plus qu'une biographie pour les fans de James Brown et de musique (de très belles pages consacrés à la musique funk, jazz, gospel...), cet ouvrage est une mine d'informations sur l'Histoire de la Caroline du Sud, sur le passé esclavagiste du Sud des Etats-Unis et nous donne les outils pour mieux comprendre le milieu dans lequel James Brown a grandi, évolué et est devenu l'homme qu'il fût.
« Un homme qui porte sur ses épaules l'histoire agitée de tout un peuple, un orchestre de vingt-quatre musiciens, une maison de disques et trois stations de radio pour faire bonne mesure, ne peut pas trouver la paix. » 
Cet opus est très dense, il foisonne de détails historiques. Je retiendrai notamment le passage émouvant (chapitre 6 : L'Adieu à la Terre) sur l'histoire de la ville d'Ellenton, Caroline du Sud, qui a vu ses habitants "disparaître" pour laisser le champ libre à la Nation et à son usine de bombes. 

L'auteur évoque comment fonctionne l'histoire de la musique en Amérique, comment ce monde de la musique, associé à celui de la politique, a façonné James Brown; il dénonce d'ailleurs les nombreuses fictions qui ne dévoilent rien du véritable reflet de l'âme tourmentée qui l'habitait sous la coiffure pompadour.
« Le monde du spectacle et la politique ont plus de points communs que la plupart des gens ne s'en rendent compte. À chaque fois que je vais à Los Angeles, je suis frappé par les ressemblances entre Hollywood et Washington : l'argent. Le pouvoir. L'influence. Le sexe. Les scandales. Les fêtes et les réceptions. La fausseté. Les airs qu'on se donne. La communication en tant qu'aphrodisiaque. La seule différence, semble-t-il, c'est qu'à L.A., les gens sont plus beaux, et qu'à Washington, ils vous font les poches tout en saluant le drapeau de l'autre. Mais les ingrédients de base sont les mêmes : les affaires et le pouvoir. »
Une plume incisive, cinglante, caustique. James McBride n'y va pas avec le dos de la cuillère pour nous parler de ce monument, de son histoire intimement liée à celle de son pays. 
« Pour lui [James Brown], rien n'arrivait dans ce monde - le soleil ne se levait pas, la lune ne croissait pas, les feux rouges ne passaient pas au vert - sans la confirmation des Blancs. La vision que l'homme blanc avait de l'histoire, le rire de l'homme blanc, son argent, son industrie du disque étaient tout ce qui comptait. Si vous ne comprenez pas cela, vous ne pouvez pas comprendre James Brown, ni le monde qui l'a engendré, ni le monde qui allait un jour oublier son histoire pour ne plus s'intéresser qu'à son argent. »
James McBride nous donne à voir une Amérique dans toute sa contradiction, suscitant autant la fascination que le mépris. 
Découvert avec L'Oiseau du Bon Dieu, c'est avec grand plaisir que j'ai retrouvé sa plume efficace et enlevée, empreinte d' humour et de poésie.

Un très bon moment de lecture !
« La musique vient toujours du même endroit : de la douleur, de la souffrance, de la joie, de la vie. »
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« « Si vous attendez que l'homme blanc soit parti pour les interroger sur cet espace, celui qui sépare les Blancs des Noirs en Caroline du Sud, les Noirs vous répondront, "Oh, c'est rien du tout. M.Untel est mon ami. Ça fait quarante ans que je le connais. On s'entend tous bien ici." Ce n'est que le soir, quand ils sont chez eux, quand les lumières sont baissées, une fois qu'ils ont fait leurs prières, qu'ils ont fini de chanter, que la télé est éteinte, que le vin se met à couler et que les langues commencent à se délier, une fois qu'ils sont en sûreté dans leur maison et en famille, que le discours change, et alors le bruissement n'est plus un bruissement. C'est un cyclone rugissant d'une fureur mêlée de dégoût et de quatre cents ans d'amertume refoulée.»
Brown était l'enfant d'un pays de dissimulation : le Sud des Etats-Unis.Aux Etats-Unis, il n'y a pas d'endroit comparable au Sud; il n'y a pas d'endroit plus difficile à comprendre réellement ou à appréhender complètement. Aucun livre ne peut cerner cet homme parce qu'il vient d'un pays qu'aucun livre ne peut expliquer, un pays façonné par tout un passé d'esclavage, d'oppression et de malentendus...Le Sud est tout simplement une énigme. C'est comme la mère de famille, charmante et fidèle qui, après avoir vu pendant quarante ans son mari vautré sur le canapé pour regarder le match de football du dimanche après-midi, laisse soudainement échappé "En fait, je n'ai jamais aimé ton père", prend un couteau et met un terme définitif à la saison de football de son bonhomme. Vouloir lever le voile sur l'essence du raisonnement qui sous-tend un tel acte, c'est comme vouloir toucher le soleil avec la main : à quoi bon essayer ? On ne peut pas comprendre James Brown si on ne comprend pas que le pays dont il est issu est un pays de masque. [...] Ce pays des mirages produit des individus dont le talent et la popularité sont proprement stupéfiants - Oprah Winfrey en est un exemple parfait.
Personne en Amérique n'est plus conscient du pouvoir des gens du Sud que les Noirs qui vivent au milieu d'eux. Il y a un vieux dicton qui vient du temps de l'esclavage : "Viens ici, va là-bas, te fais pas remarquer", et les descendants de ces esclaves sont des experts dans ce domaine. Ils font tout ce qui doit être fait, ils disent tout ce qui doit être dit, puis ils filent vers la sortie pour échapper à la méchanceté des Blancs...
Est-ce que les Blancs ont demandé à Fred Astaire ou Elvis Presley de parler au nom des leurs quand ils sont devenus des stars, eux ?
Si le rêve d'un homme peut monter comme une fusée dans le ciel pour y étinceler avec l'intensité d'un millier d'étoiles, puis mourir avec le grésillement d'une goutte d'eau qui éteint une allumette, alors c'est ici que se termine l'histoire de James Brown. Vous pouvez la trouver enterrée à l'ombre d'un joli buisson de houx au bord d'une allée sinueuse dans le cimetière de Toccoa, sous une pierre tombale portant l'inscription : TEDDY LEWIS BROWN, 1954-1973.
... le succès, c'est réussir tel que vous êtes, et non pas changer ce que vous êtes pour réussir. »
 Allez un dernier petit passage en image :

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Quatrième de couverture

« Au cours de ses quarante-cinq ans de carrière, James Brown a vendu plus de deux cents millions de disques, il a enregistré trois cent vingt et un albums, dont seize ont été des hits, il a écrit huit cent trente-deux chansons et a reçu quarante-cinq disques d’or. Il a révolutionné la musique américaine. Il était extraordinairement talentueux. Un danseur génial. Un spectacle à lui tout seul. Un homme qui aimait rire. Un drogué, un emmerdeur. Un type qui avait le chic pour s’attirer des ennuis. Un homme qui échappait à toute tentative de description. La raison ? Brown était l’enfant d’un pays de dissimulation : le Sud des États-Unis. »

Jazzman et romancier, lauréat du National Book Award, James McBride se lance sur les traces d’une icône de la musique américaine. De rencontres en entretiens, il nous offre un tableau magistral de l’univers de James Brown et nous livre une vision troublante de la société américaine actuelle.

Editions Gallmeister, juin 2017
316 pages
Traduit de l'américain par François Happe
Edition originale Kill'em and leave, 2016


Du même auteur sur ce blog:

Vie de David Hockney ★★★★☆ de Catherine Cusset

Absolument captivant !

Comment cet homme David Hockney, issu de la classe populaire anglaise en 1937,  est-il devenu David Hockney, immense icône du popart et de l'hyperréalisme ? Catherine Cusset retrace la vie fascinante de ce peintre, marié à son art, passionné de littérature, amoureux de la vie. Elle nous embarque littéralement, de Londres à Los Angeles, en passant par New-York, d'un pan de la vie d'Hockney à un autre, d'une manière si fluide, élégante et intelligente, que j'ai eu l'impression de vivre au côté de l'artiste pendant toute ma lecture, de partager ses doutes, ses questionnements, ses déchirements amoureux, de vibrer à ses côtés, d'être libre...j'ai traversé les années sida, subi les diktats des critiques d'art, j'ai côtoyé Picasso, j'ai eu envie de relire Proust, de découvrir L'adieu à Berlin de Christopher Isherwood , de lire Whitman et Cavafy. 

À l'image de l'oeuvre de David Hockney, cet ouvrage a une âme, il est pétillant, "croustillant", coloré; il évoque la vie, la mort, l'amitié, l'amour, le travail, la nature, les excès liés à la célébrité, les joies et les peines, l'art...la liberté de vivre, de penser et de créer. Un beau et intense patchwork d'émotions, de sensations. Un beau et chaotique parcours de vie qui sonne juste, c'est d'ailleurs surprenant de lire que l'auteure n'a jamais rencontré David Hockney, qu'elle a imaginé les sentiments de l'artiste...
Fabuleux portrait ! Merci Catherine Cusset !

« La vie vous faisait encore des cadeaux à quarante-cinq ans. Il suffisait e garder l'esprit ludique et d'oser : oser hurler de plaisir et de peur, oser dire qu'on aimait Disneyland, oser manger des barbes à papa, oser suivre son envie du moment, oser détruire son travail, oser essayer quelque chose  de nouveau, jouer, faire tout ce que les adultes ne s'autorisaient pas. Rester connecté avec l'enfant en soi.»
« Il ne cherchait plus à dominer la nature du regard : il avait appris à la regarder d'en bas, humblement, et à se fondre en elle en oubliant son ego, comme avalé par les buissons d'aubépine.»


David Hockney - Two Boys Aged 23 or 24, 1966
A Bigger Splash, David Hockney, 1967
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« Il n'y avait rien de plus important que le désir et l'amour. Il fallait contourner l'interdit, le représenter en images comme Whitman et Cavafy l'avaient fait en mots. Personne ne pouvait l'y autoriser - aucun professeur, aucun autre artiste. Cela devait être sa décision, sa création, l'exercice de sa liberté.
C'était cela, la vie de bohème dont les récits d'Adrian et de Mark l'avaient fait rêver : ne pas avoir peur d'être soi-même  quand on était différent. La tolérance était la vertu de ceux que la norme sociale et la réprobation morale avaient contraints à se cacher alors qu'ils ne nuisaient à personne.
... les longues heures passées à filer vers l'Ouest dans sa Triumph décapotable en écoutant de la musique, la tête vide ou pleine de pensées, tout en traversant les vastes espaces. À la tombée du jour le ciel, telle une gigantesque toile, se couvrait d'oranges et de roses aussi vifs et brillants que des néons électriques. Même les routes désertes où il ne croisait que quelques rares camions, la vitesse était limitée à quatre-vingt-dix. Au bout du compte c'était l'allure idéale pour contempler le violet des montagnes, le rose du ciel, et cette immensité de vide tout autour.
«Peins ce qui compte pour toi.» [...] Il ne peindrait pas un portrait, mais son rêve.
Le bonheur était possible. David l'éprouvait chaque matin en se réveillant auprès de son amant, en s'installant devant son chevalet, en sentant l'odeur des eucalyptus après la pluie, en emplissant ses poumons de la fragrance du jasmin et de l'air salé du Pacifique, en retrouvant Peter pour  dîner. Le bonheur, contrairement à ce qu'affirmaient les romantiques, n'était pas incompatible avec la création, qui ne naissait pas nécessairement du manque, mais aussi de la plénitude. La décision qu'il avait prise cinq ans plus tôt de venir à Los Angeles alors qu'il ne conduisait pas, cette décision absurde selon ses amis new-yorkais, avait été la meilleure de sa vie.
Il n'y avait pas une once de tristesse dans cette extraordinaire bacchanale. Il était remonté du fond d'un abîme et se tenait maintenant au bord de la vie. Littéralement. Alors qu'il contemplait, assis sur la pelouse et bien éméché, le soleil qui descendait lentement sur les collines du Sussex, il ne ressentit qu'amour et gratitude pour un monde qui offrait un si beau spectacle. 
[...] un poème de Wallace Stevens inspiré par un tableau de Picasso. Le poème était très long, composé de trente-trois strophes qui, lues par la voix grave de Henry, berçaient David et le transportaient très loin de l'île du plaisir et du fracas des plongeons. La première strophe l'avait particulièrement frappé : «Ils lui dirent : "Ta guitare est bleue. Tu ne joues pas / Pas les choses comme elles sont." / Il rétorqua : "Les choses comme elles sont / changent quand on joue sur une guitare bleue." » D'autres vers retinrent son attention : «Je ne peux pas présenter un monde vraiment rond / même si je le rapièce comme je peux.» Ou bien : « La couleur est une pensée qui grandit / à partir d'une humeur ...» Et la fin était très belle : « De jour nous oublierons, sauf quand / nous choisirons de jouer / Le pin imaginé, le geai imaginé.»[...] La guitare bleue, ce que ces parents n'avaient pas, ce dont l'absence rendait leur vie sinistre. David avait reçu une guitare bleue à la naissance - le pouvoir d'imaginer et de « rapiécer » le monde. 





The Man with the Blue Guitar by Wallace Stevens, c'est par ici.




L'article ... Un assassinat.... la bêtise des critiques et de l'abîme qui les séparait des créateurs. Bien sûr qu'ils boudaient la notion de plaisir : prématurément aigris, sans autre talent que de dénigrer, ils haïssaient le succès, sauf celui qu'ils avaient artificiellement créé avec leurs mots pompeux !
Quand il était enfant, il n'avait pas assez de papier pour dessiner ; maintenant qu'il avait acquis la notoriété, lui manquait le vide d'où naissait la peinture. 
...le plaisir, dans le travail comme dans la vie, était l'unique boussole.
La conversation qu'il n'avait jamais eu avec son père n'aurait plus jamais lieu. Le mot «jamais» prenait un nouveau sens : il ne concernait pas le passé mais était ouvert sur l'avenir et englobait l'éternité. 
Il fallait être patient et avoir confiance. Le sentiment d'échec faisait partie du processus de création.
Seul un enfant regardait le monde ainsi, sans se laisser distraire par les stupides préoccupations des adultes. Seul un enfant observait les fourmis qui ramassaient les miettes, les coccinelles, les gouttes d'eau tombant sur les feuilles, les flaques et les cailloux. [...] David, avec lui, se sentait à la fois comme un père et comme un enfant. »
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Quatrième de couverture

«Peut-être n’éprouverait-il plus jamais de passion comme celle qu’il avait sentie pour Peter, peut-être n’y aurait-il plus d’union parfaite, mais il restait la perfection de l’amitié, la beauté des cyprès sur les collines et la joie que donnait le travail. Et s’il oubliait Peter, s’il réussissait à vivre sans lui, ce dernier ne reviendrait-il pas? Personne n’était attiré par la tristesse et la mélancolie. Mais par la gaieté, la force, le bonheur, oui.» 

Né en 1937 dans une petite ville du nord de l’Angleterre, David Hockney a dû se battre pour devenir un artiste. Il a vécu entre Londres et Los Angeles, traversé les années sida et secoué le monde de l’art avec une vitalité et une liberté que n'ont entamées ni les chagrins amoureux, ni la maladie, ni les conflits, ni le deuil. Sous la plume incisive de Catherine Cusset, ce livre à mi-chemin du roman et de la biographie dresse un portrait intime, émouvant, habité, du peintre anglais vivant le plus connu.

Editions Gallimard, collection Blanche,  janvier 2018
181 pages
Prix Anaïs-Nin 2018




« Pourquoi Hockney ? Je ne l'ai pas rencontré. Il est étrange de s'emparer de la vie de quelqu'un de vivant pour en faire un roman. Mais c'est plutôt lui qui s'est emparé de moi. Ce que j'ai lu sur lui m'a passionnée. Sa liberté m'a fascinée. J'ai eu envie de transformer une matière documentaire qui laissait le lecteur à l'extérieur en un récit qui éclairerait son trajet de l'intérieur en s'en tenant aux questions essentielles, celles qui nouent l'amour, la création, la vie et la mort. »