dimanche 8 juillet 2018

Mets le feu et tire-toi ★★★★☆ de James McBride

« [...] dans le Comté de Barnwell, juste de l'autre côté de la frontière de la Caroline du Sud, là où James Brown est né, et là où il résidait quand il est mort, on n'a pas de doutes sur qui il était. Là-bas, il n'est pas qu'une sorte de fluide, mais bien quelque chose qui vit et qui respire. [...] se rendre dans la ville natale de quelqu'un pour y entendre encore le rire et la fierté. On aime James Brown à Barnwell. Les gens ne veulent pas voir le chaos de sa vie; ils se fichent pas mal de ces charognards d'avocaillons qui se sont précipités pour nettoyer la carcasse, comme de ses enfants qui se battent pour avoir les millions que Brown a légués aux pauvres au lieu de les leur laisser à eux. Le mal, ils l'ont assez vu dans leurs propres vies, et cela, depuis des générations, suffisamment pour remplir leur propre recueil d'histoires tristes. Alors pourquoi parler de ça ? Riez et soyez heureux dans l'amour du Seigneur ! James Brown avait atteint les sommets quand il est mort. L'homme blanc peut bien dire tout ce qu'il veut. Note ça dans ton petit carnet, mon gars : on s'en fiche. Nous on sait qui était James Brown. Il était des nôtres.Maintenant il dort avec le seigneur. Il est dans de bonnes mains ! Bon, allez, reprends un morceau de tarte...»
Une enquête biographique absolument fascinante ! 
James McBride nous fait entrer de plein pied dans l'univers chaotique et bouillonnant du roi de la Soul James Brown, "Mr Dynamite", l'icône de l'Amérique noire.
« Ne les laissez jamais voir que vous transpirez. Arrivez comme quelqu'un d'important. Repartez comme quelqu'un d'important. »
Bien plus qu'une biographie pour les fans de James Brown et de musique (de très belles pages consacrés à la musique funk, jazz, gospel...), cet ouvrage est une mine d'informations sur l'Histoire de la Caroline du Sud, sur le passé esclavagiste du Sud des Etats-Unis et nous donne les outils pour mieux comprendre le milieu dans lequel James Brown a grandi, évolué et est devenu l'homme qu'il fût.
« Un homme qui porte sur ses épaules l'histoire agitée de tout un peuple, un orchestre de vingt-quatre musiciens, une maison de disques et trois stations de radio pour faire bonne mesure, ne peut pas trouver la paix. » 
Cet opus est très dense, il foisonne de détails historiques. Je retiendrai notamment le passage émouvant (chapitre 6 : L'Adieu à la Terre) sur l'histoire de la ville d'Ellenton, Caroline du Sud, qui a vu ses habitants "disparaître" pour laisser le champ libre à la Nation et à son usine de bombes. 

L'auteur évoque comment fonctionne l'histoire de la musique en Amérique, comment ce monde de la musique, associé à celui de la politique, a façonné James Brown; il dénonce d'ailleurs les nombreuses fictions qui ne dévoilent rien du véritable reflet de l'âme tourmentée qui l'habitait sous la coiffure pompadour.
« Le monde du spectacle et la politique ont plus de points communs que la plupart des gens ne s'en rendent compte. À chaque fois que je vais à Los Angeles, je suis frappé par les ressemblances entre Hollywood et Washington : l'argent. Le pouvoir. L'influence. Le sexe. Les scandales. Les fêtes et les réceptions. La fausseté. Les airs qu'on se donne. La communication en tant qu'aphrodisiaque. La seule différence, semble-t-il, c'est qu'à L.A., les gens sont plus beaux, et qu'à Washington, ils vous font les poches tout en saluant le drapeau de l'autre. Mais les ingrédients de base sont les mêmes : les affaires et le pouvoir. »
Une plume incisive, cinglante, caustique. James McBride n'y va pas avec le dos de la cuillère pour nous parler de ce monument, de son histoire intimement liée à celle de son pays. 
« Pour lui [James Brown], rien n'arrivait dans ce monde - le soleil ne se levait pas, la lune ne croissait pas, les feux rouges ne passaient pas au vert - sans la confirmation des Blancs. La vision que l'homme blanc avait de l'histoire, le rire de l'homme blanc, son argent, son industrie du disque étaient tout ce qui comptait. Si vous ne comprenez pas cela, vous ne pouvez pas comprendre James Brown, ni le monde qui l'a engendré, ni le monde qui allait un jour oublier son histoire pour ne plus s'intéresser qu'à son argent. »
James McBride nous donne à voir une Amérique dans toute sa contradiction, suscitant autant la fascination que le mépris. 
Découvert avec L'Oiseau du Bon Dieu, c'est avec grand plaisir que j'ai retrouvé sa plume efficace et enlevée, empreinte d' humour et de poésie.

Un très bon moment de lecture !
« La musique vient toujours du même endroit : de la douleur, de la souffrance, de la joie, de la vie. »
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« « Si vous attendez que l'homme blanc soit parti pour les interroger sur cet espace, celui qui sépare les Blancs des Noirs en Caroline du Sud, les Noirs vous répondront, "Oh, c'est rien du tout. M.Untel est mon ami. Ça fait quarante ans que je le connais. On s'entend tous bien ici." Ce n'est que le soir, quand ils sont chez eux, quand les lumières sont baissées, une fois qu'ils ont fait leurs prières, qu'ils ont fini de chanter, que la télé est éteinte, que le vin se met à couler et que les langues commencent à se délier, une fois qu'ils sont en sûreté dans leur maison et en famille, que le discours change, et alors le bruissement n'est plus un bruissement. C'est un cyclone rugissant d'une fureur mêlée de dégoût et de quatre cents ans d'amertume refoulée.»
Brown était l'enfant d'un pays de dissimulation : le Sud des Etats-Unis.Aux Etats-Unis, il n'y a pas d'endroit comparable au Sud; il n'y a pas d'endroit plus difficile à comprendre réellement ou à appréhender complètement. Aucun livre ne peut cerner cet homme parce qu'il vient d'un pays qu'aucun livre ne peut expliquer, un pays façonné par tout un passé d'esclavage, d'oppression et de malentendus...Le Sud est tout simplement une énigme. C'est comme la mère de famille, charmante et fidèle qui, après avoir vu pendant quarante ans son mari vautré sur le canapé pour regarder le match de football du dimanche après-midi, laisse soudainement échappé "En fait, je n'ai jamais aimé ton père", prend un couteau et met un terme définitif à la saison de football de son bonhomme. Vouloir lever le voile sur l'essence du raisonnement qui sous-tend un tel acte, c'est comme vouloir toucher le soleil avec la main : à quoi bon essayer ? On ne peut pas comprendre James Brown si on ne comprend pas que le pays dont il est issu est un pays de masque. [...] Ce pays des mirages produit des individus dont le talent et la popularité sont proprement stupéfiants - Oprah Winfrey en est un exemple parfait.
Personne en Amérique n'est plus conscient du pouvoir des gens du Sud que les Noirs qui vivent au milieu d'eux. Il y a un vieux dicton qui vient du temps de l'esclavage : "Viens ici, va là-bas, te fais pas remarquer", et les descendants de ces esclaves sont des experts dans ce domaine. Ils font tout ce qui doit être fait, ils disent tout ce qui doit être dit, puis ils filent vers la sortie pour échapper à la méchanceté des Blancs...
Est-ce que les Blancs ont demandé à Fred Astaire ou Elvis Presley de parler au nom des leurs quand ils sont devenus des stars, eux ?
Si le rêve d'un homme peut monter comme une fusée dans le ciel pour y étinceler avec l'intensité d'un millier d'étoiles, puis mourir avec le grésillement d'une goutte d'eau qui éteint une allumette, alors c'est ici que se termine l'histoire de James Brown. Vous pouvez la trouver enterrée à l'ombre d'un joli buisson de houx au bord d'une allée sinueuse dans le cimetière de Toccoa, sous une pierre tombale portant l'inscription : TEDDY LEWIS BROWN, 1954-1973.
... le succès, c'est réussir tel que vous êtes, et non pas changer ce que vous êtes pour réussir. »
 Allez un dernier petit passage en image :

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Quatrième de couverture

« Au cours de ses quarante-cinq ans de carrière, James Brown a vendu plus de deux cents millions de disques, il a enregistré trois cent vingt et un albums, dont seize ont été des hits, il a écrit huit cent trente-deux chansons et a reçu quarante-cinq disques d’or. Il a révolutionné la musique américaine. Il était extraordinairement talentueux. Un danseur génial. Un spectacle à lui tout seul. Un homme qui aimait rire. Un drogué, un emmerdeur. Un type qui avait le chic pour s’attirer des ennuis. Un homme qui échappait à toute tentative de description. La raison ? Brown était l’enfant d’un pays de dissimulation : le Sud des États-Unis. »

Jazzman et romancier, lauréat du National Book Award, James McBride se lance sur les traces d’une icône de la musique américaine. De rencontres en entretiens, il nous offre un tableau magistral de l’univers de James Brown et nous livre une vision troublante de la société américaine actuelle.

Editions Gallmeister, juin 2017
316 pages
Traduit de l'américain par François Happe
Edition originale Kill'em and leave, 2016


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