vendredi 22 février 2019

Les bracassées ★★★★☆ de Marie-Sabine Roger


Rire de soi avant que les autres ne s'en chargent.
C'est ce que recommande Harmonie, une des protagonistes de ce roman. Elle a des tocs, des tics, de la friture sur la ligne, émet des Wouh-Ouh-ah...Elle est adorable...un exemple à suivre.
Mais d'ailleurs, qu'en j'y pense...Gros Connard Enculé...ce syndrome de Gilles de la Tourette, n'en serais-je pas atteint ponctuellement... au volant par exemple ? ;-))

Marie-Sabine Roger nous invite également à faire la connaissance de Fleur, une craintive qui se rêverait audacieuse, qui avance dans la vie à petits pas serrés, à demi asphyxiée, une poupée gigogne comme ces matriochkas russes L'énorme baba ventrue qui cache au milieu d'elle une enfant crédule enjouée qu'elle tient retient enfermée...

Toutes deux se définissent comme une espèce en voie de progression l'espèce de celles et ceux qui nichent dans des caches se terrent dans des trous de hobbit vivent dans des bocaux étiquetés Obésité morbide Syndrome de Machin ou Maladie de truc, de l'espèce des paumés inclassables condamnés pour survivre à se faire oublier.
D'autres personnages haut en couleur sont de la partie et vont faire un bout de chemin avec elles, comme des petits cailloux salvateurs qui vont les aider à trouver leur chemin : Elvire au regard fuyant, aux yeux qui dansent, une Tonton sans complexe et un certain Monsieur Poussin. Oh que j'aimerais rencontrer un Monsieur Poussin, un Renoir de la photo argentique, parcourir ses photographies qui guérissent, ces tranches de vie volées, ces femmes aimantes, ces hommes comblés. J'adorerais.

J'ai ri, ai été émue aux larmes, un roman Feel-Good qui fait du bien, qui touche, qui sonne juste, qui remet les idées en place, les reroute sur l'essentiel. Aimer l'autre pour ce qu'il est. Le droit à être soi-même. Le Vivre ensemble. C'est ce que conte raconte Les bracassées. Et ce n'est que du bonheur !

Alors, n'hésitez pas, venez passer un bon moment avec la fine équipe des Bracassées, une belle brochette de quatre jolies demoiselles et un vieux troll photographe. Je vous souhaite le meilleur à leur contact.

MERCI aux babeliotes Anne, Blandine et Sabine. C'est grâce à vos critiques élogieuses sur Marie-Sabine Roger que je me suis plongée dans cet opus, que j'ai découvert une auteure douée pour détendre les zygomatiques et distiller de la bonne humeur. Je m'abonne sans hésiter. Encore merci.
« Tu crois vraiment qu'on change la vie des gens comme ça, toi ? demande Tonton.Je ne sais pas Wouh-Ouh Ah-Ah. Je crois aux petits ruisseaux qui font les grandes rivières. Je crois aux petits oiseaux qui font les grandes volières.  »

« Non je ne place pas mon estime de moi dans le fait d'aller faire des ménages deux heures par semaine je place mon estime de moi dans le fait d'arrêter de tourner en rond dans cet appartement sans aucun but ni Ah ni aucune espérance. 
Les rides d'expression sont des pages marquées des pages pliées de l'ongle dans le coin des regards. Les pages que la vie nous laisse pour mémoire.
Ce monsieur Piquet est plus raide que son nom, à croire qu'il s'y est empalé.
Est-ce qu'il existe un mot pour dire que l'on démissionne de soi-même Que l'on donne congé à sa propre ambition. 
Peu avare de détails (Josiane s'épanche sur elle-même avec une grande liberté), elle m'a expliqué que depuis quelques mois elle avait la tirelire en toile émeri, expression que j'ai mis un certain temps à comprendre, juste avant de rougir comme un feu au carrefour. Après quoi elle a ajouté qu'elle avait enfin trouvé le traitement adéquat et que, d'ailleurs, j'avais dû remarquer les sourires de Rosario et des cernes en couilles de loup. Josiane a son franc-parler, à son contact, j'ai beaucoup enrichi ma palette, même s'il s'agit souvent d'expressions difficiles à placer.
Savoir finit toujours par tuer la magie.
On ne peut voir le monde qu'avec ses propres yeux mais on peut décider de de distinguer le beau dans le disgracieux le sublime dans le grotesque l'immense dans le minuscule Ne voir que ce qui nous dérange c'est du temps perdu sur le bonheur Tout est question de point de vue...
Si on se réveille un jour avec un handicap une crise d'angoisse une cicatrice horrible un membre ou deux en moins un terrible chagrin un amour de toujours qui se tarit s'épuise on fait quoi. On continue à vivre ce n'est pas le problème. Vivre c'est mécanique il suffit de respirer de boire de se nourrir Ce qui gêne ce qui tue c'est toujours le regard Celui qui détaille sans vergogne Celui qui vous évite par pudeur hypocrite mais vous file de loin. Celui qui vous transperce ou pire celui qui ne vous regarde plus. Vivre n'est pas le problème. C'est vivre ensemble qui. 
Cent trois ans ! Vous n'avez pas idée du temps qu'il faut pour vivre autant ! »

Quatrième de couverture

Les bracassées Fleur et Harmonie ont des prénoms un peu... trompeurs. Harmonie est jeune, nerveuse, sensible. Elle est affligée d'un syndrome pénible, et se collète résolument avec une vie qui ne lui fait pas de cadeaux. Fleur est âgée, obèse, pétrie d'angoisses, de manies. Elle vit seule avec son chien Mylord et son armoire à pharmacie. Elle se méfie de tout le monde, sauf de son thérapeute, le cher docteur Borodine. Autour d'elles, Elvire, Tonton, le merveilleux Monsieur Poussin. Autant de personnages singuliers, touchants et drôles. Rien n'aurait dû les rassembler, si ce n'est leur étrangeté et le fait que la société fait d'eux des inclassables, incapables, déclassés, bras cassés. Dans ce roman, il y a de la musique russe, un petit chien en surpoids, des gens un peu fêlés, des monstres improbables, de très beaux portraits en noir et blanc, de la traîtrise et du drame, et - ce n'est pas du luxe - un peu de tolérance.

Éditions Grasset, août 2018315 pages

Les romans de Marie-Sabine Roger ont remporté de nombreux prix et sont traduits à l'étranger avec succès. Deux d'entre eux ont été adaptés au cinéma par Jean Becker, La tête en friche et Bon rétablissement. Elle vit en Charente. 

Quand Dieu boxait en amateur ★★★★★♥ de Guy Boley


Superbe. Un uppercut littéraire, oui. L'image coule de source, ce livre parle entre autres de boxe, l'auteur en parle d'ailleurs tellement bien. 
« Ce n'est rien d'autre que ça, la boxe : adrénaline fleurdelisée sur liberté incandescente. Une vie  d'éclair, de rédemption, un naufrage sans radeau où celui qui se noie n'ira pas plus profond que le bleu du tapis. Elle est bien loin de ce que d'aucuns en disent : sport violent où deux tas de viande abrutis se martèlent le visage. La boxe n'est pas un jeu. On joue à la raquette, on joue au ballon rond. On ne joue pas à la boxe. C'est pour cela qu'on l'appelle le noble art. Car il faut de la noblesse pour monter sur un ring. »
Un hommage vibrant, attendrissant à son père. Ce livre ... pour le glorifier. Le déifier. Et sanctifier son nom sur l'autel païen qu'on nomme littérature.
Une touchante histoire d'amitié.
Une excellent moment de lecture; Guy Boley manie les mots comme un boxeur manie ses poings, avec puissance et précision, et beaucoup de talent. Des mots, des phrases, des paragraphes percutants, touchants, qui donnent des frissons, qui enchantent.
Des mots qui parlent de la vie, simplement. Et je suis tombée sous le charme de sa plume. 
Rendez-vous donc pris avec son précédent opus Fils du feu.
« Je n'ai compris cela qu'après. Il faut que les gens meurent pour que le linceul devienne ce palimpseste où leur vie fut écrite avec leur destinée, et non avec celle qu'on leur avait, de leur vivant, forgée. »


« Oui, elle a dû ressembler à ça : à une grande solitude océanique, morne et triviale, la joue sur le carrelage, le corps sur la moquette. Et le vide sidéral de toute sa vie passée l'aspirant dans cette dignité.
[...] les rêves n'enfantent que chimères, et les chimères des trous au creux de l'estomac...
On ne choisit pas son enfance, on s'acclimate aux pièces du puzzle, on bricole son destin avec les outils qu'on a sous la main...
[...] si courette est le diminutif de petite cour, on devrait dire ruette pour une petite rue alors qu'on dit ruelle. Décidément, les voies de la grammaire, semblables à celles du Seigneur, lui sont impénétrables.
Ça fait les hommes, la boxe affirme sa mère. Tout comme la gnôle, les tranchées, l'enclume ou le pas de l'oie.
Faut grandir ? Soit, grandissons. Travailler ? Soit, travaillons. Toujours il obéit. A sa mère, à la vie, à la petite et à la grande Histoire. Au destin qu'il se forge, entre enclume et marteau, phalanges et sac de frappe.
... le combat se rapproche. Pas le plus important, juste un petit. Un de ceux qui, aboutés et gagnés, préludent au championnat suprême, celui pour lequel tout boxeur digne de ce nom accepte de croiser les gants, celui dont la victoire vous met la ceinture à la taille et inscrit votre nom au panthéon de la boxe.
Il pense que la boxe n'est pas une métaphore de la vie, mais son eucharistie : prenez et frappez car ceci est mon corps. »

Quatrième de couverture

Dans une France rurale aujourd’hui oubliée, deux gamins passionnés par les lettres nouent, dans le secret des livres, une amitié solide. Le premier, orphelin de père, travaille comme forgeron depuis ses quatorze ans et vit avec une mère que la littérature effraie et qui, pour cette raison, le met tôt à la boxe. Il sera champion. Le second se tourne vers des écritures plus saintes et devient abbé de la paroisse. Mais jamais les deux anciens gamins ne se quittent. Aussi, lorsque l’abbé propose à son ami d’enfance d’interpréter le rôle de Jésus dans son adaptation de La Passion de Notre Seigneur Jésus-Christ, celui-ci accepte pour sacrer, sur le ring du théâtre, leur fraternité.
Ce boxeur atypique et forgeron flamboyant était le père du narrateur. Après sa mort, ce dernier décide de prendre la plume pour lui rendre sa couronne de gloire, tressée de lettres et de phrases splendides, en lui écrivant le grand roman qu’il mérite. Un uppercut littéraire.

Éditions Grasset, août 2018
180 pages
Sélection Prix Goncourt 2018



Guy Boley est né en 1952. Après avoir fait mille métiers (ouvrier, chanteur des rues, cracheur de feu, directeur de cirque, funambule, chauffeur de bus, dramaturge pour des compagnies de danses et de théâtre) il a publié un premier roman, Fils du feu (Grasset, 2016) lauréat de sept prix littéraires (grand prix SGDL du premier roman, prix Georges Brassens, prix Millepages, prix Alain-Fournier, prix Françoise Sagan, prix (du métro) Goncourt, prix Québec-France Marie-Claire Blais).

vendredi 8 février 2019

La papeterie Tsubaki ★★★★☆ de Ogawa Ito

Si vous êtes en quête d'évasion, si vous aspirez à un peu de douceur, si vous êtes enclin à la découverte de la calligraphie et de sa technique exprimée avec beaucoup de finesse, de respect et de passion, si le métier d'écrivain public vous interpelle, si les rencontres touchantes, empreintes de bienveillance et d'amour vous inspirent et enfin, si vous n'êtes pas trop pressé ... n'hésitez pas une seule seconde, vous succomberez au charme des mots d'Ogawa Ito et de sa jeune et délicate héroïne Hatoko. 

Une lecture qui fait du bien, porteuse de sérénité
À déguster, au moment opportun, en prenant tout son temps, pour en apprécier toute la profondeur, la noblesse et la subtilité. 

À l'instar de son précédent opus « Le restaurant de l'amour retrouvé », ces pages sont à savourer ... jusqu'à la dernière goutte d'encre déposé sur le papier. 

On s'y réchauffe les mains, et le coeur.
Il y avait des écritures belles mais froides, et d'autres irrégulières mais chaleureuses comme un feu de bois auquel on se réchauffe les mains.

« Mes calligraphies au stylo-pinceau avaient beaucoup de succès. L'art peut sauver, j'en faisais l'expérience dans ma chair. 
Simplement, je voulais tout transmettre de lui à Sakura, sa gentillesse, sa façon de s'exprimer, son image et jusqu'à son odeur. Parce qu'une lettre, c'est comme l'incarnation d'une personne.

Quand on écrit un courrier encore plus poli, on remplace ces formules par kinkei et keihaku. C'est comme une courbette. De même qu'on s'incline plus ou moins profondément, une lettre s'ouvre et se referme sur des formules différentes en fonction du degré de politesse choisi.

- Pourriez-vous écrire une lettre à mon père depuis le paradis ?
C'était à mon tour d'avoir les larmes aux yeux.

Mourir, c'était peut-être vivre éternellement.  »

Quatrième de couverture

Hatoko a vingt-cinq ans et la voici de retour à Kamakura, dans la petite papeterie que lui a léguée sa grand-mère. Le moment est venu pour elle de faire ses premiers pas comme écrivain public, car cette grand-mère, une femme exigeante et sévère, lui a enseigné l’art difficile d’écrire pour les autres.
Le choix des mots, mais aussi la calligraphie, le papier, l’encre, l’enveloppe, le timbre, tout est important dans une lettre. Hatoko répond aux souhaits même les plus surprenants de ceux qui viennent la voir : elle calligraphie des cartes de vœux, rédige un mot de condoléances pour le décès d’un singe, des lettres d’adieu aussi bien que d’amour. A toutes les exigences elle se plie avec bonheur, pour résoudre un conflit, apaiser un chagrin.
Et c’est ainsi que, grâce à son talent, la papeterie Tsubaki devient bientôt un lieu de partage avec les autres et le théâtre des réconciliations inattendues.

Éditions Philippe Picquier, août 2018
375 pages
Traduit du japonais par Myriam Dartois-Ako