dimanche 30 mai 2021

Impossible ★★★★★ de Erri De Lucca

Dans la vallée des Dolomites, le passé inonde le présent, et c'est sur une pente raide, dans une partie de ping-pong haletante et tendue qu'un interrogatoire entre un juge et un suspect nous entraîne. La pente s'adoucit quand les pages deviennent épistolaires, quand on rentre dans l'intimité du suspect qui se confie à son grand Ammoremio depuis sa cellule.
« Je lui ai répondu qu'on y va pour rien qui sert à quelque chose. Car l'inutilité est beau. Je sais que ce n'est pas une explication, mais avant de poser une question sur un sujet on devrait savoir de quoi on parle. Je ne demande pas à un pilote ce que c'est de voler, si je n'ai jamais pris l'avion.
Je garde la bonne partie de la réponse, que je te réserve. Je vais en montagne parce que c'est là-haut qu'est arrivé le bord de la terre. Sa frontière avec le ciel et l'univers se trouve là-haut, et alors en grimpant je peux aller jusqu'au point où il n'y a plus rien à escalader. Je suis la terre jusqu'à l'endroit où elle s'est élevée et continuer encore à s'élever. Car les montagnes grandissent.
J'y vais par admiration pour les forces qui dépensent leur énergie démesurée là-haut. Cette année, j'ai traversé des avalanches qui ont effacé des routes, des forêts abattues par le vent,, des versants tombés au fond de la vallée. Et, au milieu de ces effondrements, la vie animale existe et se reproduit. »
"Impossible" est une échappée belle, vivifiante, vertigineuse qui interroge sur la liberté, l'engagement, la trahison, la vérité, la fraternité, la prise de risques, les responsabilités individuelles. 
« Ce sentier de la vire est difficile. Est-ce moi qui ai amené cet homme là-haut ? Est-ce moi qui l'ai porté sur mon dos pour le jeter dans le vide ? Ceux qui vont là tiennent compte du précipice.
Votre question devrait être : dans de telles conditions, qu'est-ce qui vous pousse à faire ça ?
La réponse est : personne. Nous n'avons pas de commanditaires. Ils sont inutiles, la montagne est un mobile suffisant. Drôle de jeu de mots, n'est-ce pas ? La montagne, immobile par nature, est un mobile. C'est exactement ça : elle attire à elle. Chacun a ses propres raisons d'y aller. La mienne est de tourner le dos à tout, de prendre de la distance. Je rejette le monde entier derrière moi. Je me déplace dans un espace vide et aussi dans un temps vide. Je vois comment était le monde sans nous, comment il sera après. Un endroit qui n'aura pas besoin qu'on le laisse en paix. »
Un roman qui bouscule, et qui pousse à réfléchir sur le sens de la vie, de notre existence en tant qu'individu. 
« On vit dans une cellule comme des hôtes du temps. »
Remarquable ! Puissant !

« Souvent, en écoutant tel ou tel récit, je pensais « c'est impossible, cela n'a pas pu se passer » et puis un an ou deux après, c'était devenu vrai. » ISAAC BASHEVIS SINGER, Gimpel le naïf.

« Ce sentier de la vire est difficile. Est-ce moi qui ai amené cet homme là-haut ? Est-ce moi qui l'ai porté sur mon dos pour le jeter dans le vide ? Ceux qui vont là tiennent compte du précipice.
Votre question devrait être : dans de telles conditions, qu'est-ce qui vous pousse à faire ça ?
La réponse est : personne. Nous n'avons pas de commanditaires. Ils sont inutiles, la montagne est un mobile suffisant. Drôle de jeu de mots, n'est-ce pas ? La montagne, immobile par nature, est un mobile. C'est exactement ça : elle attire à elle. Chacun a ses propres raisons d'y aller. La mienne est de tourner le dos à tout, de prendre de la distance. Je rejette le monde entier derrière moi. Je me déplace dans un espace vide et aussi dans un temps vide. Je vois comment était le monde sans nous, comment il sera après. Un endroit qui n'aura pas besoin qu'on le laisse en paix. »

« Là-haut je suis un étranger, sans invitation et sans bienvenue. Même la guerre d'il y a cent ans n'a pas marqué les montagnes. Les rochers détachés par les explosions ont roulé comme à toute autre époque, sans laisser de signature. »

« Un livre d'un alpiniste français a pour titre Les conquérants de l'inutile. Inutile : cet adjectif a une valeur pour moi. Dans la vie économique où tout repose sur la partie double donner/avoir, sur le profit et l'utile, aller en montagne, grimper, escalader, est un effort béni par l'inutile. Il n'est pas utile et ne cherche pas à l'être. »

« La peur est utile. C'est d'ailleurs une forme de respect et même de révérence due à l'immensité du lieu qu'on traverse. La crainte est le préliminaire de la concentration. Elle n'entrave pas les mouvements, elle en augmente la précision. »

« Je lui ai répondu qu'on y va pour rien qui sert à quelque chose. Car l'inutilité est beau. Je sais que ce n'est pas une explication, mais avant de poser une question sur un sujet on devrait savoir de quoi on parle. Je ne demande pas à un pilote ce que c'est de voler, si je n'ai jamais pris l'avion.
Je garde la bonne partie de la réponse, que je te réserve. Je vais en montagne parce que c'est là-haut qu'est arrivé le bord de la terre. Sa frontière avec le ciel et l'univers se trouve là-haut, et alors en grimpant je peux aller jusqu'au point où il n'y a plus rien à escalader. Je suis la terre jusqu'à l'endroit où elle s'est élevée et continuer encore à s'élever. Car les montagnes grandissent.
J'y vais par admiration pour les forces qui dépensent leur énergie démesurée là-haut. Cette année, j'ai traversé des avalanches qui ont effacé des routes, des forêts abattues par le vent,, des versants tombés au fond de la vallée. Et, au milieu de ces effondrements, la vie animale existe et se reproduit. »
« Là-dedans, on dépend de l'ouïe, les autres sens restent en retrait.
C'est à peine si je vois sur ma peau que l'air change de densité et de température quand tu viens me rejoindre. Mon pouls devient le deuxième centre de mon battement cardiaque, je mets mon pouce dessus et je sens qu'il frétille à ton arrivée. »

« L'élégance n'est pas dans la garde-robe, mais dans les attentions de deux êtres qui vivent ensemble. »

« Vous vous trompez sur le passé, il ne reste pas intact. Le temps est une lèpre qui le fait tomber par petits bouts. »

« La presse de l'époque a copié le titre d'un film allemand pour englober toute la période 1970-1980 dans l'expression « années de plomb ». Cette presse a associé au plombage une large part de militants révolutionnaires qui ne s'étaient pas enrôlés dans des bandes armées. Une autre pierre tombale s' ajoute à la mort de la responsabilité individuelle. »

« Mon affaire est expérimentale. Pousser un homme à avouer un crime politique, le dernier ajouté à une époque expirée. On veut me persuader qu'ainsi se termine un registre d'actes judiciaires. L'aveu d'une vengeance politique servirait à fermer une parenthèse restée ouverte jusqu'à aujourd'hui. Car aucun de ceux qui ont trahi leurs propres camarades n'a été atteint par une vengeance. Le plateau de la balance reste incliné. »

« La langue est un système d’échange comme la monnaie. La loi punit ceux qui impriment de faux billets mais elle laisse courir ceux qui écoulent des mots erronés. Moi je protège la langue que j’utilise. »

« Vous ne la connaissez pas. Vous ne connaissez même pas le lieu où vous enfermez vos suspects. De mon point de vue, vous ne savez rien. Mais vous avez le pouvoir de décider même sans connaître. C'est le parfait objectif du pouvoir, arriver au plus haut degré d'incompétence et décider de tout. Je vois la société comme une construction faite de matériaux de plus en plus mauvais au fur et à mesure qu'elle progresse vers le haut. 
Vous vous comportez comme si vous saviez de quoi il retourne. Mais c'est une fiction, la vôtre et celle de la fonction que vous occupez. »

« Elles sont comme les livres, des rencontres. On ne se baigne pas deux fois dans la même eau, disait un philosophe grec, on n'escalade pas deux fois la même montagne, parce qu'elle est différente comme la lecture de Pinocchio faite à dix ans et puis à cinquante ans. 
Pour les montagnes que vous escaladerez, je vous ai dit d'éviter le verbe « faire ». Ne dites pas : j'ai fait celle-ci. C'est le monde qui s'est chargé de les faire. »

Quatrième de couverture

On part en montagne pour éprouver la solitude, pour se sentir minuscule face à l’immensité de la nature. Nombreux sont les imprévus qui peuvent se présenter, d’une rencontre avec un cerf au franchissement d’une forêt déracinée par le vent.
Sur un sentier escarpé des Dolomites, un homme chute dans le vide. Derrière lui, un autre homme donne l’alerte. Or, ce ne sont pas des inconnus. Compagnons du même groupe révolutionnaire quarante ans plus tôt, le premier avait livré le second et tous ses anciens camarades à la police. Rencontre improbable, impossible coïncidence surtout, pour le magistrat chargé de l’affaire, qui tente de faire avouer au suspect un meurtre prémédité.
Dans un roman d’une grande tension, Erri De Luca reconstitue l’échange entre un jeune juge et un accusé, vieil homme «de la génération la plus poursuivie en justice de l’histoire d’Italie». Mais l’interrogatoire se mue lentement en un dialogue et se dessine alors une riche réflexion sur l’engagement, la justice, l’amitié et la trahison.

Éditions Gallimard, août 2020
172 pages
Traduit de l'italien par Danièle Valin
Prix André-Malraux 2020

samedi 29 mai 2021

La dixième muse ★★★★☆ de Alexandra Koszelyk

Guillaume Apollinaire de Kostrowisky et ses poèmes à Lou, lus et relus, à une époque, et récemment pour aider ma fille à concevoir une anthologie sur l'Amour et la Guerre. Ils sont de belles déclarations à sa muse aimée qui fut pour Apollinaire un véritable soutien psychologique, une évasion salutaire qui lui a donné le courage d'affronter les dures réalités de la Première Guerre Mondiale.
J'ai aimé lire ses poèmes, comme j'ai aimé retrouver Apollinaire dans cette bio-fiction originale que nous propose Alexandra Koszelyk. Elle redonne vie à Apollinaire (à d'autres également) qui nous parle de ses amours, de ses relations d'amitié avec Pablo Picasso et Henri Rousseau, de son vécu militaire. Le fantôme de Guillaume Apollinaire, quant à lui, hante Florent, personnage mélancolique de ce roman, en proie à ses démons et qui va se laisser prendre dans les filets d'une douce, fascinante et ésotérique voix, au point que ce dernier semblera, pour le lecteur, flirter avec la folie. Mais c'est pourtant dans les pas de Guillaume Apollinaire que Florent trouvera un semblant de paix. 
« Grâce à la vie du poète, à ses écrits, je m’affranchissais désormais de mes anciennes souffrances, elle dissipait ce vide qui me hantait depuis l’enfance et dont je n’avais jamais cicatrisé : l’absence de ma mère. »
La construction de ce roman en fait sa force, l'idée de cette dixième muse est superbe ! Mais je ne vous en parlerai pas ici...  À vous de la découvrir, de vous laisser bercer par sa voix, par ses charmes. Elle est l'inspiration, elle est notre muse aussi.
« Depuis mon réveil, dans cette forêt de Stavelot, pas un seul jour n'était passé sans que j'eusse écouté ses poèmes : sa musique sur le monde pansait mes cicatrices aux boursouflures éternelles. Les hommes n'avaient-ils pas saisi l'importance d'Apollinaire, lui qui racontait l'amour, qui posait un regard nouveau sur les choses, qui magnifiait et métamorphosait le réel, qui agissait avec la même philosophie qu'un arbre, qui transmettait un message de la manière la plus libre, sans ponctuation, se délestant des atrocités du réel, se riant de tous les risques, même ceux de la guerre ? »
Un très beau roman, une belle histoire empreinte de magie, une ode à l'amour, à la poésie, à notre environnement naturel. Ouvrir ce livre, c'est accepter de lâcher-prise, de se laisser entraîner dans un voyage onirique, de déambuler lentement d'une époque à l'autre
« Le poète pose un autre regard sur la vie : il la tord, la malmène, l'embellit. Il ose le symbole, rapproche deux réalités et crée un monde nouveau. »

« Six mois étaient passés depuis sa mort, mais je tenais toujours ma peine dans le creux de mes souffles. »

« Jamais je ne m'étais demandé ce que devenaient les poètes une fois morts : ils faisaient partie de ces êtres un peu à part, hors du temps, touchant presque au sacré, et surtout immortels. »

« Il avait passé sa vie à la fuir, préférant être logé dans un complexe en béton face auquel ne s'élevait aucune ligne à l'horizon, barré par un autre géant vertical. Nous habitions près de son travail, anciennement appelé le couloir de la chimie, puis baptisé plus poétiquement la vallée de la chimie. Cette zone était restée la même, tellement polluée que les industries agroalimentaires y étaient interdites. Mon père était à l'image de cet endroit : sec et infertile. »
« Tu as toujours été considéré comme un grand naïf, mon cher Rousseau, tout comme moi... Les gens ne nous comprennent pas : à leurs yeux, mes calligrammes sont la création d'un idiot, et tes tableaux aux traits disproportionnés et naïfs étonnent les coincés pour qui la réalité est souveraine. Pablito non plus n'est pas pris au sérieux. L'imaginaire est pourtant la nouvelle voie [...]. »

« Nous savons que le Douanier ne respecte aucune proportion, son imaginaire sera souverain quand il commencera à peindre. Nous l'aimons pour cette raison. Une chose est certaine : la toile finale ne nous ressemblera pas, car elle nous transcendera ; les générations futures seront le témoin de notre amour. »

« Les yeux perdus dans la cime étalée des cyprès, elle imagina sa soirée : elle prendrait cette boîte qui renferme les lettres et les cadeaux de Gui, et elle l'ouvrirait comme on descelle un cercueil. Si la mort était son avenir, le passé serait son quotidien. Elle ne pleurerait pas : son corps était sec des mille joies qu'elle n'avait pas vécues. »
« « Lou, mon adorée. Je vous avais dit de m'attendre dans votre chambre. Vous ne m'avez pas écouté, petit oiseau libre. Je vous fesserai pour ce parjure fait à votre roi. »
Tu es déjà revenu de la caserne. Ton vouvoiement m'excite.
Je me lèvre, sans te regarder. Le désir monte de cette fessée inattendue. Je suis ta poupée, ta reine soumise. Ta main frôle délicatement mes hanches et mes fesses. Un peu ivre de tes mots et de tes caresses, je demande fébrilement la clé de ma chambre à l'accueil.
Dans l'ascenseur, le groom t'écoute quand tu me chuchotes :
« Ce soir, tu seras mes Muses. Elles sont neuf, je t'apprendrai leurs noms. Chacune est une porte de ton corps. »
Nous jouons à la vie, redécouvrons les plaisirs avec une pureté renouvelée, et côtoyons aussi des berges illicites.
Toi le poète, moi la frivole : nos deux corps parlent un langage unique. »

« Tu m'écoutes, Albert ? Tu penses que je suis fou ? Ecoute un peu ce que maman m'a raconté : autrefois, la nature régnait sur terre, les hommes faisaient attention à elle et la vénéraient. Elle était souvent représentée avec deux lions sur ses genoux, et incarnait la puissance androgyne : femme et homme à la fois. Elle pouvait engendrer seule et possédait une puissance infinie. Chaque printemps, pour réveiller la divinité, des personnes tapaient sur des tambours et partaient dans les bois la réveiller. »

« À cette époque, je compris qu'on ne change jamais la nature d'un être, il peut parfois sortir de ses sentiers, mais, très vite, il retourne vers ce qu'il connaît. Les variantes demeurent éphémères, donc mensongères ; la vérité, elle, se polit avec le temps, elle a besoin d'espace pour grandir et s'ancrer dans la réalité. Le Chaos reviendrait un jour à ses origines ; de lui, je ne pouvais rien tirer. Pourquoi mener une bataille si la guerre était perdue d'avance ? »

« Avant notre départ, je cousus dans les pans de ma robe les dernières fêtes, les dernières ivresses, ces soirs où, allongée près de la rivière, j'écoutais notre volupté. Personne n'est jamais prêt à quitter l'euphorie, ces instants bénis où l'éphémère côtoie l'éternité. »

« Depuis mon réveil, dans cette forêt de Stavelot, pas un seul jour n'était passé sans que j'eusse écouté ses poèmes : sa musique sur le monde pansait mes cicatrices aux boursouflures éternelles. Les hommes n'avaient-ils pas saisi l'importance d'Apollinaire, lui qui racontait l'amour, qui posait un regard nouveau sur les choses, qui magnifiait et métamorphosait le réel, qui agissait avec la même philosophie qu'un arbre, qui transmettait un message de la manière la plus libre, sans ponctuation, se délestant des atrocités du réel, se riant de tous les risques, même ceux de la guerre ? »

« Les routes d'une vie sont sinueuses, et les désirs ardents, les plus essentiels, se noient dans le leitmotiv du quotidien. »

Quatrième de couverture

Au cimetière du Père-Lachaise, des racines ont engorgé les canalisations. Alors qu’il assiste aux travaux, Florent s’égare dans les allées silencieuses et découvre la tombe de Guillaume Apollinaire. En guise de souvenir, le jeune homme rapporte chez lui un mystérieux morceau de bois. Naît alors dans son cœur une passion dévorante pour le poète de la modernité. Entre rêveries, égarements et hallucinations vont défiler les muses du poète et les souvenirs d’une divinité oubliée : Florent doit-il accepter sa folie, ou croire en l’inconcevable ? 

Dans cet hommage à la poésie et à la nature, Alexandra Koszelyk nous entraîne dans une fable écologique, un conte gothique, une histoire d’amours. Et nous pose cette question : que reste-il de magique dans notre monde ?

Éditions Aux Forges de Vulcain, janvier 2021
280 pages

mercredi 26 mai 2021

Crénom, Baudelaire ! ★★★★☆ de jean Teulé

Jean Teulé nous propose une rencontre originale et sans ambages avec ce dandy du XIXème siècle. Baudelaire, le poète "maudit". Une œuvre fascinante. Un homme détestable. 
Plutôt que de cueillir les lauriers scolaires comme l'espérait son beau-père, Baudelaire, qui s'est vu dérober le vert et doux paradis maternel de son enfance par ce même beau-père, préfère partir à la cueillette des hallucinations et se prend dans les mailles du cannabis et de l'opium. Il fréquente les Bohèmes, traite mal les femmes, vit avec extravagance (teinte des cheveux en vert, se promène avec un mouton rose...) dilapide tellement vite son héritage paternel qu'il est mis sous tutelle judiciaire. 
Fasciné par la laideur, la pourriture, ses écrits s'en ressentent, et c'est sous les bienfaits hallucinogènes des opiacés qu'il écrira toute sa vie durant, ses Fleurs du Mal. Des Fleurs qui lui valurent un procès, puis une dépression. « Il se sent sale, inutile et laid comme une chose usée. »
Jean Teulé dépeint un personnage à la plume brillante et novatrice mais aux comportements vertigineusement irrévérencieux. Un portrait plutôt cru et vulgaire, truffé d'anecdotes, mais que j'ai trouvé étonnamment humain. Je ne sais pas si Baudelaire a été ce personnage aussi détestable, mais j'ai aimé parcourir sa vie sous la plume de Jean Teulé (son voyage sur les mers du Sud imposé par son beau-père qui ne voulait plus le voir mener la mauvaise vie, son amitié avec Asselineau, sa vie de débauche, sa mise sous tutelle judiciaire, le procès des Fleurs, son exil en Belgique...), de même que j'ai aimé cette plongée dans un Paris du début du XIXème siècle en pleine transformation. 

Je me suis noté la lecture de la biographie de l'auteur écrite par Marie-Christine Natta.

« Mais Charles ne se calme pas du tout. Il reprend ses insolences et déclenche partout sur le bateau un vacarme de scélérat qui fait des frasques. En son éternel haut-de-forme, il a percé dans le bord un trou par lequel il a coulissé un long fil venant entourer son cou tel un collier. À même le pont, quand le vent le décoiffe de l’imposant tuyau rigide en feutre noir, l’air, s’engouffrant à l’intérieur, pousse la calotte cylindrique et le chapeau barré demeure vibrant et agité au bout du fil tendu à un mètre cinquante du crâne de Baudelaire. On dirait un cerf-volant que le jeune passager contemple en tournoyant sur lui-même jusqu’à s’en étourdir, presque s’évanouir, sous le regard au loin des commerçants qui le trouvent tellement baroque. D’autres fois, c’est pire. Après avoir réclamé au capitaine Saliz, qui les a mis en dépôt, les mille francs offerts par Jacques Aupick pour les dépenses personnelles de Charles, celui-ci, au gaillard d’arrière, lance la presque totalité de ses billets de banque au vent. Il les admire, les envie, fuyant au loin comme des papillons virevoltants. Les négociants, près de marins hilares accourus, l’observent encore en soupirant :
- Putain de poète !…»

« J'imaginais qu'il se consacrerait à la cueillette des lauriers scolaires mais, à vingt ans, il préfère rôder autour des estaminets les plus insalubres. Il fréquente des bohèmes de la pire espèce dans un Paris dépravé. Le péril est grand. »

« - Toi, hideuse, horrible, tellement éloignée de la première que j'aurais aimée sur terre, dépucelle-moi ! »

« - C'est un extrait gras de pollen de haschich mélangé à du miel et des aromates. Les pauvres remplacent par du beurre qui devient vite rance et pue.
Ça sert à quoi ? 
- Une bonne cuillère à soupe en décoction dans le thé du matin à jeun et tu possèdes le bonheur pour la journée entière, une béatitude infinie. 
[...]
Ça me métamorphose en poète augmenté qui saura pétrir de la boue pour en faire de l'or. »

« - J'ai toujours été étonné qu'on laisse les femelles entrer dans les églises. Quelles conversations peuvent-elles avoir avec Dieu ? Vous voyez, ma belle chérie, depuis la première qui m'aura trahi lors de ma prime enfance, moi, j'ai dorénavant des stéréotypes odieux à l'égard des femmes. En un mot, je ne leur fais aucune confiance.
- Alors pourquoi s'intéresser à moi ?
- Ah, que voulez-vous, quand la bouche tremble et que le coeur bat, les saines pensées s'envolent. »

« Duval, de sa serviette, s'essuie les lèvres, lève son verre, le boit puis le repose. Autour de ses bras et de son cou le métal et le minéral qui serpentent ajoutent leurs étincelles au feu de ses yeux et jasent doucement aux oreilles de Baudelaire comme sa voix grave qui suggère :
- Plutôt que de devoir encore t'entendre parler de gens qui ne sont pas de ma connaissance et dire des pensées auxquelles je ne comprends rien, tu ne préférerais pas que j'aille te sucer dans les toilettes ? »

« Cette femme est son soleil noir. »

« Il marche toujours à côté du bonheur en se créant tant de besoins. »

« Bébé n'en revient pas :
- Il t'écrit qu'il rêve de te poignarder et de t'éjaculer son ... dans la plaie ? Apollonie, c'est qui ce dingue ?! »

« - Vivre est un mal. C'est un secret connu de tous. 
Puis, en manteau noir s'asseyant, Baudelaire poursuit :
- Mais pour la première fois de ma vie, je suis presque content. Sans compter que j'y mens comme un arracheur de dents, ces Fleurs du Mal sont presque bien et elles resteront comme témoignage de mon dégoût et de ma haine de toutes choses. »

« - À quoi bon dépenser un art opiniâtre pour écrire des poésies aussi révoltantes, s'agace de Broise, contrairement à vos confrères qui célèbrent l'antique ?
- Où les ont-ils connus, les antiques ? réplique Baudelaire. Est-ce qu'ils voient dans les rues des gens porter des péplums sur le dos ? À quoi la forme grecque répond-elle dans notre temps ? N'avons-nous pas d'autres passions, d'autres moeurs, d'autres vices à rimer ? Une lettre de paysan sans orthographe est plus humaine que leurs faussetés ! »

« - Avec un bariolé tel que vous, s'emporte de Broise, il faut s'attendre à tout ! Heureusement que vous ne vous êtes pas encore reproduit !
- Si je me retrouvais affligé d'un fils qui me ressemble je le tuerais par horreur de moi-même. »
« Un tel livre sur l'âme humaine mériterait bien qu'on l'habille d'un costume humain, conteste le poète. Cette couverture en peau de gaupe (salope) connaîtrait aussi un certain engouement. Cela lui donnerait un petit cachet supplémentaire. »

« - Il y a des moments où je doute de votre état mental, mon cher Baudelaire. Il y en a où je n'en doute plus ; c'est la plupart du temps. » (Auguste Poulet-Malassis, éditeur de Baudelaire)

« Et elle retourne aux poèmes à la tonalité cruelle, sadique, masochiste, magnifique, qui ressemblent à un baiser comme un flot grossi. »

« (...) L'odieux y coudoie l'ignoble ; le repoussant s'y allie à l'infect. Jamais on ne vit mordre et même mâcher autant de seins en si peu de pages ; jamais on n'assista à une semblable revue de démons, de fœtus, de diables, de chloroses, de chats et de vermine. Ce livre est un hôpital ouvert à toutes les démences de l'esprit. 
- Pas mal ! ...apprécie Charles dans le bureau de la maison d'édition de la rue de Buci. Il n'y a pas que du faux dans ce qu'il écrit... »

« Le retentissement du procès l'a métamorphosé en homme public. Sa mise au ban agrandit sa légende. Édouard Manet qui mangeait avec des amis se lève pour seulement venir lui dire :
- Vous êtes neuf dans une poésie vieille.
Gustave Flaubert en fait de même :
- Vous êtes résistant comme le marbre et pénétrant comme un brouillard, vous êtes de la race de ces obstinés rêveurs pour qui la poésie demeure une foi et non un métier. Je vous salue, monsieur. 
[...]
- Vous vous êtes rongé à promener vos ennuis, vos cauchemars, vos tortures morales ; vous avez dû beaucoup souffrir, mon cher enfant. »

« - Quelqu'un autour de cette table a-t-il lu les horreurs de Baudelaire ? Non ? Eh bien continuez ! Il souille la grâce, la beauté, l'amour, la jeunesse, la fraîcheur, le printemps, et il aurait des lecteurs ? ... et on l'admirerait, le prônerait, et il faudrait le discuter comme un événement ? »
« Vos Fleurs du Mal rayonnent et éblouissent comme des étoiles. Vous dotez le ciel de l'art d'on ne sait quel rayon macabre. Vous créez un frisson nouveau.  Victor Hugo 
À Paris, dans un gourbi situé à une hauteur aérienne, Charles boit une dernière lampée de sa tasse de thé à la confiture verte qu'il dépose ensuite en grommelant : « L'exilé de Guernesey m'emmerde. Il m'inspire tant d'ennuis que je pourrais devenir disposé à écrire un essai pour prouver que, par une loi fatale, le Génie est toujours bête. » »

« Crénom, c'est tantôt une exclamation ébahie, tantôt un juron selon ce qu'il découvre. Crénom, tout l'étonne. Ce Paris du Second Empire reste un interminable chantier dirigé par le grand urbaniste Napoléon III qui accomplit sa mission. »

Quatrième de couverture

Si l’œuvre éblouit, l’homme était insupportable. Charles Baudelaire ne respectait rien, ne supportait aucune obligation envers qui que ce soit, déversait sur tous ceux qui l’approchaient les pires insanités. Drogué, dandy halluciné, il n’eut jamais d’autre ambition que de saisir cette beauté qui lui ravageait la tête et de la transmettre grâce à la poésie. Dans ses vers qu’il travaillait sans relâche, il a voulu réunir dans une même musique l’ignoble et le sublime. Il a écrit cent poèmes qu’il a jetés à la face de l’humanité. Cent Fleurs du Mal qui ont changé à jamais le destin de la poésie française.

Jean Teulé aime à se glisser dans l'ombre des poètes 
(Rimbaud, Verlaine, Villon et maintenant Baudelaire) 
que le temps et la postérité ont figé
dans la pierre des mémoires collectives.
Il leur prête sa sensibilité, son rire, sa gourmandise,
sa sensualité, ses abîmes. Et soudain, la vie.

Éditions Mialet Barrault, octobre 2020
427 pages

lundi 24 mai 2021

Au péril de la mer ★★★★☆ de Dominique Fortier

Dominique Fortier m'a enchantée par son écriture poétique
Elle a su me captiver avec ce roman à la construction originale : le Mont-Saint-Michel y apparaît comme un trait d'union entre deux histoires séparées de plus de cinq siècles. Au XVème siècle, Eloi, un portraitiste, rejoint le Mont-Saint -Michel pour apaiser sa peine suite au décès soudain de son amante. Cinq cents ans plus tard, une jeune maman, écrivain, tente de trouver l'inspiration dans l'enceinte du Mont. 
D'une époque à l'autre, ce sont deux récits de vies plus ou moins écorchées qui prennent forme, dans lesquels s'invitent un soupçon de fantastique et, surtout, le pouvoir des mots et de la littérature. Ces pages abritent aussi l'Histoire du Mont-Saint-Michel. On sent le travail de recherche et la passion de l'auteure pour ce Mont. Elle est passionnante. 
S'il a su me captiver, ce roman à deux voies, a su aussi me perdre à l'instar du pèlerin qui se perd dans le dédale des impasses et ruelles du Mont. Il m'a parfois manqué de liant entre les chapitres et pourtant, au gré des pages et des marées, et malgré les incursions dans le domaine de la religion que je n'affectionne pas particulièrement, ce texte m'a happée. 
Un livre très érudit ; j'ai ressenti beaucoup d'admiration pour l'auteure en refermant ce livre. Un opus qui s'apparente davantage à un essai par moment ; il vaut mieux le savoir si vous décidez d'ouvrir ce livre. On apprend beaucoup, il est très fouillé, mais si vous cherchez une intrigue palpitante alors il vaut mieux, à mon avis, remettre cette lecture à plus tard, ou passer votre chemin. 
J'ai découvert l'auteure avec "La porte du ciel", un superbe conte sur les inégalités raciales aux Etats-Unis. J'ai maintenant hâte d'ouvrir "Les villes de papier".  

« J'ai passé vingt-cinq ans sans le revoir. Quand le temps est venu d'y retourner, j'ai commencé par suggérer que nous n'y allions pas : nous avions peu de temps avant de rentrer à Paris ; on annonçait de la pluie ; il y aurait sans doute des hordes de touristes. En vérité, j'avais peur de le trouver diminué, comme on trouve diminués les lieux de son enfance chaque fois que l'on y revient, ce qui signifie de deux choses l'une : ou bien ils ne nous étaient apparus grands que parce que nos yeux étaient petits, ou bien nous avions perdu en route la faculté d'être ébloui, deux constatations également accablantes. Mais il n'avait pas changé, et moi non plus. »

« Avant le VIIème siècle, il n'y avait pas même de Mont-Saint-Michel ; l'îlot rocheux où se dresse aujourd'hui l'abbaye était connu sous le nom de « Mont-Tombe » - deux fois mont, donc, puisqu'il semblerait que ce tombe ne désigne pas une sépulture, mais une simple éminence. »

« Il y avait dans le coeur de cet homme un chagrin si profond que la baie ne suffisait pas à le contenir. 
Il n'avait pas la foi, mais l'église ne lui en tenait pas rigueur. Il est des peines tellement grandes qu'elles vous dispensent de croire. Étendu sur les dalles, bras écartés, Éloi était lui-même une croix. »

« Au fond, le Mont-Saint-Michel n'abrite pas une abbaye, mais une dizaine, ou même plus, certaines disparues, des abbayes fantômes dont le bâtiment actuel continue de porter l'empreinte comme en creux, d'autres constructions modifiées au fil des siècles, le tout abouché et ajointé tant bien que mal. Murs éventrés, voûtes écroulées, plafonds incendiés, tours rasées, passages comblés, escaliers condamnés, clochers abattus, reconstruits, tombés en ruine ; semblable à un manuscrit dix fois gratté et qui porterait des bribes d'histoires, des traces de griffures et des caractères illisibles, le Mont-Saint-Michel est un immense palimpseste de pierre. »

« Ce n'est sans doute pas par hasard que l'on emploie maintenant le même mot pour parler de celui qui embrasse une religion et de celui qui, dans un mariage ou une union, reste constant et ne va pas chercher à aimer ailleurs : fidèle. Dans les deux cas, foi et confiance entrent à parts égales. »

« Plus que des maisons de pierre et de bois, nous habitons d'abord des cabanes de mots, tremblantes et pleines de jour. On dit je t'aime pour se réchauffer ; on dit orange, et l'on sent ses doigts ; on dit il pleut pour le plaisir de rester à l'intérieur, pelotonné près de la lumière du mot livre. (Livre, qui vient de liber : la partie vivante de l'écorce d'un arbre, comme aussi liberté.) 
Bien sûr le monde est là, les choses existent, mais on peut toujours les changer ou les faire disparaître en un claquement de doigts ; en disant je ne t'aime plus. Ou je crois. »

« Mon temps autrefois m'appartenait entièrement, et aux livres. Aujourd'hui, chaque minute consacrée à lire ou à écrire est une minute que je ne passe pas avec ma fille ; l'écriture s'accompagne désormais d'une hâte et d'une culpabilité détestables. C'est du temps que je lui dérobe, que je ne retrouverai pas, que j'aurais dû lui consacrer et que je n'aurai jamais passé avec elle. Depuis sa naissance, je me prends à penser au futur antérieur et au conditionnel passé, des temps compliqués qui sont le signe qu'on considère les choses sous un point de vue autre que celui depuis lequel on parle normalement : demain vu comme passé, hier comme possibilité. »

« Parce que pour être capable de lire les bons il faut parfois avoir lu ceux qu'on dit méchants. Les livres se parlent entre eux avant de nous parler à nous. »

« Selon le Trésor de la langue française, le verbe enceindre désigne le fait d'« entourer, contenir dans certaines limites ». Or, à l'évidence, la femme enceinte n'est pas entourée ni contenue, c'est en fait le contraire : elle est elle-même le contenant. 
J'ai fini par résoudre la difficulté le jour où j'ai compris que le mot enceinte ne devait pas être entendu comme un adjectif, mais comme un substantif. Une femme-enceinte, c'est une femme qui est non pas enceinte en quelque choses, mais qui forme elle-même une enceinte. Une femme-cloître. »

« [...] il faut en effet une grande sagesse pour savoir non seulement lire, mais écrire dans le grand livre de la nature. »

« Cette abbaye ne représente pas la même chose aujourd'hui qu'il y a mille ans, c'est une évidence. Mais que ressentait-on à l'intérieur de ces murs en l'an de grâce 1015, ou 1515 ? Que ressentait-on hors de ces murs ? Longtemps, j'ai craint d'être incapable d'écrire un livre qui se déroule à une époque où l'on ne connaissait pas la pomme de terre. Ce n'était pas métaphorique ; je ne voulais pas dire un monde où l'Amérique n'existait pas encore, mais vraiment un monde où l'on n'avait jamais goûté à une pomme de terre. [...]
Le plus difficile, en essayant d'écrire le passé, ce n'est pas de tenter de retrouver la science, la foi ou les légendes perdues, de faire ressurgir les gargouilles et les tailleurs de pierre ; c'est d'oublier le monde tel qu'on le connaît ; c'est, dans ce monde d'aujourd'hui, d'effacer tout ce qui n'était pas encore, tout ce qui existait mais échappait à la vue ou à l'entendement. Comment se priver de la moitié de ce que l'on connaît sans tout à coup avoir l'impression de devenir à moitié sourd et à demi aveugle ? Comment oublier l'odeur du tabac, le goût du chocolat et le rouge de la tomate, comment ne pas voir sur toutes les tables un trou en forme de pomme de terre ? »

« Ce jour-là, la lumière s'était éteinte. Le jour était devenu la nuit, la nuit était devenue de la cendre. »

« Il y a des hommes qui ont une pierre à la place du coeur, j'en connais et je m'en garde. Mais d'autres ont un coeur à la place de la cervelle, et cela ne vaut pas mieux. »

« Étrange renversement, du cloître à la prison, tous deux lieux d'enfermement, le premier volontaire, le second forcé. Il y a entre ces deux types de confinement la même différence qu'entre un mariage d'amour et un viol. D'un côté le don, de l'autre le vol. »
« Quelquefois, point n'est besoin de croire, il suffit de continuer à marcher. »

« On ne devient pas moine au XVème siècle pour les mêmes raisons qui font qu'on entre dans les ordres aujourd'hui. La décision avait à l'époque un caractère social, culturel, économique et politique, alors qu'elle procède maintenant essentiellement d'un choix personnel. Jadis, les cadets de famille qui savaient qu'ils ne recevraient pas d'héritage, et dont les aînés avaient pris les armes pour se mettre au service de leur roi, de leur duc ou de leur seigneur, se faisaient religieux. C'était en outre un moyen comme un autre de vivre confortablement en exerçant une influence parfois importante, tout en gagnant son ciel et, le cas échéant, celui de ses proches - épouses et enfants y compris, car il arrivait que les voeux de chasteté et de pauvreté fussent entendus dans une acceptation plutôt large. »

« Il ne nous suffit point d'apprendre, de savoir et de croire. Il nous faut encore inventer.  »
« Le Mont deux fois par jour est une île. Le reste du temps, c'est un morceau de terre mal rattaché au continent, comme s'il avait pour mission de nous rappeler que tous les liens sont fragiles et éphémères. On n'est jamais si seul ni si entouré qu'on veut bien le croire. »

« Dans les yeux de l'enfant brillait le reflet de ces créatures inventées pour lui. Anna avait raison quand elle s'obstinait à broder ses méduses et ses licornes. L'espace d'une seconde, je l'avais retrouvée, en même temps qu'une raison de faire : montrer ce qui n'existe pas. On ne donne jamais que ce qui nous manque. »

Quatrième de couverture

Aux belles heures de sa bibliothèque, le Mont-Saint-Michel était connu comme la Cité des livres. C’est là, entre les murs gris de l’abbaye, que, au XVe siècle, un peintre pleura un amour incandescent qui le hanta à jamais et c’est là qu’il découvrit, envoûté par les enluminures, la beauté du métier de copiste. C’est également là, entre ciel et mer, que cinq cents ans plus tard une romancière viendra chercher l’inspiration. Est-il encore possible d'écrire quand on vient de donner la vie ?
Dans ce lieu si emblématique, leurs destins se croisent malgré les siècles qui les séparent.
À la fois roman et carnet d’écriture, Au péril de la mer est un fabuleux hommage aux livres et à ceux qui les font.

« Une dentelle d’eau, d’encre et de pierre dont on ne veut perdre aucun fil. » - L’Actualité
« L’écriture de Dominique Fortier est portée par une langue riche, belle et évocatrice. » - La Presse

Éditions Les Escales, janvier 2019
191 pages
Prix Littéraire du Gouverneur général 2016

mardi 18 mai 2021

La goûteuse d'Hitler ★★★★☆ de Rosella Postorino

Margot Wölk - Rosa Sauer, anti nazie, dans le roman - a été goûteuse d'Hitler, quand celui-ci a émis le doute, la peur, d'être empoisonné par les Alliés, à partir de 1943. Rosa ainsi que d'autres femmes ont risqué leur vie pour le Führer. Elles ont, chaque jour passé dans ce réfectoire de la Wolfsschanze, en Prusse orientale, tenté de survivre, lutté pour garder leur dignité, leur humanité. Chaque bouchée pouvait potentiellement être la dernière.
Rosella Postorino a certainement pris des libertés en retranscrivant l'histoire de cette femme, mais quand bien même, l'auteure écrit un livre riche, émouvant, sensible, sororal. Et l'Histoire, que ce soit celle de la Shoah, celle des Allemands dans les campagnes sous le joug de la dictature et des SS, celle de la Résistance allemande ... imprègne par touches ce roman. 
La goûteuse d'Hitler est l'histoire marquante d'une destinée douloureuse, déchirante, heureuse aussi... 
L'écriture est originale, prenante, l'auteure superpose les périodes avec talent, sans nous perdre, décrit les sentiments au plus proche de la réalité, écrit magnifiquement les émotions. Et même si, j'ai déploré quelques longueurs, cette lecture n'est pas prête de me sortir de la tête, elle m'a bien noué l'estomac, si je peux me permettre !

« L'homme ne vit que d'oublier sans cesse qu'en fin de compte il est un homme. » Bertolt Brecht, L'Opéra de quat'sous. Cité en exergue

« Les semaines passèrent et notre méfiance à l'égard de la nourriture faiblit, comme devant un homme qui vous fait la cour et à qui vous autorisez une intimité croissante. Nous, humbles servantes, nous repaissions désormais avec avidité, mais aussitôt après, le renflement de vos abdomens diminuait notre enthousiasme, ce qui pesait sur l'estomac semblait peser sur le coeur, et ce quiproquo teintait de découragement l'heure qui suivait le banquet. »

« Je pensai à nouveau que nous n'avions pas le droit, nous, de parler d'amour. Nous vivions une époque infirme, qui bousculait les certitudes, démembrait les familles, mutilait tout instinct de survie. »

« Souvent un secret partagé sépare au lieu d'unir. Quand elle est commune, la faute est une mission dans laquelle on se jette tête la première, de toute façon elle s'évapore vite. La faute collective est informe, la honte est un sentiment individuel. »

« Sa ténacité est une forme de faiblesse, son pouvoir sur moi. »

« Nous avons vécu douze ans sous une dictature, presque sans nous en apercevoir. Qu'est-ce qui permet à des êtres humains de vivre sous une dictature ? 
Il n'y avait pas d'autre voie, voilà notre alibi. Je n'étais responsable que de la nourriture que j'avalais, une geste inoffensif que de manger : comment pourrait-on l'ériger en faute ? Les autres avaient-elles honte de se vendre pour deux cent marks par mois, une excellente paie assortie de repas sensationnels ? De croire, comme je l'avais cru, qu'il était immoral de sacrifier sa vie si le sacrifice était inutile ? J'avais honte devant mon père, alors qu'il était mort, parce que la honte a besoin d'un censeur pour se manifester. Il n'y avait pas d'autre voie, disions-nous. Mais avec Ziegler, si. Et au lieu de la choisir, j'avais porté mes pas vers lui parce que j'étais capable d'aller jusque-là, jusqu'à cette honte faite de tendons, d'os et de salive - je l'avais tenue dans mes bras, ma honte, elle mesurait au moins un mètre quatre-vingts, pesait soixante-dix-huit kilos en plus, foin d'alibi et de justification : le soulagement de la certitude. »

« La capacité d'adaptation est la principale ressource des êtres humains, mais plus je m'adaptais et moins je me sentais humaine. »

« À ce moment-là j'aurais pu savoir. Connaître l'existence des fosses communes, des Juifs alignés à plat ventre, attendant d'être tués d'une balle dans la nuque, de la terre, de la cendre et de l'hypochlorite de calcium qu'on jetait sur les corps pour qu'ils n'empestent pas, des nouvelles rangées de Juifs qui marchaient sur les cadavres et offraient leur nuque à leur tour. J'aurais pu connaître l'existence des enfants soulevés et fusillés, des files d'un kilomètre de Juifs ou de Russes - ce sont des Asiatiques, ils ne sont pas comme nous - sur le point de tomber dans les fosses ou de monter dans les camions pour être gazés au monoxyde de carbone. J'aurais pu l'apprendre avant la fin de la guerre. J'aurais pu demander. Mais j'avais peur et je n'arrivais pas parler et je ne voulais pas savoir. »

Quatrième de couverture

1943. Reclus dans son quartier général en Prusse orientale, terrorisé à l’idée que l’on attente à sa vie, Hitler a fait recruter des goûteuses. Parmi elles, Rosa.

Quand les S.S. lui ordonnent de porter une cuillerée à sa bouche, Rosa s’exécute, la peur au ventre : chaque bouchée est peut-être la dernière. Mais elle doit affronter une autre guerre entre les murs de ce réfectoire : considérée comme « l’étrangère », Rosa, qui vient de Berlin, est en butte à l’hostilité de ses compagnes, dont Elfriede, personnalité aussi charismatique qu’autoritaire.

Pourtant, la réalité est la même pour toutes : consentir à leur rôle, c’est à la fois vouloir survivre et accepter l’idée de mourir.

Couronné en Italie par le prestigieux prix Campiello, ce roman saisissant est inspiré de l’histoire vraie de Margot Wölk. Rosella Postorino signe un texte envoûtant qui, en explorant l’ambiguïté des relations, interroge ce que signifie être et rester humain.

« Ce livre où l’on parle d’amour, de faim, de survie et de remords vous reste gravé dans le cœur. » Marie Claire Italie

Éditions Albin Michel, janvier 2019
384 pages
Traduit de l'italien par Dominique Vittoz
Prix Campiello 
Prix Jean Monnet de Littérature Européenne 2019

La Sainte Touche ★★★☆☆ de Djamel Cherigui

La Sainte Touche est une sainte peu catholique, mais fort aimable et vénérée au plus haut point puisque le jour de la Sainte Touche, on touche ses allocations. Et quand le tiroir caisse s'active, cela fait le bonheur d'Alain Basile, puisque cette rentrée d'oseille lui permet de récolter les loyers de ses locataires du dessus de son épicerie. Alain, c'est le Saint-Patron qui domine la Sainte Touche et ses locataires dans la précarité dont il abuse quelque peu. Alain, son grand rêve, c'est de devenir millionnaire, de rendre sa femme fière de lui. Pour cela, il choisit les chemins de traverse, ceux boueux, audacieux mais risqués, ceux du pari et non ceux de la sagesse, enivrés et enivrants. 
Pour le meilleur et pour le pire, un jeune étudiant fainéant, "l'artiste", croise la route de ce "business man" atypique. Ce jeune s'est barré de chez lui - son daron n'a pas accepté qu'il puisse penser à arrêter l'école pour devenir écrivain. Vivre à la rue, en errance n'est pas donné à tout le monde, et vouloir voler de ses propres ailes, découvrir le monde, c'est aussi prendre le risque de récolter « un fond de poubelle pour bouffer et un bout de trottoir pour pioncer ».  
Le langage est argotique, cru, brut, sans fioritures, savoureux et enthousiasmant ! D'un verbe de ouf ! 
La Sainte Touche, c'est roman social cocasse et je rejoins totalement François Busnel, ça fait franchement du bien ! Je l'ai trouvé également extrêmement touchant sous ses airs légers et drôles, sans véritable intrigue apparente, il donne à réfléchir sur la condition des jeunes en déroute. À lire et encore plus à écouter je pense !

Un très bon moment de lecture jubilatoire que je dois @luparahlam sur Babelio et @AhlamALu sur Insta. Merci Ahlam ! Son retour de lecture est superbe et très enthousiaste ! Et sa page Insta est une tuerie !

« L'argent qu'on possède est l'instrument de la liberté ; celui qu'on pourchasse est celui de la servitude. » Jean-Jacques Rousseau

« Tout corps persévère dans l'état de repos ou de mouvement uniforme en ligne droite dans lequel il se trouver, à moins que quelque force n'agisse sur lui, et le contraigne à changer d'état. » Isaac Newton

« La vie bohème, c'est pas comme dans les comédies musicales. Y'a rien de romantique là-dedans. Tout le temps que j'ai zoné dans la rue, j'ai vu ni peintre ni poète. Pas d'ateliers d'artiste avec des lilas jusque sous les fenêtres. Que des caves humides et des bouches de métro. Des squats délabrés. Clochards, toxicos, et punks à chiens. Gueules tordues et regards glacés. Des mecs qui t'écorcheraient vif pour un bifton de cinq balles. Rien de ce que j'avais imaginé. Putain de désillusion. »

« Ici y'a qu'un moyen de s'en sortir … C'est en charbonnant ! Oui, l'artiste ! Le charbon, le taf, le boulot, le job, le turbin ! … Appelle ça comme tu voudras, le fait est qu'ici, on n'a rien sans rien… Et plus tôt il l'apprendra et mieux ce sera. Moi, j'te l'dis, j'lui sauve la vie au bledien. C'est de l'aide à l'insertion, v'là ce que j'fais, moi ! L'État devrait me filer une médaille pour ça... Hein, l'artiste ? Qu'est-ce que t'en penses ? T'es pas d'accord ?
Vu comme ça, il n'avait pas tout à fait tort. »

« Le colosse se dégage facilement. Il fait un pas en arrière, prend son élan... et paf !!! ... Il me colle une grosse beigne en plein pif. Un filet de sang jaillit de ma truffe, j'aperçois des petites étoiles qui dansent autour de moi. Ca aurait pu lui suffire, au mec (enfin, moi j'trouvais) mais non ! Le v'là qui m'bloque dans un coin du couloir. Il s'acharne sur ma tronche : Jabs ! Crochets ! Uppercuts ! Y s'fait plaisir le mec ! Il prend tout son temps, il me lamine, me martèle. C'est un pilonnage intensif, c'est la Marne et la Vendée sur ma gueule. Ses mains sont des battoirs, ses avant-bras, des marteaux-piqueurs. Il m'estropie la trogne, me vandalise la poire. C'est de la démolition ! Du gros œuvre ! Y m'travaille un peu avec les coudes...»

« L'esprit, c'est comme la nature, il a horreur du vide. »

Quatrième de couverture

Des mecs comme Alain Basile, vous n’en croiserez pas tous les jours et pas à tous les coins de rue.
C’est dans son épicerie, La Belle Saison, que j’ai fait sa connaissance. Mon père venait de me mettre à la porte et je vagabondais dans les rues en rêvant d’une vie de bohème. Alain, lui, il en avait rien à faire de la bohème et des lilas sous les fenêtres, sa seule ambition était de devenir millionnaire. Pour réussir, il était prêt à tout et avait besoin d’un associé. C’est tombé sur moi. Mais accuser Alain Basile d’avoir chamboulé mon existence reviendrait à reprocher au Vésuve d’avoir carbonisé Pompéi. Sans lui, je n’écrirais pas aujourd’hui.

Si La Sainte Touche raconte les aventures d’un duo improbable avec humour, c’est aussi un pur joyau littéraire, aussi cynique que romantique. Un roman dans la veine de Karoo de Steve Tesich, de la série Breaking Bad et du film Dikkenek.

Éditions JC Lattès, label La Grenade, mars 2021
222 pages

dimanche 9 mai 2021

Little Bird ★★★★☆ de Craig Johnson

Le shérif du comté d'Absaroka dans le Wyoming, un doux écorché, se dévoile dans ce premier tome de la série. Walter Longmire ne m'est pas inconnu ; j'ai déjà eu l'occasion de le suivre dans quelques unes de ses aventures en abordant la série de Craig Johnson dans le désordre. Le shérif, autant que l'auteur m'inspirent confiance ; alors j'y retourne, avec plaisir, de temps à autre, dans les Big Horn Mountains, avec cette promesse d'évasion garantie
Little Bird, premier opus d'une longue série, met en place le contexte, décrit la rudesse des paysages du Wyoming, campe les personnages, ceux qui resteront, qui accompagneront Longmire dans d'autres aventures, ceux qui lui sont liés de près ou de loin, ceux auxquels je me suis attachée. 
Une histoire de vengeance plane sur les Big Horn Mountains, et Walter va être bien occupé à élucider le meurtre d'un jeune homme blanc condamné quelques années plus tôt pour viol contre une indienne cheyenne, Mélissa Little Bird, et à protéger les trois autres jeunes hommes également impliqués dans cette affaire.
Une enquête une nouvelle fois rondement bien menée, où tout le monde se révèle être un suspect potentiel. Une course folle s'est engagée entre un tueur redoutable et le shérif et son équipe. 
Mais, ne vous y trompez pas, nous sommes loin de la course haletante, mais plus proche ici, du Nature Writing, dans lequel Craig Johnson excelle à distiller les thèmes qui lui sont chers : le racisme, la problématique des armes aux Etats-Unis, les traumatismes psychiques liés à des faits de guerre… 
La série des enquêtes du shérif Longmire est une valeur sûre pour moi. J'aime ces longues lectures simples et immersives, et même si le rythme n'est pas foufou, elles me transportent dans une autre contrée, me laissent le temps de m'imprégner des paysages environnants, de l'atmosphère, de sa magie, et des personnages. Je partage leurs joies comme leurs souffrances, les coudes posés sur le comptoir d'un rade, savourant, par procuration ;-), un bon breuvage et dévorant leur tirades non dénuées d'humour.

« - BOB BARNES DIT QU'ILS ONT TROUVÉ UN CORPS sur les terres du Bureau d'Aménagement du Territoire… Ligne une.
Elle avait peut-être frappé à la porte, mais je n'avais pas entendu parce que j'observais les oies. J'observe beaucoup les oies en automne, quand les jours raccourcissent et que la glace ciselle les contours rocheux de Clear Creek. Le bureau du shérif se trouve dans l'ancienne bibliothèque Carnegie du comté d'Absaroka ; on en a hérité le jour où la bibliothèque s'est retrouvée avec tellement de livres qu'elle a dû déménager. Nous avons encore le portrait d'Angy Carnegie sur le palier, dans le hall d'entrée. Chaque fois que le précèdent shérif quittait le bâtiment, il saluait le vieux philanthrope. J'occupe le grand bureau côté sud, ce qui me donne une vue dégagée sur les Big Horn Mountains à droite et la vallée de la Powder River à gauche. Les oies descendent la vallée vers le sud, en s'éloignant de moi. Généralement, je suis assis dos à la fenêtre, mais parfois, on me surprend tourné dans l'autre sens ; il semblerait que cela arrive de plus en plus souvent ces derniers temps. »

« Je jetai un regard nostalgique au bar en passant devant. Les lumières étaient allumées et quelques vieux pick-up étaient garés à égale distance autour du bâtiment ; dans le Wyoming, même les camions ont leur espace vital. »

« - T'as perdu une épouse toi aussi, Officier ?
Je fus surpris.
- Oui.
- C'est terrible de perdre une épouse, non ?
Sa conversation consistait en une série de questions qui donnaient un tour philosophique à l'échange. Je ne savais pas bien auxquelles je devais répondre, du coup, je répondais à toutes.
- Ouaip.
- Ils disent que c'est comme perdre une partie de soi-même, mais c'est pire que ça ?
- Comment ça ?
- Quand elle partent, il nous reste ce qu'on est après avoir été avec elles, et parfois, on reconnaît pas cette personne… »

« Rien de tel qu'un cadavre pour vous faire sentir, disons, décalé. J'imagine que les super flics de la ville, qui se font jusqu'à quarante ou cinquante homicides par an, s'y habituent, mais moi, j'ai jamais pu. J'ai côtoyé assez d'animaux sauvages et de bétail pour que la mécanique de la mort me soit familière. Certains ont une religion qui donne une valeur à ce passage, à ce moment ultime, où, de créature verticale, on devient horizontale. Hier, on était anonyme quelconque, et aujourd'hui, on est le mort couvert d'honneurs, les mains emballées dans des sachets fermés par des élastiques. »

« J'examinai le râtelier à fusils fixé au mur droit et pensai à cette affirmation selon laquelle les armes à feu avaient fait de ce pays ce qu'il était aujourd'hui, en me demandant si c'était une bonne ou une mauvaise chose. Nous étions une race combative. Ce n'était pas particulièrement sévère de ma part, je n'avais pas besoin de l'être, l'Histoire l'était à ma place. Dix grandes guerres et d'innombrables escarmouches sur les deux cents dernières années en disaient assez long. Mais ça, c'était de l'histoire politique, pas de l'histoire personnelle. J'avais été élevé sur un ranch, mais grâce à mon père, l'attrait pour les armes m'avait échappé. À ses yeux, un fusil était un outil, pas une espèce de divinité foireuse. Les gens qui donnaient un nom à leur arme à feu l'inquiétaient, et moi aussi. »

« Personne ne peut se faire un gilet pare-balles contre les émotions, alors, on ne peut que trimbaler les éclats d'obus avec soi. »

« - Lucian, fais moi plaisir, ne descends personne. Il actionna la pompe du Remington et fourra une balle de calibre .12 dans la chambre.
- Y'a rien de mal à descendre des gars, tant qu'on descend les bons. »

« Je lui avais posé des questions sur Jim et elle m'avait dit qu'il était parti dans le Nebraska chasser avec des amis, chasser l'oie. Son ton était hésitant et j'étais certain qu'il y avait quelque chose à creuser, là. Alors, j'avais utilisé un de mes vieux truc de flic et je lui avais demandé s'il n'y avait pas quelque chose qu'elle voudrait me dire. Elle avait utilisé un de ses vieux trucs de mère et m'avait répondu non. Les trucs de flics ne font pas le poids devant les trucs de mère. »

« Le problème avec la colère est qu'une fois qu'elle est consommée, les réservoirs sont vides. »

« À un moment, plongé dans mes réflexions, je vis un petit flocon tout rond traverser mon champ de vision, se poser contre l'un des blocs de ciment et disparaître. Il y en avait d'autres, maintenant, qui flottaient doucement dans la fraîcheur de l'air nocturne. Les scientifiques disent que les flocons, en tombant dans l'eau, font un bruit, comme le gémissement d'un coyote; le son atteint son apogée puis décroît, le tout en environ un millième de seconde. Ils ont découvert ça quand ils ont utilisé un sonar pour repérer les migrations des saumons en Alaska. Les flocons de neige faisaient tellement de bruit que les signaux émis par les poissons étaient inaudibles et l'expérience dut être abandonnée. Le flocon flotte sur l'eau, et il y a peu de bruit en dessous; mais dès qu'il commence à fondre, l'eau monte par capillarité. On suppose qu'il y a des bulles d'air qui sont émises par le flocon, capturées par l'eau qui monte. Chacune de ces bulles vibre en essayant d'atteindre l'équilibre avec son entourage et émet des ondes sonores, un cri si faible et si aigu qu'il est indétectable par l'oreille humaine. »

Quatrième de couverture

Après vingt-quatre années passées au bureau du shérif du comté d'Absaroka, dans le Wyoming, Walt Longmire aspire à finir sa carrière en paix. Ses espoirs s'envolent quand on découvre le corps de Cody Pritchard près de la réserve cheyenne. Deux années auparavant, Cody avait été un des quatre adolescents condamnés avec sursis pour le viol d'une jeune indienne, Melissa Little Bird, un jugement qui avait avivé les tensions entre les deux communautés. Aujourd'hui, il semble que quelqu'un cherche à se venger. Alors que se prépare un blizzard d'une rare violence, Walt devra parcourir les vastes espaces du Wyoming sur la piste d'un assassin déterminé à parvenir à ses fins.

Avec Little Bird, premier volet des aventures de Walt Longmire, Craig Johnson nous offre un éventail de personnages dotés d'assez de sens du tragique et d'humour pour remplir les grandes étendues glacées des Hautes Plaines.

Les personnages parlent plus vite que leur ombre et les paysages du Wyoming ont leur éloquence propre.
THE NEW YORK TIMES

Éditions Gallmeister, mai 2009
409 pages
Traduit de l'américain par Sophie Aslanides

mardi 4 mai 2021

Ta mort à moi ★★★★☆ de David Goudreault

Avant de m'attaquer au dernier pan de la trilogie de la bête, j'ai eu envie de prendre "une dose" de David Goudreault avec des personnages différents. 
Elle fut savoureuse cette dose de mots. Une saveur absolument déroutante, atypique ! Bluffante ! David Goudreault joue avec ses lecteurs, maintient le suspense, jongle avec les mots, et il le fait diablement bien. 
La forme, un récit éclaté, polyphonique, déconstruit, des chapitres désordonnés, mais jamais je ne me suis perdue. D'ailleurs « La vie n'a pas de sens, c'est le récit qu'on en fait qui lui en donne. Quelle idiotie de prétendre raconter quoi que ce soit de pertinent si on demeure figé dans la rigidité linéaire ! Les romans, les biographies et les récits devraient tous s'écarter de ce formalisme mensonger. La vérité passe par l'éclatement des chapitres et des strophes dans un désordre ne répondant qu'à un souci de compréhension, d'intelligibilité, de cohérence. La ligne droite est un injustifiable détour. » 
Le fond : un livre sur les écorchés en errance, le deuil (il « y a des deuils qui nous habitent longtemps »), notre société, la littérature et le travail de l'écrivain, la vie. Sur la liberté. Soyons libre « de tout gâcher, d'éblouir, de décevoir, d'aimer, de s'enfuir, libre de mourir ».
Pas envie d'en dire plus, pour garder la surprise intacte à ceux qui souhaiteraient ouvrir ce livre. Juste peut-être qu'il y a cette jeune fille talentueuse, avec sa « vie de funambule unijambiste progressant sur un fil barbelé », ce génie qui incarne pleinement cette liberté, et un biographe qui nous donne la vision de sa réalité.
C'est ingénieux, subtil, philosophique, terrifiant aussi. 
« Combien d’enfants se sont pendus au bout des liens d’attachement qu’ils n’ont jamais eus ? »

David Goudreault, merci !


« Mes livres sont les jeux irresponsables d'un timide qui n'a pas eu l courage d'écrire des récits et qui s'est distrait en falsifiant et déformant les histoires d'autrui. » Jorge Luis Borges, en exergue

« 26 août 2018
J'ai eu la chance de ne jamais en avoir. J'ai pu me défaire et me parfaire à partir de rien, de moins que rien même. Je mérite une pause. Je laisse dans ces pages tous les doutes et les secrets qui m'ont broyé l'âme, tout ce que j'ai dû supporter pour en arriver là, ici, en paix, enfin.
Des légions d'imbéciles osent affirmer que le chemin est plus important que la destination. Ils ne connaissent rien des routes escarpées que les femmes de ma race doivent arpenter. Le souffreteux de Nietzsche s'acharnait à répéter que tout ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort ; quelle connerie ! Ce qui ne nous tue pas nous estropie, nous traumatise ou nous humilie. Le reste du temps, on aime ou on se ment.
Quand on est condamné à gravir sur les coudes un sentier de vitre concassée dans une solitude brisée seulement, à de rares occasions, par le passage d'un autre Sisyphe épuisé, on n'a plus rien à foutre du paysage et de ses enseignements, on veut juste se rendre au bout du parcours. Pour une fois, atteindre le sommet. »

« Je ne prétends pas être impartial. Je suis d'abord romancier, parfois enseignant, un peu poète, mais si je m'improvise biographe aujourd'hui, c'est par amour du sujet. Marie-Maude ma fascine. Tant d'experts se sont penchés avec une cruelle intransigeance sur la vie et l'œuvre de Pranesh-Lopez. La particularité de la biographie proposée ici, outre mes digressions et interprétations, réside dans les mots mêmes de la femme mise en lumière. pour la première fois, des pages de ses journaux intimes, des lettres et des notes manuscrites sont retranscrites intégralement. Reçus des mains mêmes d'un proche de l'artiste, analysés par des graphologues de renom, ces mots sont officiellement ceux de la poète. Ils jettent un éclairage nouveau, bouleversant, sur son existence ; une vie de funambule unijambiste progressant sur un fil barbelé.
Véritable jeu de pistes, parfois piégées, l'œuvre de cette écrivaine tourmentée ne cesse de polariser admirateurs et détracteurs. Cohérence de l'existence et de l'œuvre pour certains, tissu de mensonges que l'on devrait brûler pour d'autres ; prophète doublée d'une poète pour les premiers, croisement dégénéré de Raspoutine et d'Aileen Wuornos pour les seconds. Le parcours déroute. »

« J'ai trouvé ma vérité, et je vous l'offre. Tout est une question de perspective, il existe toujours plusieurs façons de ne pas voir les choses. »

« Dans la vie, tout peut arriver, surtout le pire. »

« Il n'y a pas que les fous qui ne changent pas d'idée. A la garderie comme à la maison, Marie-Maude avait déjà la noblesse des coeurs entêtés, des persévérants dans l'erreur ; la grandeur d'âme des déterminés de l'errance, des acharnés de la fausse route. Le monde lui était laid, et elle le lui rendait bien. Elle boudait sans compromis, se renfrognait avec une mauvaise foi admirable, passait des heures et des jours à refuser toute interaction. Elle vait chois la cohérence du coeur et du corps, une laideur intégrale. Il n'y a que les éraflés qui s'exposent, les véritables écorchés apprennent à se protéger. »

« Réflexions préparatoires n°8
Les jours passent et se ressemblent tellement qu'on a de la difficulté à se situer dans le temps. Certaines dates sont enregistrées dans le lobe temporal, une série de moments peuvent être placés chronologiquement, mais la plupart des journées banales de nos vies tout aussi banales s'entassent en désordre au fond de nos crânes.
Toute histoire devrait être présentée dans une séquence explicative, peu importe l'ordre des événements. La vie n'a pas de sens, c'est le récit qu'on en fait qui lui en donne. Quelle idiotie de prétendre raconter quoi que ce soit de pertinent si on demeure figé dans la rigidité linéaire ! Les romans, les biographies et les récits devraient tous s'écarter de ce formalisme mensonger. La vérité passe par l'éclatement des chapitres et des strophes dans un désordre ne répondant qu'à un souci de compréhension, d'intelligibilité, de cohérence. La ligne droite est un injustifiable détour. »

« NOTES - Aristote fut le premier à décrire les humains d'exception qui subjuguent leur époque, les « peritoi andres », qui prendront au fil du temps le titre de génies, dérivé du latin genius, de genere : créer, produire. Par définition, les génies sont rares, mais les maladies mentales sont communes, et les génies atteints de maladies mentales sont légion : Vincent Van Gogh, Rosalind Franklin et Edgar Allan Poe en sont des exemples éloquents. »

« Les yeux secs comme des marqueurs sans bouchons, les enfants goûtaient davantage avec le plaisir de la délation que celui de la justice. L'ordre du monde repose sur de petites choses, de toutes petites choses. »

« Peut-on séparer l'œuvre de l'artiste ? Dans quelle mesure doit-on éclairer les écrits d'un génie à la lumière des traumatismes de son enfance, de ses errances politiques ou de ses déviances sexuelles ? Burroughs est-il un romancier moins pertinent parce qu'il a tiré une balle dans la tête de sa conjointe ? Peut-on se permettre de renier les grandes pages de Marguerite Duras en argumentant qu'elle était une exhibitionniste acariâtre qui tyrannisait ses jeunes amants ? Quid des perversions notoires des prédateurs Sartre et Beauvoir ? Et doit-on incendier l'œuvre du Dr Destouches comme celui-ci encourageait les nazis à brûler des Juifs ? »

« Et si les deux pouvaient coexister, si Miron représentait effectivement toute la force poétique de son époque et Pranesh-Lopez la puissance du millénaire naissant ? Quelques mois avant son décès, l'académicien Jean d'Ormesson n'écrivait-il pas qu'« il fallait bien une jeune femme, fille d'immigrants de surcroît, pour concentrer toute la richesse, la diversité et la complexité de l'âme québécoise moderne en un seul livre ? » »

« Ce que les professeurs de littérature appellent le style, ce sont les libertés que nous prenons sur ce que nous apprennent les professeurs. Marie-Maude n'a pas rué dans les brancards, elle a saccagé l'écurie. D'un élan viscéral, elle a déconstruit le vers, réduit en ruine la rigidité syntaxique pour mieux réinventer l'iconographie contemporaine. Il y avait un avant et on ne s'en remettrait jamais après. »

« Les corps des parents peuvent survivre à la mort d'un enfant, le couple rarement, l'innocence jamais. Ceux qui croyaient marcher d'un unique élan découvrent qu'ils avançaient côte à côte ; qu'un seul ralentisse ou accélère le pas et la fragile synchronisation cède. On tient à peu de choses et peu de choses nous retiennent. »

« L'amour est un chien fou à qui on donne la patte. »

« Réflexions préparatoires n°20
Le refoulement des sentiments est la première qualité d'un écrivain. La perle ne se confectionne qu'avec le temps et la claustration ; l'intrusion d'un débris, d'un déchet ou d'une émotion déclenche les mécanismes de la création. Couche après couche, chapitre après chapitre, la menace sera avalée, dissimulée sous le nacre.
On exige des auteurs qu'ils soient dans leurs oeuvres et dans nos vies à la fois. L'introspection essentielle à la création littéraire ne saurait tolérer des génies éparpillés, qui se répandraient d'un média à l'autre comme de vulgaires humoristes. J.D. Salinger ne s'isolait pas par manque de repartie, mais par cohérence. Si l'écrivain parle mieux qu'il n'écrit, qu'il abandonne sa plume et prenne un micro. Sinon, qu'il ferme sa gueule et retourne travailler ! »

« Ma mère dit que je devrais prier. Pour un atrophiée de la fantaisie, elle accorde beaucoup de crédit à l'incroyable mystère de la foi. De toute façon, on a davantage supprimé de vies au nom de Jésus qu'il a pu en sauver de son vivant. Cette évidence mathématique est irrecevable pour elle, Dolorès-la-douloureuse demeure convaincue que la prière pourrait me transformer, me transfigurer, qu'elle ferait pour moi ce qu'elle ne parvient pas à faire pour elle… Pauvre génitrice, aime-moi donc comme je suis, que je constate le miracle. Alléluia. Hosanna. Amen. Et cetera. »

« L'excès de lucidité est la première cause de dépression. »

« Maudit journal, rien ne me fait rien. Depuis dix jours, mon corps est une expérience d'ennui interminable, un lent et long désœuvrement. Je crois que seul un chirurgien parviendrait à me toucher le coeur.
Dante était dans le champ, l'enfer ce ne sont ni les flammes, ni les tourments, ni la souffrance ; c'est le vide, l'absence. L'enfer, c'est l'absence de souffrance, de flammes, de tourments pour nous occuper l'esprit, et l'espoir, c'est la conscience du néant en soi et autour de soi. Le rien. L'enfer, c'est rien.
C'est rien, demain est presque-là. »

« Réflexions préparatoires n°13
Terme issu de la métallurgie, repris par des psychiatres vulgarisateurs et nombre de conférenciers médiocres, la résilience est un des mots les plus galvaudés de l'époque. Synonyme de capacité à surmonter les obstacles et à grandir dans l'adversité pour le commun des mortels, la résilience indique plutôt la qualité d'un matériau à retrouver ses propriétés originelles après avoir été martelé, brûlé, tordu ou soumis à une quelconque tension.
Pour l'appliquer aux humains en respectant l'étymologie première, on doit évacuer toute notion d'optimisme à l'eau de rose. Le psychopathe qui maintient sa rigidité psychologique en interrogatoire est résilient, le toxicomane qui renoue avec sa résistance aux effets des substances après un sevrage forcé est résilient, le militaire qui se laisse trucider dans une bataille perdue d'avance est résilient ; les résignés sont plus résilients que les optimistes. Il ne s'agit donc pas de tendre vers les hautes sphères de la vertu, mais de rester fidèle à sa nature profonde. Mère Teresa et Adolf Hitler constituent tous deux d'excellents modèles de résilience. »

« Officiellement, la CIA est un organe indépendant du gouvernement des États-Unis qui autorise ses employés à commettre des meurtres. Officieusement, elle fait pire. »

« P-S. L'amour, c'est se réjouir des bonheurs de l'autre et déplorer ses malheurs. Être humain, c'est l'inverse.
P-P-S. Le monde m'indiffère. Tout le monde. »

« On peut noyer ses peines dans l'alcool, mais ça ne nous débarrasse jamais de leurs cadavres. »

« Elle y était sans y être. Les voyages ne la remplissaient pas. Déjà surchargé à l'arrivée, son trop-plein de vide laissait peu de place à d'autres choses, si exotiques fussent-elles. Avec le temps, l'aventure finit par l'ennuyer, comme tout et elle-même. L'ailleurs se ressemble partout, quand on a fait le tour. C'est le même corps, la même tête et les mêmes démons que l'on traîne d'un paysage à l'autre. Le voyage est un piège à cons ; quand on ne l'est pas, on finit par en revenir. »

« On associe trop souvent la folie aux génies, c'est surtout l'ennui qui les habite. »

« On se regardait en chiens de faïence, en chiens de fusil, en chiennes aux aguets. De chaque côté du lit, nos regards se jaugeaient, se défiaient. Mille reproches, de part et d'autre, se dressaient entre nous. La distance entre des proches se calcule parfois à la hauteur des murs qui les séparent. »

« Elle n'avait jamais désiré la reconnaissance publique, encore moins la vindicte populaire. Cercle vicié, les chroniqueurs lui faisaient payer son silence en lui en mettant plein la gueule. Et le problème avec ceux qui sont trop cons pour se faire leur propre opinion, c'est qu'ils adoptent souvent celle de plus cons qu'eux. Comme la masse des imbéciles qui l'adulaient sans l'avoir lue, des légions d'esprits obtus et de racistes canalisaient leur haine sur elle depuis que les journaleux la chargeaient de tous les maux du monde. Partis de rien, arrivés nulle part, mais fiers du chemin parcouru, les crétins produisent de l'opinion sur demande. »

« Le tissu social se déchirait, devenait peau de chagrin. Chacun pour sa gueule désormais, mais le drame de l'égocentrisme demeure que le nombril n'est qu'une cicatrice. Une nécrose. Rien ne peut y survivre très longtemps. »

« Pour les génies, le suicide, c'est une mort naturelle. »

« Certaines personnes ratent leur vie comme on cause un carambolage, avec fracas, en blessant les innocents autour. Et il y a ceux qui se crashent proprement, n'endommagent qu'un poteau, un pilier de pont ou l'horizon. Entre les deux, il y a Dolorès. »

« Fort est à parier que Dostoïevski ne se trouvait pas génial lorsqu’il ruinait sa famille pour tout perdre à répétition sur la première roulette venue. »

Quatrième de couverture

Poète culte, Marie-Maude Pranesh-Lopez est une énigme, tant pour ses adorateurs que pour ses détracteurs. Pourquoi n’a-t-elle laissé qu’un unique recueil devenu best-seller partout dans le monde ? Et pourquoi sa biographie contient-elle tant de zones d’ombre ?

Fille ingrate, mère indigne, amoureuse revêche, trafiquante d’armes, mais aussi altruiste qui accueille les marginaux du Québec, Marie-Maude semble avant tout être en sempiternelle fuite, rongée de l’intérieur par un « trou blanc ». Mue par des passions féroces et une soif d’aimer, elle mène « une vie de funambule unijambiste progressant sur un fil barbelé », selon son biographe.

Dans ce roman polyphonique aux multiples rebondissements, David Goudreault entraîne le lecteur au cœur du mystère d’une femme. De son écriture forte, drôle et d’une constante tendresse pour ses personnages, il sème des textes épars, brillante constellation qui prendra son sens dans les dernières pages, révélant alors une bouleversante vérité.

« Enfant déjà, Marie-Maude souffrait d'une inextinguible soif d'absolu, une urgence d'enluminer la routine pour rendre le quotidien supportable. Le monde étant ce qu'il est, elle ne pouvait trouver l'extraordinaire qu'en elle-même. De feu de paille en feu de paille, à chercher des incendies, elle a tout enflammé autour d'elle. »

Éditions Philippe Rey, août 2020
356 pages