samedi 29 mai 2021

La dixième muse ★★★★☆ de Alexandra Koszelyk

Guillaume Apollinaire de Kostrowisky et ses poèmes à Lou, lus et relus, à une époque, et récemment pour aider ma fille à concevoir une anthologie sur l'Amour et la Guerre. Ils sont de belles déclarations à sa muse aimée qui fut pour Apollinaire un véritable soutien psychologique, une évasion salutaire qui lui a donné le courage d'affronter les dures réalités de la Première Guerre Mondiale.
J'ai aimé lire ses poèmes, comme j'ai aimé retrouver Apollinaire dans cette bio-fiction originale que nous propose Alexandra Koszelyk. Elle redonne vie à Apollinaire (à d'autres également) qui nous parle de ses amours, de ses relations d'amitié avec Pablo Picasso et Henri Rousseau, de son vécu militaire. Le fantôme de Guillaume Apollinaire, quant à lui, hante Florent, personnage mélancolique de ce roman, en proie à ses démons et qui va se laisser prendre dans les filets d'une douce, fascinante et ésotérique voix, au point que ce dernier semblera, pour le lecteur, flirter avec la folie. Mais c'est pourtant dans les pas de Guillaume Apollinaire que Florent trouvera un semblant de paix. 
« Grâce à la vie du poète, à ses écrits, je m’affranchissais désormais de mes anciennes souffrances, elle dissipait ce vide qui me hantait depuis l’enfance et dont je n’avais jamais cicatrisé : l’absence de ma mère. »
La construction de ce roman en fait sa force, l'idée de cette dixième muse est superbe ! Mais je ne vous en parlerai pas ici...  À vous de la découvrir, de vous laisser bercer par sa voix, par ses charmes. Elle est l'inspiration, elle est notre muse aussi.
« Depuis mon réveil, dans cette forêt de Stavelot, pas un seul jour n'était passé sans que j'eusse écouté ses poèmes : sa musique sur le monde pansait mes cicatrices aux boursouflures éternelles. Les hommes n'avaient-ils pas saisi l'importance d'Apollinaire, lui qui racontait l'amour, qui posait un regard nouveau sur les choses, qui magnifiait et métamorphosait le réel, qui agissait avec la même philosophie qu'un arbre, qui transmettait un message de la manière la plus libre, sans ponctuation, se délestant des atrocités du réel, se riant de tous les risques, même ceux de la guerre ? »
Un très beau roman, une belle histoire empreinte de magie, une ode à l'amour, à la poésie, à notre environnement naturel. Ouvrir ce livre, c'est accepter de lâcher-prise, de se laisser entraîner dans un voyage onirique, de déambuler lentement d'une époque à l'autre
« Le poète pose un autre regard sur la vie : il la tord, la malmène, l'embellit. Il ose le symbole, rapproche deux réalités et crée un monde nouveau. »

« Six mois étaient passés depuis sa mort, mais je tenais toujours ma peine dans le creux de mes souffles. »

« Jamais je ne m'étais demandé ce que devenaient les poètes une fois morts : ils faisaient partie de ces êtres un peu à part, hors du temps, touchant presque au sacré, et surtout immortels. »

« Il avait passé sa vie à la fuir, préférant être logé dans un complexe en béton face auquel ne s'élevait aucune ligne à l'horizon, barré par un autre géant vertical. Nous habitions près de son travail, anciennement appelé le couloir de la chimie, puis baptisé plus poétiquement la vallée de la chimie. Cette zone était restée la même, tellement polluée que les industries agroalimentaires y étaient interdites. Mon père était à l'image de cet endroit : sec et infertile. »
« Tu as toujours été considéré comme un grand naïf, mon cher Rousseau, tout comme moi... Les gens ne nous comprennent pas : à leurs yeux, mes calligrammes sont la création d'un idiot, et tes tableaux aux traits disproportionnés et naïfs étonnent les coincés pour qui la réalité est souveraine. Pablito non plus n'est pas pris au sérieux. L'imaginaire est pourtant la nouvelle voie [...]. »

« Nous savons que le Douanier ne respecte aucune proportion, son imaginaire sera souverain quand il commencera à peindre. Nous l'aimons pour cette raison. Une chose est certaine : la toile finale ne nous ressemblera pas, car elle nous transcendera ; les générations futures seront le témoin de notre amour. »

« Les yeux perdus dans la cime étalée des cyprès, elle imagina sa soirée : elle prendrait cette boîte qui renferme les lettres et les cadeaux de Gui, et elle l'ouvrirait comme on descelle un cercueil. Si la mort était son avenir, le passé serait son quotidien. Elle ne pleurerait pas : son corps était sec des mille joies qu'elle n'avait pas vécues. »
« « Lou, mon adorée. Je vous avais dit de m'attendre dans votre chambre. Vous ne m'avez pas écouté, petit oiseau libre. Je vous fesserai pour ce parjure fait à votre roi. »
Tu es déjà revenu de la caserne. Ton vouvoiement m'excite.
Je me lèvre, sans te regarder. Le désir monte de cette fessée inattendue. Je suis ta poupée, ta reine soumise. Ta main frôle délicatement mes hanches et mes fesses. Un peu ivre de tes mots et de tes caresses, je demande fébrilement la clé de ma chambre à l'accueil.
Dans l'ascenseur, le groom t'écoute quand tu me chuchotes :
« Ce soir, tu seras mes Muses. Elles sont neuf, je t'apprendrai leurs noms. Chacune est une porte de ton corps. »
Nous jouons à la vie, redécouvrons les plaisirs avec une pureté renouvelée, et côtoyons aussi des berges illicites.
Toi le poète, moi la frivole : nos deux corps parlent un langage unique. »

« Tu m'écoutes, Albert ? Tu penses que je suis fou ? Ecoute un peu ce que maman m'a raconté : autrefois, la nature régnait sur terre, les hommes faisaient attention à elle et la vénéraient. Elle était souvent représentée avec deux lions sur ses genoux, et incarnait la puissance androgyne : femme et homme à la fois. Elle pouvait engendrer seule et possédait une puissance infinie. Chaque printemps, pour réveiller la divinité, des personnes tapaient sur des tambours et partaient dans les bois la réveiller. »

« À cette époque, je compris qu'on ne change jamais la nature d'un être, il peut parfois sortir de ses sentiers, mais, très vite, il retourne vers ce qu'il connaît. Les variantes demeurent éphémères, donc mensongères ; la vérité, elle, se polit avec le temps, elle a besoin d'espace pour grandir et s'ancrer dans la réalité. Le Chaos reviendrait un jour à ses origines ; de lui, je ne pouvais rien tirer. Pourquoi mener une bataille si la guerre était perdue d'avance ? »

« Avant notre départ, je cousus dans les pans de ma robe les dernières fêtes, les dernières ivresses, ces soirs où, allongée près de la rivière, j'écoutais notre volupté. Personne n'est jamais prêt à quitter l'euphorie, ces instants bénis où l'éphémère côtoie l'éternité. »

« Depuis mon réveil, dans cette forêt de Stavelot, pas un seul jour n'était passé sans que j'eusse écouté ses poèmes : sa musique sur le monde pansait mes cicatrices aux boursouflures éternelles. Les hommes n'avaient-ils pas saisi l'importance d'Apollinaire, lui qui racontait l'amour, qui posait un regard nouveau sur les choses, qui magnifiait et métamorphosait le réel, qui agissait avec la même philosophie qu'un arbre, qui transmettait un message de la manière la plus libre, sans ponctuation, se délestant des atrocités du réel, se riant de tous les risques, même ceux de la guerre ? »

« Les routes d'une vie sont sinueuses, et les désirs ardents, les plus essentiels, se noient dans le leitmotiv du quotidien. »

Quatrième de couverture

Au cimetière du Père-Lachaise, des racines ont engorgé les canalisations. Alors qu’il assiste aux travaux, Florent s’égare dans les allées silencieuses et découvre la tombe de Guillaume Apollinaire. En guise de souvenir, le jeune homme rapporte chez lui un mystérieux morceau de bois. Naît alors dans son cœur une passion dévorante pour le poète de la modernité. Entre rêveries, égarements et hallucinations vont défiler les muses du poète et les souvenirs d’une divinité oubliée : Florent doit-il accepter sa folie, ou croire en l’inconcevable ? 

Dans cet hommage à la poésie et à la nature, Alexandra Koszelyk nous entraîne dans une fable écologique, un conte gothique, une histoire d’amours. Et nous pose cette question : que reste-il de magique dans notre monde ?

Éditions Aux Forges de Vulcain, janvier 2021
280 pages

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