dimanche 9 mai 2021

Little Bird ★★★★☆ de Craig Johnson

Le shérif du comté d'Absaroka dans le Wyoming, un doux écorché, se dévoile dans ce premier tome de la série. Walter Longmire ne m'est pas inconnu ; j'ai déjà eu l'occasion de le suivre dans quelques unes de ses aventures en abordant la série de Craig Johnson dans le désordre. Le shérif, autant que l'auteur m'inspirent confiance ; alors j'y retourne, avec plaisir, de temps à autre, dans les Big Horn Mountains, avec cette promesse d'évasion garantie
Little Bird, premier opus d'une longue série, met en place le contexte, décrit la rudesse des paysages du Wyoming, campe les personnages, ceux qui resteront, qui accompagneront Longmire dans d'autres aventures, ceux qui lui sont liés de près ou de loin, ceux auxquels je me suis attachée. 
Une histoire de vengeance plane sur les Big Horn Mountains, et Walter va être bien occupé à élucider le meurtre d'un jeune homme blanc condamné quelques années plus tôt pour viol contre une indienne cheyenne, Mélissa Little Bird, et à protéger les trois autres jeunes hommes également impliqués dans cette affaire.
Une enquête une nouvelle fois rondement bien menée, où tout le monde se révèle être un suspect potentiel. Une course folle s'est engagée entre un tueur redoutable et le shérif et son équipe. 
Mais, ne vous y trompez pas, nous sommes loin de la course haletante, mais plus proche ici, du Nature Writing, dans lequel Craig Johnson excelle à distiller les thèmes qui lui sont chers : le racisme, la problématique des armes aux Etats-Unis, les traumatismes psychiques liés à des faits de guerre… 
La série des enquêtes du shérif Longmire est une valeur sûre pour moi. J'aime ces longues lectures simples et immersives, et même si le rythme n'est pas foufou, elles me transportent dans une autre contrée, me laissent le temps de m'imprégner des paysages environnants, de l'atmosphère, de sa magie, et des personnages. Je partage leurs joies comme leurs souffrances, les coudes posés sur le comptoir d'un rade, savourant, par procuration ;-), un bon breuvage et dévorant leur tirades non dénuées d'humour.

« - BOB BARNES DIT QU'ILS ONT TROUVÉ UN CORPS sur les terres du Bureau d'Aménagement du Territoire… Ligne une.
Elle avait peut-être frappé à la porte, mais je n'avais pas entendu parce que j'observais les oies. J'observe beaucoup les oies en automne, quand les jours raccourcissent et que la glace ciselle les contours rocheux de Clear Creek. Le bureau du shérif se trouve dans l'ancienne bibliothèque Carnegie du comté d'Absaroka ; on en a hérité le jour où la bibliothèque s'est retrouvée avec tellement de livres qu'elle a dû déménager. Nous avons encore le portrait d'Angy Carnegie sur le palier, dans le hall d'entrée. Chaque fois que le précèdent shérif quittait le bâtiment, il saluait le vieux philanthrope. J'occupe le grand bureau côté sud, ce qui me donne une vue dégagée sur les Big Horn Mountains à droite et la vallée de la Powder River à gauche. Les oies descendent la vallée vers le sud, en s'éloignant de moi. Généralement, je suis assis dos à la fenêtre, mais parfois, on me surprend tourné dans l'autre sens ; il semblerait que cela arrive de plus en plus souvent ces derniers temps. »

« Je jetai un regard nostalgique au bar en passant devant. Les lumières étaient allumées et quelques vieux pick-up étaient garés à égale distance autour du bâtiment ; dans le Wyoming, même les camions ont leur espace vital. »

« - T'as perdu une épouse toi aussi, Officier ?
Je fus surpris.
- Oui.
- C'est terrible de perdre une épouse, non ?
Sa conversation consistait en une série de questions qui donnaient un tour philosophique à l'échange. Je ne savais pas bien auxquelles je devais répondre, du coup, je répondais à toutes.
- Ouaip.
- Ils disent que c'est comme perdre une partie de soi-même, mais c'est pire que ça ?
- Comment ça ?
- Quand elle partent, il nous reste ce qu'on est après avoir été avec elles, et parfois, on reconnaît pas cette personne… »

« Rien de tel qu'un cadavre pour vous faire sentir, disons, décalé. J'imagine que les super flics de la ville, qui se font jusqu'à quarante ou cinquante homicides par an, s'y habituent, mais moi, j'ai jamais pu. J'ai côtoyé assez d'animaux sauvages et de bétail pour que la mécanique de la mort me soit familière. Certains ont une religion qui donne une valeur à ce passage, à ce moment ultime, où, de créature verticale, on devient horizontale. Hier, on était anonyme quelconque, et aujourd'hui, on est le mort couvert d'honneurs, les mains emballées dans des sachets fermés par des élastiques. »

« J'examinai le râtelier à fusils fixé au mur droit et pensai à cette affirmation selon laquelle les armes à feu avaient fait de ce pays ce qu'il était aujourd'hui, en me demandant si c'était une bonne ou une mauvaise chose. Nous étions une race combative. Ce n'était pas particulièrement sévère de ma part, je n'avais pas besoin de l'être, l'Histoire l'était à ma place. Dix grandes guerres et d'innombrables escarmouches sur les deux cents dernières années en disaient assez long. Mais ça, c'était de l'histoire politique, pas de l'histoire personnelle. J'avais été élevé sur un ranch, mais grâce à mon père, l'attrait pour les armes m'avait échappé. À ses yeux, un fusil était un outil, pas une espèce de divinité foireuse. Les gens qui donnaient un nom à leur arme à feu l'inquiétaient, et moi aussi. »

« Personne ne peut se faire un gilet pare-balles contre les émotions, alors, on ne peut que trimbaler les éclats d'obus avec soi. »

« - Lucian, fais moi plaisir, ne descends personne. Il actionna la pompe du Remington et fourra une balle de calibre .12 dans la chambre.
- Y'a rien de mal à descendre des gars, tant qu'on descend les bons. »

« Je lui avais posé des questions sur Jim et elle m'avait dit qu'il était parti dans le Nebraska chasser avec des amis, chasser l'oie. Son ton était hésitant et j'étais certain qu'il y avait quelque chose à creuser, là. Alors, j'avais utilisé un de mes vieux truc de flic et je lui avais demandé s'il n'y avait pas quelque chose qu'elle voudrait me dire. Elle avait utilisé un de ses vieux trucs de mère et m'avait répondu non. Les trucs de flics ne font pas le poids devant les trucs de mère. »

« Le problème avec la colère est qu'une fois qu'elle est consommée, les réservoirs sont vides. »

« À un moment, plongé dans mes réflexions, je vis un petit flocon tout rond traverser mon champ de vision, se poser contre l'un des blocs de ciment et disparaître. Il y en avait d'autres, maintenant, qui flottaient doucement dans la fraîcheur de l'air nocturne. Les scientifiques disent que les flocons, en tombant dans l'eau, font un bruit, comme le gémissement d'un coyote; le son atteint son apogée puis décroît, le tout en environ un millième de seconde. Ils ont découvert ça quand ils ont utilisé un sonar pour repérer les migrations des saumons en Alaska. Les flocons de neige faisaient tellement de bruit que les signaux émis par les poissons étaient inaudibles et l'expérience dut être abandonnée. Le flocon flotte sur l'eau, et il y a peu de bruit en dessous; mais dès qu'il commence à fondre, l'eau monte par capillarité. On suppose qu'il y a des bulles d'air qui sont émises par le flocon, capturées par l'eau qui monte. Chacune de ces bulles vibre en essayant d'atteindre l'équilibre avec son entourage et émet des ondes sonores, un cri si faible et si aigu qu'il est indétectable par l'oreille humaine. »

Quatrième de couverture

Après vingt-quatre années passées au bureau du shérif du comté d'Absaroka, dans le Wyoming, Walt Longmire aspire à finir sa carrière en paix. Ses espoirs s'envolent quand on découvre le corps de Cody Pritchard près de la réserve cheyenne. Deux années auparavant, Cody avait été un des quatre adolescents condamnés avec sursis pour le viol d'une jeune indienne, Melissa Little Bird, un jugement qui avait avivé les tensions entre les deux communautés. Aujourd'hui, il semble que quelqu'un cherche à se venger. Alors que se prépare un blizzard d'une rare violence, Walt devra parcourir les vastes espaces du Wyoming sur la piste d'un assassin déterminé à parvenir à ses fins.

Avec Little Bird, premier volet des aventures de Walt Longmire, Craig Johnson nous offre un éventail de personnages dotés d'assez de sens du tragique et d'humour pour remplir les grandes étendues glacées des Hautes Plaines.

Les personnages parlent plus vite que leur ombre et les paysages du Wyoming ont leur éloquence propre.
THE NEW YORK TIMES

Éditions Gallmeister, mai 2009
409 pages
Traduit de l'américain par Sophie Aslanides

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