mardi 18 mai 2021

La goûteuse d'Hitler ★★★★☆ de Rosella Postorino

Margot Wölk - Rosa Sauer, anti nazie, dans le roman - a été goûteuse d'Hitler, quand celui-ci a émis le doute, la peur, d'être empoisonné par les Alliés, à partir de 1943. Rosa ainsi que d'autres femmes ont risqué leur vie pour le Führer. Elles ont, chaque jour passé dans ce réfectoire de la Wolfsschanze, en Prusse orientale, tenté de survivre, lutté pour garder leur dignité, leur humanité. Chaque bouchée pouvait potentiellement être la dernière.
Rosella Postorino a certainement pris des libertés en retranscrivant l'histoire de cette femme, mais quand bien même, l'auteure écrit un livre riche, émouvant, sensible, sororal. Et l'Histoire, que ce soit celle de la Shoah, celle des Allemands dans les campagnes sous le joug de la dictature et des SS, celle de la Résistance allemande ... imprègne par touches ce roman. 
La goûteuse d'Hitler est l'histoire marquante d'une destinée douloureuse, déchirante, heureuse aussi... 
L'écriture est originale, prenante, l'auteure superpose les périodes avec talent, sans nous perdre, décrit les sentiments au plus proche de la réalité, écrit magnifiquement les émotions. Et même si, j'ai déploré quelques longueurs, cette lecture n'est pas prête de me sortir de la tête, elle m'a bien noué l'estomac, si je peux me permettre !

« L'homme ne vit que d'oublier sans cesse qu'en fin de compte il est un homme. » Bertolt Brecht, L'Opéra de quat'sous. Cité en exergue

« Les semaines passèrent et notre méfiance à l'égard de la nourriture faiblit, comme devant un homme qui vous fait la cour et à qui vous autorisez une intimité croissante. Nous, humbles servantes, nous repaissions désormais avec avidité, mais aussitôt après, le renflement de vos abdomens diminuait notre enthousiasme, ce qui pesait sur l'estomac semblait peser sur le coeur, et ce quiproquo teintait de découragement l'heure qui suivait le banquet. »

« Je pensai à nouveau que nous n'avions pas le droit, nous, de parler d'amour. Nous vivions une époque infirme, qui bousculait les certitudes, démembrait les familles, mutilait tout instinct de survie. »

« Souvent un secret partagé sépare au lieu d'unir. Quand elle est commune, la faute est une mission dans laquelle on se jette tête la première, de toute façon elle s'évapore vite. La faute collective est informe, la honte est un sentiment individuel. »

« Sa ténacité est une forme de faiblesse, son pouvoir sur moi. »

« Nous avons vécu douze ans sous une dictature, presque sans nous en apercevoir. Qu'est-ce qui permet à des êtres humains de vivre sous une dictature ? 
Il n'y avait pas d'autre voie, voilà notre alibi. Je n'étais responsable que de la nourriture que j'avalais, une geste inoffensif que de manger : comment pourrait-on l'ériger en faute ? Les autres avaient-elles honte de se vendre pour deux cent marks par mois, une excellente paie assortie de repas sensationnels ? De croire, comme je l'avais cru, qu'il était immoral de sacrifier sa vie si le sacrifice était inutile ? J'avais honte devant mon père, alors qu'il était mort, parce que la honte a besoin d'un censeur pour se manifester. Il n'y avait pas d'autre voie, disions-nous. Mais avec Ziegler, si. Et au lieu de la choisir, j'avais porté mes pas vers lui parce que j'étais capable d'aller jusque-là, jusqu'à cette honte faite de tendons, d'os et de salive - je l'avais tenue dans mes bras, ma honte, elle mesurait au moins un mètre quatre-vingts, pesait soixante-dix-huit kilos en plus, foin d'alibi et de justification : le soulagement de la certitude. »

« La capacité d'adaptation est la principale ressource des êtres humains, mais plus je m'adaptais et moins je me sentais humaine. »

« À ce moment-là j'aurais pu savoir. Connaître l'existence des fosses communes, des Juifs alignés à plat ventre, attendant d'être tués d'une balle dans la nuque, de la terre, de la cendre et de l'hypochlorite de calcium qu'on jetait sur les corps pour qu'ils n'empestent pas, des nouvelles rangées de Juifs qui marchaient sur les cadavres et offraient leur nuque à leur tour. J'aurais pu connaître l'existence des enfants soulevés et fusillés, des files d'un kilomètre de Juifs ou de Russes - ce sont des Asiatiques, ils ne sont pas comme nous - sur le point de tomber dans les fosses ou de monter dans les camions pour être gazés au monoxyde de carbone. J'aurais pu l'apprendre avant la fin de la guerre. J'aurais pu demander. Mais j'avais peur et je n'arrivais pas parler et je ne voulais pas savoir. »

Quatrième de couverture

1943. Reclus dans son quartier général en Prusse orientale, terrorisé à l’idée que l’on attente à sa vie, Hitler a fait recruter des goûteuses. Parmi elles, Rosa.

Quand les S.S. lui ordonnent de porter une cuillerée à sa bouche, Rosa s’exécute, la peur au ventre : chaque bouchée est peut-être la dernière. Mais elle doit affronter une autre guerre entre les murs de ce réfectoire : considérée comme « l’étrangère », Rosa, qui vient de Berlin, est en butte à l’hostilité de ses compagnes, dont Elfriede, personnalité aussi charismatique qu’autoritaire.

Pourtant, la réalité est la même pour toutes : consentir à leur rôle, c’est à la fois vouloir survivre et accepter l’idée de mourir.

Couronné en Italie par le prestigieux prix Campiello, ce roman saisissant est inspiré de l’histoire vraie de Margot Wölk. Rosella Postorino signe un texte envoûtant qui, en explorant l’ambiguïté des relations, interroge ce que signifie être et rester humain.

« Ce livre où l’on parle d’amour, de faim, de survie et de remords vous reste gravé dans le cœur. » Marie Claire Italie

Éditions Albin Michel, janvier 2019
384 pages
Traduit de l'italien par Dominique Vittoz
Prix Campiello 
Prix Jean Monnet de Littérature Européenne 2019

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