samedi 23 avril 2022

Nous, Louis, Roi ★★★★☆ de Eve De Castro

Eve De Castro convie le lecteur dans l'intimité des derniers jours du Roi Soleil, et c'est magique, d'une efficacité redoutable ! Louis XIV se raconte pendant ses dix-sept derniers et ses dix-sept dernières nuits, il nous raconte son calvaire depuis que le mal le ronge. Stoppé net dans son élan, alité, le monarque absolu, tout à coup bien seul, se livre, se souvient du meilleur comme du pire de son règne, se confie sur ses amours, Marie Mancini, Montespan, Maintenon ..., sur sa faim de grandeur, sur ses conquêtes, sur son incroyable discipline de vie, évoque Lully, Le Nôtre, se repent. 
Le Roi mis à nu, c'est l'homme qui transparaît. Et la gloire, le faste semblent alors bien futiles...
Une bien belle et émouvante façon de parler de ce Roi. 

« Le cinq septembre prochain, j'aurai soixante-dix-sept ans. Mes ennemis ont parié que je ne passerai pas la fin du mois d'août. Ils piaffent aux frontières du royaume et au seuil de ma chambre. Parce que j'ai considérablement maigri, parce que je marche avec un bâton, ils se croient sûrs de leur fait. Ils ne mesurent pas quelle passion m'habite. »

« Mon Dieu, donnez-moi la force de vouloir plus que que ne peux.
Mon heure viendra quand je le déciderai.
Ainsi soit-il. »

« Mon ennemie sait-elle combien de sièges j'ai menés, combien de citadelles j'ai emportées ? J'étais conseillé par mes généraux, mais les décisions me revenaient. Je ne me souviens pas de la peur, seulement de l'exaltation. Le désir forcené de prouver mon mérite. D'apprendre ce qu'est la guerre et comment on la gagne. En Flandre, lors de ma première campagne, un boulet est tombé contre l'épaule de mon cheval. Une salve a emporté mon chapeau et le bras de l'enseigne qui se trouvait derrière moi. Je portais cuirasse de buffle, mon teint se boucanait, je galopais au milieu de mes troupes. Ceux que la mort épargne se sentent infiniment vivants. Il y a une griserie, une allégresse du champ de bataille. J'allais dans l'odeur de la poudre, du sang frais, des viscères, mais rien ne me dégoûtait. Je posais les yeux sur des blessures atroces, mais l'éclat de la victoire proche m'éblouissait, je ne voyais ni les ventres ouverts, ni les visages arrachés. La guerre est une horreur nécessaire, et quand elle est menée comme je la menais, elle ne manquait pas de grandeur. J'essayais de lui donner, à défaut de beauté, du panache. La plume à nos chapeaux était toujours fraîche, un peintre nous suivait pour fixer sur la toile l'agencement de nos sièges, et ma musique accompagnait chacun de nos mouvements. Officiers et soldats marchaient au son des violons, ils chargeaient de même, et, le soir, les airs de Lully couvraient les gémissements des blessés. [...]
C'est sous une tente, au camp de La Fère-en-Tardenois, que j'ai triomphé de la belle femme du royaume. Françoise de Rochechouart de Mortemart, marquise Montespan, servait comme fille d'honneur à la reine, qui tenait sa bonté et sa vertu en haute estime. En fait de bonté, la dame avait le talent d'assassiner autrui en une phrase, et sur la balance se vertu pesait moins que son ambition. Je me méfiais des précieuses, des arrogantes, dans les premiers temps j'avais trouvé son esprit trop brillant et craint de manquer de repartie. Conforté par mes conquêtes, je n'ai plus considéré que ses seins. Elle était marié à un bouillant Gascon qui lui avait déjà faut deux enfants. Je me suis promis de récompenser le marquis en proportion des plaisirs dont j'allais le priver, et j'ai joui de la marquise comme je jouissais de la guerre, avec une fougue à laquelle rien ne pouvait résister. 
Mon soleil se levait.
Quand il s'est ancré au zénith, j'ai fait peindre mes conquêtes sur les plafonds de Versailles afin que les visiteurs de toutes conditions et de toutes nations connaissent le roi que Dieu a donné à la France. 
Dieu, soutenu par ma volonté et par ma passion.
Personne ne peindra mon combat d'aujourd'hui, pourtant c'est le plus rude de ceux qu'il m'a fallu mener.
Le plus hasardeux. »

« Il y a dix ans, j'ai demandé à Antoine Benoist une image de moi en relief, cire pour le visage, verre pour les yeux, vrais cheveux gris pour la perruque, soie, dentelles et velours pour le vêtement. Le résultat n'est pas flatteur, mais il est vrai. Je reconnais ce que mes traits sont devenus et l'autorité qui s'en dégage. Je ne suis plus beau, pourtant en regardant mon profil on voit que je suis roi. Cela suffit. »

« Jean-Baptiste Lully a vingt ans, l'oeil noir, un accent cocasse et beaucoup de finesse. Il se fait main pour que je m'y appuie, souffle quand le mien s'épuise, aiguillon pour piquer mon orgueil. Très vite, il me devient précieux. Il le devine, et parce qu'il brûle d'ambition, il s'ingénie à se rendre indispensable. Il me dit que je serai l'astre de ce siècle. Je le crois. Il me dit qu'après le Petit-Bourbon, je brillerai sur un théâtre si large que la France, l'Europe, le monde n'auront d'yeux que pour moi. Je le crois. Il rêve que mon soleil se lève pour en être éclairé. J'ai la faiblesse de croire qu'il veut aussi que je sois content, juste content de moi.
Quand je parais sur scène, je le suis. Les mots que je prononce reflètent ce que je pense lorsque d'autres pérorent et que moi, je me tais.
Je dans un Curieux avec Beauchamp qui est le plus grand de nos danseurs. Je déclare : « Je voudrais tout savoir, je voudrais tout connaître, rien  n'échappe à mes yeux », et ce faisant je comprends combien cela est vrai. 
Je danse costumé en soleil, avec un justaucorps doré et des rayons en auréole autour de mes cheveux. Je clame : « Sur la cime des monts commençant d'éclairer, je commence déjà à me faire admirer », et je sens que ma place bientôt ne sera plus sous le boisseau, mais au point où convergent les regards, les espoirs. »

« Je n'ai pas rempli ma mission auprès de mes sujets. Au lieu de les ménager, je leur ai fait porter la charge de ma gloire. Quand la sécheresse a ruiné les récoltes j'ai vidé mes greniers, pour financer mes dernières campagnes j'ai fondu mon mobilier d'argent, mais le souci de ma renommée est passé avant celui de leur bonheur, et ma faim de grandeur a mis les petites gens à genoux.
De cela plus que tout, je me repens. »
« Ma peau de souverain se détache.
Je n'imaginais pas que cela fût possible.
Bientôt je ne serai plus que Louis.
Mon père et ma mère m'ont nommé ainsi.
Louis Dieudonné.

J'ai toujours ouï dire qu'il était difficile de se résoudre à la mort. Maintenant que je suis sur le point de ce moment si redoutable aux hommes, je ne trouve pas que cette résolution soit très pénible à prendre.
Françoise m'explique que mourir coûte lorsqu'on a de l'attachement aux créatures, de la haine dans le coeur, des restitutions à faire.
Je crois n'avoir jamais haï. La haine naît du sentiment d'injustice, de dépossession, d'humiliation, d'impuissance. J'ai été celui qui rendait la justice, celui qui rendait la justice, celui qui ravissait la femme et les terres d'autrui, celui qu'on vénérait à l'égal d'une déité, celui qui pouvait tout. Dieu m'a mis le genou en terre quand il a décimé ma famille et coalisé l'Europe contre moi. Je me suis relevé du mieux que j'ai pu. Je ne lui en ai pas voulu.
En tant que particulier je ne dois rien à personne. Pour ce que je dois au royaume, j'en ai fait l'examen en mon âme et conscience, et j'espère en la miséricorde divine. »

« Je ne crois pas qu'elle ait aimé la cour. Elle avait ensemble trop de fierté, trop de sincérité et trop d'humilité pour se plaire là où tout n'est qu'égoïsme et vanité. De surcroît elle répugne à se contraindre et ici, comme l'écrit Madame, il faut naître et périr en symétrie. Si son confesseur ne lui avait commandé de travailler à mon salut, elle ne m'aurait pas épousé. »

Quatrième de couverture

20 août 1715. Devant le bassin de Latone, dans le fauteuil à roues qu’il ne quitte plus, Louis XIV jette de la brioche à ses carpes. Ces poissons dorés sont immortels, l’émissaire du Japon le lui a juré. Pour la première fois, il songe qu’ils lui survivront. Les médecins ont diagnostiqué une sciatique, ils ne parlent pas de gangrène, mais au fond de lui, Louis sait. Le compte à rebours a commencé. Il lui reste dix-sept jours. Dix-sept jours pour faire le bilan. Solder les comptes. Avec les hommes. Avec Dieu.

« Je voudrais m’assoupir et qu’au réveil, un baiser chasse le cauchemar. Ma nourrice faisait cela. Plus tard, d’autres lèvres sont venues distraire d’autres frayeurs. D’autres chagrins. Le baiser des femmes et un contrepoison puissant. »

Éditions de L'Iconoclaste , août 2015
219 pages

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire