samedi 9 avril 2022

Artifices ★★★★★ de Claire Berest

Excellent ! 
Impossible de le lâcher ce livre. Une pure fiction impeccable, rondement menée. Je me suis éclatée. 
Un feu d'artifices ;-) 
La plume de Claire Berest claque, résonne, brille, nous happe, nous embrouille, nous surprend, nous émeut, occupe merveilleusement nos méninges !
Jamais rien lu sur ce livre, mais parce que la couverture (sublime à mon humble avis), parce que l'auteure (j'ai kiffé tout ce que j'ai lu d'elle, une plume de grande qualité), j'y suis allée les yeux fermés, et j'en ressors complètement éblouie, abasourdie aussi.
Du coup, je résiste à l'envie de vous en dire plus, par crainte d'en dire trop. 
Dans Artifices, l'art devient vie, devient une performance, pour se venger, blesser d'abord, pour aimer in fine. 
Au centre un drame. Autour la douleur, l'incompréhension, l'horreur, et des protagonistes au tempérament plutôt idiosyncratique. Des orchidées aussi, un lusitanien et une fable de La Fontaine. 
Une lecture qui se révèle de plus en plus haletante au fur et à mesure que les chapitres s'enchaînent, à couper le souffle parfois. 
Si vous aimez les récits haletants, si vous aimez l'art contemporain (Claire Berest fait quelques digressions : j'ai découvert Marina Abramović, Mauricio Cattelan et Piero Manzoni),si vous aimez les personnages singuliers, les faux-semblants, vous perdre dans la mémoire d'un autre ... alors n'hésitez pas !

« Que de tout inconnu le sage se méfie. »

« Rien ne lie tant les êtres que le secret. »

« Comment lui confier qu'il y avait trop de zones blanches dans sa tête, des zones où personne n'allait plus, qu'elles étaient décousues, hantées, et que ce cheval semblait le narguer, lui, Abel, depuis son passé. »

« Il ne pouvait pas lui dire qu'il aimait les orchidées, qu'il était insomniaque ou qu'il n'arrivait presque plus à coucher avec des femmes. Il ne pouvait pas raconter ses cauchemars qu'il faisait, toujours les mêmes, qui empoisonnaient son sommeil. Qu'il se sentait espionné. Il ne pouvait pas dire qu'Éric l'attendait dans ses rêves, qu'Éric était tapi à la lisière de toutes ses nuits. En embuscade. »

« Il y a deux types d’enquêteurs. Ceux qui se concentrent sur le « qui ». Qui a eu la capacité, l’occasion, la possibilité de commettre l’acte. Ils ne peuvent pas être vingt mille, il s’agit de tamiser. Et les adeptes du « pourquoi ». Pourquoi, dans le cas présent, quelqu’un a ressenti le besoin de planter un couteau dix-huit fois dans le gras de ce type pas sympathique ? Camille appartient à la famille du qui. Ça marche avec le comment. Elle n’est pas là pour faire des thérapies de groupe. Quand tu recoupes patiemment les emplois du temps, les liens avec la victime, les fadettes des téléphones, les alibis éliminatoires, les GPS des bagnoles, les témoins potentiels, il en reste peu qui ont pu décrocher la queue du Mickey. Mathématique. Le pourquoi, c’est pour les tribunaux. Pour les procureurs et les avocats. C’est de la littérature. »
« - ... Si tu savais le nombre d’affaires que j’ai disséquées, où l’on finit par abandonner l’idée de comprendre le mobile. Où les experts psy se contredisent... Pourquoi les gens font ce qu’ils font ? C’est dans les bouquins qu’on a la solution, pas dans la vie. »

« Les musées faisaient d’excellents squares où baguenauder pour s’aérer les idées. Il faudrait que les musées soient ouverts comme des parcs, des lieux de circulation libre où l’on irait boire un café avec un collègue, ou faire sa pause sandwich en lisant un livre. Et s’allonger par terre pour une petite sieste. »

« Ça l'a toujours laissée songeuse, ces multiples choix arbitraires que nous faisons en permanence, telle une armée de morceaux biscornus d'un puzzle sauvage. L'essence même de l'absurde implacabilité du fait divers. 
Ce qui avait amené l'artiste Mila à faire de la contingence l'un des fils rouges de sa pratique artistique pendant près de vingt ans.

La contingence, la possibilité qu'une chose arrive ou n'arrive pas, qu'un être existe ou n'existe pas. »

« Alors, elle avait éprouvé cette chose puissante qu'elle ne connaissait lus, la colère. Et cette colère la poussait le matin hors du lit, hors de sa vase, hors de l'appartement [...]. Et elle marchait dans Paris, beaucoup, sans carte et sans connaître le territoire afin d'ébrouer d'elle toute cette colère, comme le fait un chien trempé pour se débarrasser de l'eau qui le colle. Et elle s'était mise à éprouver des envies. Elle avait envie d'écrire cette colère sur les murs, sur sa peau, elle avait envie de cracher cette colère et de faire des dessins de ses crachats, elle avait envie de figurer cette colère et d'en faire un spectacle. »

« Aveuglé par la lumière crue, il est resté dans son dos, il attend, il n'y a rien à dire, il attend qu'elle se laisse pulvériser par l'incendie de ses fleurs, qu'elle se repaisse du pourpre et du parme, qu'elle confronte le jaune et le blanc, qu'elle s'étourdisse des taches et des ruptures que crient les pétales, qu'elle se saisisse des bouches, des ailes, des gouffres qui forment leurs calices, myriade de têtes folles, d'ovaires offerts, de sexes écartés, impudiques et sauvages, ses fleurs...
... les bleus violents, les racines tentacules, les rouges pervers, les roses timides. »

« « Que de tout inconnu le sage se méfie. »
Tu n'étais pas d'accord avec la morale de l'histoire. Abel, tu ne comprenais pas que la sagesse était de se méfier de l'inconnu. Et je t'avais rétorqué que la fable apprend qu'il faut surtout se méfier de tous, même et surtout de ceux qui nous paraissent le plus proches. »

Quatrième de couverture

Abel Bac, flic solitaire et bourru, évolue dans une atmosphère étrange depuis qu’il a été suspendu. Son identité déjà incertaine semble se dissoudre entre cauchemars et déambulations nocturnes dans Paris. Reclus dans son appartement, il n’a plus qu’une préoccupation : sa collection d’orchidées, dont il prend soin chaque jour.
C’est cette errance que vient interrompre Elsa, sa voisine, lorsqu’elle atterrit ivre morte un soir devant sa porte.
C’est cette bulle que vient percer Camille Pierrat, sa collègue, inquiète de son absence inexpliquée.
C’est son fragile équilibre que viennent mettre en péril des événements étranges qui se produisent dans les musées parisiens et qui semblent tous avoir un lien avec Abel.
Pourquoi Abel a-t-il été mis à pied ?
Qui a fait rentrer par effraction un cheval à Beaubourg ?
Qui dépose des exemplaires du Parisien où figure ce même cheval sur le palier d’Abel ?
À quel passé tragique ces étranges coïncidences le renvoient-elles ?
Cette série de perturbations va le mener inexorablement vers Mila. Artiste internationale mystérieuse et anonyme qui enflamme les foules et le milieu de l’art contemporain à coups de performances choc.
Pris dans l’œil du cyclone, le policier déchu mène l’enquête à tâtons, aidé, qu’il le veuille ou non de Camille et d’Elsa.

Le nouveau roman de Claire Berest est une danse éperdue, où les personnages se croisent, se perdent et se retrouvent, dans une enquête haletante qui voit sa résolution comme une gifle.

Éditions Stock, août 2021
430 pages

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