dimanche 3 mars 2024

Ni loup ni chien ★★★★★ de Kent Nerburn

« Il était une fois de plus l'orateur solitaire, livrant les vérités qu'il avait découvertes au fil de tant d'années, avec pour seul auditoire un vieil ami, un homme blanc et un labrador endormi. J'adressai une prière muette aux dieux de la technologie, implorant leur aide afin que mon petit magnétophone discount capture ses mots pour que je puisse les transmettre. »

Ouvrir Ni loup ni chien, c'est se heurter aux injustices de ce monde,  c'est être le témoin d'un dialogue profond, intime, teinté d'humour aussi parfois. Une rencontre que j'ai souhaitée la plus lente possible, comme une évidence parce que forte d'émotions, de vérités, de nécessités, de fragilités tant absorbées, gorgée de ces libertés forcées au détriment de l'honneur. 

Parce que je voulais que chaque page, chaque paragraphe, chaque mot restent tatouer en moi.

Je lis pour ces rencontres. Ces échanges.
À ceux qui me demandent pourquoi, pourquoi tant de lectures, pourquoi ? ... j'en retiens quoi au final... ?
J'avance, souvent, maladroitement heurtée... quelques réponses. Elles sont là mes réponses, nécessairement, dans ni loup ni chien, notamment.
Les mots simples, drôles, fins ici éclairent sur l'essentiel : la saveur de la contemplation, la vraie saveur du partage, du mélange, de l'humain. La réflexion. L'apprentissage. Ces mots qui permettent d'emprunter et de rester sur le chemin du non jugement.
Merci Dan, j'espère vous avoir compris, j'ai tant pleuré, et ri aussi.
Merci Kent Nerburn pour ce très beau texte/dialogue qui met en lumière un peuple magnifique, montre les bases voraces, violentes, cupides, indélicates sur lesquelles les États-Unis se sont construits et donnent aussi à voir la difficulté à être un Indien dans l'Amérique d'aujourd'hui. 
Il apprend à ne plus avoir peur de la mauvaise colère des autres.
L'Histoire avait tant d'autres chemins à emprunter. 
« Le seul moment où la liberté est importante, c'est quand les autres essaient de te mettre des chaînes. Nous n'avions pas de chaînes donc pas besoin de liberté. »
Et puis, cette lecture m'a ramenée à mon enfance,  à la ferme de feu mon grand-père paternel. Étranges ces ponts que la lecture provoquent. Ici la nature et le désordre comme lien certainement. Je me souviens de ce bric à brac, de ce désordre où chaque élément devait avoir son utilité ; dans cette anarchie se côtoyaient outils, vieux tracteurs, pièces détachées, sauts à charbon... pas de gazon rutilant... tout pouvait servir et resservir. Je me souviens de ces grands pieds de rhubarbe, de la boue, de cet immense récupérateur d'eau de pluie. Je me souviens de l'honneur. 
La lecture apporte. Nourrit. Fait grandir. Transcende. "Nostalgisifie". 
Lire Ni loup ni chien, c'est s'abandonner aux mouvements. Simplement. « C’est, par essence, ce dont il est question dans ce fabuleux récit, Ni loup ni chien, que nous offre Kent Nerburn : la possibilité qu’ont les êtres de s’abandonner aux mouvements de la vie et de s’en émouvoir plutôt que de vouloir les contrôler. » Avant-propos de Kim Pasche.

« - J'ai soixante-dix-huit ans, continua-t-il. La vie est dure. J'ai envie de coucher tout ça sur le papier.
- Tout quoi ? demandai-je.
- Ce que j'ai dans ma tête.
Je pensai qu'il voulait écrire ses mémoires.
- Vous voulez dire, vos souvenirs?
- Non. Ce que j'ai dans la tête. J'observe les gens. Les Indiens et les Blancs. Je vois des choses. Je veux que tu m'aides à bien les écrire. »

« - Les Blancs ont toujours essayé de faire de nous des animaux. Ils veulent qu'on soit comme des animaux dans un zoo. Si mes mots ne rendent pas comme ils le devraient selon un Blanc, tu feras de moi un animal de zoo de plus. »

« « Si la forêt peut survivre à l'assassinat de tous ses enfants et s'élever une nouvelle fois en beauté, ne devrais-je pas, moi aussi, être capable de survivre à l'assassinat de mon peuple et à nouveau élever mon cœur vers le soleil ?
« Il n'est pas aisé pour un homme d'être aussi grand qu'une montagne ou qu'une forêt. Mais c'est pour cela que le Créateur nous les a données comme professeurs. Maintenant que je suis vieux, je cherche une fois de plus en elles des enseignements, plutôt que de tenter de comprendre les façons d'agir des hommes.
« Elles me disent d'être patient. Elles me disent que je ne peux pas changer ce qui est, que je ne peux qu'espérer changer ce qui sera. Laissons les herbes pousser sur nos plaies, disent-elles, et laissons les fleurs éclore sur nos blessures.
« Si j'ai trop parlé ou mal parlé, que d'autres prennent la parole pour me corriger. Si j'ai parlé avec vérité, que les autres entendent ces mots et les portent dans leur cœur.
« Je ne suis qu'un homme. On ne m'a pas donné de place à la tête de mon peuple et on ne m'a pas poussé à prendre la parole en son nom. Je dis ces choses car je crois qu'elles doivent être dites. Peut-être d'autres viendront qui pourront les dire mieux. Quand ils le feront, je me tiendrai à l'écart.
« Mais je suis vieux, et je ne peux pas attendre. J'ai choisi de parler. Je ne serai plus silencieux. » »

« - Tu sais, poursuivit-il, c'est une des principales raisons pour lesquelles nous, Indiens, avons très vite eu des ennuis avec les façons d'agir de l'homme blanc. Quand nous faisons une promesse, nous la faisons au Grand Esprit, Wakan Tanka. Et rien ne peut la changer. On a fait plein de promesses à l'homme blanc, et on pensait que l'homme blanc nous en faisait aussi. Mais non. Il faisait des affaires.
« On n'a jamais pu comprendre comment l'homme blanc pouvait briser chacune de ses promesses, surtout quand les prêtres et les hommes saints - ces hommes qu'on appelait les "robes noires" - étaient impliqués. On n'a jamais pu comprendre. » »

« Mais, tu vois, ce n'était pas notre terre dans le sens où nous la possédions. C'était la terre où nous chassions, sur laquelle nos ancêtres étaient enterrés. C'était un pays que le Créateur nous avait donné.
« C'était le pays où nos histoires sacrées se déroulaient. Il y avait des lieux sacrés là où nos cérémonies avaient lieu. Nous connais- sions les animaux. Ils nous connaissaient. Nous avions vu passer les saisons sur cette terre. Elle était vivante, comme nos grands- parents. Elle nous donnait la vie pour nos corps et la vie pour nos esprits. Nous faisions partie d'elle.
« Donc nous laissions des gens la traverser s'ils en avaient besoin, parce que c'était notre terre et qu'ils le savaient. Nous ne voulions pas qu'ils chassent ou qu'ils dérangent nos lieux sacrés, mais ils pouvaient passer sur notre terre s'ils en avaient besoin.
« Il faut que tu comprennes ça. Nous ne croyions pas que la terre nous appartenait. Elle faisait partie de nous. Nous ne savions même pas comment posséder un pays. C'est comme dire que tu possèdes ta grand-mère. Tu ne peux pas posséder ta grand-mère. C'est ta grand-mère ! Pourquoi vouloir qu'elle t'appartienne ?
« Donc, quand les pionniers de ton peuple sont arrivés, ils voulaient juste passer. Ils nous paraissaient étranges. Ils portaient des habits bizarres. Ils avaient une odeur différente. Mais ils déte- naient de nombreux pouvoirs que nous n'avions jamais vus. Ils faisaient partie du dessein du Créateur, pensions-nous. Ce n'était pas à nous de les refuser, parce qu'il n'était pas de notre droit de les contrôler. Nous vivions simplement nos vies.  »

« « Ils nous promettaient qu'ils ne causeraient aucun dommage. Ils étaient comme un nouveau type de guerrier avec des pistolets et des armes différentes. Ils étaient étranges parce qu'ils étaient toujours en train de chercher. Nous croyions juste qu'ils passeraient et s'en iraient. Nous les laissions venir parmi nous, et nous les nourrissions et les aidions. Ils étaient comme des gouttes de pluie qui tombaient du ciel, puis cette pluie s'est arrêtée et ils s'en sont allés.
« Très vite, d'autres étrangers sont venus. Cette fois, ils étaient comme un torrent. Ils sont arrivés avec des chevaux et des chariots. Ils empruntaient des chemins à travers nos terres. Et là encore, cela ne nous embêtait pas, à part que ça effrayait les animaux et que ces gens ne savaient pas ce qui était sacré. Mais nous savions qu'ils devaient manger, donc ça ne nous dérangeait pas quand ils tuaient les bisons.
« J'ai entendu dire que ça s'est déroulé de la même façon pour d'autres tribus avec d'autres animaux. Ces tribus essayaient d'aider ces gens. Elles étaient inquiètes que les animaux soient effrayés et s'en aillent. Mais ces gens apportaient des pistolets, ce qui rendait la chasse plus facile pour nous. Donc nous n'y avons pas pris garde.
« Mais ensuite, ces étrangers se sont mis à tuer des animaux juste pour les tuer. Ils les abandonnaient dans des ravins. Ils tra- çaient à travers nos terres des chemins plus larges que les nôtres. Ces gens sont devenus comme un fleuve se déversant sur le pays.
Nous n'avions jamais vu le genre de choses qu'ils faisaient. Pour nous, la terre était vivante. Bouger un caillou, c'était la changer. Tuer un animal, c'était lui prendre quelque chose. Il fallait qu'il y ait du respect. Nous ne voyions pas de respect chez ces gens. Ils abattaient les arbres et laissaient les animaux là où ils les avaient tués. Ils étaient très bruyants. On aurait dit des sauvages. Ils étaient lourds et bruyants. Nous pouvions entendre les gémissements des roues de leurs chariots depuis la vallée d'à côté.
« Nous avons essayé de rester hors de leur chemin. Mais ils nous mettaient en colère. La chasse était devenue difficile à cause d'eux. Ils prenaient la nourriture des bouches de nos enfants. Nous ne les voulions pas dans les parages. Et encore, ils restaient sur leurs petits chemins alors que nous, nous nous déplacions librement. Nous avons essayé de les laisser tranquilles, sauf nos jeunes hommes qui étaient furieux.
«Et nous voulions leurs fusils.
« Puis quelque chose d'étrange a eu lieu. Ces nouveaux arrivants ont commencé à nous demander nos terres. Nous ne savions pas quoi répondre. Comment pouvaient-ils nous demander nos terres ? Ils voulaient nous donner de l'argent en échange. Ils nous donneraient de l'argent pour la terre si leur peuple pouvait vivre dessus.
« Notre peuple ne voulait pas de cela. Il y avait quelque chose de mal vis-à-vis du Créateur dans le fait d'accepter de l'argent contre de la terre. Il y avait quelque chose de mal vis-à-vis de nos grands-parents et de nos ancêtres dans le fait de prendre de l'argent pour la terre. »
«Ensuite, quelque chose d'autre s'est produit, que nous n'avons pas compris. Les gens qui venaient disaient que, désormais, nous n'avions plus notre place ici. Qu'il y avait un chef à Washington, qui était une ville lointaine, et que la terre lui appartenait, et qu'il avait dit que ces gens pouvaient vivre ici et que nous ne le pou- vions plus.
« Nous pensions qu'ils étaient fous. Les anciens nous ont recommandé d'être prudents parce que ces gens étaient dangereux. La plupart d'entre nous avons ri - du moins c'est ce que les anciens m'ont raconté quand j'étais jeune. Ces gens traversaient la terre à cheval, plantaient un drapeau, puis disaient que tout ce qui se trouvait entre l'endroit d'où ils étaient partis et le drapeau leur appartenait. Comme quelqu'un qui rame dans un bateau sur un lac et qui dit que, de l'endroit où il a commencé à ramer jusqu'à l'endroit où il a fait demi-tour, toute l'eau lui appartient. Ou quel- qu'un qui tire une flèche vers le ciel et qui prétend que tout l'air qui se trouve en dessous de la trajectoire de la flèche lui appartient.
« C'est très important que tu comprennes ça. On pensait que ces gens étaient fous. On pensait qu'on ne devait pas les com- prendre correctement. Ce qu'ils disaient n'avait aucun sens.
« Et voilà ce qu'il se passait en fait. Eux parlaient de propriété. Nous, nous parlions de la terre. Tu vois ce que je veux dire? Les gens de votre peuple sont venus d'Europe parce qu'ils voulaient être propriétaires. [...]. » »

« « Nous ne savions pas cela. Nous ne savions même pas ce que cela signifiait. Nous appartenions à la terre. Eux voulaient la posséder.
« Un point important selon moi: votre religion ne venait pas de la terre, elle pouvait être transportée avec vous. Vous ne pou- viez pas comprendre ce que ça signifiait pour nous que d'avoir notre religion ancrée dans la terre. Votre religion existait dans une coupelle et un morceau de pain, et elle pouvait être trimballée dans une boîte. Vos prêtres pouvaient sacraliser n'importe où. Vous ne pouviez pas comprendre que, pour nous, ce qui était sacré se trouvait là où nous vivions, parce que c'est là que les cho- ses saintes s'étaient produites et que les esprits nous parlaient. Votre peuple ignorait tout de la terre sacrée. Nous ignorions tout de la terre propriété. Donc, on ne pouvait pas se parler puisqu'on ne se comprenait pas. Mais, assez vite, votre peuple n'a plus été comme un torrent ni même un grand fleuve. Il est devenu une sorte d'immense océan, qui nous a rejetés sur nous-mêmes, qui nous a balayés de notre terre.
Certains d'entre nous voulaient lutter. D'autres voulaient fuir.
Certains vieux chefs disaient que nous devions passer les meilleurs accords possibles pour pouvoir garder nos terres les plus saintes. En voyant tout ce que les Blancs possédaient, il y avait même des Indiens qui pensaient que nous devions abandonner nos traditions parce que le Créateur souhaitait qu'on emprunte cette nouvelle voie.
« Nous ne savions pas quoi faire. Vous étiez partout. Vous abattiez tous les animaux. Le bison avait disparu, les oiseaux avaient disparu. Vous avez posé deux rails à travers le pays, que le bison ne pouvait pas traverser. Puis vous voyagiez sur vos trains et tiriez sur les bisons en passant. Vous les laissiez pourrir au soleil. Vous nous empêchiez de chasser. Vous nous donniez des couvertures et du whisky qui rendait nos gens fous. Nous avons été placés dans des petits enclos qui étaient comme de minuscules îles au milieu de votre mer.  »

« « C'est comme si quelqu'un prenait le pouvoir de ce pays aujour d'hui et l'appelait, disons, Greenland, puis décrétait que ceux qui étaient déjà ici seraient appelés les Greenlanders natifs. Et qu'il disait qu'il faisait ça par respect. Est-ce que tu te sentirais respecté ? Est-ce que tu t'en foutrais pas complètement qu'on t'appelle comme ça ou autrement ?
« C'est comme ça que ça s'est passé pour nous. C'est ce qu'on supporte tous les jours, des gens qui nous appellent d'un tas de noms qui sont même pas authentiques et qui sont même pas dans notre langue, puis qui nous demandent si tel nom est meil- leur que l'autre. Putain, ça n'a aucune importance. Si certains d'entre nous veulent être appelés Américains natifs, vous devriez les appeler Américains natifs. Si d'autres veulent être appelés Indiens, vous devriez les appeler Indiens. Je sais que ça vous dérange un peu de ne jamais savoir quel nom est juste. Mais je pense que c'est bien. Ça vous rappelle combien c'est inconfortable pour nous - notre identité nous a été enlevée à la minute où Colomb est arrivé sur notre terre.  » »

«- Comment ça, personne ne sait ? Nous, on sait. Mais personne ne nous croit. On sait dans nos cœurs qui on est. On a les histoi res qui viennent de nos ancêtres. Mais on ne peut rien prouver. Dès qu'on dit qu'on est le peuple premier, celui qui est d'ici, un putain d'archéologue déboule et nous raconte qu'on est arrivés par l'Alaska par un bras de terre. Ils veulent s'assurer qu'on est des immigrants, nous aussi. Et qu'on est juste arrivés plus tôt. Dès qu'on dit que nos ancêtres nous ont raconté qu'on a com- mencé ici, un anthropologue se pointe, se gratouille la barbe et nous dit que c'est seulement un mythe. Et sans même parler de nos origines, si on essaie juste de dire qu'on fait partie d'une tribu, personne ne nous croira sans preuve. On répond qu'on l'a, la preuve, dans nos histoires, mais c'est pas suffisant. On nous dit que ça doit être écrit. Mais les gens qui ont écrit sur les tribus étaient tous des Blancs ou des Indiens qui travaillaient pour les Blancs, et ils ont fait toutes sortes d'erreurs.
« Et les Indiens dont les tribus ont été détruites et qui n'existent plus ? Tu vas dire que ces gens ne sont pas des Indiens parce qu'ils ne sont pas membres d'une tribu que le gouvernement reconnaît ?
« Tu vois comment c'est ? On a un faux nom, quelqu'un d'autre essaie de nous raconter notre histoire et soutient que l'histoire qu'on connaît est fausse. Puis le gouvernement essaie d'édicter ses propres lois pour définir qui on est et qui peut intégrer nos tribus. » 
- C'est une triste situation, dis-je. »

« - Ça peut être vraiment déroutant pour nous, Nerburn. Vraiment déroutant. Les Européens nous ont littéralement extermi- nés, tu sais. Ils l'ont fait avec des pistolets, ils l'ont fait avec des lois, et ils l'ont fait avec toutes sortes de censures et de réglementations qui ont perturbé nos identités. »

« - Nos aînés, continua-t-il, ont été éduqués dans la voie du silence, et ils nous l'ont transmise. Regarde, écoute, et ensuite agis, nous disaient-ils. C'est comme ça qu'il faut vivre.
Regarde les animaux pour voir comment ils s'occupent de leurs petits. Regarde les anciens pour voir comment ils se com- portent. Regarde l'homme blanc pour voir ce qu'il veut. Toujours observer d'abord, avec un cœur et un esprit tranquilles, alors tu apprendras. Quand tu auras assez observé, tu pourras agir. » 
Il y eut un silence.
- C'est un peu différent de notre façon de faire, répondis-je en espérant le pousser plus loin dans la conversation.
- Oui. Avec vous, c'est exactement le contraire. Vous apprenez par la parole. Vous récompensez les enfants qui parlent le plus à l'école. À vos fêtes, tout le monde essaie de parler. À votre travail, vous faites toujours des réunions où tout le monde inter- rompt tout le monde, et tout le monde prend la parole cinq, dix, voire cent fois. Vous croyez que ça permet de résoudre les pro- blèmes. Pour nous, vous avez plutôt l'air de gens qui disent tout ce qui leur passe par la tête et qui essaient ensuite de faire en sorte que ce qu'ils disent prenne du sens.
« Les Indiens savent ça depuis longtemps. Nous aimons nous en servir avec vous. Nous savons que quand vous êtes dans une pièce et qu'il y a du silence, vous devenez nerveux. Vous avez besoin de remplir l'espace avec du son. Donc vous vous mettez à parler avant même de savoir ce que vous allez dire.
« Nos aînés nous ont appris que c'était la meilleure façon de faire avec les Blancs: sois silencieux jusqu'à ce qu'ils devien- nent nerveux, et ils commenceront à parler. Ils continueront de parler, et si tu restes silencieux, ils en diront trop. Alors tu seras capable de voir dans leur cœur et de savoir ce qu'ils veulent vrai- ment. Et tu sauras quoi faire. »
- J'imagine que ça marche, dis-je. »

« « Je sais ce qu'ils font, en réalité. Ils ne fixent pas les yeux du professeur parce qu'ils essaient de former leurs pensées. Ils font preuve de respect selon ce que nous leur avons appris, parce que pour nous, c'est respectueux de baisser les yeux quand quelqu'un de plus important parle. Si les professeurs leur laissaient le temps de construire leurs pensées à l'intérieur de leur esprit, ils verraient que mes arrière-petits-enfants sont très intelligents. Mais les professeurs ne pensent pas comme nous. Ils veulent que tout le monde soit connecté à tout le monde par les mots et les regards. Ils n'aiment pas le silence et ils n'aiment pas l'espace vide. »
- Comme les pionniers n'aimaient pas l'espace vide de cette terre, dis-je.
Dan s'égaya franchement:
- Exactement! Tu commences à comprendre. »

« - J'en sais rien du tout.
- On dit la même chose. C'est pas parce que vous avez tout bien récuré et rangé que ça change quoi que ce soit. Qu'est-ce qui est le plus gros déchet, une épave de voiture ou un immeuble de parking? L'épave, on peut la déplacer. L'immeuble de parking, lui, doit être démoli par des bulldozers et des grues. La seule chose qui fait que vous ne le considérez pas comme un déchet, c'est que vous l'utilisez encore. Quand vous n'avez plus besoin d'un immeuble ou qu'il est trop cher à rénover, alors ça devient un déchet. Pour nous, ça ressemble à un déchet depuis le début.
« Si Fatback vit dans ma voiture, est-ce que la voiture est un déchet ? Pour toi, oui, parce qu'elle n'est plus utilisée comme tu penses qu'elle le devrait. Si une voiture est neuve et brillante et qu'elle roule sur la route, alors vous dites que c'est pas un déchet. Si elle est vieille et qu'elle roule plus, alors c'est un déchet. Ça change pas grand-chose au monde qu'elle roule ou pas. Vous, vous pensez que si. Quand viendra le temps pour la terre de reprendre la voiture qui roule, elle sera tout autant un déchet que la voiture posée dans ma cour. »
- Quand bien même, ça coûterait pas grand-chose de s'en débarrasser.
- Peut-être qu'on s'en sert encore. À l'indienne. Utiliser chaque partie du bison. Faire des cordes avec ses poils. Faire des baguettes de percussion à partir de sa queue. Les gens ici fabriquent une voiture à partir de plein d'autres. La mienne, j'en fais une niche. »

« - Posséder des choses, c'est la vie des Blancs. Quand je regarde la télé, chaque pub me montre que quelque chose est « nouveau ». Ça veut dire que je devrais l'acheter parce que ce que j'ai est vieux et que ça, c'est nouveau. Le fait que ça soit nouveau n'est pas une raison suffisante pour acquérir quelque chose. Votre façon de faire apprend aux gens à vouloir, vouloir, vouloir. Ce que vous avez n'est pas bien. Ce que vous n'avez pas est nouveau et mieux. »

« « On n'évaluait pas les gens par la richesse ou la pauvreté. On ne savait pas faire cela. Quand les temps étaient bons, tout le monde était riche. Quand les temps étaient durs, tout le monde était pauvre. On évaluait les gens sur leur capacité à partager. » »

«  Quand vous voyez une canette au bord d'un chemin, vous trouvez ça pire qu'une énorme autoroute goudronnée qui est maintenue propre. Vous vous énervez davantage devant un sac-poubelle dans une forêt que devant un gros centre commercial tout impeccable et balayé. »

« Tu peux pas acheter une culture en lui donnant une pièce. »

« - Je crois que c'est parce que la chose la plus importante pour les Blancs, c'est la liberté. La chose la plus importante pour les Indiens, c'est l'honneur. »

« Nos anciens ont remarqué ça dès le début. Ils disaient que l'homme blanc vivait dans un monde de cages et que si nous ne nous méfiions pas, ils nous feraient aussi vivre dans un monde de cages.
« Donc nous avons commencé à y prêter attention. Tout chez vous ressemblait à des cages. Vos habits se portaient comme des cages. Vos maisons ressemblaient à des cages. Vous mettiez des clôtures autour de vos jardins pour qu'ils ressemblent à des cages. Tout était une cage. Vous avez transformé la terre en cages. En petits carrés.
« Puis, une fois que vous avez eu toutes ces cages, vous avez fait un gouvernement pour les protéger. Et ce gouvernement n'était que cages. Uniquement des lois sur ce qu'on ne pouvait pas faire. La seule liberté que vous aviez se trouvait dans votre cage. Puisvous vous êtes demandé pourquoi vous n'étiez pas heureux et pourquoi vous ne vous sentiez pas libres. Vous aviez créé toutes ces cages, puis vous vous êtes demandé pourquoi vous ne vous sentiez pas libres.
« Nous les Indiens n'avons jamais pensé de cette façon. Tout le monde était libre. Nous ne faisions pas de cages, de lois, ni de pays. Nous croyions en l'honneur. Pour nous, l'homme blanc ressemblait à un homme aveugle en train de marcher, qui ne comprenait qu'il était sur le mauvais chemin que quand il butait contre les barreaux d'une des cages. Notre guide à nous était à l'intérieur, pas à l'extérieur. C'était l'honneur. Il était plus important pour nous de savoir ce qui était bien que de savoir ce qui était mauvais.
« Nous regardions les animaux et voyions ce qui était bien. Nous voyions comment le cerf trompait les animaux les plus puissants et comment l'ours rendait ses enfants forts en les élevant sans pitié. Nous voyions comment le bison se tenait et observait jusqu'à ce qu'il comprenne. Nous voyions comment chaque animal était sage et nous essayions d'apprendre cette sagesse. Nous les regardions pour comprendre comment ils cohabitaient et comment ils élevaient leurs petits. Puis nous faisions comme eux. Nous ne cherchions pas ce qui était mauvais. Non, nous tendions toujours vers ce qui était bien.
« C'était cette recherche qui nous maintenait sur un bon chemin, pas des règles ni des clôtures. Nous désirions l'honneur pour nous-mêmes et nos familles. Nous voulions que les autres disent : "C'est un homme bien, il est aussi courageux que l'ours" ou "Il est aussi pur que le renard". Nous avions la liberté donc nous ne la cherchions pas. Nous recherchions l'honneur, et l'honneur était le devoir. L'homme qui cherchait la liberté ne faisait que s'écarter du devoir, donc il était faible.
« Le seul moment où la liberté est importante, c'est quand les autres essaient de te mettre des chaînes. Nous n'avions pas de chaînes donc pas besoin de liberté. » »

« « La première, c'est les batailles. À chaque fois que le peuple blanc gagnait, c'était une victoire. À chaque fois que nous gagnions, c'était un massacre. Quelle était la différence ? Il y avait des corps par terre et les enfants perdaient leurs parents, que les corps soient indiens ou blancs. Mais les Blancs utilisaient leur langue pour rendre leurs tueries bonnes et nos tueries mauvaises. Eux "gagnaient", nous "massacrions". Je ne sais même pas ce qu'est un massacre, mais ça évoque des femmes mortes et des petits bébés aux gorges tranchées. Si c'est ça, c'était le peuple blanc qui massacrait plus que nous. Pourtant, j'ai rarement entendu quelqu'un parler des massacres commis par les Blancs. Je n'aime pas quand les gens utilisent ce mot seulement pour nos tueries. Ça les rend plus sales que les vôtres, et ça fait passer notre peuple pour pire que le vôtre. »

« Une autre chose : le soulèvement. Vous utilisez ce mot pour parler de toutes les fois où notre peuple ne pouvait plus supporter ce qui lui arrivait et essayait d'obtenir des droits. Dans ce cas, vous devriez appeler votre Guerre d'indépendance un "soulèvement". Mais non. Pourquoi non ? Il y avait un gouvernement qui vous privait de votre liberté et vous vous êtes levés contre cela. Mais vous appelez ça une révolution, comme si la planète se transformait en quelque chose de meilleur.
« Quand c'était nous, vous parliez de soulèvement, comme si tout était paisible et en ordre jusqu'à ce qu'on "se soulève". Eh bien, peut-être qu'on devrait renverser ces mots et appeler ça des "rabaissements", parce que de notre point de vue, nous étions constamment rabaissés. Je préférerais largement que les livres d'histoire disent "Et les Indiens ont à nouveau été rabaissés", plutôt que "Et les Indiens se sont à nouveau soulevés". Ça serait plus proche de la vérité.
« Tu vois, c'est comme ça que la langue anglaise est utilisée contre nous. C'est comme une arme dont vous vous servez contre nous maintenant que vous n'utilisez plus les pistolets.
« Et le "sentier de la guerre" ? Quand vous nous attaquiez, vous "formiez une armée". Quand nous attaquions pour défendre nos familles, nous nous "engagions sur le sentier de la guerre". Je parlerai même pas d'expressions comme "assoiffés de sang" et "sauvages".
« Mais c'est des choses du passé et tu penses probablement qu'elles ne sont plus réelles. Eh bien, si.  »

«Tu vois, ça fait partie de la grande histoire que vous ne voyez même pas. Vous enseignez la frontière. Vous parlez de la nature sauvage et vous racontez que l'espace était vide, alors que pour nous le pays était toujours plein. Vous parlez de la civilisation comme si nous n'en avions aucune, juste parce que notre objectif n'était pas de déménager des gros fauteuils et des coffres en bois dans des chariots à travers le désert.
« Si on écoute ce que vous enseignez, l'Amérique est née quand quelques bateaux sont arrivés dans le Massachusetts et en Virginie. Les humains en sont descendus et ont dû se frayer un chemin à travers un grand pays vide plein de dangers. Quand ils sont arrivés dans ces plaines, ils ont envoyé des convois de chariots à travers les montagnes et le désert, tels des petits ruisseaux traçant leur voie à travers la terre. Une fois qu'ils sont arrivés de l'autre côté, alors d'autres humains leur ont emboîté le pas et ce fut comme si ces petits ruisseaux d'humains étaient devenus des grosses rivières d'humains qui s'écoulèrent jusqu'en Californie, dans l'Oregon et dans l'État de Washington. Comme si l'espace avait été vide et que vous l'aviez rempli, comme si l'histoire, c'était le récit de la façon dont vous l'avez rempli et de ce qui s'est passé pendant que vous le remplissiez.
« Tu peux me dire que tu ne penses pas de cette façon, mais si. Je regarde les livres d'histoire des enfants. Ils commencent à l'Est et vont vers l'Ouest, tous, comme si c'était la manière dont l'histoire s'était déroulée. Imagine simplement ce que ça fait à nos enfants. Ça les incite à voir le passé comme le fait le peuple blanc. »

« Je crois que c'est essentiellement là que notre peuple s'est trompé sur votre peuple. Nous ne voyions pas les idées derrière les mots que vous utilisiez. Nous ne voyions pas que vous aviez besoin de nommer toute chose pour la faire exister et que le nom que vous lui donniez la faisait devenir ce qu'elle était. Vous nous avez appelés les sauvages, donc ça a fait de nous des sauvages. Vous avez appelé l'endroit où nous vivions une région sauvage, donc ça l'a rendu sauvage et dangereux. Sans même le savoir, vous avez défini ce que nous sommes dans vos esprits par les mots que vous utilisiez. Et vous continuez de le faire sans même vous en rendre compte. »

« Je me rappelle le discours. C'était un de ceux que j'ai appris quand j'étais jeune. Je l'ai appris en anglais, aussi. Ça disait ça : « Je ne veux pas être enfermé dans un corral. Tous les Indiens des agences* que j'ai vus ne valaient rien. Ils ne sont ni des guerriers rouges ni des fermiers blancs. Ils ne sont ni loup ni chien. » 
*Les Indian Agencies (littéralement « agences des Indiens») furent créées par le gouvernement américain pour établir des relations officielles avec les nations indigènes. Des agents étaient nommés pour assister les gouverneurs territoriaux ou les surinten- dants des affaires indiennes, afin, souvent, d'étendre les politiques gouvernementales. »

« - Il y a les meneurs et les maîtres. Nous les Indiens, nous sommes habitués aux meneurs. Quand nos meneurs ne mènent pas, nous nous éloignons d'eux. Quand ils mènent bien, nous restons avec eux. Les Blancs n'ont jamais compris cela. Votre système crée des maîtres par la loi, même s'ils ne sont pas des meneurs. Nous avons dû accepter votre mode de fonctionnement car vous nous avez forcés, nous les Indiens, à faire des constitutions et à former des gouvernements. Mais cela ne nous plaît pas et nous ne trouvons pas ça juste. »

« Le guerrier savait que son temps avait passé et ne prétendait pas rester notre meneur au-delà de la période durant laquelle il avait été nécessaire. Il était fier de servir son peuple et savait quand il était temps de se mettre de côté. S'il ne le faisait pas, le peuple s'éloignait simplement de lui. On ne peut devenir meneur que si on mène le peuple de la façon dont il désire être mené.
« Voilà pourquoi Sitting Bull était un meneur. Il était nécessaire au peuple et le peuple le suivait. Il était courageux. Intelligent. Il savait comment se battre quand il y était poussé. Et il avait bien cerné le peuple blanc. Ses semblables voyaient qu'il ne pouvait pas être trompé par l'homme blanc, donc ils le suivaient. C'est pour ça que le gouvernement des États-Unis le détestait autant. Ce n'était pas juste parce qu'il avait tendu un piège à Custer. N'im- porte qui aurait pu faire cela. C'était parce qu'il était un meneur et que ses semblables l'écoutaient, et que lui n'écoutait pas le gou- vernement des États-Unis. Il écoutait les besoins de son peuple. »»

« - C'est pour ça que je ne devrais pas penser à ces choses. Parce que, tu sais, je ne blâme pas mon peuple d'avoir tendu des embus- cades aux soldats blancs ni même d'avoir attaqué les maisons des pionniers. Je ne dis pas que c'était juste. Je dis simplement que je comprends. Nous avons tout perdu. Votre gouvernement envoyait des hommes avides et cruels pour nous maintenir sous contrôle, ils mentaient, violaient, nous volaient, ils pouvaient nous tuer sans aucune justification, et ça ne posait aucun problème. »

« Ça ne fait aucun bien. Ça ne fait que m'énerver et te faire culpa- biliser. Tout cela est arrivé. Je dois apprendre à vous pardonner, à toi et à ton peuple. Nous devons vivre ensemble. Je dois penser à mes petits-enfants maintenant. Peut-être que les choses iront mieux pour eux.
« J'aimerais seulement savoir pourquoi ça s'est passé comme ça. J'aimerais vraiment. Je serais tellement plus paisible si je savais simplement pourquoi ça s'est passé comme ça. » »

« Sur cette terre, qui me rappelait mes rêves d'enfant faits de balades à dos de poney, de cornets de glace et des visages de quatre présidents gravés sur une montagne, un peuple avait su apprécier la puissance de Dieu dans chaque rocher, chaque oiseau et chaque centimètre carré. Et, sur cette terre, ils avaient été réduits à danser frénétiquement en rond dans l'espoir que l'extase fasse venir un sauveur qui leur épargnerait d'avoir à regarder un autre de leurs enfants mourir, les yeux vides et ébahis, dans leurs bras.
Les dernières lueurs du crépuscule avaient découpé les Black Hills sur le ciel de la nuit. Il était aisé de comprendre comment ces montagnes étaient devenues un cœur sacré. Elles s'élevaient, silencieuses et majestueuses, au milieu de ces plaines infinies, telle une cathédrale des dieux.
Pour ces montagnes, pensai-je, les Lakotas avaient tout donné et les avaient finalement vues, elles aussi, subtilisées par le peuple blanc, qui s'y était introduit illégalement en criant la formule magique « De l'or ! ». « Le métal qui rend fou les wasichus » comme l'avaient appelé les Lakotas - un simple minerai dans le sol.
Pour cela, mes ancêtres s'étaient adonnés au mensonge, au vol, aux meurtres de vieillards et d'enfants, puis avaient passé le siècle suivant à réécrire l'histoire pour en effacer purement et simplement tous les assassinats et toutes les trahisons.
Pour cela, et pour la soif de posséder un morceau de terre, nous avions détruit les rêves et les familles de toute une race, la laissant sans foyer, sans foi, avec rien d'autre que les cendres d'un mode de vie équilibré et gracieux. Et aujourd'hui, afin de combler le vide  de notre propre banqueroute spirituelle, nous avions l'arrogance de prétendre les « redécouvrir » et de nous approprier ces mêmes vérités spirituelles que nous avions tenté de détruire.
J'étais empli d'une honte et d'une contrition infinies. Mon esprit s'agitait dans ces sombres affres, cherchant en vain le repos. La silhouette immobile de Dan était à peine visible dans la nuit. Je me demandai comment il pouvait vivre avec une telle rage, comment quiconque pouvait vivre avec une telle rage. Ses derniers mots - « J'aimerais seulement savoir pourquoi ça s'est passé comme ça » - résonnaient en moi. Les lambeaux du Paha Sapa s'élevaient dans le ciel de l'Ouest, tandis que les phares de la voiture scrutaient la terre muette. Moi aussi je me demandais pourquoi cela s'était passé ainsi, et si cette terre, du haut de son savoir, nous apporterait un jour la paix. »

Quatrième de couverture

Je décrochai le téléphone à la seconde sonnerie. J'entendis de la friture sur la ligne avant que la voix ne lance :
- Vous êtes Nerburn?
C'était une femme. Je reconnus le ton saccadé d'un accent indien.
- Oui, répondis-je.
- Vous ne me connaissez pas, continua-t-elle, sans même donner son nom. Mon grand-père veut vous parler.

Dan, vieil Indien de la tribu des Lakotas, contacte l'écrivain Kent Nerburn pour l'entraîner dans un road trip au cœur de l'Ouest américain. Au gré des kilomètres et des rencontres, Dan livre son histoire et celle de son peuple, au-delà des mythes et des stéréotypes.

Empreint de douleur, teinté d'humour, Ni loup ni chien est le dialogue entre ces deux hommes, qui luttent pour trouver une voix commune. Un document sans concession sur la culture amérindienne et sur la façon - vio- lente et vorace - dont les États-Unis se sont construits.

Né en 1946, Kent Nerburn a publié plus d'une quinzaine d'ouvrages sur la culture amérindienne et américaine.

« Le travail de Kent m'a accompagné et continuera de le faire, extraordinaire et à jamais précieux. Au milieu de la confusion des temps modernes, il donne voix à l'éblouissant esprit d'un peuple magnifique. » ROBERT PLANT

TRADUIT DE L'ANGLAIS (ÉTATS-UNIS) PAR CHARLES POMMEL PRÉFACE DE ROBERT PLANT AVANT-PROPOS DE KIM PASCHE DESSINS DE BAUDOIN

Les Éditions du sonneur,  avril 2023
437 pages

jeudi 15 février 2024

La Colère et l'Envie ★★★★★♥ d'Alice Renard

Une pépite ce livre !

Un premier roman choral d'une toute jeune autrice et des pages empreintes de douceur, de tendresse et d'une immense humanité.

Une construction originale, surprenante, ingénieuse pour parler de la différence, de l'amour, de l'amitié, pour raconter le parcours chaotique d'une enfant qui ne rentre pas dans le moule et l'impuissance de ses parents aimants. 
« Je sais qu'lsor se souvient, je sais qu'elle avance quelque part. Dans son désordre, dans sa colère, dans sa panique même, elle avance. Je le sais. »
Isor n'est pas comme tout le monde et à travers les mots, les émotions de ses parents si bien retranscrites et celles de son ami Lucien, pourvu d'une grande sagesse, nous apprenons à la découvrir jusqu'à un final bouleversant.
Ce livre raconte les silences, les difficultés traversées, les angoisses, la rage, la frustration, il raconte aussi les petits bonheurs, la complicité entre deux écorchés que bien des années séparent, la lumière qui s'invite dans le cœur de chacun d'entre eux.
Il bouscule, saisit, interroge sur la place que nous accordons dans une société si normée, si rationnelle à ceux  qui marchent un peu à côté du chemin tracé - que fait-on de leurs  ris, de leurs souffrances ? 

Un livre désarmant de beauté, vibrant d'émotions et chargé d'espoir.

Coup de ❤️. 
« Dis, ma petite Isor, tu te rappelles ça ? Quand tu as mis ta petite bouille sur mes genoux calleux et durs, le tressaillement que j'ai eu, la crispation que j'ai dû surmonter, et que tu m'as laissé le temps de faire redescendre. Ce n'est que deux semaines plus tard qu'à mon tour j'ai réussi à te toucher, à poser ma main maladroite sur tes tresses, ne sachant pas vraiment comment te câliner pour te montrer que mon affection t'était acquise, et qu'il était trop tard pour faire demi-tour. Si j'ai autant hésité ce jour-là, si ma main a tant titubé dans tes cheveux, c'est que j'étais encore un peu en colère que tu m'aies forcé, comme ça, à t'aimer. »

« Moi, ta mère, je le sais : quand tes yeux transpercent, quand ton regard nous file entre les doigts, c'est que tu comprends des choses que nous ne comprendrons jamais. »

« Je sais qu'lsor se souvient, je sais qu'elle avance quelque part. Dans son désordre, dans sa colère, dans sa panique même, elle avance. Je le sais. »

« mère
Isor peut être très différente d'un jour à l'autre, mais elle reste toujours elle-même, sincère, incapable de tricher. Elle ne peut pas se contenir à une seule personne, à une seule apparence. Elle est plusieurs, elle est trop vaste. C'est sa manière à elle de saisir le monde du mieux qu'elle peut.»

« père
Le premier examen qu'Isor a passé à l'hôpital, c'était pour un trouble de l'attention. J'y étais allé seul, Maude n'avait pas pu déplacer sa garde. Je n'oublierai jamais ce moment, les sourcils velus et arrogants du médecin, un jeune interne en psychiatrie. Docteur Jard - fier comme un coq. Pour lui, tout était clair. Isor avait effectivement des difficultés à se concentrer, c'était tout. Il avait passé trente minutes avec elle, mais ça y est, il la connaissait mieux que nous, avait tout compris, et me démontrait l'infinie supériorité de son expertise par une chiée de mots savants appris d'hier. J'avais beau lui parler des colères, des retards de langage, des regards déconcertants (ceux d'une adulte mélancolique, pire que cela, ceux des statues de grands hommes qui sondent l'Avenir, le Progrès ou l'Ame humaine), il ne m'écoutait pas, et son visage dur était figé dans une expression dédaigneuse. 
Au moment de nous raccompagner à la porte, avec une politesse excessive et trop empressée pour être sincère, il jeta un dernier regard vers Isor. Elle était dans un coin depuis le début de notre entretien. Elle se tenait en face d'une bonne centaine de crayons de couleurs alignés par taille et par teinte, selon un ordre allant du jaune au bleu. Elle nous faisait dos, mais on pouvait deviner à son immobilité qu'elle était parfai- tement sereine. Ce ne pouvait être qu'elle qui avait fait cela, car, à notre entrée, les crayons gisaient tous en un tas informe.
L'interne s'est rassis à son bureau où il eut un moment d'absence. Puis il a simplement lâché: « C'est peut-être un peu plus complexe que cela. » »

« père
Les signes de l'affection d'Isor sont souvent illisibles. Le fait-elle exprès ? Les moyens qu'elle choisit pour nous dire qu'elle nous aime sont généralement à double tranchant, brutaux. À l'image de ce qu'elle pense de nous ? J'ai parfois l'impression qu'elle nous en veut : de ne rien pouvoir partager, de ne pas vivre dans le même présent qu'elle. Sait-elle qu'au fond de moi je ressens exactement la même chose, que je lui en veux d'être une étrangère ? De ne pas être moi, comme moi? Nous en veut-elle autant que moi je lui veux ? Y a-t-il tout de même en elle de la reconnaissance pour tout ce que nous mettons en œuvre? Pour notre patience, pour notre capacité d'acceptation? Un minimum de reconnaissance pour le sacrifice (ce mot pèse si lourd en moi certains jours) que nous faisons de nous-mêmes ? Ou voit-elle notre abnégation comme une chose naturelle, évidente, nécessaire ?
Il me semble que rien n'est prévu en nous pour ressentir ce qu'Isor voudrait que l'on ressente pour elle. »

« Dis, ma petite Isor, tu te rappelles ça ? Quand tu as mis ta petite bouille sur mes genoux calleux et durs, le tressaillement que j'ai eu, la crispation que j'ai dû surmonter, et que tu m'as laissé le temps de faire redescendre. Ce n'est que deux semaines plus tard qu'à mon tour j'ai réussi à te toucher, à poser ma main maladroite sur tes tresses, ne sachant pas vraiment comment te câliner pour te montrer que mon affection t'était acquise, et qu'il était trop tard pour faire demi-tour. Si j'ai autant hésité ce jour-là, si ma main a tant titubé dans tes cheveux, c'est que j'étais encore un peu en colère que tu m'aies forcé, comme ça, à t'aimer. »

« [...] ce que tu cherches dans les jeux, c'est le théâtre, les revirements de situation inexorables, quand pour de faux le sort vous abaisse ou vous élève. J'ai raison ? Je comence à bien te connaitre. Se laisser bercer par le hasard... Faire comme si c'était très important, oui, de la plus haute importance... Et, une fois le jeu rangé, n'en avoir plus rien à faire des gains et des dommages. Et surtout, surtout, que l'on rigole, toi et moi. Toi, de mes bourdes de vieil oublieux ex moi, de tes fulgurances.
Dis, dis, tu reviendras demain, c'est promis ? »

« Avec ma toute chérie, je révise mille de mes petites certitudes. Je pensais par exemple que la fierté était un des pires défauts du monde, qu'il engendrait l'orgueil, le repli sur soi et le mépris, qu'il empêchait de remettre en question nos torts. Mais Isor est fière. Sans crier gare, cent fois par jour, son regard s'emplit de cet air à la fois buté et réjoui, qui vous défie. Oui, vraiment, elle est fière. Mais personne ne sait mieux écouter qu'elle, personne n'est plus attentif, plus attentionné. »

« J'aimerais tout posséder pour pouvoir tout t'offrir. Je dis ça alors que rien ne nous manque. Ou peut-être un orchestre privé ? Un tapis plus moelleux ? Ta tête sculptée huit fois en guise de pion sur un plateau de petits chevaux ? Un theatre dans l'arrière-jardin avec des chaises à fleurs et à paillettes ? Des journées faites seulement d'après-midis et aucune nuit pour les séparer ? Que je sois un adolescent, pour qu'on ait un futur plus long que notre présent, et que je sois tout frèle et tout chétif, pour qu'à ton tour tu me prennes sur les genoux. Que l'on m'accorde un vœu pour souhaiter que tous les tiens se réalisent. Que tu aies des chaussures à grelots et que la maison soit pleine de couloirs pour étirer ces moments où je t'entends venir vers moi.
Que l'on redouble mes langueurs, demande l' Ami à son Aimé dans la poésie de Raymond Llulle. »

« Toi, tu accèdes aux vérités - de la musique comme du reste - avec un instinct quasi physiologique. Chez toi, c'est le corps qui pense, et il ne se trompe jamais. »

« La différence entre ses parents et moi, c'est que je ne suis pas quelqu'un qui s'affole - je veux dire : le mutisme, la colère, la joie, la douleur, je connais. Je sais les recevoir sans fléchir. J'ai l'habitude. C'est exactement comme écouter de la musique. 
Parfois je me fais l'effet d'être encore ce photographe que je fus : quand d'un regard je signifiais à mes sujets « Ressens ce que tu ressens, je ne demanderai pas d'explication, j'en garderai simplement la mémoire. »»

« Vous savez, il ne faut jamais attendre une vengeance ou un dédommagement, ou vouloir remplacer les morts. Le vide que les morts laissent ne se rebouche jamais, on ne se remet jamais de cette béance - mais j'ai compris que l'on pouvait créer le plein à côté du gouffre, ça oui. Idem pour sa place. Ce qui est perdu ne revient pas - mais à côté, en marge, ailleurs, on peut retrouver un rôle. Et c'est ce qui se passe pour moi. Avec elle, je reconstruis quelque chose. Autre chose. »

« J'aime ta capacité inhumaine à être brutalement heureuse, sans prévenir. Si brutalement heureuse. »

« Souvent, je me demande à quoi tu ressembleras, adulte, et si j'aurai la chance de te connaitre alors. D'être toujours là. Pas quel genre de femme tu seras, ça, je m'en fiche. Mais quelle adulte, qui aura mis en acte toutes les promesses qu'elle enclot. »

« C'est fou comme on peut se tromper sur un nombre incalculable de sujets. Chaque certitude est une erreur en puissance. Chaque certitude est une erreur en puissance. Qui éclate un jour. »

« Monika, Ingmar Bergman. Vers un destin insolite sur les flots bleus de l'été, Lina Wertmüller. Kung-Fu Master, Agnès Varda. Trois films, trois pays, trois grands réalisateurs. Trois histoires d'amour qui avaient besoin d'une île pour s'épanouir. Car c'est bien là le scénario de ces trois films: un couple dont l'amour, naissant ou réprimé, prend son essor après l'arrivée, de gré ou de force, sur une île déserte. Île suédoise dans la Baltique, île italienne en Méditerranée, île anglaise dans la Manche. Quels que soient le pays ou l'époque, l'insularité offre à l'amour l'espace rêvé, c'est-à-dire un espace excluant et exclusif, pour deux, ni plus ni moins. Loin des fâcheux, des fouineurs et des importuns, l'île devient une utopie où les liens sociaux et affectifs peuvent être intégralement redéfinis. Et chaque fois le dénouement est sans appel: sortir de l'île, c'est détruire l'amour. Réintroduisez la société autour du couple et celui-ci se fissure, se morcelle. Il redevient impossible d'être Deux. Uniquement deux. »

« « Le monde est plein de voisins indiscrets, avec qui il me faut partager l'autre. Le monde est précisément cela : une contrainte de partage. Le monde (le mondain) est mon rival », écrivait Barthes. »

« L'amour a sa grammaire. Et comme dans toutes les langues, sans la pratiquer, on la perd. Au fil des mois, j'ai réappris l'Absence, l'Attente, le Comblement, la Dépendance, la Fête, l'Impatience, la Jalousie, le Rêve et la Rêverie, le Ravissement, le Rendez-vous, la Solitude et le Souvenir. Tout un abécédaire que je potasse studieusement. J'aime être cet écolier des sentiments.
Dis, dis, mon Isor, reviendras-tu demain après-midi ? »

« Je mets ma tête sur les genoux d'Ani et j'attends que la vie vienne nous aimer. Elle manque jamais le rendez-vous quand j'ai la tête ici. C'est la même odeur, exactement, que les genoux de Luce. Tu sais, toi, que les genoux ça a tant d'odeurs ? »

« le père

Dans les lettres aussi, il y a ces écarts : sa voix d'enfant rieuse qui tremblote et bégaye, et sa voix de grand sage qui nous toise avec bonté. Et je me rends compte, à présent, qu'il y avait déjà cela dans ses silences. Avant son départ, avons-nous seulement écouté ses silences ?

Écouté l'urgence à vivre de son silence ?

Et maintenant, le saurons-nous, écouter sa poésie, partager son souffle de joie, lire ses lettres comme autant de chances qu'elle nous offre pour trouver UNE NOUVELLE MANIÈRE D'ÊTRE UNE FAMILLE ? »

« Vous que je porte en mon profond, Ici les nuits sont douces comme le lait. Aniella a un chien qui me lèche les mains. Kiko est son nom. Il est un berger allemand, je crois. Quand je lui caresse, il veut faire pareil mais il a pas de mains alors il fait avec la langue, approche sa truffe. Il a de grands yeux noirs. Et des longs longs cils bruns. 
 Je t'embrasse toi aussi tout plein, 
I.

Ma père, mon mère, Suis en éclosion. Me sens pleine de bourgeons qui s'entrelèvrent. Me semble être un arbre fruitier que les fleurs commencent à donner des trésors. Je porte toutes les promesses de la terre à bout de mes bras. Je m'avance tel un jardin, tel un côteau, à la rencontre du printemps. Je cours. Je vais mûrir, je vais me rouler dans ces fleurs pour la vendange. Oh, quelle saison !  »

« Les deux parents chéris,

Tu sais, suis troublée de ce qu'ils sont semblables mais distincts, Ani et Luce, Luce et Ani. Idem de Luce, Ani est fidèle, mais elle est toute réjouissance. Idem de Luce, Ani a les yeux aigue-marine et le corps svelte, mais pas cet air rigidigne. Idem de Luce, Ani s'accommode des solitudes, mais jamais sans Kiko. Parfois, a le semblable air d'endurance craintive, qu'elle refoule aussitôt.

Je veux te dire encore qu'y a deux jours nous allons sur la tombe de sa mère, une stèle sans rien, sur le nord à Taormine. On y voyait la baie qui scintille pareil que les bijoux. On dépose au sol, dessus, des pommes de pin et des coquillages pour faire les mandalas, des cercles et des couronnes. Calme calme calme... Un instant plein comme une bille qui roule.

Ça y est, je dis tout pour aujourd'hui. À demain les deux ! 
Je t'embrasse mille et cent, 
I. »

« Un regret, ça ne se conserve pas comme une boule à neige, en mémoire d'un voyage passé. Un regret aussi, ça peut se jeter à la poubelle. »

« Je viens t'annoncer le printemps. Le jour de mon départ de Catane, j'ai vu passer les grues dans le ciel,  qui rentraient d'Afrique.
Le printemps, c'est la fin de ta tristesse. Ta joie,  je l'ai réparée. Je viens te dire, pour vrai, que tu n'as plus
de raison d'être malheureux. Un peu de malheur ça se dissout vite, quand on a beaucoup d'amour.
Ani ne t'en veut pas, Ani t'a pardonné. Tu as une manière  tout à toi de te faire pardonner. Tu commets tes erreurs par faiblesse, tu avoues ces faiblesses sans orgueil. Comment te dire ? Même quand tu es froid tu es doux. Même quand tu es triste tu es doux. Lucien n'a pas d'épines. Lucien n'a pas d'épines. Et Ani, elle, a sa manière de pardonner. Elle se sait d'avance innocente dans les  drames qui la touche. Et elle ne sait pas s'apitoyer. Rien en elle n'est programmé pour cela. Les évènements pour elle viennent sans être bons ni mauvais. Si quelque chose lui vole son plaisir, elle l'accepte, sans pitié, et si quelque chose lui en donne, elle l'accepte, avec gratitude. Elle attend les tempêtes et les joies en sachant bien qu'il n'est jamais question de son mérite là-dedans. 
Lucien, maintenant, il faut effacer de toi toutes les larmes  et toutes les prières de rédemption que tu y as accumulées. 
Elles ont rempli leur office, elles ne sont plus utiles. 
Alors ne les garde pas en souvenir, surtout pas. Un regret, ça ne se conserve pas comme une boule à neige, en mémoire d'un voyage passé. Un regret aussi, ça peut se jeter à la poubelle. Tu te demandes peut-être qui tu serais sans ta douleur. 
Si tu serais le même homme. C'est elle qui t'a modelé plus de la moitié de ta vie. C'est elle qui a fait le Lucien que j'ai connu. Alors ? Alors on s'en fiche et ce chagrin tu ne lui dois aucun culte, aucune cérémonie d'adieu.
Lucien, la joie gomme tout le reste, et même si alors tu dois mourir tout blanc et tout vierge, comme un nourrisson 
qui n'aurait rien à lui, cela n'a pas d'importance.
Aucun malheur ne nous définit, seule notre joie est à nous. 
Lucien, tu es le seul qui m'ait crue capable de vivre. 
Tu as vu que ce qu'il y avait en moi, ce n'était pas une malédiction mais une promesse. Tu m'as révélé ma promesse.
[...]
Aujourd'hui je suis grande. Et je suis grande de toi. 
Il y a une corde qui vibre tout près de l'horizon.
Je vois enfin l'horizon qui recule. Il y a de l'avenir à respirer. Toute ma vie je vais pouvoir respirer le futur que tu m'as donné. Ça t'a fâché, dis, Luce, ça t'a fâché, qu'à toi je n'envoie pas de mots ? 
Je ne fais pas partie de ceux qui pensent 
que plus on s'aime, moins a besoin de se le dire. Non et non. L'amour est un sortilège qu'il faut jeter sans cesse et de nouveau du bout des lèvres, encore et encore. 
C'est une chanson avec laquelle on vit - qu'il faut faire vivre. Mais dans mon cas, dans notre cas, cette chanson, mon cœur la psalmodie en silence - et je sais que le tien aussi. »

Quatrième de couverture

Isor n'est pas comme les autres. Une existence en huis clos s'est construite autour de cette petite fille mutique rejetant les normes. Puis un jour, elle rencontre Lucien, un voisin septuagénaire. Entre ces âmes farouches, l'alchimie opère immédiatement. Quelques années plus tard, lorsqu'un accident vient bouleverser la vie qu'ils s'étaient inventée, Isor s'enfuit. En chemin, elle va enfin rencontrer un monde assez vaste pour elle.

La Colère et l'Envie est le portrait d'une enfant qui n'entre pas dans les cases. C'est une histoire d'amour éruptive, d'émancipation et de réconciliation. Alice Renard impose une voix d'une incroyable maturité; sa plume maîtrisée sculpte le silence et nous éblouit.

Née à Paris en 2002, ALICE RENARD est étudiante en littérature médiévale à la Sorbonne. Révélée précoce à l'âge de six ans, la question de la neurodiversité et de l'hypersensibilité l'a toujours passionnée. La Colère et l'Envie est son premier roman.

Éditions Heloise d'Ormesson,  août 2023 159 pages
Sélection Prix Littéraire Le Monde 2023
Prix Méduse 2023
Prix Vocation littéraire 2023

mardi 13 février 2024

Les dernières volontés ★★★★☆ de Heather McFerguson de Sylvie Wojcik

Un petit tour en Écosse, ça vous tente ? Humer les embruns et les brouillards, admirer la beauté de ces lieux d'eau, de verdure et de lumière, se laisser bercer par quelques airs celtiques, tenter le  haggis, se désaltérer au pub du coin... À l'instar d'Aloïs, je quitterais bien tout moi aussi pour me rendre dans ce petit recoin de terre écossaise. C'est forcément plus simple quand on y hérite d'un toit. Aloïs, lui, à peine a-t-il foulé ces terres qu'il s'y sent comme chez lui, aimanté, charmé par ces vastes étendues sauvages et cette mystérieuse histoire d'héritage. 
Un agréable moment de lecture, tout en douceur, hors du temps, une belle histoire racontée avec poésie, qui transporte, en toute simplicité. 
Un petit livre pour s'évader une heure ou deux qui questionne la raison des silences et le pardon. Un petit bijou sur le pouvoir des mots, de la littérature et une belle référence à  une des œuvres qui m'a fait aimer la lecture : "Le Seigneur des Anneaux".

« Il foule le sable blanc mêlé de fines particules noires, s'installe sur un rocher et grignote quelques biscuits. Il est venu pour réfléchir et s'organiser mais, à mesure que les nuages s'effacent et que la lumière change, tous ces questionnements s'éloignent. La marée monte doucement. Il observe avec fascination le liséré de dentelle blanche aller et venir. Sa pensée se fond dans le paysage. Son esprit se dilue dans la course des nuages et le chuchotement des vagues. »

«[...] ce soir, l'histoire a changé. Comme si un nouveau chapitre s'écrivait au rythme du vent qui siffle dans les bruyères et marbre de noir le sable rose de la baie d'Applecross. »

« La presqu'île est plongée dans un brouillard aux mailles serrées ne laissant passer aucun signe de vie. Quelques kilomètres carrés de prés, de tourbe et de rochers, cinquante moutons et deux hommes soustraits au reste de l'humanité. »

« Impossible de rentrer, pour l'instant ou jamais. Impossible de quitter cette terre qui le retient par sa vérité, son authenticité et sa désolation heureuse, où la nature s'exprime dans toutes ses forces et où il est beau de ne pas pouvoir lutter contre parce que, même quand les éléments se déchaînent, quand la marée vient frapper violemment les rochers ou quand les nuages se mettent en ordre de bataille, il y a toujours une faille, un ruban d'écume assagie ou un rai de lumière qui apporte l'espoir d'un apaisement. »

Quatrième de couverture

Aloïs, libraire à Paris, reçoit une lettre d'un notaire d'Inverness lui annonçant que Heather McFerguson lui lègue sa maison. Qui est cette femme, et surtout pourquoi a-t-elle fait de lui son héritier universel ? Se rendant en Écosse pour tenter d'élucider ce mystère, il ressent immédiatement l'impression d'avoir trouvé sa place. Là-bas, dans ces paysages d'eau, de pierre et de lumière, il renouera peu à peu le fil brisé de son histoire familiale. Il sera question de hasard, d'audace et de renoncement, de choix, de promesses tenues ou non, de silence et de secrets.

Sylvie Wojcik vit à Strasbourg. Elle a publié Les Narcisses blancs (2021) aux éditions Arléa.

Éditions Arlea,  avril 2023
144 pages