mardi 28 avril 2020

Là où chantent les écrevisses ★★★★★♥ de Delia Owens

« Je veux des jours de vent,
nuages défilant,
embruns tourbillonnant,
jets d'écume fusant
et cris des goélands. »
Fièvre marine de John Masefield 

Magnifique récit émouvant et fort. 
Une aspiration à se focaliser sur l'essentiel, à se laisser aller au gré du vent, à contempler la nature environnante, à se rendre tout là-bas, là où on entend le chant des écrevisses, « là où les animaux sont encore sauvages, où ils se comportent comme de vrais animaux. » 
J'ai arpenté les marais aux côtés de Kya, je suis allée de découvertes en découvertes sur la faune et flore de ces terres humides, nécessaires à la survie de tout un écosystème, vitale également pour l'Homme, notamment pour son rôle dans l'absorption des eaux. Certains ingénieurs ont dû oublier cette notion ; bétonner des marais, par exemple, ne leur a pas semblé être une aberration...
«  Aldo Leopold lui apprit que les plaines inondables étaient des extensions vivantes des rivières, et qu'elles pouvaient les reprendre quand elles le voulaient. Toute personne qui vit sur une plaine dépend en fait des caprices d'une rivière. Elle apprit où vont les oies sauvages en hiver, et le sens de leur musique. Les jolies mots que l'auteur employait, presque de la poésie, lui enseignèrent que le limon est plein de vie et constitue l'une des plus grandes richesses de la terre [...] Certaines graines restent dormantes sous le sol desséché pendant des dizaines d'années, elles attendent, et quand l'eau les irrigue enfin, elles jaillissent et dévoilent leur face. Autant de merveilles et de leçons bien réelles sur la nature [...]. Des vérités que tout le monde devrait connaître, et pourtant, même si elles sont là sous nos yeux, à l'instar des graines, elles semblent enfouies, comme un secret. »
Il y a eu contact. Avec cette nature foisonnante. Avec les mots.
Avec le personnage de Kya.  J'ai compris sa solitude. Comme une partie d'elle-même, accompagnée de pesantes douleurs que rien parfois n'apaisent. J'ai compris aussi la haine.
Surprenante, intrigante "fille des Marais" dont les secrets se cachent entre les pages de ce récit, et qui nous accompagnent jusqu'à la toute fin, éblouissants. 
Un récit savamment construit, qui tient en haleine. 
Une ode à la nature, une ode à la solitude, une ode à l'amour.
Une belle leçon de vie.

« Comment ferait-on sans la musique des oies sauvages ? »

« [...] la lampe à pétrole, sa douce lumière s'échappant par les fenêtres de la cabane et caressant les branches basses des chênes - la seule qui trouait des kilomètres et des kilomètres de ténèbres à l'exception de la faible lueur des lucioles.
Soudain seul et perdu
Le jardin était nu
Ah prendre dans mes bras
Caresser mon enfant !
Et l'écouter parler
Souriant d'un air sage,
Ou rire tel un sauvage.
Partis, arbres, soleil,
Nous n'étions que nous deux
Sa mère cuisinait
Nous l'entendions chanter.
Elle nous aimait c'est sûr
Dans ce bas monde obscur.
James Wright
Kya se leva et alla se promener dans la nuit, sous la lumière opaline d'une lune à son troisième quartier. L'air doux du marais enveloppait ses épaules d'un châle de soie. Les rayons lui montrèrent un chemin inattendu entre les pins, où elle marchait telle une somnambule tandis que la lune émergeait nue de l'eau et escaladait les chênes de branche en branche. L'épaisse boue de la lagune était baignée de lumière, et des centaines de lucioles constellaient les bois. Vêtue d'une robe blanche de seconde main à la jupe bouffante, elle agita lentement les bras, et se mit à valser au chant des sauterelles et des grenouilles-léopards. 
Tandis qu'ils marchaient, de petits filets d'eau dormante ruisselaient sous les broussailles, des rappels furtifs qu'un jour la mer avait été maîtresse de cette terre.
Qu'avaient fait ces gens à la terre ? Les maisons, tels des cartons à chaussures identiques, s'accrochaient à leurs pelouses bien tondues. Des flamants roses picoraient dans un jardin, mais quand Kya, surprise, se retourna, elle s'aperçut qu'ils étaient en plastique. Les cerfs, en ciment. Les seuls canards qui volaient dans les parages étaient ceux qu'on voyait peints sur les boîtes à lettres.
Il me faut maintenant te laisser t'en aller.
L'amour est bien souvent la raison de rester.
Et trop peu fréquemment celle de renoncer.
Je lance mes filets et te vois t'éloigner...
Au fil de ces années
La femme qui t'adorait
Risquait de te noyer.
Du moins tu le pensais.
En fait c'était mon coeur
Qui à fuir te poussait
Libre de dériver
Telle une algue oubliée.

Ô Lune qui décroit,
Éclaire et suis mes pas
Dissipe de ta lumière
Les ombres de la Terre
Viens éveiller mes sens
Pénétrés de silence
Tu sais comme le temps
Étire les moments
Jusqu'à l'autre rivage
Quand nul ne les partage
Le ciel n'est qu'un soupir
Quand le temps se retire...
Sur le sable mouvant.

D'un enfant à l'autre,
D'un œil à l'autre,
Nous grandissions
Comme un seul homme,
Un corps unique, une seule âme.
Mais une aile après l'autre,
Une feuille après l'autre,
Tu as quitté ce monde,
Morte avant tes petits
Nature sauvage, mon amie.
J'ai eu l'impression que mon coeur allait péter de chagrin et éclater de joie en même temps.
Les couchers de soleil
ne sont pas simple affaire.
Le crépuscule sombre
réfracte leur lumière,
mais elle n'est jamais vraie.
Le soir masque les traces
Il voile les mensonges.
Il nous trompe et tant pis
Nous aimons ses couleurs
Et n'apprenons jamais
Même en voyant ses feux
Que quand le soleil dort
Il déserte la Terre.
Ses couchers sont trompeurs
Ils effacent les traces
Ils voilent les mensonges.
Elle sent pulser la vie, pensa-t-il, parce qu'elle est en lien direct avec sa planète.
Purger le coeur, hélas il faut,
De cet amour qui l'habitait.
En ce bas monde, vain désormais,
Il ne saura nous faire défaut.
Le langage du tribunal n'était évidemment pas aussi poétique que celui des marais. Pourtant, Kya leur trouvait quelques ressemblances de nature. Le juge, manifestement le mâle alpha, était assuré de sa position, par conséquent sa stature était imposante, mais il se comportait de façon détendue et sans aucune agressivité, comme un sanglier régnant sur son territoire. Tom Milton [avocat de la défense], lui aussi, témoignait d'une grande confiance en lui-même et d'une noblesse indiscutable par ses mouvements fluides et sa façon d'être. Un mâle puissant et reconnu comme tel. Le procureur, en revanche, avait besoin de cravates larges et bariolées, de vestes de costume aux épaules rembourrées pour mettre en valeur son statut. Il faisait pression en agitant les bras et en donnant de la voix. Un mâle de moindre importance a besoin de crier pour se faire remarquer. L'huissier de justice représentait le mâle de dernière catégorie et dépendait entièrement de sa ceinture, à laquelle étaient accrochés son revolver rutilant, son trousseau de clés cliquetant et sa radio vieillotte, pour faire croire à son importance.
[...] elle prêtait à peine attention au bavardage de Jodie. Aurait préféré qu'il se taise et qu'il écoute la nature sauvage à l'intérieur de lui-même. Alors il aurait été capable de voir. »



Quatrième de couverture

Pendant des années, les rumeurs les plus folles ont couru sur « la Fille des marais » de Barkley Cove, une petite ville de Caroline du Nord. Pourtant, Kya n’est pas cette fille sauvage et analphabète que tous imaginent et craignent.
À l’âge de dix ans, abandonnée par sa famille, elle doit apprendre à survivre seule dans le marais, devenu pour elle un refuge naturel et une protection. Sa rencontre avec Tate, un jeune homme doux et cultivé qui lui apprend à lire et à écrire, lui fait découvrir la science et la poésie, transforme la jeune fille à jamais. Mais Tate, appelé par ses études, l’abandonne à son tour.
La solitude devient si pesante que Kya ne se méfie pas assez de celui qui va bientôt croiser son chemin et lui promettre une autre vie.
Lorsque l’irréparable se produit, elle ne peut plus compter que sur elle-même…

Delia Owens est née en 1949 en Géorgie, aux Etats-Unis. Diplômée en zoologie et biologie, elle a vécu plus de vingt ans en Afrique et a publié trois ouvrages consacrés à la nature et aux animaux, tous best-sellers aux USA. Là où chantent les écrevisses est son premier roman. Phénomène d’édition, ce livre a déjà conquis des millions de lecteurs et poursuit son incroyable destinée dans le monde entier. Une adaptation au cinéma est également en cours.

« Un roman à la beauté tragique. » 
The New York Times Book Review

« Une histoire déchirante, un hymne sublime à la nature et 
à la solitude. » 
Entertainment Weekly

Éditions Seuil, janvier 2020
480 pages
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Marc Amfreville

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