« Le vent, le vent de l'encre se lève à son
passage et souffle dans ses pas.
Et le livre qui suit, n'étant composé que
des traces de ses pas, s'en va lui aussi au
hasard. »
Sylvie Germain
La Pleurante des rues de Prague
Sublime.
Un petit bijou à se tamponner les yeux.
Un petit bijou à se tamponner les yeux.
Une triste embardée de la vie contée avec talent.
Une longue impatience. Une longue attente. Une lente agonie.
« Des jours d'attente et de peur, des jours de vie suspendue, de respiration suspendue, à aller et venir, à faire cent fois les mêmes pas, les mêmes gestes, à essayer de reconstituer les derniers moments de la présence de Louis à la maison, à tenter de me souvenir des derniers mots échangés, de les interpréter, d'y trouver un sens caché, d'y déceler un message, une intention. »
Livre sur l'amour impuissant et désespéré d'une mère torturée par l'absence, le silence, l'inquiétude et les remords, fixant chaque jour l'horizon pour tenter de déceler le passage du bateau qui va ramener son fils, s'abîmant dans un sommeil traversé de bateaux. « C'est l'océan et le bateau de Louis. Quelque part sur une mer du monde. L'incertitude comme seul point fixe. Sous mes gestes de chaque jour, il n'y a que du vide. De la place pour les songes apportés par le vent, pour les mots racontés par les flots. »
Jour après jour, elle lutte pour ne pas se noyer et échapper aux lames du chagrin, s'épuise dans la spirale brillante mais dévorante de l'espérance en écrivant à son fils les réjouissances qu'elle préparera pour fêter son retour. « [...] je te préparerai des galettes. Autant que tu voudras. Pour rien au monde je ne te priverais de ces disques d'or brûlants. Tu te souviens . Nous disions que nous dévorerions le soleil ! » Des mots qui se brisent dans les méandres de la souffrance, dans les courants froids et les vents contraires.
Magnifique récit !
« Comme la vie est lente
Et comme l'Espérance est violente »
Guillaume Apollinaire
« Le pont Mirabeau », Alcools
« Dehors, la nuit est là, elle succède à un jour d'avril changeant que le soleil a réchauffé, à peine, pas assez pour qu'on puisse croire enfin au printemps, un jour à la lumière assourdie, ouatée, avec un ciel ocellé de nuages gris clair.
Louis n'est pas rentré. J'entends ma propre voix, blanche, sourde, embourbée, à l'image du visage exsangue, du visage de craie que je viens de croiser dans le miroir de l'entrée.
C'est le temps des mots secrets, ceux qui permettent de dénouer la journée, de la reposer dans ses plis avant de la laisser s'enfuir, se dissoudre, c'est le temps d'apprivoiser la nuit, c'est le temps des mots sans lesquels le sommeil ne viendrait pas. Je plonge le visage dans la tiédeur des cous, des oreilles, des bras qui veulent me retenir, des doigts légers, un peu collants, qui caressent mes joues, je sombre dans la douceur des cheveux lavés, du linge frais. Chut maintenant. Il faut dormir. Une fois franchie leur porte, j'entre dans ma nuit, à la rencontre de la part de ma vie qui vient de brûler.
Son absence est ma seule certitude, c'est un vide, un creux sur lequel il faudrait s'appuyer, mais c'est impossible,on ne peut que sombrer, dans un creux, dans un vide.
Seize ans, à vif. Le temps de tous les tourments, des désordres, des élans, des questions, des violences contenues qu'un mot heureux pourrait apaiser, des fragilités qui n'attendent qu'une main aimante. L'âge où tout est prêt à s'embraser, à s'envoler ou à s'abîmer. Je le sais, je suis passée par là. Les grandes marées du coeur. Louis a éprouvé la rage, la déception, la colère, et aussi une peine qu'il ne voulait pas s'avouer, face à tant d'inconnu qu'il découvrait en lui. Il faut du temps pour se déchiffrer à ses propres yeux. Son enfance a pris fin depuis longtemps, il n'en reste qu'une béance, celle de l'absence de son père, que je suis impuissante à combler. Et puis Etienne, arrivé un jour chez nous, si bien élevé, si bien habillé, mains blanches aux ongles polis, chapeau à la main, avec des promesses plein les bras, plein la bouche, cet homme qui m'aime et me désire depuis si longtemps, que j'aime aussi. Il avait promis de s'occuper de mon fils. Depuis, Louis avance dans cette zone incertaine, entre le rejet et l'espoir, entre la déviance et une terrible envie d'être aimé. Comme nous tous.
Je voulais croire à la paix entre tous, à l'effacement des malentendus. Débordée, j'ai cru être vigilante, aimante. Aveugle, aussi, avançant à tâtons dans ces eaux troubles du don et de la reconnaissance qui assombrissaient mes envies simples d'une vie apaisée. Comme au cours d'une promenade champêtre en été, le regard tombe soudain sur une chouette clouée à la porte d'une grange.
[...] mon insistance fait l'effet de la crécelle agitée par les lépreux. Le malheur, ça ne se partage pas.
Je ne me plains pas. Pas l'habitude. Pas eu ce loisir dans mon enfance à baffes et à bosses. J'essaie de me tenir droite, comme une poupée de fol de fer habillée de chiffons. Il ne faut pas grand-chose pour que l'armature cède.
Je vis avec une absence enfouie en moi, une absence qui me vide et me remplit à la fois. Parfois, je me dis que le chemin qui me happe chaque jour est comme une ligne de vie, un fil sinueux sur lequel je marche et tente d'avancer, de toutes les forces qui me restent. De résister au vent, aux tempêtes, au Trou du diable, aux larmes, à tout ce qui menace de céder en moi. Il me faudrait chercher des arrangements pour enjamber chaque jour sans dommage, mais je ne sais rien des arrangements.
Je me demande pourquoi il m'aime tant, et ce qu'il peut bien trouver à une femme comme moi, habitée d'absents, cousue d'attentes, de cauchemars et de désirs impossibles. J'ai soupiré. Peut-être ne trouve-t-il rien en moi, rien qui se réduise à des défauts ou des qualités, mais seulement l'amour, l'inexplicable tremblement pour une inexplicable lueur. Ce que moi aussi j'ai trouvé en lui.
À l'arrière du taxi, Étienne me montre Paris. Je m'étonne de cette étendue qui n'en finit pas, d'une ville traversée par un fleuve aux eaux dormantes et opaques, enjambé par d'innombrables ponts. Les passants, les avenues, les monuments, les rues, les magasins, tout tout tourne dans ma tête en un magma de pierre blanche, de dorures et de zinc. Je me laisse porter, égarer, fondre. Je n'ai pas assez d'yeux pour tout voir, tout absorber, tout avaler, tout retenir. Je me demande à quoi ressemble la vie des silhouettes entrevues, comment elles retrouvent leur chemin, où elles font leurs courses, où elles emmènent leurs enfants à l'école, oui, et aussi comment elles font, sans le mouvement des marées pour lessiver le ciel, sans le vent pour décrasser l'air, comment elles vivent avec le regard arrêté par les verticales des murs et des façades. »
Quatrième de couverture
Ce soir-là, Louis, seize ans, n’est pas rentré à la maison. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, dans un village de Bretagne, sa mère Anne voit sa vie dévorée par l’attente, par l’absence qui questionne la vie du couple et redessine celle de toute la famille.
Chaque jour, aux bords de la folie, aux limites de la douleur, Anne attend le bateau qui lui ramènera son fils. Pour survivre, elle lui écrit la fête insensée qu’elle offrira pour son retour. Telle une tragédie implacable, l’histoire se resserre sur un amour maternel infini.
Avec Une longue impatience, Gaëlle Josse signe un roman d’une grande retenue et d’une humanité rare, et un bouleversant portrait de femme, secrète, généreuse et fière. Anne incarne toutes les mères qui tiennent debout contre vents et marées.
« L’œuvre de Gaëlle Josse s’enrichit de ce roman pudique et bouleversant. La mer, l’amour et la séparation y jouent une partition d’une insondable mélancolie. »
Emmanuelle Giuliani, La Croix
« Un beau roman en forme de long monologue. Gaëlle Josse (venue à l’écriture par la poésie) le porte d’une plume sensible, inspirée, pour évoquer sans fausse note le chagrin abyssal de son héroïne. »
Delphine Peras, L’Express
« Une longue impatience est une œuvre littéraire autant qu’un travail d’interprétation : Gaëlle Josse y traduit pour nous la langue secrète et universelle du cœur des mères. »
Élise Lépine, Transfuge
Éditions Noir sur Blanc, janvier 2018
191 pages
Prix du Public du Salon du livre de Genève 2018
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