mardi 31 mars 2020

L'Odeur du café ★★★☆☆ de Dany Laferrière

Un petit bonbon à l'odeur de café, au doux parfum de l'enfance, à la saveur exquise de l'insouciance, d'une onctueuse tendresse. 
Direction Haïti, été 63, dans les souvenirs de Dany Laferrière qui nous parle de son enfance, assis sur la galerie aux côtés de Da, sa grand-mère.  
Un bon moment de lecture, qui suspend le temps, parsemée de courts chapitres qui réchauffent les coeurs et qui, on le comprend aussi, réchauffe celui de Dany Laferrière; ses mots le rapprochent de sa Da, la rendent éternelle.
Émouvant témoignage.  

« J’ai écrit ce livre pour toutes sortes de raisons. 
Pour faire l’éloge de ce café (le café des Palmes) que Da aime tant et pour parler de Da que j’aime tant. 
Pour ne jamais oublier cette libellule couverte de fourmis. 
Ni l’odeur de la terre. 
Ni les pluies de Jacmel. 
Ni la mer derrière les cocotiers. 
Ni le vent du soir. 
Ni Vava, ce brûlant premier amour. 
Ni le terrible soleil de midi. 
Ni Auguste, Frantz, Rico, mes amis d’enfance. 
Ni Didi, ma cousine, ni Zina, ni Sylphise, la jeune morte, ni même ce bon vieux Marquis. 
Mais j’ai écrit ce livre surtout pour cette seule scène qui m’a poursuivi si longtemps : un petit garçon assis aux pieds de sa grand-mère sur la galerie ensoleillée d’une petite ville de province. 
Bonne nuit, Da ! »

« LA RUE
Notre rue n'est pas droite. Elle court comme un cobra aveuglé par le soleil. Elle part des casernes pour s'arrêter brutalement au pied de la Croix-Jubilée. C'est une spéculateurs, qui achètent du café ou du sisal aux paysans. Le samedi, c'est jour de marché. Une vraie fourmilière. Les gens viennent des douze sections rurales environnantes qui forment le district de Petit-Goâve. Ils vont pieds nus avec un large chapeau de paille sur la tête. Les mulets les précèdent, chargés de sacs de café. Bien avant le lever du soleil, on entend un vacarme dans la rue. Les bêtes piaffent. Les hommes hurlent. Les femmes crient. Da se lève tôt, le samedi, pour leur préparer du café. Un café très noir.

LE PARADIS
Un jour, j’ai demandé à Da de m’expliquer le paradis. Elle m’a montré sa cafetière. C’est le café des Palmes que Da préfère, surtout à cause de son odeur. L’odeur du café des Palmes. Da ferme les yeux. Moi, l’odeur me donne des vertiges.

LES FOURMIS
La galerie est pavée de briques jaunes. Dans les interstices vivent des colonies de fourmis. Il y a les petites fourmis noires, gaies et un peu folles. Les fourmis rouges, cruelles et carnivores. Et les pires, les fourmis ailées.
Sur ma gauche : une libellule couverte de fourmis.

LA MORT
Je ne sais pas si c'est parce que j'ai la fièvre, mais je n'arrête pas de penser à la mort.
- Pourquoi on meurt, Da ?
- Pourquoi on dort ?
- Pour se reposer.
- Alors ?
- Alors quoi, Da ?
- La mort, c'est le sommeil éternel.

LES FOURMIS
- Qu''est-ce qu'il y a après la mort, Da ?
- Il n'y a que les fourmis qui en sachent quelque chose.
- Pourquoi elles ne nous disent rien ?
- Parce que la mort ne les intéresse pas, Vieux os.
- Et pourquoi la mort nous intéresse ?
- C'est le secret de la vie.

PAUPIÈRES
Les paupières de Vava. Des papillons noirs. Deux larges ailes. Un battement doux, ample. J’ai mal au cœur. Noir. Rouge. Je choisis le jaune.


LA BICYCLETTE ROUGE
Cet été encore, je n’aurai pas la bicyclette tant rêvée. La bicyclette rouge promise. Bien sûr, je n’aurais pas pu la monter à cause de mes vertiges, mais il n’y a rien de plus vivant qu’une bicyclette contre un mur. Une bicyclette rouge. »

Quatrième de couverture

« J'ai passé mon enfance à Petit-Goâve, à quelques kilomètres de Port-au-Prince. Si vous prenez la nationale Sud, c'est un peu après le terrible morne Tapion. Laissez rouler votre camion (on voyage en camion, bien sûr) jusqu'aux casernes (jaune feu), tournez tranquillement à gauche, une légère pente à grimper, et essayez de vous arrêter au 88 de la rue Lamarre.

Il est fort possible que vous voyiez, assis sur la galerie, une vieille dame au visage serein et souriant à côté d'un petit garçon de dix ans. La vieille dame, c'est ma grand-mère. Il faut l'appeler Da. Da tout court. L'enfant, c'est moi. Et c'est l'été 63. 

Da boit son café. J'observe les fourmis. Le temps n'existe pas. »

Éditions Zulma, mai 2016
213 pages

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