mardi 24 mars 2020

Les Dieux de Howl Mountain ★★★★☆ de Taylor Brown

Édité chez Albin Michel, ce roman noir aurait très bien pu l'être chez Gallmeister dans la collection Nature Writing. Je vais m'y pencher plus sérieusement sur la collection Terres d'Amérique ; deux très bonnes pioches récemment ! 
Les Dieux de Howl Moutain, c'est une aventure prenante, addictive, très rythmée qui nous emmène dans les montagnes de Caroline du Nord dans les années 50. C'est un cocktail détonant  : un roman sombre avec de bien bon salopards, de l'action, de la violence, de la corruption, des luttes de pouvoir et courses poursuites extrêmes, un trafic de bourbon rondement bien orchestré et du rythme; mais également un roman rural qui fait aussi  une part belle à la nature. Les descriptions que nous offrent Taylor Brown des liens forts que l'être humain tissait encore avec la nature dans les années 50 sont de très belle facture, elles ralentissent le rythme, apportent un peu de douceur et sont un vrai souffle d'air pur ! Idéal pour s'évader en confinement ! 
Des protagonistes attachants, des écorchés vifs : Rory personnage central, revenu de Corée amputé d'une jambe, la mère de Rory, Bonnie muette et enfermée dans un asile, Eustache Uptree, à la tête du commerce d'alcool... et Ma, la grand-mère de Rory, personnage que j'affectionne particulièrement. Une grand-mère au tempérament de feu, ancienne prostituée devenue herboriste dont la renommée n'est plus à prouver, d'une sagesse remarquable, qui veille sur ses proches vigoureusement, son fusil toujours à porter de main et de bons conseils pour son petit-fils. « Ne passe jamais la bague au doigt d'une fille avant de la mettre dans ton lit, mon petit. C'est un principe de vie. Si elle désire Jésus plus que toi dans son corps, c'est qu'il y a quelque chose qui cloche. » ;-)
Au coeur de ce roman, une histoire de famille, un lourd secret, et au bout, une vengeance implacable 
Je recommande vivement ! 
Merci Christelle de la médiathèque de Pontault pour cette chouette découverte !

« Je triompherai de cette longue nuit de novembre, la repliant, glacée, sous mon manteau de printemps, et la déroulerai la nuit où mon bien-aimé reviendra. Hwang Jini, ou Myeongwol  « Lune écarlate »  
Voici les signes qui accompagneront ceux qui deviendront croyants : en mon nom, ils expulseront les démons ; ils parleront en langues nouvelles ; ils prendront des serpents dans leurs mains et, s'ils boivent un poison mortel, il ne leur fera pas de mal. Marc, 16:17-18
La voiture démarra au crépuscule. Ses phares taillaient la vieille route en lacets qui zébrait le flanc de la montagne. Le tonnerre et l'écho de son moteur fusaient de part et d'autre, vers les crêtes et le fond des vallées. Après les arêtes arasées à coup de dynamite, suivant parfois les segments clairs des sentiers forestiers qui sillonnaient déjà ces collines cinquante ans plus tôt, la route fondait des hautes terres sur les vallées envahies de ténèbres, dévalant la pente toujours vers l'est. Dans la nuit qui tombait sur la campagne des piémonts, on entendait l'automobile rugir à des kilomètres. Elle projetait dans son sillage un spectre de poussière qui retombait sur les boîtes aux lettres, le bétail en pâture et les champs de tabac déjà récoltés. La route plongeait, encore et encore, soumise à sa vitesse et au feu du moteur, et les étoiles perçaient au-dessus des terres. 
Ils étaient des Marines, mais ils venaient de débarquer. Le claquement sec des balles avait entamé dans leur dos la couche externe de leur courage ; à présent, elles se rapprochaient de l'os.
En Corée ?[...]C'était comment ?[...]Tout ce que je peux te dire , c'est que c'est un endroit où tu as envie que ces fils de pute soient de ton côté, et derrière toi. Les pires. Les plus fous. Là-bas, le mal était un bien.
Ne passe jamais la bague au doigt d'une fille avant de la mettre dans ton lit, mon petit. C'est un principe de vie. Si elle désire Jésus plus que toi dans son corps, c'est qu'il y a quelque chose qui cloche. 
À dix-neuf ans, j'avais déjà tué une centaine d'hommes, qui pleuraient leurs mères, le corps pris dans les barbelés, pendant que ma mitrailleuse Lewis les taillait en pièces. On dit qu'en trois jours, près d'un million d'hommes sont tombés dans la Somme. Je n'ai aucun doute là-dessus. Comme des hordes de singes casqués et équipés des pires joujoux que leur cerveau de primates avait pu inventer, qui se massacraient les uns les autres. Pensant tous dans leur tête, qu'ils étaient uniques au monde, créés par Dieu à son image. Un dieu dément, certainement, ou aveugle, ou qui bandait quand des garçons hurlaient son nom, les tripes à l'air. Je les ai regardés dans les barbelés, avec leurs masques à gaz et leurs casques comme des seaux à charbon, qui détalaient dans tous les sens, et très vite ils n'ont plus été pour moi que des fourmis. Toutes ces meutes d’hommes sans nom, je les ai vues comme Dieu les a peut-être vues  d'en-haut, fauchées au bout de ma mitrailleuse, criblées d'impacts rougis comme sous un verre grossissant. Et très vite, ça ne m'a plus rien fait. Si j'avais pu, je les aurais tous tués. Il n'y avait pas d'autre dieu pour moi que ma mitrailleuse Lewis. »


Quatrième de couverture


Hanté par la guerre de Corée, où il a perdu une jambe, Rory Docherty est de retour chez lui dans les montagnes de Caroline du Nord. C’est auprès de sa grand-mère, un personnage hors du commun, que le jeune homme tente de se reconstruire et de résoudre le mystère de ses origines, que sa mère, muette et internée en hôpital psychiatrique, n’a jamais pu lui révéler. Embauché par un baron de l’alcool clandestin dont le monopole se trouve menacé, il va devoir déjouer la surveillance des agents fédéraux tout en affrontant les fantômes du passé…
Entre les courses automobiles illégales, les pasteurs qui prêchent avec des serpents venimeux dans les mains, les coutumes et croyances d’un endroit reculé au début des années cinquante, c’est tout un univers que fait revivre Taylor Brown dans ce roman haletant qui rappelle Donald Ray Pollock et Tom Franklin.

« Une nouvelle voix puissante, authentique et originale. »  The New York Times

Éditions Albin Michel, mai 2019
371 pages
Traduit de l'américain par Laurent Boscq

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