mardi 28 avril 2020

Rhapsodie italienne ★★★★☆ de Jean-Pierre Cabanes

Grande et dense fresque historico-romanesque.
Histoire de l'Italie du début du XXème siècle jusqu’à la Seconde Guerre Mondiale, l'histoire du fascisme, de sa montée en puissance avec l'arrivée au pouvoir de Mussolini à son déclin. 
Une myriade de personnages brillamment dépeints, évoluant dans ces temps tourmentés.
Vengeance, trahison, honneur, courage, loyauté, fraternité, engagement, résistance, ambition, amour imprègnent ces pages que l'on tourne avec plaisir, sans se lasser, pris dans le fil de ces destins qui s'imbriquent. Jean-Pierre Cabanes maîtrise l'art de la narration, il retient son lecteur, le happe jusqu'à la dernière page.
Passionnant. Enrichissant. Addictif. 
À ceux qui ont envie d'approfondir leurs connaissances sur cette période tragique de l’histoire italienne, tout comme aux aficionados de grandes sagas, je recommande ce pavé ! Évasion garantie  ! 
Séance de dédicaces
Librairie du Château de Brie-Comte-Robert, octobre 2019.
Belle rencontre.
Merci Yves, Merci Mr Cabanes !

« À Vienne, les restaurants italiens qui proposent des plats de spaghettis se voient commander « les pâtes de la trahison » et, pour les Slovènes, la lutte sur l'Isonzo est une guerre des peuples, une résistance nationale contre un envahisseur étranger. Les Serbes, vivant en Autriche et traditionnellement opposés aux Habsbourg, ont pris les armes aux côtés de l'empire. Les Slovènes, les Croates et les Slaves sont résolus à tenir la ligne sur l'Isonzo avec la même ardeur que les volontaires italiens qui se sont engagés pour libérer les terre irredenti.
Il raconte comment les hommes courent en grimpant avant que les mitrailleuses entrent en action. Dès les premières rafales, il faut se jeter à terre et se relever afin d'avancer encore dans les intervalles où les servants doivent changer la bande qui contient des cartouches, ou mettre fin au feu pendant quelques minutes pour refroidir le canon en versant de l'eau. C'est alors qu'il faut bondir et courir, encore en profitant de ce silence qui ne dure pas.
Soudain, il évoque les raisons pour lesquelles cette guette a été déclenchée par l'Italie, les terres irredenti, et maintenant, on s'aperçoit qu'à la conférence de Versailles, le président du Conseil et son ministre Sonnino ne parviennent pas à faire attribuer à l'Italie ces territoires qui lui avaient été promis. Il s'enflamme, il dit qu'au nom de tous les morts, ceux de l'Isonzo, des Dolomites, ceux du Piave, ces terres doivent être données, rendues plutôt. - Sinon, dit-il, ils seront morts pour rien !
Le programme des Fasci fait frémir, c'est pire que les bolchéviques. Ils veulent distribuer les terres aux paysans, abolir les titres et la monarchie... Et surtout, ils détestent la religion. Ce Mussolini ne s'est jamais marié à l'église et il vit de l'argent de cette femme, cette juive, avec qui il couche publiquement alors qu'elle est mariée. - Margherita Sarfatti ? - Oui, la Sarfatti ! Eh bien, dans notre milieu, cette femme et son gandin, nous n'en voulons pas !
Le Fascio est monté très vite en puissance au début, puis sa course s'est infléchie,les socialistes et les pipisti ont gagné les élections de 1919. Mais l'année 1920, les premiers mois de 1921 montrent le renversement de l'opinion.Les drapeaux rouges partout, l'appel aux bolchéviques font peur aux Italiens qui veulent la paix et l'ordre. Ils veulent de l'aisance aussi. Le Fascio promet les trois. Mieux, il les annonce : « Donnez-moi le pouvoir, dit le Duce, et vous les aurez ! » Il ne parle pas de liberté, de démocratie, de droits. Mais les Italiens s'en moquent. Ce sont des mots qu'ils ont trop souvent entendus, vides de sens à force d'être répétés.
 - Il a gagné ton Duce ? demande Julia. Il a triomphé de ses adversaires si nombreux qu'il s'enorgueillit ? C'est lui qui a dit : Molti nemici, molto onore ? * * Beaucoup d'ennemis, beaucoup d'honneur. Formule lapidaire de Mussolini dans la phase de conquête du pouvoir.
En bonne Sicilienne, elle connaît l'existence de ces « femmes de Cosa Nostra », lien indispensable entre le chef et la famille des hommes. Ce sont elles qui souvent apportent les subsides aux veuves ou à celles dont le mari est en prison et qui font des cadeaux aux enfants. On les craint autant qu'on les aime. Car elles peuvent être aussi généreuses que terribles et sans pitié en cas de trahison.
 - Ces gens-là, tu le sais comme moi, ne sont pas faits pour le pouvoir. Ils sont bons pour les manifestations, les rixes, l'huile de ricin et le manganello. Ils sont faits pour servir ceux qui commandent, rien de plus. Ils sont comme ces bourgeois qui ont appuyé la révolution bolchévique et que Lénine appelait « les idiots utiles ». - Que faut-il faire d'eux ? - Surtout rien ! Ce qu'ils disent reflète une vérité. Le fascisme n'est pas fait pour s'allier avec les faibles comme les libéraux ou les conservateurs, ni pour débatte ou négocier avec les gens de l'Aventin, les Amendola et consorts. Le fascisme doit exister seul, par lui-même et pour l'Italie. Le reste, la soupe démocratique, on sait ce que cela a donné, les Italiens n'en veulent plus.  - Ce qui veut dire ? demande Mussolini.La Sarfatti cherche ses mots : - Que ce mouvement, cher Benito, il faut en prendre la tête. C'est cela que l'on attend de toi car tu es le seul à pouvoir le faire, bien plus, bien mieux, que Farinacci et compagnie. Le chef, le Duce, c'est toi. 
 - Les Italiens croient en lui, réplique Lorenzo. Il est le premier homme politique qui s'occupe vraiment d'eux. C'est le meilleur argument qu'il puisse lui opposer, parce qu'il est vrai. Le régime multiplie les actions sociales depuis les allocations jusqu'aux colonies pour les enfants en passant par les grands travaux qui offrent du travail aux disoccupati. Les enquêtes d'opinion, discrètement menées par les préfets, témoignent d'une satisfaction qui ne se dément pas et croît de mois en mois. - Ça commence toujours comme ça, commente Julia, c'est la fin qui compte.
Les hommes qui l'entourent approuvent en silence. Ces rudes chemises noires en sont à détester leur propre aviation et ses bombes à gaz réglées pour exploser à deux cent cinquante mètres du sol et répandre sur l'ennemi une pluie de gouttes. C'est la pluie mortelle des Italiens. Chaque goutte, une plaie, chaque bulle de gaz, un mort. Du poison qui tombe du ciel, infectant lacs et rivières, et surtout l'atmosphère. Qui respire le gaz meurt aussitôt, qui boit l'eau ou goûte la nourriture contaminée meurt un plus tard. Sur les zones où le gaz a été répandu, le silence. Hommes et bêtes gisent au sol, femmes et enfants aussi, constellés de plaies, la bouche béante. La première guerre fasciste est une guerre à l'hypérite. Canons, mitrailleuses et fusils ne sont plus que des armes d'appoint.
Les hommes, ils étaient à la guerre, ils avaient le rancio. Ce n'était pas bon, mais au moins, ils mangeaient ! Quand ils venaient en permission, ce n'était pas le moment de leur refuser quelque chose. Alors, on se ramassait des gosses. En veux-tu, en voilà. Après, on apprenait que le père était mort en héros ou il revenait infirme, et il fallait se coltiner les gosses quand même ! Les gosses de guerre, comme on les appelait. Ah, elles étaient belles les terre irredenti, qu'on nous a pas rendues d'ailleurs ! 
Babbo, j'espère te revoir un jour. Sache que je t'aime. Sois heureux, mon père, dans ton Italie glorieuse. Moi, le bonheur, je vais le chercher ailleurs.
Un type dit à son ami :  « Le beau temps est revenu grâce à Dieu. » L'autre : «  Non, grâce au Duce.» Le premier : «  Mais que dira-t-on quand le Duce sera mort ? - Alors, on dira grâce à Dieu. »
Vous êtes deux imbéciles, avec moins de cervelle qu'un bœuf dans vos têtes d'ânes. Vous ne savez pas que les lignes avec l'Angleterre viennent d'être coupées, que ce soir, les avions français et anglais risquent de bombarder Rome. Tout ça parce qu'un vieux, entouré de fous et de voyous, est retombé en enfance !
Il a existé un fascisme roboratif, énergique et ambitieux. C'est l'idée de ce fascisme-là qui a fait la fortune du Duce. C'est sa mise en oeuvre qui a produit «  l'homme le plus aimé d'Italie, l'homme de la providence », comme disait Pie XI. Tant pis pour la liberté d'expression, tant pis pour les hiérarques corrompus, et cette idée complètement folle du Duce de faire de l'Italien un homme nouveau, genre guerrier ascète à la mode spartiate. D'ailleurs, ce n'était qu'une idée. Les Italiens savaient qu'il n'y parviendrait jamais, et lui-même ne se faisait pas d'illusions. Moyennant ces arrangements et ces hypocrisies, on s'accommodait du régime, bien plus généreux et attentif que l'ère libérale qui avait précédé sous Giolitti, Facta et consorts. 
Votez selon vos consciences et non selon les ordres. C'est cela, le véritable sens du vote. »

Quatrième de couverture

    1915. Deux hommes que tout sépare vont se rencontrer sur les champs de bataille. Lorenzo, jeune et brillant officier de l’armée italienne, et Nino le Sicilien, qui s’enrôle pour échapper à la prison après avoir commis un crime d’honneur. La guerre va faire d’eux des compagnons d’armes, des frères, avant que le règne de Mussolini ne les transforme en ennemis.
    Tandis que les hommes sont emportés dans le tourbillon des combats, le temps des femmes est venu. Elles vont s’engager dans la plus belle et la plus dangereuse des luttes, celle pour l’amour, l’indépendance et la liberté.
    Des premières heures du fascisme à la fin de la Seconde Guerre mondiale, les passions politiques et les passions des amants, les haines et les ambitions s’entrecroisent violemment.

Auteur de nombreux romans, Jean-Pierre Cabanes nous entraîne dans une ample et voluptueuse fresque qui inscrit magistralement ses personnages dans l'Histoire italienne du début du XXe siècle.

Éditions Albin Michel, octobre 2019
726 pages

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