dimanche 5 avril 2020

Juste après la vague ★★★★☆ de Sandrine Collette

Extraordinaire force de l'écriture de Sandrine Collette qui nous entraîne au coeur de cette course incroyable, impitoyable, acharnée vers la survie. La lectrice que j'ai été a été prise au piège de cette puissante vague. Cette dernière a déferlé sur les pages que je tournais à une cadence effrénée, et c'est hors d'haleine, le souffle coupé que j'ai regagné la terre ferme.
« Bref les vieux avaient eu raison, parce que le ciel et les saisons s'étaient déréglés, et qu'une ère de tempêtes et de petits ouragans avait commencé. [...] Mais ce que les vieux n'avaient pas vu, c'est que la catastrophe, la vraie, la grande, celle qui avait fait des milliers ou des millions de morts - impossible de savoir aujourd'hui -, était venue d'une tout autre chose : sur l'île perdue dans la mer en face d'eux, le volcan s'était effondré, provoquant un raz-de-marée géant qui avait englouti la moitié de la terre. » 
Excellent moment de lecture, mais pas de tout repos ;-) et dont la déshumanisation qui se révèle au fil des pages fait froid dans le dos. J'ai ressenti tout au long de ma lecture le cri effroyable de la douleur et de l'amour : celui de cette mère, écartelée, qui a dû faire le terrible choix d'abandonner une partie de sa progéniture. Elle portera sa peine à en devenir un courant d'air, une ombre, une poussière de mère.
« Et la mère avait tout compris , comme s'il s'en doutait, parce qu'à ce moment-là elle posa sur lui un regard de feu, haine et désespoir mêlés, un regard qui l'accusait définitivement - et elle murmura comme si c'était lui, rien que lui, comme si tout était sa faute, la mer, la tempête et le malheur :
- Qui vas-tu laisser ? »
Effrayant, subjuguant, alarmiste ! 
Un contexte post-apocalyptique si lourd de vérités et d'horreurs. Un cauchemar. 
Il s'en dégage pourtant beaucoup de poésie et d'amour ; l'amour qui tisse les liens familiaux est au coeur de ce récit. 
La plume de Sandrine Collette me plaît décidément beaucoup !

« La vague avait déferlé sur le monde et avait tout emporté, maisons, voitures, bêtes, humains par milliers, attrapant les chairs et les murs en béton pour les enfouir sous les lames et le courants effrayants, les écraser, les gober sans retenue - si elles s'étaient retirées , les eaux auraient laissé derrière elles des champs lessivés, jonchés de corps morts et de débris d'os, de métal et de verre, mais elles n'étaient pas redescendues, elles s'étaient installées là, envahissantes et meurtrières, et depuis six jours elles charriaient des arbres arrachés, des poutres brisées, des cadavres au ventre gonflé que les petiots regardaient passer en essayant de les reconnaître.
Les larmes, bien sûr.
Noé s'agenouille le premier. Il appelle leur mère. Perrine s'assied à côté de lui, le prend dans ses bras. Louie s'ajoute. Tous les trois ils se tiennent ensemble, mains serrées, blanchies par l'énergie qu'ils mettent à se promettre en silence de ne pas se quitter. Trois petits êtres qui pleurent joue contre joue, avec des mots en sanglots que le vent emporte.

Ont peur.
Ils ne savent pas qui le dira le premier : pourquoi les parents les ont-ils laissés ? [...] Pourquoi pas les autres.C'est Noé qui demande.
- Je sais pas, murmure Louie d'abord.

Perrine renifle sans quitter l'horizon du regard, comme si elle pouvait manquer les parents sur la barque, là-bas sur l'eau. Sa petite voix claire, pareil. Je sais pas.

- Parce qu'on fait des bêtises ?

Silence. Peut-être qu'ils réfléchissent. Noé reprend.

- Parce que je suis trop petit, que Louie a une jambe malade et Perrine un seul œil, c'est pour ça qu'ils nous ont laissés ? Parce qu'ils ne nous aimaient pas ?
Au même instant, ils répondent dans un souffle.
- Non, dit Perrine.

- Oui, dit Louie.
Madie a répété : Plus d'amour. Plus d'honneur. Nous sommes comme des bêtes. Et elle s'est tue, parce qu'elle a croisé le regard de Pata, pas besoin de mots pour entailler l'âme et la chair n'est-ce pas, le silence suffit, quand il se charge de tant de choses, et c'est le père qui avait repris le souffle et la parole en premier après ce silence-là, le mal était fait. Rien n'effacerait jamais le mutisme de la mère, rien n'empêcherait les mots qu'elle n'avait pas prononcés de tourner dans la tête de Pata, qui se demanderait chaque jour s'il n'y avait pas quelque chose là-dedans, et pourtant non, Dieu, il le jurait, quand il avait choisi la mort dans l'âme les noms des trois petiots qui resteraient, pas une fois cela ne lui était venu à l'esprit, c'est Madie qui croyait ça, Madie qui avait fini par cracher, parce que c'était trop lourd :
- Le boiteux, la borgne et le nain. Alors, nous laissons ceux-là, les plus abîmés. Nous finissons ce que la nature a commencé.
Qu'ils sont cruels, ils n'y pensent pas. Quand des parents vous abandonnent, vous avez droit à tout. Et vraiment cela les ragaillardit, et ils courent jusqu'à la maison en riant parce que la faim leur est revenue - pas la faim qui tord le ventre parce qu'il manque trop de choses, mais la belle faim, vorace et joyeuse, qui leur fait attraper les crêpes une à une dans le plat, badigeonnées de miel et de confiture, et engloutir le tout avec cette sensation de puissance, ils sont vivants, eux, les seuls sans doute, et ils le fêtent, à la fin ils ouvrent une bouteille de soda dont les bulles piquent le nez.
Elle ne devine pas que son coeur lentement se répare, jouant des allers-retours sur le chemin d'une guérison qui n'en sera jamais une, un pansement peut-être, une compresse, pour appuyer bien fort là où cela saigne, juste de quoi continuer, se lever le matin, une pommade pour l'enfant disparue.
Penchée sur le côté, elle voit son reflet dans l'océan. Mouvement de recul. Même dans l'eau grise, elle devine la pâleur de son visage, ses traits tirés et bleuis par le malheur. Cette marque-là, elle la gardera jusqu’au bout. Elle le sait : dorénavant, elle est la mère d'un petit fantôme.
La petite baisse le nez, sonde en silence la surface de l'eau à la recherche d'une ombre connue, ne sait pas que c'est impossible, fait des clapotis avec la main pour attirer quoi, pense Pata, des cadavres, des fantasmes - des miracles. Son innocence l'atterre et le ravit en même temps : si seulement eux aussi, la mère et le père, pouvaient se contenter de l'absence. Prendre acte.
 [...] Il n'y a rien de plus vivant que ses petiotes, rien qui ait davantage raison qu'elles, ancrées dans chaque instant, oublieuses du passé, inconscientes de l'avenir quand il dépasse la prochaine heure ou le prochain repas. Il envie leur spontanéité animale, l'élan irréfléchi qui les porte vers le lendemain quoi qu'il arrive, égoïste et superbe, des âmes ignorantes du bien et du mal, ses marmottes, ses petites filles. Il s'assoupit une heure ou deux en les couvant du regard. Si elles n'étaient pas là, il serait déjà mort.
Il y a l'absence, il y a la douleur ; mais quelque chose d'autre aussi, d'encore plus puissant, qui transcende la peine.
La joie d'être sauvé. 
»

Quatrième de couverture

Une petite barque, seule sur l’océan en furie.
Trois enfants isolés sur une île mangée par les flots.
Un combat inouï pour la survie d’une famille.

Il y a six jours, un volcan s’est effondré dans l’océan, soulevant une vague titanesque, et le monde a disparu autour de Louie, de ses parents et de ses huit frères et sœurs. Leur maison, perchée sur un sommet, a tenu bon. Alentour, à perte de vue, il n’y a plus qu’une étendue d’eau argentée. Une eau secouée de tempêtes violentes, comme des soubresauts de rage.
Depuis six jours, ils espèrent voir arriver des secours, car la nourriture se raréfie. Seuls des débris et des corps gonflés approchent de leur île.
Et l’eau recommence à monter. Les parents comprennent qu’il faut partir vers les hautes terres, là où ils trouveront de l’aide.
Mais sur leur barque, il n’y a pas de place pour tous. Il va falloir choisir entre les enfants.

Une histoire terrifiante qui évoque les choix impossibles, 
ceux qui déchirent à jamais. Et aussi un roman bouleversant 
qui raconte la résilience, l’amour, et tous ces liens invisibles 
mais si forts qui soudent une famille.

Sandrine Collette est née en 1970. Elle partage son temps entre l'écriture et ses chevaux dans le Morvan. Elle est l'auteur de Des nœuds d'acier, Grand Prix de Littérature policière 2013 et best-seller dès sa sortie, Un vent de cendres, Six fourmis blanches, Il reste la poussière, couronné par le prix Landerneau 2016, et Les Larmes noires sur la terre.

Éditions Denoël, février 2018
302 pages

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