dimanche 8 juillet 2018

Vie de David Hockney ★★★★☆ de Catherine Cusset

Absolument captivant !

Comment cet homme David Hockney, issu de la classe populaire anglaise en 1937,  est-il devenu David Hockney, immense icône du popart et de l'hyperréalisme ? Catherine Cusset retrace la vie fascinante de ce peintre, marié à son art, passionné de littérature, amoureux de la vie. Elle nous embarque littéralement, de Londres à Los Angeles, en passant par New-York, d'un pan de la vie d'Hockney à un autre, d'une manière si fluide, élégante et intelligente, que j'ai eu l'impression de vivre au côté de l'artiste pendant toute ma lecture, de partager ses doutes, ses questionnements, ses déchirements amoureux, de vibrer à ses côtés, d'être libre...j'ai traversé les années sida, subi les diktats des critiques d'art, j'ai côtoyé Picasso, j'ai eu envie de relire Proust, de découvrir L'adieu à Berlin de Christopher Isherwood , de lire Whitman et Cavafy. 

À l'image de l'oeuvre de David Hockney, cet ouvrage a une âme, il est pétillant, "croustillant", coloré; il évoque la vie, la mort, l'amitié, l'amour, le travail, la nature, les excès liés à la célébrité, les joies et les peines, l'art...la liberté de vivre, de penser et de créer. Un beau et intense patchwork d'émotions, de sensations. Un beau et chaotique parcours de vie qui sonne juste, c'est d'ailleurs surprenant de lire que l'auteure n'a jamais rencontré David Hockney, qu'elle a imaginé les sentiments de l'artiste...
Fabuleux portrait ! Merci Catherine Cusset !

« La vie vous faisait encore des cadeaux à quarante-cinq ans. Il suffisait e garder l'esprit ludique et d'oser : oser hurler de plaisir et de peur, oser dire qu'on aimait Disneyland, oser manger des barbes à papa, oser suivre son envie du moment, oser détruire son travail, oser essayer quelque chose  de nouveau, jouer, faire tout ce que les adultes ne s'autorisaient pas. Rester connecté avec l'enfant en soi.»
« Il ne cherchait plus à dominer la nature du regard : il avait appris à la regarder d'en bas, humblement, et à se fondre en elle en oubliant son ego, comme avalé par les buissons d'aubépine.»


David Hockney - Two Boys Aged 23 or 24, 1966
A Bigger Splash, David Hockney, 1967
***********************

« Il n'y avait rien de plus important que le désir et l'amour. Il fallait contourner l'interdit, le représenter en images comme Whitman et Cavafy l'avaient fait en mots. Personne ne pouvait l'y autoriser - aucun professeur, aucun autre artiste. Cela devait être sa décision, sa création, l'exercice de sa liberté.
C'était cela, la vie de bohème dont les récits d'Adrian et de Mark l'avaient fait rêver : ne pas avoir peur d'être soi-même  quand on était différent. La tolérance était la vertu de ceux que la norme sociale et la réprobation morale avaient contraints à se cacher alors qu'ils ne nuisaient à personne.
... les longues heures passées à filer vers l'Ouest dans sa Triumph décapotable en écoutant de la musique, la tête vide ou pleine de pensées, tout en traversant les vastes espaces. À la tombée du jour le ciel, telle une gigantesque toile, se couvrait d'oranges et de roses aussi vifs et brillants que des néons électriques. Même les routes désertes où il ne croisait que quelques rares camions, la vitesse était limitée à quatre-vingt-dix. Au bout du compte c'était l'allure idéale pour contempler le violet des montagnes, le rose du ciel, et cette immensité de vide tout autour.
«Peins ce qui compte pour toi.» [...] Il ne peindrait pas un portrait, mais son rêve.
Le bonheur était possible. David l'éprouvait chaque matin en se réveillant auprès de son amant, en s'installant devant son chevalet, en sentant l'odeur des eucalyptus après la pluie, en emplissant ses poumons de la fragrance du jasmin et de l'air salé du Pacifique, en retrouvant Peter pour  dîner. Le bonheur, contrairement à ce qu'affirmaient les romantiques, n'était pas incompatible avec la création, qui ne naissait pas nécessairement du manque, mais aussi de la plénitude. La décision qu'il avait prise cinq ans plus tôt de venir à Los Angeles alors qu'il ne conduisait pas, cette décision absurde selon ses amis new-yorkais, avait été la meilleure de sa vie.
Il n'y avait pas une once de tristesse dans cette extraordinaire bacchanale. Il était remonté du fond d'un abîme et se tenait maintenant au bord de la vie. Littéralement. Alors qu'il contemplait, assis sur la pelouse et bien éméché, le soleil qui descendait lentement sur les collines du Sussex, il ne ressentit qu'amour et gratitude pour un monde qui offrait un si beau spectacle. 
[...] un poème de Wallace Stevens inspiré par un tableau de Picasso. Le poème était très long, composé de trente-trois strophes qui, lues par la voix grave de Henry, berçaient David et le transportaient très loin de l'île du plaisir et du fracas des plongeons. La première strophe l'avait particulièrement frappé : «Ils lui dirent : "Ta guitare est bleue. Tu ne joues pas / Pas les choses comme elles sont." / Il rétorqua : "Les choses comme elles sont / changent quand on joue sur une guitare bleue." » D'autres vers retinrent son attention : «Je ne peux pas présenter un monde vraiment rond / même si je le rapièce comme je peux.» Ou bien : « La couleur est une pensée qui grandit / à partir d'une humeur ...» Et la fin était très belle : « De jour nous oublierons, sauf quand / nous choisirons de jouer / Le pin imaginé, le geai imaginé.»[...] La guitare bleue, ce que ces parents n'avaient pas, ce dont l'absence rendait leur vie sinistre. David avait reçu une guitare bleue à la naissance - le pouvoir d'imaginer et de « rapiécer » le monde. 





The Man with the Blue Guitar by Wallace Stevens, c'est par ici.




L'article ... Un assassinat.... la bêtise des critiques et de l'abîme qui les séparait des créateurs. Bien sûr qu'ils boudaient la notion de plaisir : prématurément aigris, sans autre talent que de dénigrer, ils haïssaient le succès, sauf celui qu'ils avaient artificiellement créé avec leurs mots pompeux !
Quand il était enfant, il n'avait pas assez de papier pour dessiner ; maintenant qu'il avait acquis la notoriété, lui manquait le vide d'où naissait la peinture. 
...le plaisir, dans le travail comme dans la vie, était l'unique boussole.
La conversation qu'il n'avait jamais eu avec son père n'aurait plus jamais lieu. Le mot «jamais» prenait un nouveau sens : il ne concernait pas le passé mais était ouvert sur l'avenir et englobait l'éternité. 
Il fallait être patient et avoir confiance. Le sentiment d'échec faisait partie du processus de création.
Seul un enfant regardait le monde ainsi, sans se laisser distraire par les stupides préoccupations des adultes. Seul un enfant observait les fourmis qui ramassaient les miettes, les coccinelles, les gouttes d'eau tombant sur les feuilles, les flaques et les cailloux. [...] David, avec lui, se sentait à la fois comme un père et comme un enfant. »
***********************

Quatrième de couverture

«Peut-être n’éprouverait-il plus jamais de passion comme celle qu’il avait sentie pour Peter, peut-être n’y aurait-il plus d’union parfaite, mais il restait la perfection de l’amitié, la beauté des cyprès sur les collines et la joie que donnait le travail. Et s’il oubliait Peter, s’il réussissait à vivre sans lui, ce dernier ne reviendrait-il pas? Personne n’était attiré par la tristesse et la mélancolie. Mais par la gaieté, la force, le bonheur, oui.» 

Né en 1937 dans une petite ville du nord de l’Angleterre, David Hockney a dû se battre pour devenir un artiste. Il a vécu entre Londres et Los Angeles, traversé les années sida et secoué le monde de l’art avec une vitalité et une liberté que n'ont entamées ni les chagrins amoureux, ni la maladie, ni les conflits, ni le deuil. Sous la plume incisive de Catherine Cusset, ce livre à mi-chemin du roman et de la biographie dresse un portrait intime, émouvant, habité, du peintre anglais vivant le plus connu.

Editions Gallimard, collection Blanche,  janvier 2018
181 pages
Prix Anaïs-Nin 2018




« Pourquoi Hockney ? Je ne l'ai pas rencontré. Il est étrange de s'emparer de la vie de quelqu'un de vivant pour en faire un roman. Mais c'est plutôt lui qui s'est emparé de moi. Ce que j'ai lu sur lui m'a passionnée. Sa liberté m'a fascinée. J'ai eu envie de transformer une matière documentaire qui laissait le lecteur à l'extérieur en un récit qui éclairerait son trajet de l'intérieur en s'en tenant aux questions essentielles, celles qui nouent l'amour, la création, la vie et la mort. »

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire