dimanche 16 janvier 2022

Aquarium ★★★★☆ de David Vann

Ouvrir un livre de David Vann, ce n'est plus anodin pour ma part. Depuis son glaçant Sukkwan Island, l'intime conviction d'être exposée à l'amertume de la vie ne se départit de moi quand vient le moment d'effeuiller les mots de David Vann. L'estomac noué. Un contact avec le drame, la violence semble inévitable. Et le besoin de reprendre son souffle également.  
À ce contact, il est étrange de l'écrire, de le penser mais j'ai cette impression folle que l'on en ressort grandi, bouleversé, anéanti peut-être, mais avec cette sensation d'avoir puisé dans l'horreur, la noirceur, un supplément d'âme, une puissance insoupçonnée. La nature omniprésente y est certainement pour beaucoup.
 Je ne sors jamais indemne d'une lecture de David Vann.
Aquarium....on y apprend beaucoup sur le monde englouti, un monde à la fois magique, majestueux, éblouissant « Ils étaient les émissaires d'un univers plus vaste. Ils représentaient les possibles, une sorte de promesse » ... oppressant aussi.  En surface, la sensation d'oppression y est tout aussi présente, imposée par un passé ne pouvant distiller que rancœur et haine.
Il est question de l'abandon d'un père dans ce roman, de la folie, de la rage, de la colère d'une mère, d'une fille avant d'être une mère, qui s'étire à l'infini, d'une confrontation familiale explosive, de sentiment d'injustice (il me hante encore celui-ci, c'est d'ailleurs un sentiment qui souvent m'accompagne), mais également, d'amitié, de rédemption et de pardon
La noirceur éblouit, oui, parfois, grâce à l'amour et à la force de persuasion d'un enfant.
La touche finale, merci M. Vann est parfaite. Parfaite pour réfléchir et aller de l'avant, ouf ! 

« Tout est possible avec un parent. Les parents sont des dieux. Ils nous font et nous détruisent. Ils déforment le monde, le recréent à leur manière et c‘est ce monde-là qu‘on connaît ensuite, pour toujours. C‘est le seul monde. On est incapable de voir à quoi d‘autre il pourrait ressembler. »

« Rien n'était vivant dans notre appartement. Des murs blancs et nus, des plafonds bas, des lumières crues, si désolé en l'absence de ma mère. Le temps, un élément sur le point de se figer. »

« Ce sont les meilleures questions, celles qui restent sans réponse. »

« L'unique raison qui me poussait à parcourir cette rue chaque après-midi, c'était le bleu au bout, la mer visible car nous nous trouvions sur une colline. Ce bleu était la promesse de l'aquarium. Une allée menant à un sanctuaire. J'aurais pu m'inscrire à une activité périscolaire, mais je choisissais délibérément d'aller voir les poissons. Ils étaient les émissaires d'un univers plus vaste. Ils représentaient les possibles, une sorte de promesse. »

« Nous en savons tant sur l'acidification des océans, alors je devrais haïr les méduses, messagères de tout ce que nous avons détruit. De mon vivant, les récifs auront fondu, se seront dissous. D'ici la fin du siècle, presque tous les poissons auront disparu. L'héritage tout entier de l'humanité ne consistera qu'ne une seule chose : une lignée de substance visqueuse et rouge sur la chronologie paléo-océanographique, une époque sans coquille de carbonate de calcium qui s'étirera sur des millions d'années. La triste étendue de notre stupidité est accablante. Mais quand je contemple une méduse lunaire, sa constellation en ombrelle qui pulse dans la nuit infinie, je me dis que tout ira bien, peut-être. »

« Le pire, dans l'enfance, c'est de ne pas savoir que les mauvais moments ont une fin, que le temps passe. Un instant terrible pour un enfant plane avec une sorte d'éternité, insoutenable. »

Quatrième de couverture

Caitlin, douze ans, habite avec sa mère dans un modeste appartement d’une banlieue de Seattle. Afin d’échapper à la solitude et à la grisaille de sa vie quotidienne, chaque jour, après l’école, elle court à l’aquarium pour se plonger dans les profondeurs du monde marin qui la fascine. Là, elle rencontre un vieil homme qui semble partager sa passion pour les poissons et devient peu à peu son confident. Mais la vie de Caitlin bascule le jour où sa mère découvre cette amitié et lui révèle le terrible secret qui les lie toutes deux à cet homme.

La prose cristalline de David Vann nous apprend comment le désir d’amour et l’audace de la jeunesse peuvent guérir les blessures du passé. Aquarium est un pur moment de grâce offert par l’un des plus grands écrivains américains actuels.

Éditions Philippe Rey, août 2021
271 pages
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Laura Derajinski

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