jeudi 4 février 2021

Le cartographe des Indes Boréales ★★★★☆ d'Olivier Truc

Quelques six cent pages qui nous transportent au coeur du XVIIème siècle, précisément de 1628 à 1693, dans une Europe instable politiquement, en pleine conquête de nouveaux territoires,  tentant de repousser toujours plus loin les limites de la fin du monde. 
Dans une Europe où les rois ne sont qu'assoiffés de pouvoir qu'ils prétendent tenir de Dieu... 
Dans une Europe où l’Inquisition existe encore.
Dans une Europe, où la différence est un problème (encore et toujours...). 
« Ils dépendent d'une nature violente et imprévisible, d'hommes brutaux et prévisibles. »
L'entame est saisissante ; Olivier Truc nous rend spectateur de la plus grande catastrophe de tous les temps en Suède, la malédiction suprême, la punition divine : le naufrage du Vasa le jour-même de sa sortie inaugurale, à peine sorti de l'arsenal, en à peine quinze minutes. 
Au sein de l'Europe, à cette époque, la France se transforme et le roi envoie des espions. Izko, un jeune basque, fils d'un pêcheur de baleine, devenu un cartographe talentueux en est. Sa vie sera semée d'embûches, sous l'emprise d'un inquisiteur dominicain malveillant (forcément !) et tiraillée par une menace obscure qui plane sur ses parents. Une vie de voyages et de découvertes aussi, dictée par les enjeux politiques et religieux de ce siècle, et une conscience malmenée parfois. L'amour et l'amitié le sauveront de bien des péripéties.
Un récit qui mêle la petite histoire à la grande Histoire et qui raconte l'intérêt des Suédois pour les Indes boréales, des Suédois qui n'ont pas su se départir de la certitude de leur supériorité. 
« - Le roi de Suède compte sur cet argent pour faire la guerre.
- Ici, on n'a pas besoin de faire la guerre. On a assez à faire tous les jours. Qu'il vienne ici, il oubliera qu'il doit faire la guerre. ..»
Un récit riche d'histoire et de culture qui donne un aperçu des coutumes et des croyances lapones, évoque certains usages de leur culture et les pouvoirs des chamans avec notamment l'utilisation du tambour lors d'un événement important. Un peuple pourchassé, massacré par les autorités Suédoises. Izko se demandera tout au long du récit quel danger ce peuple représente-t-il pour les Suédois. Toujours est-il que viendra pour certains Lapons le temps de la fuite n'importe où « là où les pierres écoutent nos pensées, où les rivières portent nos murmures, où les ours meurent bravement. Un monde où on peut en appeler à Sarakka, à Marie, à l'une ou à l'autre, au vent ou à l'éclair, et où le vent ne t'emporte pas et où l'éclair ne te foudroie pas. »

Un Avant-propos listant les nombreux protagonistes pourrait quelque peu démotiver; ils sont assez nombreux, mais ce serait dommage de s'arrêter là-dessus car l'auteur ne nous perd pas, on arrive à remettre les personnages au fur et à mesure de la lecture. 
Un tout petit bémol au passage, un manque de crédibilité du personnage d'Izko en fin de roman mais je ne vous en dirais pas plus ;-)

Un grand roman d'aventures, un parcours initiatique captivant et un roman historique de belle facture : un trois en un mémorable !

« Tu iras au Portugal, où de braves navigateurs qui craignent Dieu ont ouvert les voies du Nouveau Monde. Ils t'apprendront les mystères des cartes et la passion du Christ. Leurs connaissances t'aideront à servir au mieux ton roi et ton Dieu. »

« Ne vous leurrez pas face à cet étalage d'argent des épices des Indes, le prévint le frère Federico de Carvalho. L'odeur de cet argent exotique ne saurait masquer la puanteur des hommes. »

« Tu es un homme maintenant, avait-elle dit. Il avait détourné le regard. Perdu dans le souvenir de cette femme dont il ne connaîtrait jamais le nom. Qu'il avait tuée. Devient-on un homme parce qu'on a du poil au menton ou parce qu'on a tué quelqu'un pour une raison supérieure ? Izko ne voulait pas éviter la question. Je ne peux pas me construire sur une illusion, sur un mensonge. J'ai tué pour me sauver. Et alors ? À quoi bon toutes ces belles paroles apprises par frère Jean ? La pensée du Franciscain lui donna un frisson. Comment vais-je faire à confesse ? Que lui dire ? Rien, évidemment rien. Vivre. Porter sa croix. Prier. Espérer. Oublier. Avancer. Mentir. Être un homme ? »

« La Suède doit rester en guerre ! Aussi serions-nous enchantés que vous repreniez votre relation avec la jeune princesse. On dit que la vie à la cour de Stockholm est bien sinistre pour une fillette de son intelligence, et j'ai lu que vous saviez la faire rire. Voilà une riche qualité. Le rire enlaidit les gens et les abrutit, mais il les rend plus accessibles et réceptifs. Faites rire Kristina ! C'est un ordre ! »

« Le cosmographe est géographe et astronome, il considère la terre et le ciel, il est la science du monde. [...] Le cosmographe assemble ces visions et dépose l'univers aux pieds du souverain. »

«Même si l'utilisation actuelle des cartes est plus mercantile, conclut-il, il ne fait pas de doute pour moi qu'une carte est, au fond, un hymne au Créateur. »

« Celui qui partait incarnait la prise de risque. Le vrai danger était peut-être de rester. »

« Izko prit des mesures par triangulation. Ça lui rappelait ses débuts avec le vieil astrolabe du père de Oliveira. 82 degrés pour ce rocher, 138 degrés pour cet autre. Entre l'endroit où il se trouvait et le premier rocher, le terrain était plat. Il utilisa sa méthode du cachot de Sagres. 553 pas. Impossible avec l'autre rocher, à case du relief. Mais avec ses deux angles et le nombre de pas sur un côté du triangle qu'il mesurait, et avec l'aide des formules apprises, il calcula les distances manquantes. Triangle après triangle, Izko compléta le dessin du périmètre. »

« - Le roi de Suède compte sur cet argent pour faire la guerre.
- Ici, on n'a pas besoin de faire la guerre. On a assez à faire tous les jours. Qu'il vienne ici, il oubliera qu'il doit faire la guerre. ..»

« Jamais il n'aurait cru une telle souffrance possible. Jusqu'ici, il avait pensé que les hommes seuls avaient le privilège de s'infliger des peines les uns aux autres, parfois pour le bien du plus grand nombre, parfois pour sauver les âmes perdues de quelques malheureux. Mais rien de tel ici. La souffrance s'appelait froid, morsure. S'il avait cru que les paysages de Laponie étaient infinis, il se trompait. S'il y avait quelque chose d'infini dans ce pays où Dieu s'excluait, c'était l'intensité de la douleur et du désespoir que le froid assénait aux orgueilleux. »

« Voilà ce que j'ai appris dans les montagnes de Laponie : chez les Lapons, l'âme voyage de déesse en déesse. Sarakka est celle qui transforme l'âme que lui a remise Madderakka en enfant dans le ventre de sa mère. »

« - Les Suédois rencontrent plus de difficultés que prévu en Laponie. Ils espéraient remplir rapidement leurs caisses avec les ressources en minerais riches, comme l'argent de Nasafjäll, mais la nature et les hommes leur jouent un tour. 
- Est-ce bien pour nous ?
- Cela les maintient sous la dépendance des emprunts étrangers. Et pour aggraver leur situation, maintenant que la paix est revenue, ils ne savent plus comment payer leurs armées, et craignent les pillages.
De Mons balaya le problème d'un revers de main.
- Leur soldatesque fera comme n'importe quelle armée privée de guerre, elle se payera sur les paysans qu'elle trouvera sur sa route. Mais revenons plutôt à cette Laponie. Sera-t-elle ou non les nouvelles Indes septentrionales dont ils se gargarisent ? Doit-on y investir ? Mazarin pose la question. Tous nos efforts pour monter une flotte commerciale vers les Indes orientales se sont soldés par des échecs jusqu'à présent, les Hollandais font barrage, saisissent ou coulent nos bateaux, nous naviguons à l'aveugle, sans bonnes cartes. Ces maudits Hollandais qui ont assez de culot pour venir mouiller ici même, dans la baie, à nous narguer avec les produits qu'ils ramènent de là-bas ! Il nous faut d'autres débouchés. Alors, la Laponie ? Vous êtes le seul à pouvoir nous dire. Que trouve-t-on là-haut ? »

« Ils dépendent d'une nature violente et imprévisible, d'hommes brutaux et prévisibles. »

« Voilà ce que j'ai appris dans les montagnes de Laponie : chez les Lapons, l'âme voyage de déesse en déesse. Sarakka est celle qui transforme l'âme que lui a remise Madderakka en enfant dans le ventre de sa mère. »

Quatrième de couverture

Stockholm, 1628. Alors que le magnifique Vasa s’enfonce dans les eaux sombres du Mälaren, Izko est témoin d’une scène étrange : un homme est tué, une femme en fuite met au monde un enfant. Elle fait un geste. Malédiction ou prémonition ? Comme tous les jeunes Basques, Izko rêvait de chasse à la baleine dans les eaux glacées des confins du monde sur les pas de son père, un harponneur de légende. Mais une force mystérieuse a changé le cours de son destin, le vouant au service de Dieu et du roi : il sera espion de Richelieu.
Après avoir étudié la cartographie à Lisbonne et Stockholm, Izko part explorer les Indes boréales, où les Suédois espèrent trouver des mines d’argent pour financer leurs guerres tandis que des pasteurs fanatiques convertissent les Lapons par la force.
Tenu par un terrible chantage, Izko devra frôler mille morts, endurer cent cachots pour conjurer le sort et trouver sa liberté, aux côtés des Lapons fiers et rebelles et d’une femme qui l’a toujours aimé.
Un extraordinaire roman d’aventures, porté par un héros courageux, dans l’Europe tourmentée des guerres de religion et de l’Inquisition. On embarque sans hésiter pour le Grand Nord du monde.

Éditions Métailié, mars 2019
631 pages

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