jeudi 11 février 2021

Les voyages de Cosme K ★★★★★♥ de Philippe Gerin

Un beau voyage hypnotique et envoûtant
qui nous emmène sur les terres d'Andøya, une île de l'archipel de Vesterålen en Norvège, où la brume aspire les corps dans les matins polaires, puis au bord du lac Baïkal en Sibérie, lac sacré où la solitude n'est jamais pesante, là où  « on est dans la beauté », et enfin l'ultime étape, la fiévreuse et grouillante Singapour.

Cosme K est un homme blessé en exil. Il est énigmatique. Il est rassuré de se sentir enfermé dans la solitude des grands espaces. Il  « ne cherche pas les palpitations de l'aventure mais uniquement l'apaisement de l'exil. » 
Il porte en lui une « douleur sèche et muette et elle lui craquelait l'âme comme la terre d'un désert de pierre ». Une douleur qui s'exprime la nuit par un cri qui traverse ses rêves, un cri venu de ses entrailles « qui ne trouvait que le silence de la nuit pour l'accueillir ».  
Au fond de lui, un oubli infligé, un passé enfoui, que l'on déflore par petits bouts tout au long de la lecture. Et sur sa route, de belles rencontres (Maïken, Bestefar, Olga, Shu Fang) qui l'aiguilleront, l'aideront à déchiffrer les signes qui s'offriront à lui. 
« Tu t'interroges sur toutes ces coïncidences. Ces liens que tu crois deviner entre ceux que tu as croisés dans tous les mondes que tu as traversés. Ne cherche pas. Ne perds pas de temps. La faille est toujours ouverte. Le passé, le présent, le futur n'ont pas d'importance. Seul le chemin compte. Et sur le chemin, les guides qui t'ont indiqué la direction quand tu étais perdu. »
Et sur ses traces, son frère, bien des années après le départ de Cosme K....

Philippe Gerin maîtrise la narration et l'art du suspense, un suspense qui nous tient jusqu'à la toute fin quand la lumière se fait enfin sur ce poids que Cosme K porte en lui. Les descriptions des paysages et des sentiments sont incroyables et somptueuses. 

Magnifique lecture. Une ode à la nature, à la beauté, à la vie. 
« [...] la beauté comme ultime rempart aux impasses dans lesquelles la modernité acculait les vies. »
Elle est une lecture de l'intime, elle porte en elle le poids de la souffrance, de la culpabilité, des tourments, des remords inconsolables, des cassures de la vie. 
Elle est un voyage initiatique au coeur de l'être, en quête d'abandon, d'oubli, de pardon, de vérité et d'amour.   
« L'important c'est le chemin. Ce n'est pas la destination. »
Mon libraire lors de sa présentation de la Rentrée littéraire de septembre 2019 déplorait que cette rentrée ne fasse pas plus de place à ce petit bijou. Il craignait que ce dernier soit condamné à finir en pâte à papier en peu de temps...
Je l'ai lu en novembre 2019 ; il a ensuite  rejoint ma grande pile de livre à chroniquer. Je m'en veux terriblement de ne pas avoir pris le temps d'en parler plus tôt, parce que ce livre est une petite pépite pour moi. Je l'avais "post-ité" dans tous les sens, et en notant tous ces passages relevés, je l'ai quasiment lu une deuxième fois ;-) Et l'envie de découvrir le lac Baïkal s'est de nouveau emparée de moi.

Chronique rédigée avec en sourdine le blues de Bjørn Berge, guitariste bluesman norvégien découvert grâce à Maïken. « Le blues des accords de guitare enveloppait les corps dans une torpeur qui ralentissait les gestes et les maintenait éloignés l'un de l'autre. »
« Il faut que tu voies l'hiver. Ne pars pas avant d'avoir vu l'aube bleue glisser sur la lande couchée et sur les rochers pointus, lorsque le jour ne vient jamais. Ne pars pas avant d'avoir ressenti sur ta peau les lumières d'un ciel strié d'aurores boréales. »

Prologue
« Une nuit, Cosme est parti. 
Au matin, il n’était plus là. Sa chambre était vide. Et je fus le seul, je crois, à m’en étonner. Ensuite, ce fut un autre silence. Différent de tous les silences connus. 
J’ai entendu claquer une porte cette nuit-là. C’est tout ce que j’ai entendu. Le bruit sourd d’une porte se refermant, poussée par un courant d’air. Je n’ai rien entendu d’autre. Seulement ce claquement de porte inhabituel. Et dans mon lit, je me suis redressé pour guetter d’autres bruits. J’ai interrogé l’étrangeté de cette nuit. Entre les murs de la maison muette, personne d’autre que moi n’a entendu l’appel de la porte. Personne ne s’est réveillé dans le même sursaut. Non, personne n’a eu froid comme moi cette nuit-là. Le claquement de la porte n’était que pour moi. 
Entre les jointures des volets de bois, la lumière de la lune blanche forçait le passage. Et malgré le froid qui me cernait, j’ai repoussé les draps à mes pieds. Les draps étaient raides comme du carton et le froid m’a finalement saisi tout entier. J’ai posé mes pieds sur le sol de la chambre. Je me souviens de mes pieds nus sur les lames de bois cirées. Je me suis avancé jusqu’à la fenêtre et j’ai apposé mon visage sur le carreau embué. Entre les volets clos, dans l’espace étroit d’une faille, c’est là que j’ai vu Cosme pour la dernière fois. Un jour, autrefois, il me portait sur ses épaules et le monde se penchait doucement. Nous étions invisibles. Nous étions insoupçonnables. Et mes mains, tendues vers le ciel, effleuraient les pétales blancs des pommiers en fleurs qui se répandaient sur le sol comme des larmes. Un jour, autrefois, il me portait sur ses épaules et le monde ne pouvait se réaliser sans lui. [...]
Un jour, autrefois, il me portait sur ses épaules et le monde se penchait doucement. »

« Maïken
À Kane, 
Ici, j’ai vu les queues des baleines à bosse 
Ici, j’ai vu des moutons endormis sur le sable blanc 
Ici, j’ai vu le soleil rouge effleurer la mer et les grands aigles surveiller la lande couchée »
Cosme

« Je me souviens d'une photo dans la chambre de mes parents, dans un cadre posé sur le rebord de la fenêtre. Nous nous trouvons dans la cour ma mère et moi. Sans doute mon père prend-il la photo. Mais je n'en suis pas certaine. Il ne l'a jamais confirmé.Ma mère porte ses vêtements de semaine, ses bottes. Ses cheveux et sa robe sont agités par le vent. Je dois avoir quatre ans. Ma salopette en jean est trop courte. Je suis tout contre elle. Je m'agrippe à sa robe comme les baleineaux aux flancs de leur mère. Une partie de mon visage est cachée par les tissus qui volent. Longtemps j'ai cru que je m'agrippais ainsi par peur que le vent m'emporte. En fait je pense maintenant que je la retenais, elle. J'avais déjà compris qu'elle était en partance, bien avant qu'elle rejoigne le continent. Son regard ne fixe pas l'objectif, il est déjà ailleurs. »

« Elle n'était pas d'ici. Elle n'était pas d'Andøya. Elle est venue pour toi mais une île ça peut rendre fou quand on n'y est pas né. Une île ça ne pardonne aucune faiblesse. Elle n'était pas d'ici. Elle a tenu autant qu'elle a pu. Un jour il faudra lui pardonner. »

«Elle fit alors l'inventaire de ce qu'elle savait de Cosme K, en comptant sur ses doigts  : il arrivait de l'ouest de la France, d'un autre bout de la terre, il avait dix-neuf ans, presque dix ans de moins qu'elle, il était blond, il vivait chez elle depuis six mois, il parlait mal l'anglais mais s'améliorait chaque jour. Il ne possédait pas de téléphone portable et se méfiait d'Internet et des réseaux sociaux, il travaillait depuis deux mois sur le Reine, il aimait boire et manger, il faisait des cauchemars violents, il possédait en tout et pour tout un seul sac de vêtements et portait toujours le même vieux pull gris en laine épaisse. »

« Au loin, sur la mer, le plus grand parc éolien offshore de Norvège s'étendait sur toute la surface de l'eau. Une armée de cyclopes, unijambistes et silencieux, dont les yeux rouges et intermittents semblaient menacer les terres lourdes et archaïques d'une invasion imminente. Maïken se détache de Cosme K et s'immobilisa pour sonder l'avancée de ces colonnes inquiétantes sur l'eau noire. Elle fixa longuement les hélices, parfaites armes blanches qui, de leur rythme lent et uniforme, tentaient de l'hypnotiser pour la figer dans cette terre. Au bout d'un moment, elle finit pas poser ses mains bien à plat sur son ventre. Et presque imperceptiblement elle sourit à la nuit et aux éoliennes lointaines, qui ne pouvaient plus rien contre elle. »

« C'en était fini du soleil qui hier encore se traînait sur les flancs des falaises et se faufilait jusque sur le perron de la ferme. Lumière froide de septembre, dernier mirage avant le grand engourdissement. »

« Elle compta les nuits. Elle se dit qu'elle n'en finirait jamais de compter le temps, de le décomposer en unités mathématiques figées, pour tenter vainement de le ralentir et de lutter contre l'oubli. »

« [Elle] aurait voulu savoir l'irrigation de cette douleur. Elle aurait voulu la bercer. »

« Maïken s'approchait de Bestefar et, sans rien demander, elle prenait les deux mains rugueuses et lourdes dans les siennes. Quoi qu'il fasse à cet instant, où que ses pensées insondables l'aient emporté, il répondait immédiatement à sa prière et il revenait sans regret à la lisière du monde terrestre, celui où vivait Maïken. Il lui accordait toujours ce temps-là, le temps nécessaire, sans compter, sans contrepartie, sans questionnement. Et elle enfonçait son regard dans le sien, qui l'accueillait de toute sa bonté et, dans ces yeux presque transparents, Maïken se laissait aspirer par le kaléidoscope d'images qui se reflétaient à l'infini comme sur une multitude de miroirs. Dans ces images, il y avait à la fois les tissues légers sur la peau de sa mère et la laine épaisse des agneaux, le craquèlement des glaciers du pôle et les bras de Jonas autour de sa taille, les mots précipités sur le papier bleu et les murmures des églises pointues, la plage de sable blanc et la poussière noire du volcan, la craie sur le tableau et les macareux autour de l'île aux oiseaux, l'écume dans le sillage de l'Hurtigruten et l'aube bleue des matins polaires, les gestes précis de son père et le cartable de Nora qui tape dans son dos...Et ces images semblaient contenir la totalité des sensations de l'univers que Maïken ne pouvait pas toutes saisir mais qui la soulageait pendant que, au contact de la peau rude, elle retrouvait la chaleur, la belle et rassurante chaleur, irradier à nouveau dans son sang. Cela ne durait que quelques secondes et déjà elle pouvait relâcher son étreinte pour repartir à ses combats quotidiens. Et derrière la porte la mélancolie avait cette fois encore battu en retraite.  »

« Je ressens encore sa chaleur irradier sur ma peau. Dieu ! que cette chaleur est réconfortante. Elle me donne de la force et du courage pour poursuivre ma route, malgré tous les silences qui pèsent sur mes épaules. Où que tu sois, je sais qu'il me faut te trouver. C'est une évidence qui structure toutes mes pensées. Tu détiens les clefs qui me permettront, un jour, de retourner d'où je viens. De ma poche j'extrais une anémone oubliée, dont les pétales froissées se désagrègent sous mes doigts. »

« Olga
À Kane, 
Ici, j’ai plongé dans l'eau claire du lac sacré
J'ai entendu les rites chamaniques sur les montagnes autour
J'ai partagé l'omoul séché et l'eau-de-vie
dans la datcha du ministre
Cosme »

« Disposées sur des pierres plates tout autour du foyer, les brochettes d'omoul dégageaient déjà l'odeur caractéristique des journées d'été interminables qui s'étiraient bien au-delà des heures solaires. En ces temps de canicule écrasante, l'ivresse partagée des souvenirs et de la vodka troublait la torpeur du lac et ramenait à la vie chacun des villages de datchas qui parsemaient la côte est du Baïkal. Ces hameaux anciens de maisons de bois sur jardins nourriciers se repeuplaient pour quelques semaines avec l'arrivée massive des citadins alentour. La plupart d'entre eux revenaient chaque été sur la terre de leur enfance. Ils renouaient avec la lenteur d'une époque définitivement révolue, mais qui intimement les reliait encore. Et parce qu'ils se retrouvaient entre eux, ceux du Baïkal, parce que les forces du las les traversaient tous sans exception, leur allégresse pouvait s'exprimer, sans raillerie ni honte, autour des pierres plates et des petits verres d'eau-de-vie glacée. L'odeur d'omoul grillé était une parenthèse mélancolique dans l'âpreté de leurs vies devenues combats quotidiens. »

« Sur le trajet du Transsibérien, qui l'avait emmené jusqu'à Irkoutsk depuis Moscou, Cosme K avait observé les mêmes villages à l'agonie, les mêmes vieilles personnes grattant le sol d'un territoire désolé, abandonné en moins de vingt ans, comme rayé de la nouvelle carte d'un empire réduit en miettes. »

« Devant lui, [...] l'eau étale du grand lac, tout en scintillements, pénétrait la baie sur une petite plage de galets ronds et clairs. De chaque côté, des collines escarpées, pelées ou couvertes de conifères, se reflétaient dans l'eau claire de façon si précise qu'on pouvait croire à l'existence d'un monde inversé sous la surface. [...] Un petit ponton de bois sombre s'avançait courageusement au-dessus des eaux profondes, comme pour prolonger en vain le chemin de terre et de pierres au-delà de la rive. Au-dessus de la plage, face au lac, un banc de pierres grises, couvertes par endroits de lichen jaune, semblait posé là depuis des siècles. Le regard se perdait ensuite aux confins de l'étendue d'eau qui paraissait ne connaître d'autres limites que celle du ciel. »

« L'eau du lac était douce sur la peau. Cosme K avait plongé du ponton et il avait senti les milliers de bulles d'air glisser sur son corps engourdi par la nuit. [...] Il lui sembla qu'il aurait pu nager ainsi des heures dans l'eau translucide, sans jamais être en mesure d'apercevoir d'autres rives que celles de la baie de Krestovaya et l'immensité de ce réservoir lui apparut dans toute sa grandiose démesure. [...] Il ferma les yeux et se laissa bercer par les caresses de ces vibrations, pour dériver, avec une douceur infinie, au coeur des multiples mirages du grand lac. Et dans cet abandon, il sentit l'énergie du Baïkal le posséder et il en fut reconnaissant aux dieux qui régnaient ici. »

« C'est ce qui ce dit. C'est ce que j'entends. Tu sais, nous, les cosaques, avons un sixième sens pour cela. Nous savons toujours quand vint le temps de protéger nos frontières. »

« Le Baïkal était en eux [...]. De génération en génération, ils étaient dépositaires de la beauté des lieux et leur reconnaissance semblait infinie. »

« Aucune trace n'est éternelle. Rien n'est immuable, l'oublie est le seul rempart. Et face à lui, le grand lac immobile, qui n'était jamais le même, semblait lui donner raison. Son apparente éternité sereine était trompeuse et sa mutation permanente bien qu'invisible. »

« Il savait au plus profond de lui-même que tous les enfants d'ici et d'ailleurs n'avaient pas besoin d'oreille pour entendre ce que les adultes tentaient de leur cacher. Et tout en s'enfonçant dans la nuit il énuméra pour lui-même tous les mots que Maman Jane n'avait jamais prononcés et dont les échos s'entrechoquaient pourtant toujours entre les parois de son crâne. Ces mots qui le réveillaient encore et encore après toutes ces années, même ici, malgré la distance qu'il s'efforçait d'accroître sans cesse. Il eut un instant de découragement. Que fallait-il donc accomplir pour qu'advienne l'oubli ? »

« Ce rendez-vous était devenu une respiration nécessaire dans l'implacable inertie du temps. Chaque jour et chaque nuit, ils l'attendaient comme une promesse hors la vie. Après les étreintes, Cosme K se laissait happer par les myriades d'étoiles qui tremblaient sur la voûte du ciel. Elles paraissaient si proches, si accessibles, qu'il tendait le bras pour les effleurer de ses doigts, mais toujours elles se dérobaient à lui. En apesanteur entre l'eau et le ciel, jamais il ne s'était senti avec lui-même dans une telle intimité. »

« Oh, se glisser sous les couvertures colorées contre la tiédeur d ce corps généreux, puis éteindre la lumière et par la fenêtre attendre, attendre qu'Angara, fille unique du Baïkal, vienne se mirer dans le lac à la lumière de la lune avant de rejoindre Ienisseï, son bien -aimé. »

« Elle s'attarde encore sur chaque parcelle de ce corps tant aimé. Qui racontera maintenant les histoires de pionniers perdus dans la taïga, de chiens bâtards satellisés autour de la terre, de trains traversant le ciel... ?»

« J'aime la nuit qui abolit le monde et ses frontières, qui efface tout pour un temps, un temps qui toujours semble infini. J'aime la nuit qui adoucit les douleurs. »

« L'attachement, c'est pouvoir appeler quand la peur surgit et être toujours certain que quelqu'un vienne. »

« Shu Fang
À Kane, 
Toute beauté ici semble en sursis
Au bout du corridor Ivan attend l'alexandrite
À bord du Elsewhere, la mer de Chine est un espoir
Cosme »

« Le monde inédit qui s'offrait à Cosme K depuis son arrivée la veille à Singapour n'en finissait pas de le fasciner et de le révulser tout à la fois. Sur le quai de la gare centrale de Singapour, les clameurs et les accélérations l'avaient saisi. La fièvre grouillante irriguait la moindre coursive du petit dragon asiatique. La vie semblait onduler en permanence, occupant chaque mètre carré d'une parcelle de continent trop confinée pour sa prospérité insolente. »

« Au-dessus d'elle, sur le mur défraîchi, était punaisé une photo. La photo était légèrement penchée. Un tout jeune enfant dans les bras de Shu Fang. Et dans l'espace, si réduit soit-il, transperçait une force. Une force venue d'ailleurs. Du pays où se trouvait l'enfant. L'enfant qu'elle avait laissé pour s'occuper d'autres enfants qui n'étaient pas les siens. [...] un autre enfant sur une autre photo surgit dans ses pensées. Un autre enfant dans un autre pays, sous des pommiers en fleurs. Les pommiers du verger pleurent des larmes blanches sur le sol. »

« Il fut intronisé dans les cercles multiples et concentriques d'expatriés de toutes sortes, dont le seul objectif dans la vie semblait être de dépenser en soirée le trop-plein d'argent qu'ils accumulaient le reste du temps. »

« [...] la beauté comme ultime rempart aux impasses dans lesquelles la modernité acculait les vies. »

« Je n'aime pas cette ville. Elle est comme un étau. Elle écrase ceux qui vivent en son sein. Elle nous rend invisibles... Et nous, les hommes invisibles, nous résistons sur ces amas de pierres pour envoyer quelques billets là-bas et on fait semblant de croire qu'un jour on rentrera parmi les nôtres, ceux qui nous attendent, ceux qui vivent avec rien, avec ce qu'on arrache chaque jour à la poussière avec nos doigts qui saignent. Jusqu'au jour où on nous enterrera avec cette même poussière. Les nôtres l'apprendront longtemps après. Ils prieront peut-être. Les enfants ne se souviendront pas de nos visages maigres. C'est ainsi que cela se passe. Et d'autres arrivent pour prendre notre place. C'est la modernité. La modernité nous mutile et nous sépare. La modernité nous abandonne à une solitude forcée. Il faut quelque chose de plus immense à l'homme pour qu'il puisse rester debout. La beauté sans doute. Quoi d'autre ? Mais ici, ils ont tué la beauté aussi. »

« Tu t'interroges sur toutes ces coïncidences. Ces liens que tu crois deviner entre ceux que tu as croisés dans tous les mondes que tu as traversés. Ne cherche pas. Ne perds pas de temps. La faille est toujours ouverte. Le passé, le présent, le futur n'ont pas d'importance. Seul le chemin compte. Et sur le chemin, les guides qui t'ont indiqué la direction quand tu étais perdu. »

« L'important c'est le chemin. Ce n'est pas la destination. »

« Dans le monde qu'ils se sont créé pour échapper à la pesanteur des temps obscurs de Singapour, sans doute se sentent-ils libres et prisonniers à a la fois. Pourtant, à cet instant, leurs pas sur l'écume des vagues mourantes sont légers et leur bonheur ne fait pas de doutes. »

Quatrième de couverture 

À l’orée de la vingtaine, Cosme K déserte la maison familiale et trouve refuge dans l’errance. Au hasard des rencontres, il pose son sac au bord du cercle polaire en Norvège, sur les rives sauvages du lac Baïkal et dans la modernité enivrante de Singapour. Discret et solaire, il est accueilli par des inconnus et s’immisce dans leur quotidien avant que la route, pourtant, ne le reprenne.
Alors qu’il aborde les confins du monde connu, son frère se lance sur ses traces. En retrouvant les hommes et les femmes que Cosme K a croisés et dont il a bouleversé l’existence, il reconstitue son parcours et s’efforce de réconcilier leur destin.
Traversé par la culpabilité et le pardon, un roman initiatique qui se déploie dans des paysages majestueux.

Philippe Gerin est né en 1970 à Saint-Étienne et réside en Bretagne. Entretemps il a vécu et voyagé dans d’autres mondes connus, au Canada, en Sibérie, au bord de la Baltique, en Scandinavie, en Malaisie… Il est l’auteur d’un premier roman, Du haut de la décharge sauvage, paru en 2013.

Éditions Gaïa, août 2019
287 pages
Prix du roman de la ville de Carhaix 2020

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire