dimanche 7 février 2021

Un assassin blanc comme neige ★★★★☆ de Christian Bobin

« C'est ce qui est près de nous qui nous sauve, pas les grandes choses dont on rêve. »
J'ai découvert Christian Bobin grâce à des lecteurs de Babelio Christian Bobin. Tous mots écrits sur l'auteur et ses oeuvres suscitaient l'envie de l'exploration. 
« J'attends d'un poème qu'il me tranche la gorge et me ressuscite. »
J'ai découvert une poésie belle et sincère, des morceaux de passé écrits avec douceur, des morceaux de présent qui émerveillent. Lire Christian Bobin, c'est découvrir un peu de la vie de l'auteur, c'est se délecter d'instants poétiques fragmentés, c'est fondant comme une friandise. Il parle de l'ordinaire. Simplement de l'ordinaire. En toute humilité et délicatesse. Il rend l'invisible visible. 

J'aime beaucoup. 
« Le chêne devant la fenêtre a sa nudité d'hiver. Je me penche sur le livre? Quand je relève la tête je surprends l'arbre ruisselant de vert : l'hiver a duré une seconde. »

« Le fond bleuté des yeux des vagabonds commence à geler? L'argent serre les mâchoires. Le monde est une plaque de plâtre qui se décolle d'un mur : ce qui apparaît dessous est d'une dureté de fer. Ne resteront bientôt de tendres que les nuages, les fleurs et quelques visages de loups - de ces visages que la main manucurée de l'argent n'a pas encore nettoyés, qui gardent la parure d'une sauvagerie divine. 
Si l'on veut aujourd'hui savoir à quoi ressemble l'âme, il faut chercher dans les images anciennes, celles des mineurs aux yeux de porcelaine blanche roulant dans la chair noire, ou celles des nouveau-nés sidérés aux berceaux enflammés de dentelles.
Les livres sont des huttes pour les âmes, des mangeoires pour les oiseaux de l'éternel, des points de résistance. Je tends une main de papier à un être invisible. J'ai la faculté de voir à travers le mur de fer : nous allons vers de très belles choses, une fois passé l'enfer. Ma mère m'a appris que j'étais né entre deux éclats de ses rires, ce qui sans doute explique le grain de cette phrase : nous allons par le pire à des choses très fleuries et très douces, accordées au secret de nos âmes. »

« La mort n'éteint pas la musique, n'éteint pas les roses, n'éteint pas les livres, n'éteint rien. »

« Dans la boutique de livres anciens j'entre comme un enfant dans un grenier où flambe une malle d'osier. D'un livre de Marceline Desbordes-Valmore s'élève du bleu qui ennoblit la librairie tapissée d'or. Un poème palpite entre mes mains comme un moineau ressuscité. La beauté est de la digitaline pour le coeur. Je sens le souffle des mots à mon visage, comme d'une bombe lointaine. Le livre date de 1820. Il a sa reliure dite « d'attente », un cartonnage blanc plâtre, marbré de bleu. Les pages ont la douceur du chiffon. La voix de Marceline me saute au visage, la mort n'est rien, elle se traverse comme un pré. Les livres anciens avec leurs chairs froissées m'émeuvent de revenir triomphants des ténèbres. Les objets de la science vieillissent à une vitesse infernale. Morts, ils encombrent, empoisonnent, enlaidissent. Les livres de papier dans leurs lits de cristal dorment comme des anges. Un regard et ils sortent d'un sommeil de plusieurs siècles, fraternels, vifs encore. Je repose le livre sur son rayonnage. Je sors dans la rue en pente. La voix blessée de Marceline court comme une rivière rafraîchissante sous les bruits du monde. Le bleu du ciel fond. La grande guerre continue, elle n'a jamais cessé. »

« Le remplaçant du médecin de Saint-Sernin m'apprend qu'il a échoué à ses examens de première année pour avoir passé ses jours à lire tout Dostoïevski. Un homme curieux de la vie des âmes ne peut que bien soigner les corps. Songer à des choses invisibles, manquer ses examens, c'est d'aller d'un bon pas. »

« L'étirement du chat est un livre de sagesse qui s'ouvre lentement à la bonne page. »

« Le chêne devant la fenêtre a sa nudité d'hiver. Je me penche sur le livre? Quand je relève la tête je surprends l'arbre ruisselant de vert : l'hiver a duré une seconde. »
« Je vois parfois des choses si belles que je me réjouis de ne pas les posséder. »

« Un seul soupir du chat défait tous les nœuds invisibles de l'air. Ce soupir plus léger que la pensée est tout ce que j'attends des livres. »

« Celle qu'on attend sur le quai de gare se détache en gloire de la coulée des voyageurs, comme surgie charitablement d'un au-delà jusqu'à ce monde-ci. C'est ainsi que les mères voient leur enfant renaître à chaque sortie d'école : un seul visage qui bat du tambour, une seule étoile qui couvre tout le ciel. »

« J'attends d'un poème qu'il me tranche la gorge et me ressuscite. »

« Les cafés ressemblent quand on les voit depuis la rue, la nuit, à des tableaux de petits maîtres hollandais - un peu d'or serti de plomb. La même scène souvent revient, celle d'un roi triste buvant un vin triste sous une lumière triste. »

« Lire, c'est ajouter au livre, découvrir, en s'y penchant, son propre visage dans la fontaine de papier blanc. »

« Un jour nous comprendrons que la poésie n'était pas un genre littéraire mal vieilli mais une affaire vitale, la dernière chance de respirer dans le bloc du réel. »

Quatrième de couverture

« L'encre fraîche de Rimbaud tache mes doigts. Ses proses font trembler l'air au-dessus de la page comme sur une route fondue au soleil d'été.
Je vais chercher mon pain, mes nuages et mes étoiles dans l'unique librairie du Creusot. L'acacia au bas de la rue du Guide surgit comme un donateur fou. Son haleine sent le miel et l'or.
Toutes les fleurs se ruent vers nous en nous léguant de leur vivant leur couleur et leur innocence. Les contempler mène à la vie parfaite.
Les anémones sont si crédules que même l'enfer leur donne raison. »

Éditions Gallimard, mai 2011
95 pages

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