jeudi 4 février 2021

Le sang ne suffit pas ★★★★☆ d'Alex Taylor

Quelle âpre lecture ! 
Un démarrage énorme qui nous plonge dans une sombre, cruelle et glaciale ambiance qui ne nous lâchera qu'à la toute fin du récit. 

Un ours affamé, une "sang-mêlée" sur le point d'accoucher, un chien fidèle et féroce, son maître très affaibli par une longue errance depuis la mort des sa femme et de son fils, des montagnes enneigées de l'Ouest de la Virginie, sauvages et hostiles, et une traque sans merci et abominable orchestrée par deux frères colons anglais, eux-mêmes abominables : un savoureux cocktail, n'est-ce-pas ?

Alex Taylor ne nous épargne aucune scène de violences, il nous embarque dans une lecture qui secoue, qui met mal à l'aise, mais qu'on ne lâche pas. Il a un vrai talent pour nous conter les personnages, pour nous immiscer dans leur conscience et nous amener à comprendre leurs attitudes les uns envers les autres, fussent-elles atroces et inacceptables.
« N'est-ce pas chose étrange ? Il y a du sang en quantité, et pourtant les hommes le convoitent comme de l'or. Que doit-on en penser ? Qu'un homme ne doit pas pleurer une vie qui est perdue. Pas une femme. Pas un fils. Il y a, après tout, beaucoup de femmes, beaucoup de fils. Le sang coule en abondance, mais ce n'est pas encore assez. Le sang ne suffit pas. »
Un roman noir, dur, violent, parsemé d'horreurs, de sang, de morts et un virage final qui laisse entrapercevoir un filet de lumière. 
J'ai hâte de découvrir son précédent roman !
« Il raconta ses humeurs et ses caprices, ses manières toujours un peu étrangères, et il finit par évoquer un lieu ancestral, un pré où poussaient deux sassafras à l'ombre desquels ils pique-niquaient sur une couverture cousue par sa femme, puis il plongea dans le silence, craignant d'en avoir trop dit, car en chaque homme existe une vaste contrée où les mots sont bannis et le monde interdit de séjour, une contrée bien-aimée quand bien même c'est une contrée de désolation. »

« Il avait passé tellement de temps seul dans les montagnes qu'il lui semblai avoir fait des réserves de paroles, gardées auprès de lui telles des brisures d'or, et il craignait à présent de les avoir prodiguées trop librement...»

« Si l'on traversait assez d'épreuves, croyait-il, on pouvait aborder la peine comme la douleur, une simple corvée de plus parmi la multitude à laquelle l'homme devait se plier. »

« Il raconta ses humeurs et ses caprices, ses manières toujours un peu étrangères, et il finit par évoquer un lieu ancestral, un pré où poussaient deux sassafras à l'ombre desquels ils pique-niquaient sur une couverture cousue par sa femme, puis il plongea dans le silence, craignant d'en avoir trop dit, car en chaque homme existe une vaste contrée où les mots sont bannis et le monde interdit de séjour, une contrée bien-aimée quand bien même c'est une contrée de désolation. »

« [...] s'il existait une meilleure fortune que la peine, elle lui était inconnue, car c'était seulement dans la peine que la vie d'un homme lui appartenait pleinement. Quoi d'autre, sinon des cicatrices, pouvait rendre la mesure d'un homme et de ce que son âme avait enduré ? A quelle autre aune que la souffrance pouvait-on juger une vie ? Celui qui puisait du plaisir dans l'espérance était un homme pauvre, car il ne connaissait rien de la saveur forte et ancienne de la désolation. La bouteille du temps n'était-elle pas emplie de larmes ? »

« - Cette petite pisseuse est tout ce qui sépare le village de Bannock du massacre pur et simple, dit-il. C'est une offrande de paix. Le sachem shawnee Black Tooth la prendra pour lui et laissera la vie sauve à tout un tas de Blancs en échange. Réfléchissez bien avant de discuter de questions dont vous avez pas la moindre idée.
Pour Reathel, ce que racontait Bertram n'avait aucun sens. Il n'avait jamais entendu parler de pionniers qui négociaient leur vie au prix de celle de leurs propres enfants. Ce genre d'infamie aurait dû avoir déserté ce monde depuis longtemps. »

« N'est-ce pas chose étrange ? Il y a du sang en quantité, et pourtant les hommes le convoitent comme de l'or. Que doit-on en penser ? Qu'un homme ne doit pas pleurer une vie qui est perdue. Pas une femme. Pas un fils. Il y a, après tout, beaucoup de femmes, beaucoup de fils. Le sang coule en abondance, mais ce n'est pas encore assez. Le sang ne suffit pas. »

« - Je suis un homme de science, balbutia-t-il. Je veux seulement savoir.
- Savoir quoi ?
Les mots étaient précaires, ineptes. Son esprit bataillait. Le concept de science, d'expérience mesurée et distillée avec la plus grande précision s'effondrait sous le regard du monde sauvage et de ses ravages. Devant une femme mutilée, il n'y avait pas de science. La souffrance n'était pas de l'anatomie. Ni l'amour. Ni la pitié, à ce compte-là. On ne pouvait pas la consigner dans un registre. 
- Je suis un homme de science, répéta-t-il.
La femme lui prit la main. 
- Par ici, dit-elle, ce genre de concepts n'a jamais voulu dire grand chose. »

« Reathel était émerveillé de voir que partout les hommes croyaient pouvoir peser la vie sur une balance, comme si elle n'était que richesse et lucre. Et pourtant, il ne pouvait s'empêcher de sentir la toison mousseuse de l'espoir lui caresser la nuque. Certes, il n'y avait pas de marchands aux alentours, mais il pourrait survivre jusqu'à un jour où il y en aurait. Et les sous lui seraient alors utiles. »

« Et puis il réalisa avec émerveillement que le chagrin était une chose dont un homme pouvait faire des réserves, l'entasser comme de l'or au creux de son âme, même si c'était un trésor amer. Il y avait une sorte d'égoïsme à se croire seul dans le secret des neiges cruelles de la souffrance. »

Quatrième de couverture

1748. Dans les montagnes enneigées de l’Ouest de la Virginie, un voyageur affamé arrive près d’une cabane isolée. Reathel erre depuis des mois, flanqué d’un dogue féroce. Mais l’entrée lui est refusée par un colon hostile qu’il n’hésite pas à tuer. Il découvre alors à l’intérieur une jeune femme, Della, sur le point d’accoucher. L’enfant naît dans cette solitude glaciale. Pourtant, le froid, la faim et l’ourse qui rôde dans les parages ne sont pas les seuls dangers pour la mère et le nouveau-né. Car ce dernier a été promis à la tribu Shawnee : c’est le prix à payer pour que Blacktooth, leur chef, laisse les Blancs du village environnant en paix. Alors que les Shawnees se font de plus en plus impatients, le village envoie deux frères à la poursuite de Della, désormais prête à tout pour sauver son bébé.

Un roman d’aventures féroce, où la certitude de la mort procure une force libératoire mais impitoyable, qui guidera une nation tout entière.

L'une des plus belles et brillantes proses que j'aie jamais lues.
DONALD RAY POLLOCK

Éditions Gallmeister, mai 2020
316 pages
Traduit de l'américain par Anatole Pons-Reumaux

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