samedi 27 février 2021

L'enfant céleste ★★★★☆ de Maud Simonnot

« Dès sa naissance on le sait.
On se dit que cet enfant-là est différent.
Pourtant on ne le formule pas, on vient d'une famille pudique, et puis bien entendu toutes les mères doivent éprouver ce sentiment d'être devant un être singulier, forcément merveilleux.
On le tient entre ses deux mains, ce nourrisson réfugié dans une noix, si petit, si doux. Les reflets d'or clair de ses cheveux. Et ce regard un peu voilé qui ne le quittera plus. Lunaire. Oui, c'est ça, un enfant céleste. »
Une lecture inattendue ! 

Je m'attendais à lire sur les difficultés rencontrer par une maman à élever et accompagner au quotidien son enfant surdoué
Il y a de cela en effet dans cette lecture. « Qu'est-ce que cet enfant vient déranger pour susciter aussi peu de compréhension ? » Un manque d'empathie, de pédagogie qui provoquent souffrance et désarroi. La différence est une source de souffrance. Le jugement des autres est dévastateur. Pas évident, peut-être, de se dire qu'elle est une source de richesse. On vit dans une société de compétition, intransigeante, où l'élite irréprochable est l' exemple à suivre. Tant de différences conduisent les hommes à porter un regard négatif ou positif sur son prochain. Stendhal écrit dans le Rouge et le Noir : « J’ai suffisamment vécu pour voir que la différence engendre la haine ». Homo homini lupus est... Que peut-on y faire ? Éduquer ? Rééduquer ? Repenser notre société ? Ou est-ce le propre de l'homme ? Une caractéristique intrinsèque avec laquelle il faut composer... 
« Il m'a dit ce qu'il sait par expérience. Qu'un surdoué ce n'est pas quelqu'un de plus intelligent mais quelqu'un qui ne peut pas ne pas voir la fausseté du monde sans que ça lui soit insupportable. Qui réinterroge sans cesse le récif collectif, inepte, factice. Il faut juste aider Célian à rendre acceptable cette quête de sens, pour qu'elle ne devienne pas obsessionnelle. Lui apprendre à se laisser traverser par des émotions sans s'en aliéner, et en faire une liberté. »
Mais "L'enfant céleste", c'est aussi une immersion dans la nature, au contact des éléments entre ciel et terre, c'est la découverte d'une île préservée et légendaire de la mer Baltique, l'île de Ven, où il fait bon s’enivrer d'embruns, admirer le ciel étoilé et les planètes.
En parlant de planètes justement, "L'enfant céleste", c'est aussi la rencontre avec un astronome danois du XVIIème siècle, Tycho Brahe, celui qui aurait inspiré l'intrigue d'Hamlet. [ Saviez-vous que les personnages des oeuvres de Shakespeare tournent autour d'Uranus ? ;-) En effet, les noms de ses satellites découverts au XXème siècle sont tirés des personnages des oeuvres de Shakespeare (Puck, Titania, Ophélie, Cordelia...). ]
C'est l'émerveillement d'un enfant, un doux rêveur explorateur, observateur, collectionneur de la nature. 
C'est l'amour inconditionnel d'une mère pour son enfant.
C'est une pause excentrée de la tumultueuse vie  parisienne, une pause salutaire qui apaise les meurtrissures, une connexion essentielle avec le monde, une renaissance... 
C'est un doux voyage à deux voix.
Ce sont de belles pages.

Je conseillerais une lecture lente pour en apprécier toute la substance. Les chapitres sont extrêmement courts, et de nombreux sujets sont abordés. Si l'on passe trop vite de l'un à l'autre, il est possible que l'on se perde en route à mon avis.

« J'ai rêvé, l'autre soir, d'îles plus vertes que le songe. » Saint-John Perse, Amers. En exergue

« « Avez-vous déjà eu le sentiment d'être abandonnée ? »   
La phrase de Marceline m'est revenue tandis que, assise sur les marches en haut du cimetière de ma ville natale, je contemplais les tombes et le lac artificiel au-delà. 
[...]
J'ai inspiré profondément avant de regarder, tout en bas du champ des pleurs, la tombe de cet homme, mon père, qui s'était suicidé quand j'avais sept ans, me laissant la fin de l'enfance pour tout héritage. »

« Je suis obligé de bouger mes mains, c'est plus fort que moi. Je massacre mes gommes, je mange mes stylos, je me baisse sans arrêt pour ramasser mes cahiers? J'ai encore cassé ma règle, Maman ne vas pas être contente. 
Je n'arrive pas à ne plus m'ennuyer. J'essaie, vraiment pourtant. Les autres élèves aussi semblent s'ennuyer, mais chez eux l'ennui doit être moins fort.
Je me demande pourquoi je suis là. Pourquoi nous sommes tous là. Je préférerais me promener dans la nature et observer les animaux. Ils sont plus heureux que nous. Ils ne vont pas à l'école, pourtant ils sont plus heureux c'est sûr. Ils se roulent dans l'herbe, dorment au soleil. Ils n'ont pas de montre. »

« Posée là toute la journée derrière la fenêtre de ma chambre en compagnie d'un vieux chat, le regard perdu au-delà des collines bleues de mon enfance, je ne ressentais que l'appel du vide et une extrême fatigue. Mon existence était une eau qui coule entre les mains. Je désirais dormir, oublier et être oubliée. Ne plus jamais avoir mal, ne plus jamais aimer. »

« Il m'a dit ce qu'il sait par expérience. Qu'un surdoué ce n'est pas quelqu'un de plus intelligent mais quelqu'un qui ne peut pas ne pas voir la fausseté du monde sans que ça lui soit insupportable. Qui réinterroge sans cesse le récif collectif, inepte, factice. Il faut juste aider Célian à rendre acceptable cette quête de sens, pour qu'elle ne devienne pas obsessionnelle. Lui apprendre à se laisser traverser par des émotions sans s'en aliéner, et en faire une liberté. »

« Poincaré écrit qu'on ne saurait imaginer combien la croyance à l'astrologie a été utile à l'humanité : « Si Kepler et Tycho Brahe ont pu vivre, c'est parce qu'ils vendaient à des rois naïfs des prédictions fondées sur les conjonctions des astres. Si les princes n'avaient pas été si crédules, nous continuerions peut-être à croire que la Nature obéit au caprice, et nous croupirions encore dans l'ignorance. » »

« Dans mon imaginaire, le Nord a toujours été associé à une atmosphère limpide, comme si l'esprit pouvait être purifié par les vents et la rigueur des paysages. »

« Il a suffi que je pénètre dans ces bois scandinaves pour que tous les habitants qui peuplaient ma forêt renaissent sur mes pas : le garde-champêtre taiseux, la mare grouillante de vies minuscules, le martellement des geais et les cris des hulottes...Comme cette enfance a passé vite, recouverte par le désenchantement, les épreuves précoces. Ou peut-être pas. Peut-être que ce paradis perdu est toujours en moi. Peut-être que c'est là que j'habite pour toujours. »

« La forêt de Ven exhale un parfum pénétrant et délicieux. Ses larges ramures étouffent les sons, seules les feuilles qui ne détachent et tombent en tournoyant ou les bruissements d'ailes troublent la magie de l'instant. J'aimerais m'enfoncer dans les hautes herbes, me fondre dans la terre de ces bois...
Mais dans la lumière, là-bas, apparaît Célian, flanqué de ce bon gros chien caramel qui ne le quitte plus. La vie m'appelle au bout de l'allée et j'avance sous les branches de plus en plus clairsemées qui font place au bleu du ciel, vers mon fils. »

« J'ai tellement été accablée par l'étrangeté de cet homme qui se tenait au bord de l'amour comme un échassier au bord de l'eau, et qui avait choisi de laisser l'équivoque obscurcir notre relation... J'accepte peu à peu, enfin, qu'il n'y ait aucune explication à cet abandon brutal, à la confiance trahie. Pierre me laissera toujours seule avec ces vérités qui se dérobent. »
« Elle s'est inquiétée quand j'étais à la maternelle parce que je ne dessinais jamais de bonhommes. Je ne voulais pas faire de fleurs non plus. Un jour j'ai dit que je ne savais pas laquelle dessiner et Maman a répondu que j'avais raison de ne pas tracer les ronds entouré de pétales des modèles. Elle trouvait idiot aussi les ciels barrés d'un trait. »

« Célian, allongé sur le dos à côté de moi, semble absorbé par la Voie Lactée. J'évoque ces mondes flottants qui gravitent en silence, le mouvement à la fois apparent et inimaginable de cette nuit infinie, son architecture secrète, et ces astres morts dont l brillance nous éblouit encore. Il me répond que ce qui le fascine le plus ce ne sont pas les étoiles scintillantes mais le noir entre lumières. »

« Quant au leurre de la mémoire, on n'a rien écrit de plus juste sur la fin du chagrin que Proust : "pour atteindre à l'indifférence", il faut "traverser en sens inverse tous les sentiments" par lesquels l'amour a passé. Mais le progrès de l'oubli est irrégulier. »

« Ce voyage laissera bien plus que des grains de sable et des fleurs séchées entre les pages de mes carnets. J'ai parcouru le cycle entier du chagrin, la souffrance s'est dissoute dans la pureté des paysages de Ven. »

« Les personnes libres trouvent ce à quoi elles aspirent - c'est leur privilège. »



Quatrième de couverture

Sensible, rêveur, Célian ne s’épanouit pas à l’école. Sa mère Mary, à la suite d’une rupture amoureuse, décide de partir avec lui dans une île légendaire de la mer Baltique. C’est là en effet qu’à la Renaissance, Tycho Brahe – astronome dont l’étrange destinée aurait inspiré Hamlet – imagina un observatoire prodigieux depuis lequel il redessina entièrement la carte du Ciel.

En parcourant les forêts et les rivages de cette île préservée où seuls le soleil et la lune semblent diviser le temps, Mary et Célian découvrent un monde sauvage au contact duquel s’effacent peu à peu leurs blessures.

Porté par une écriture délicate, sensuelle, ce premier roman est une ode à la beauté du cosmos et de la nature. L’Enfant céleste évoque aussi la tendresse inconditionnelle d’une mère pour son fils, personnage d’une grande pureté qui donne toute sa lumière au roman.

Maud Simonnot a passé sa jeunesse dans le Morvan et plusieurs années en Norvège qui l’ont inspirée pour ce livre. Sa biographie de Robert McAlmon, La Nuit pour adresse (Gallimard, 2017) a reçu le prix Larbaud et a été finaliste du prix Médicis essai.

Les Éditions de l'Observatoire, août 2020
166 pages

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