mercredi 16 février 2022

Mon mari ★★★★☆ de Maud Ventura

La protagoniste de ce roman est amoureuse de son mari, toujours et encore follement, désespérément amoureuse de son mari, tant et si bien, que « [son] mari n'a plus de prénom, il est [son] mari, il [lui] appartient ». 
Elle qui pense l'aimer trop, au point de s'attendrir devant les pellicules de son mari, échouées sur l'oreiller, elle qui pense garder le contrôle en tenant des carnets, qui ne laisse absolument rien au hasard, elle qui perd pourtant bien le contrôle de ses pensées, qui vire, à mon sens, complètement, psychopathe.
Que j'ai ri de la voir se torturer l'esprit, douter de l'amour que son mari lui porte et punir ses moindres écarts en allant jusqu'à prendre des amants. 
L'auteure a réussi à m'embarquer dans les pensées de cette femme. Un sketch à elle toute seule. Mais que j'ai plaint par moment ;-)
Et ce final !
Un bon moment de lecture, une lecture originale, férocement drôle
Une lecture plutôt détente, même si l'atmosphère se densifie au fur et à mesure que le dénouement approche et même si à l'heure de 'me too', cette lecture dérange, questionne. Oui détente, comparée aux deux lectures qui m'attendent sur le terrorisme, et qui seront fatalement moins fun ;-)

« Je n'ai jamais écrit, croyant le faire,
je n'ai jamais aimé, croyant aimer,
je n'ai jamais rien fait qu'attendre
devant la porte fermée. 
»
L'Amant, Marguerite Duras (citée en exergue)

« Le lundi a toujours été mon jour préféré. Parfois, il se pare d'un bleu profond et royal - bleu marine, bleu nuit, bleu égyptien ou bleu saphir. Mais plus souvent le lundi prend l'apparence d'un bleu pratique, économique et motivant, adoptant la couleur des stylos Bic, des classeurs de mes élèves et des vêtements simples qui vont avec tout. Le lundi est aussi le jour des étiquettes, des bonnes résolutions et des boîtes de rangement. Le jour des choix judicieux et des décisions raisonnables. On m'a déjà dit qu'aimer le lundi était un truc de première de la classe - que seuls les intellos pouvaient se réjouir que le week-end se termine. C'est peut-être vrai. Mais cela relève surtout de ma passion pour les débuts. Dans un livre, j'ai toujours préféré les premiers chapitres. Dans un film, les quinze premières minutes. Au théâtre, le premier acte. J'aime les situations initiales. Quand chacun est à sa place dans un monde à l'équilibre. »

« Il m'arrive souvent de m'attendrir devant ces flocons retrouvés dans notre lit ou sur le col d'une chemise. Suis-je bizarre d'être aussi touchée par les pellicules de mon mari ? Mais j'imagine que l'amour se nourrit de traces laissées sur un vêtement ou un drap, et que toutes les amoureuses du monde s'en émeuvent. »

« [...] je ne suis pas autrice. Quand je traduis, je ne suis qu'une interprète, et cet état de fait me convient parfaitement. Je n'ai rien à inventer, et cela tombe bien parce que je n'ai pas beaucoup d'imagination. Je préfère observer, analyser, déduire ; décortiquer un texte, en dévoiler les sous-entendus, en découvrir le ton implicite - être aux aguets, telle une enquêtrice à la recherche d'indices cachés. En plus, je repense souvent à Marguerite Duras : "Je n'ai rien écrit, croyant le faire."  La suite de ma citation préférée contenait depuis toujours cet avertissement : attention, ne pense pas que tu écris, tu traduis. »

« Je respire et tape doucement au creux de mon poignet avec deux doigts pour retrouver mon calme (une technique que m'a enseignée une sophrologue pour ralentir mon rythme cardiaque) tout en récitant dans ma tête ces phrases qui m'apaisent : Mes complexes ne transparaissent pas sur mon visage. La vision de j'ai de moi n'est pas ce que perçoivent les autres. Tout va bien, je suis à ma place. »

« Plus généralement, que mon mari existât avant de me rencontrer me paraît irréel et même révoltant. »

« Il existe deux sortes de larmes que j'ai réussi à distinguer au fil des années. D'abord, les larmes de frustration ou de rage. Des larmes violentes, sévères, de couleur rouge. Elles ne coulent pas, elles jaillissent. Il est facile de les reconnaître car elles laissent derrière elles des visages bouffis et des yeux gonflés. Ce sont les larmes qui me viennent quand les enfants sont chez leurs grands-parents pendant les vacances scolaires, que j'ai préparé le dîner, que je me suis préparée, et que mon mari appelle pour me dire qu'il rentrera tard à cause d'un dossier urgent à finir au travail. Je raccroche et je pleure de rage. Je déteste m'habiller pour rien. 
Et il y a, comme ce soir, les larmes de tristesse. Elles ne coulent pas non plus, elles débordent. Après plusieurs jours de tristesse continue et diffuse, elles se mettent à glisser le long du visage en silence, les unes après les autres. Ce sont des larmes glacées, peu nombreuses et que j'imagine d'un bleu très clair, presque transparent. Elles jouent un rôle de bouclier : ces larmes protectrices déposent un pansement mouillé sur la joue. Il suffit ensuite de les effacer d'un revers de la main. »

« Aux amoureux des adultères, à ceux qui s'aiment à distance ou qui ne sont plus aimés, je voudrais dire que l'amour n'a jamais été une question ni d'incertitude ni d'attente, que la régularité et la réciprocité ne changent rien à l'intensité. Je voudrais leur dire que la passion peut aussi grandir dans la stabilité du foyer, dans l'exactitude d'une heure de retour, dans l'évidence d'un attachement, dans la répétition du quotidien. Je voudrais leur dire que le coeur peut aussi battre à heures fixes. »

« Tu ne t'es jamais dit que ton mari t'aimait plus que toi tu l'aimes ? Tu dis que tu es folle amoureuse de lui, mais ne crois-tu pas que c'est lui le véritable amoureux ? De vous deux, c'est le seul dont l'amour ait dépassé l'amour passionnel des débuts. Toi, tu vis encore dans cette phase d'obsession qui ne dure normalement que les premiers mois d'une relation. Tu ne lui fais même pas confiance, c'est comme si vous n'aviez rien construit ensemble. Alors ce n'est peut-être pas comme tu le voudrais, mais tu l'as dit toi-même : ton mari te soutient, te connaît, te respecte et t'aime. Je pense que tu as tort sur toute la ligne. C'est ton mari, l'amoureux. Pas toi. Toi, tu ne l'aimes pas vraiment. »

« Ce soir, en revanche, la pièce que nous jouons est sans ambiguïté : nous sommes deux parents qui dînent avec leurs enfants, en pleine représentation familiale. Je joue à la mère et lui au père. Et mon mari me manque. »

« Quand mon mari ne me prend pas la main, quand il fait de moi une clémentine, quand il ne me pose pas de questions sur ma journée, quand il ferme les volets et tire les rideaux avant de dormir, quand il me coupe la parole, quand il oublie le prénom d'une collègue dont je lui parle souvent, quand il ne témoigne pas d'une impatience particulière à me retrouver, quand il lâche ma main dans la rue, quand il ne répond pas à l'un de mes appels, quand je le surprends à garder les yeux ouverts lorsqu'il m'embrasse : ces minutes observées donnent à mon mariage un air de chanson triste. Chacune dépose sur nos quinze ans d'amour un goût amer de solitude, d'attente, et d'abandon. Et une minute obscurcit sans effort toutes nos années. »

« A nos débuts, notre paysage amoureux ressemblait à une étendue infinie de dunes ; il évoquait le danger de l'aridité et l'immensité du ciel étoilé, la chaleur étouffante du jour et la froideur soudaine de la nuit. Puis nous sommes devenus un lac : une étendue plate et lisse. J'ai vu mon mari s'habituer à ma présence jusqu'à ne plus la trouver miraculeuse. J'ai vu le désert se transformer en lac. »

Quatrième de couverture

« Excepté mes démangeaisons 
inexpliquées et ma passion dévorante pour mon mari, 
ma vie est parfaitement normale. Rien ne déborde. 
Aucune incohérence. Aucune manie. »

Elle a une vie parfaite. Une belle maison, 
deux enfants et l'homme idéal. Après quinze ans de vie 
commune, elle ne se lasse pas de dire « mon mari ».
Et pourtant elle veut plus encore : il faut qu'ils 
s'aiment comme au premier jour.

Alors elle note méthodiquement ses « fautes », 
les peines à lui infliger, les pièges à lui tendre. Elle se veut 
irréprochable et prépare minutieusement chacun de leur 
tête-à-tête. Elle est follement amoureuse de son mari.

Du lundi au dimanche, la tension monte, on rit, 
on s'effraie, on flirte avec le point de rupture, 
on se projette dans ce théâtre amoureux.

Éditions L'Iconoclaste, août 2021
356 pages
Premier roman - Français 2021


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