vendredi 25 février 2022

Seule en sa demeure ★★★★★ de Cécile Coulon

Un domaine au coeur de la mystique Forêt d'Or, « retranché dans ses bois aux cornes de brume, aux pattes racineuses, aux chemins enfoncés dans la terre comme des plaies », un domaine dans lequel Aimée, la jeune et nouvelle épouse de Candre, riche propriétaire de celui-ci, sera accueillie comme une princesse, son mari et sa bonne, aux petits soins pour elle. Candre est un homme bon. Austère mais bon. Jamais un mot plus haut que l'autre, doux et aimant, proche de la nature et des animaux. Un être extraordinaire. Pourtant, Aimée ne se sent pas à l'aise dans cette demeure, l'inquiétude la gagne. Elle ne sait le définir, mais elle sent que quelque chose ne se passe pas comme cela devrait être ; l'attitude de ses hôtes peut paraître mystérieuse, l'ombre d'un fantôme y plane, les silences y sont prégnants, lourds de paroles secrètement enfouies. Les silences parlent, alourdissent l'atmosphère, et Cécile Coulon a réussi de nouveau à me happer, déchirée entre l'envie de voir tout l'amour qui, et c'est saisissant, inonde ces lieux, où la nature y est belle et sauvage, où la tendresse d'un homme semble pur, où l'on aimerait suspendre le temps, s'y promener, respirer, s'imprégner de cette poésie qui émane des géants épicéas encerclant ce domaine, et l'envie de savoir, de comprendre ce trouble diffus, cette atmosphère oppressante, cette angoisse perceptible, bien ancrée dans ces pages. Le dernier quart, je l'ai dévoré, tournant les pages à une allure effrénée, espérant le velours là où les épines s'élevaient inaltérablement. 
Aimée, Emeline, Angelin, Candre ... de beaux noms qui ont bercé ma lecture. 
Lecture coup de cœur.
Impossible à lâcher. 
Sublime.
Moins viscérale et foudroyante qu' Une bête au paradis, mais tout aussi empreinte de poésie et de mystères. 
Merci Cécile Coulon. Merci.
« Les arbres chuchotèrent jusqu'à l'aube, car tout se passe toujours la nuit, les grands événements se cachent des lumières vives, craignant d'être brûlés. »

« - Dieu a créé l'homme et les animaux terrestres le même jour, répondit-il. Il n'y a aucune raison que je les traite différemment. Sans compter qu'on n'est jamais trahi par un cheval, un cochon ou une abeille. »

« Voilà trois fois qu'ensemble ils parcouraient les terres du clos Deville, qu'ils entraient et sortaient de la salle à manger, du petit salon, qu'ils remontaient l'allée jusqu'au portail, et voilà trois fois qu'Aimée remarquait que Candre ne laissait en sa demeure aucune trace de son passage. Ses chaussures ne modifiaient ni la terre, ni le sable, ni les dalles. Sa main ne plissait pas le linge, les couvertures, les drapés. Ses chevaux attendaient à l'entrée, leurs sabots ne creusaient pas la route ni n'abîmaient les travées du clos. Les roues de son cabriolet ouvert, même par temps de grand vent, laissaient au chemin une ligne légère qui s'effaçait dans la seconde. 
Tout en lui et de lui s'évanouissait. Candre semblait de ce monde comme le sont les animaux sauvages. Il vivait dans la mémoire des autres, dans leurs conversations et leurs paroles. Il héritait de sa famille une histoire dramatique, et vivait chaque jour selon les consignes de son Dieu et les horaires de ses ouvriers. Fin d'esprit, employant avec mesure la repartie non comme une attaque mais comme un bouclier contre les gaillards tels que le cousin d'Aimée, Candre se protégeait, et cela plut à Aimée. Elle avait grandi auprès d'hommes de guerre, de vaillants, à la voix haute, des hommes de force, et soudain Candre semblait si différent, si féminin. Il n'avait ni les manières ni le ton d'une femme ou d'une jeune fille, mais sa façon de ne jamais se mesurer à ses semblables, de vivre selon la loi au-dessus d'eux le rapprochait d'Aimée. »

« A Genève, les rues étaient larges, les manteaux longs et le soleil cuisait les façades. Ici, il lui semblait que les hommes se ratatinaient sous les branches, que les arbres effleuraient la maison comme des animaux sauvages flairent une proie. Le sentiment de liberté qu'elle avait ressenti sur la route s'estompa, et le désir profond, impérieux, de se soumettre à ce lieu la submergea. »

« Dans la joie de son élève, dans sa voix où se mêlaient l'excitation de la nouveauté et l'émotion du souvenir d'enfance, Aimée attendait d'elle une chose que sa professeure n'avait pas l'habitude de donner : un refuge. »

« Cette nuit-là, Aimée s'endormit [...], draps défaits. Les arbres chuchotèrent jusqu'à l'aube, car tout se passe toujours la nuit, les grands événements se cachent des lumières vives, craignant d'être brûlés. »

« Aimée, en montant l'escalier, avait pensé que la mort aurait envahi la chambre. Elle se trompait : seule l'absence nichait dans cette pièce aux murs verts. La mort, elle, attendait dehors qu'on lui amène enfin son nouveau passager. »

Quatrième de couverture

« Le domaine Marchère lui apparaîtrait comme un paysage après la brume. Jamais elle n'aurait vu un lieu pareil, jamais elle n'aurait pensé y vivre. »

C'est un mariage arrangé comme il en existait tant au XIXe siècle. À dix-huit ans, Aimée se plie au charme froid d'un riche propriétaire du Jura. Mais très vite, elle se heurte à ses silences et découvre avec effroi que sa première épouse est morte peu de temps après les noces. Tout devient menaçant, les murs hantés, les cris d'oiseaux la nuit, l'emprise d'Henria la servante. Jusqu'au jour où apparaît Émeline. Le domaine se transforme alors en un théâtre de non-dits, de désirs et de secrets enchâssés, « car ici les âmes enterrent leurs fautes sous les feuilles et les branches, dans la terre et les ronces, et cela pour des siècles ».

Éditions Gallimard, juin 2021
418 pages

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