dimanche 6 mars 2022

Voyage au bout de l'enfance ★★★★☆ de Rachid Benzine

La voix, les mots d'un enfant pour dire l'horreur, la bêtise, la violence, la folie des hommes. Des mots débordants d'innocence et pourtant, ils bousculent et livrent la terreur.
Remarquable récit. Courageux.
Il était Fabien, il avait des amis, un instituteur passionnant et passionné, inspirant, il avait et aimait la poésie; il est devenu Farid, il a gardé la poésie comme soupape mais, in fine il a beaucoup, tout perdu. Daesh, cette inconcevable fanatique organisation, a meurtri sa vie. Il a tenu comme il a pu, avec sa poésie, Prévert et sa douceur, mais il a vu l'horreur, l'innommable. La poésie a fait ce qu'elle a pu.
Tant d'émotions m'ont traversée pendant cette courte lecture. Colère, tristesse et sentiment d'impuissance en primeur.
L'oxygène vient très vite à manquer. Elle est éprouvante cette lecture. Elle est nécessaire aussi.
Rachid Benzine, merci pour ces pages, qui touchent en plein cœur et bouleversent.

« ... quand je serai grand j'écrirai moi aussi Les Misérables parce que c'est ce qu'on écrit toujours quand on a quelque chose à dire. » en exergue, La Vie devant soi, Romain Gary

« Et puis moi j'ai dû dire que je m'appelais Farid. Fini Fabien. Bonjour Farid. Parce que ça faisait plus sérieux à Raqqah. Mes parents m'ont eu avant de se convertir à l'islam. Alors je m'appelais Fabien, tout simplement. Et pourquoi ils faisaient pas tout ça avant, eux, le turban, le niqab ? Mes parents m'ont dit que c'était parce qu'à Sarcelles on faisait semblant d'être comme les autres. De s'habiller comme eux. D'être amis avec eux. Mais moi j'ai jamais fait semblant. Mes copains c'est vraiment mes copains. Et monsieur Tannier, mon maître d'école, je l'aime vraiment beaucoup. Et tous les autres aussi. »

« Les gens sont sensibles au sort des enfants soldats. On dit que ce sont des victimes. Mais seulement s’ils sont pas musulmans. Et elle dit que moi et Selim on n’a jamais été des enfants soldats, on a tué personne. Et pourtant on nous laisse mourir ici. Elle dit même que cette guerre a tué plus d’enfants que de militaires. J’avais jamais pensé à tout ça. Et je vois bien que ça fait de la peine à maman. »

« Je ne savais pas qu'on pouvait écrire autant de conneries avec de la poésie. Là je suis vraiment en colère. Parce qu'à Raqqah on a pu me faire avaler pas mal de choses. Mais utiliser de la poésie pour la gloire d'un calife, alors ça, ça ne passe pas. »

« Il faut être discret avec ces corbeaux. Leur répondre comme si on disait la vérité mais pas laisser paraître. C’est un dur métier, menteur à Daesh. Et moi j’aime pas mentir. Mais maman risque d’être tuée. Alors je fais comme tout le monde. Je dis que maman sera toujours fidèle au calife Ibrahim, je baisse la tête et je passe mon chemin. Une fois, maman a réussi à avoir mamie au téléphone grâce à une femme gentille de Daesh. Il y en a. Je n’ai pas aimé ce qu’a dit maman. Elle a reproché à mamie de lui avoir dit de sortir de Baghouz parce que, c’était sûr, on allait être rapatriés. »

Quatrième de couverture

« Trois mois. D’après maman, ça fait précisément trois mois aujourd’hui qu’on est enterrés dans ce fichu camp. Et ça fait presque quatre ans que j’ai quitté l’école Jacques-Prévert de Sarcelles. » R. B.

Fabien est un petit garçon heureux qui aime, le football, la poésie et ses copains, jusqu’au jour où ses parents rejoignent la Syrie. Ce roman poignant et d’une grande humanité raconte le cauchemar éveillé d’un enfant lucide, courageux et aimant qui va affronter l’horreur.

Éditions Seuil, janvier 2022
80 pages

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