Elle tente d'échapper à ses angoisses, de les atténuer tout du moins, de s'en libérer, d'apprendre à les maîtriser.
Elle a choisi la fraîcheur des montagnes dans un coin reculé du bout du monde. Là où rien ne semble in fine hors d'atteinte.
Guidée par cette urgence de ralentir.
De marcher en pleine nature.
Gravir des sommets.
De sentir, respirer, voir.
Je me suis réjouie avec elle des bruits, des traces, du silence.
Son esprit avait besoin de repos, de retrouver confiance en elle, d'attiser la petite étincelle qui fait se tenir debout et redonne goût à la vie. Celle qu'elle avait perdue justement sous l'emprise d'un homme avec qui elle vivait dans une relation toxique.
J'ai aimé cette lecture.
Simple à lire.
Une lecture de la reconstruction au contact de la nature empreint d'une belle et tendre fraîcheur.
« [...] personne ne pouvait partager sa douleur, qu'il fallait lâcher prise sur la rancœur. [...] en y réfléchissant, elle trouve ça de plus en plus vrai. Que cette quête amère et infinie de gens sur qui s'appuyer est vaine tant que ses jambes à elles ne sont pas solides. Ces derniers mois ont été ça, un apprentissage. Un chantier de consolidation, une manière de se rappeler qu'avant de compter sur les autres, il fallait qu'elle puisse compter sur elle-même. »
Note pour moi-même : Refuge des Espuguettes et cabane d'Estaubé
« Peut-être qu'en effet j'étais la personne la plus seule au monde. Mais peut-être que c'était bien. »
Cheryl STRAYED
« ... le secret de la fuite c'est de savoir pourquoi on s'enfuit et où on va - et de laisser derrière soi les raisons pour lesquelles on part. »
Dorothy ALLISON
« Erin ne se rappelle pas vraiment pourquoi elle était partie aussi loin de la neige à dix-huit ans, pourquoi elle était partie loin du froid qu'elle connaissait. Sa mémoire est embrumée, les années qui viennent de passer sont floues, mélangées. Mais elle sait que quelques années après son départ, quand il était entré dans sa vie, il avait fini par la convaincre qu'elle avait peur de tout, tout le temps. Peur du froid. Peur d'être seule. Peur de ne pas savoir comment faire pour vivre. Qu'elle était une chose fragile, qu'il fallait protéger, isoler et enfermer, pour éviter qu'elle se blesse. Une chose qui avait oublié ce qu'elle avait été avant la peur, avant le repli. Erin se demande s'il serait étonné de la voir là, puis elle secoue la tête pour le chasser et allume la bouilloire. »
« Ce qu'elle savait par contre avec certitude, c'était que chez elle les odeurs étaient plus vives qu'en ville, l'air était plus frais, plus brutal. Elle n'était pas gênée par l'odeur du fumier, ça disait simplement qu'on était sur des terres partagées, rien de plus. Elle ne se lavait pas les mains trois fois par jour et trouvait que la boue salissait moins que le métro. Les couchers de soleil se suffisaient à eux-mêmes et donnaient l'impression d'un cadeau fait par la campagne, un cadeau éphémère qui, quand le ciel était dégagé, teintait les montagnes de violet. »
« Elle a souvent fantasmé le départ, n'a jamais vu dans la fuite une lâcheté spécifique, mais plutôt un moyen de survie, de défense. Partir pour mieux revenir, ou tout simplement partir pour reprendre à zéro, oublier les erreurs, comme si la fuite pouvait annuler les mauvaises rencontres, comme si l'échappée pouvait effacer les souvenirs. L'idée de débarquer dans un lieu inconnu et de choisir qui elle avait envie d'être lui était vertigineuse. À Paris, en s'endormant à ses côtés le soir, elle s'imaginait ailleurs. Sans lui. Le fantasme de pouvoir un jour disparaître l'avait fait tenir debout. Si ça va trop mal, je pars, je pars loin, à l'autre bout de la planète, là où personne ne me connaît, et je recom- mence sans trop savoir ce qu'elle recommencerait, sans savoir quelles parties de sa vie elle garderait et quelles parties elle effacerait et reprendrait à zéro, mais l'angoisse se calmait, le souffle ralentissait, son pouls redescendait. Elle trouvait que fuir demandait moins d'énergie que se battre. »
« Désormais elle doute : est-ce qu'on fuit pour éviter de souffrir ou pour se raccommoder en silence sans troubler personne ? Elle se demande si elle est partie parce qu'elle a honte d'avoir été endommagée, ou pour pouvoir enfin lâcher, enfin regarder dans les yeux cette tristesse qu'elle accueille comme une vieille amie, une couverture rassurante qui la borde les soirs où le monde semble trop glacial. Pour enfin faire l'inventaire des dégâts à la lumière crue des Pyrénées et comprendre comment tout ça pourrait être réparé. À Paris, elle avait eu peur de ne plus savoir être autrement, comme si l'endroit à l'intérieur d'elle-même qui semblait foutu pour toujours était finalement devenu un endroit familier auquel elle s'accrochait, comme si la douleur empêchait l'oubli, comme si aller mieux signifiait trahir celle qu'elle avait été, signifiait que rien de ce qu'elle avait traversé n'était grave. Le mal-être était l'unique preuve visible qu'elle pouvait présenter aux autres, voyez comme il m'a abîmée, voyez comme je n'ai pas menti. En fuyant, elle n'avait plus personne à qui présenter de preuves sinon elle-même. Ce matin, elle a fini un roman de Jean Hegland et elle repense à une phrase qu'elle a notée. L'une des deux héroïnes, voyant ses brûlures aux mains cicatriser, est désemparée. Hegland écrit, guérir était une défaite. Ça a marqué Erin. Est-ce que c'est vrai ? Est-ce qu'elle s'empêche de guérir, comme une condamna- tion à perpétuité ? »
« C'est la forêt qui l'entoure, le versant est de la montagne qui surplombe sa maison, c'est le bruit des chevreuils écrasant les feuilles mortes avant que le soleil se couche, c'est l'odeur de sa chienne au petit matin, avant que les oiseaux se mettent à chanter, c'est tout ça qui la fait se sentir vivante. Et soudainement, accroupie sur ce pas-de-porte, elle voudrait se pardonner d'avoir tant voulu être aimée. »
« Elle reconnaît désormais les mélèzes qui commencent à fleurir, avec leurs discrets cônes rouges qui poussent sur des branches encore éprouvées par l'hiver qui vient de se terminer. »
« - Tu connais le mythe de Sisyphe, Erin, non ? Le rocher qui dégringole de la montagne et qu'il faut remonter, encore et encore ? La vie c'est ça. C'est une suite de remontées et de dégringolades, de refuges au milieu qui redonnent de la force, de désespoir quand on voit la pierre rouler à toute vitesse vers le bas, qu'elle nous échappe des mains et quon ne peut rien faire. Des deuils il y en aura d'autres, beaucoup d'autres, et dans ta vie tu vas pousser cette pierre encore souvent. Des fois, sur le côté, il y aura des gens pour t'encourager, mais tu seras toujours seule à t'arbouter dessus, remplie d'énergie pour la rapprocher du sommet, tu hurleras encore quand elle t'échappera des mains parce que tu auras glissé, mais tu finiras par t'habituer, par apprécier la montée, par la trouver belle, sans te préoccuper du sommet. »
« Elle sait que les gens ont souvent envie de monter toujours plus haut, que pour certains, le sommet a plus de valeur que le chemin pour y arriver. Elle répond à Janine qu'elle a l'impression que c'est un peu différent dans son cas, ou peut-être que ça l'arrange de le penser. Mais c'est vrai, qu'est-ce qui fait qu'elle a le sentiment de défaillir à chaque sommet, à chaque col qu'elle atteint ? Le plus rarement, c'est parce que c'est la fin d'un effort, l'ascension physique qui se termine et qu'elle y est arrivée. Le plus souvent, c'est un sentiment purement esthétique, de l'ordre du sublime. Elle lui raconte qu'elle voudrait prendre une photo à chaque mouvement de lumière, à chaque mouvement de nuage, garder en mémoire ce temps changeant des sommets qui modifie l'aspect de la vue à chaque instant. Qu'elle est soufflée par l'espace qui se dégage devant ses yeux, la hauteur qui change la perspective, elle sourit de voir si loin. Que pour elle, l'arrivée au sommet n'est pas tant une conquête qu'une victoire sur elle-même, une épreuve à franchir. Avoir une vue dégagée à 360° sur des kilomètres, sans obstacle, la remplit d'une joie inexplicable, addictive, transformative. Pour elle, les sommets sont sans équivoque les plus beaux endroits du monde. Probablement qu'à la différence du lieu où elle a grandi, ces sommets-là sont vides, moins touristiques, sans les masses de randonneurs défilant à toute heure. Elle peut en jouir de manière solitaire, ce qui accentue la sensation d'être une invitée dans un espace qui n'est pas chez elle. »
« [...] personne ne pouvait partager sa douleur, qu'il fallait lâcher prise sur la rancœur. [...] en y réfléchissant, elle trouve ça de plus en plus vrai. Que cette quête amère et infinie de gens sur qui s'appuyer est vaine tant que ses jambes à elles ne sont pas solides. Ces derniers mois ont été ça, un apprentissage. Un chantier de consolidation, une manière de se rappeler qu'avant de compter sur les autres, il fallait qu'elle puisse compter sur elle-même. »
Quatrième de couverture
Elle trouvait que fuir demandait moins d'énergie que se battre. Désormais elle doute : est-ce qu'on fuit pour éviter de souffrir ou pour se raccommoder en silence sans troubler personne ?
Après plusieurs années d'une relation d'emprise avec un homme, Erin a trouvé la force de s'échapper pour recommencer sa vie seule. Du jour au lendemain, elle adopte une chienne qui devient une compagne indispensable, loue une maison isolée dans un village des Pyrénées où elle n'a plus à craindre d'être jugée, et se réapproprie son quotidien, en apprenant à vivre au rythme des saisons et de la nature.
Après le succès des Orageuses, Marcia Burnier nous offre un deuxième roman de résistance et de reconstruction qui aborde Davec force les questions de violences, de consentement et de domination patriarcale au sein du couple.
Éditions Cambourakis, septembre 2023
150 pages
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire