mardi 7 juillet 2020

Voyage aux pays du coton ★★★★☆ de Erik Orsenna

Un voyage enrichissant, instructif aux pays du coton, un petit précis sur la mondialisation qui s'est organisée autour de l'exploitation du coton. 
« Pour récolter, on a besoin de bras. Une mondialisation s'organise. L'Afrique, pour son malheur, entre dans la danse. L'industrialisation et l'esclavage avancent main dans la main. Tandis que Manchester et ses alentours se couvrent d'usines, Liverpool devient, pour un temps, le centre de la traite des Noirs. »
Et les conséquences de la culture du coton sur l'environnement, rentrant en jeu dans l'assèchement de la mer d'Aral, sur la santé, les conséquences d'une accélération par l'homme des horloges de la Terre.

Une longue et belle route du coton de par le monde, sur cinq continents, du Mali au Texas, où la gloire est au lobby, du Brésil, la plus grande ferme du futur asphyxiant la plus grande forêt du monde, de l'Egypte à l'Ouzbékistan, de la cité de la chaussette à Datang en Chine à la Vologne française.
« Le coton n'est pas le pétrole. Mais permet d'exister bel et bien dans le jeu des nations. »
Une belle et riche  promenade dans les histoires et anecdotes autour du coton, de son agriculture et de son industrie, glanées par Erik Orsenna, qui nous les raconte magnifiquement.
Plusieurs points de vue  économique et politique, historique et géographique qui rendent ce livre absolument captivant.
« « Un homme qui passe remarque un arbuste dont les branches se terminent par des flocons blancs. On peut imaginer qu'il approche la main. L'espèce humaine vient de faire connaissance avec la douceur du coton. »Deux mille ans plus tard, la première leçon d'un tour du monde est celle-ci : sur terre, la douceur est une denrée rare, et chèrement payée. »

« Les matières premières sont les cadeaux que nous fait la Terre. Cadeaux enfouis ou cadeaux visibles. Cadeaux fossiles, cadeaux miniers qui, un jour, s'épuiseront. Ou cadeaux botaniques que le soleil et l'activité de l'homme, chaque année, renouvellent.
Les matières premières sont des cadeaux qui parlent. Il suffit d'écouter. Elles nous chuchotent toutes sortes d'histoires à l'oreille : il était une fois...., dit le pétrole ; il était une fois..., dit le blé.
Chaque matière première est un univers, avec sa mythologie, sa langue, ses guerres, ses villes, ses habitants : les bons, les méchants et les hauts en couleur. Et chaque mati-re première, en se racontant, raconte à sa manière la planète. »

«Quand on vit au milieu de rien, mieux vaut s'accrocher à quelque chose. L'Europe quittée. Lübeck.
Qui deviendra Lubbock.
Lubbock est plate. Dans cette région de l'ouest du Texas, le sol n'éprouve aucun besoin de fantaisie. Horizontal la nature l'a fait, horizontal il demeure. Pas la moindre colline, aucune amorce de vallée, jamais. Les humains ont compris cette leçon d'humilité, le message de leur terre. Ici, le gratte-ciel n'est pas de mise. On construit bas. On s'écrase. »

« Pour nourrir la planète, faut-il l'asphyxier ? »

« Les tisseurs anglais cherchaient à donner de la valeur à leurs produits. La méthode française de tissage leur plut. Ils décidèrent de l'adopter et aussi de lui fabriquer un nouveau nom. « Serge » pouvait être oublié, puisque que la laine et la soie n'étaient plus employées. Quant à l'origine, « de Nîmes », on allait la contracter pour plus de commodité. Le mot denim était né, qui allait bientôt désigner les cotonnades les plus sommaires et les plus solides.
Pendant ce temps, les marins de Gênes utilisaient des pantalons particulièrement résistants, faits d'un mélange de coton et de laine ou de lin. Leurs collègues français les adoptèrent et les baptisèrent gênes, qui devint jean. Un peu partout, en France et en Angleterre, on se mit à tisser ce produit miracle. »

« [...] les Chinois ont inventé l'ouvrier idéal. C'est-à-dire l'ouvrier qui coûte encore moins cher que l'absence d'ouvrier. »

« Comment mesurer l'amour ?
Chacun sait que l'instrument n'est pas encore né, capable d'apprécier, sans risque d'erreur et par-delà les illusions, l'intensité de nos sentiments. Si divers sont les objets de l'amour et les manières d'aimer...
Pourtant, dans la catégorie « amour botanique », sous-catégorie Gossypium, un nom se détache, dont nul ne constatera la prééminence.
Chez Mohamed El-Hossainy el-Akkad, l'amour du coton atteint une force, une plénitude, un savoir, une passion, une tendresse que, de la Chine au Texas et du Brésil à l'Ouzbékistan, je n'ai rencontrés chez aucun autre être humain. »

« Le vrai tissage est le lien qui se développe entre les humains. »

« - Il faut remercier le soleil. Parmi tous les autres pays, c'est l'Egypte qu'il a choisie pour donner le meilleur de lui-même. Des études ont été faites : le coton, durant toutes les semaines où il pousse, a besoin de chaleur, mais surtout d'une grande stabilité de température. Chaque année, le soleil nous fait ce cadeau. Peut-être, la nuit aussi, continue-t-il de s'occuper de nous ?
- Pourquoi le coton ? Pourquoi mener pour lui tant de batailles, supporter tant de risques ? Vous ne regrettez pas vos anciens métiers ?
- Il y a tous les métiers dans le coton, de l'agriculture à la finance. Un bon négociant doit tout savoir à tout moment de la Chine et de l'Amérique, de l'Australie et de l'Ouzbékistan. Un bon négociant est à l'écoute permanente de la planète. [...]
- Et puis le coton aime la paix. Quand le coton va bien, c'est que le monde est calme et digne. »

« Comment à partir de paisibles croyants crée-t-on de farouches islamistes ? L'Asie centrale semble avoir un talent particulier pour multiplier ce genre de fabriques. »

« Depuis que la mer n'est plus là, des experts en catastrophes se relaient pour venir expertiser. Il est vrai qu'au palmarès des catastrophes, la disparition de la mer d'Aral occupe une place de choix.
Catastrophe écologique : extinction d'une dizaines d'espèces, stérilisation de milliers d'hectares du fait des sels toxiques transportés par le vent. Catastrophe économique : pêcheries et conserveries fermées, chômage massif. Catastrophe médicale : cancers (de la gorge, de la thyroïde), hépatites, affections respiratoires, intestinales. Catastrophe météorologique : climat régional de plus en plus chaud, de plus en plus sec...»

« La honte soudain me prend de m'intéresser au coton : lui aussi s'attaque au vert. Éternelle bataille entre les cultures qui nourrissent et celles qui enrichissent (cultures vivrières contre cultures d'exportation). »

« Au sortir de Shanghai, le voyageur croyait trouver des rizières ponctuées d'aigrettes, des bosquets de bambous, quelques buffles, au loin, tirés par des enfants, bref, ces paysages qu'on appelle communément « la campagne » et qui reposent l'âme.
Pauvre voyageur !
Quelqu'un lui a volé son Asie éternelle.
Trois cent kilomètres durant, des chantiers vont l'accabler, des grues, des tours, des ponts, des usines, des villes entières flambant neuves, des échangeurs, des rocades et de nouveau des usines, encore et toujours des usines, les unes à peine achevées, les autres cachées derrière des bâches vert sombre et d'autant plus menaçantes.
Et, pour le cas où il n'aurait pas deviné, pauvre voyageur, le rêve chinois, de gigantesques panneaux multicolores lui présentent l'avenir proche, ô combien radieux. Ici une marina lacustre, The Splendid City. Là un parc de loisirs, A Paradise for Children, Les idéogrammes suffisent auraient suffi. Pourquoi ces traductions anglaises sinon pour planter le clou de l'humiliation sur la tête de l'étranger que le décalage horaire, déjà, chamboule ? »

« Nous sommes de courts vivants. L'arbre, né bien avant nous, nous survivra des siècles. Je parle de l'arbre digne de ce nom. Pas l'arbre de pépinière. Lequel vivra moins qu'un homme.
Les directeurs de ces pépinières ne peuvent que s'être déclarés en guerre contre le temps. Ainsi, on croit deux fois triompher de lui : en économisant sur l'enfance et en abrégeant l'arbre.
L'espace est une grandeur simple. Peu ou prou, tous les peuples y livrent bataille de la même manière. 
Le temps est une autre affaire. Un pays bien plus retors. Où se révèlent les civilisations. »

«Aux quatre coins, des banques rivalisent par voie de panneaux ou de calicots. Peu ou prou, les discours se ressemblent. Elles rappellent premièrement que la Chine est le pays de tous les possibles, deuxièmement que le crédit est le meilleur ami de l'homme (industrieux), troisièmement qu'attendre c'est reculer. »

« Le néon est l'autre télévision de la Chine.
- Pourquoi tant travailler ?
A cette question cent fois posée, la première réponse s'impose : pour gagner une vie meilleure. Mais une autre raison, souvent, est ajoutée : pour tuer l'ennui.
Alors on doit s'ennuyer ferme, durant les nuits de Chine, à voir tous ces néons allumés jusque dans les coins les plus reculés. »

« « Un euro le jean ! »
Comment ne pas prendre cette annonce pour ce qu'elle est : une insulte au travail ?
Ainsi va l'espèce humaine de nos pays développés. Elle vitupère la mondialisation et se précipite dans ses temples : les hypers, les mégas, les mammouths et autres mousquetaires du commerce à prix cassés (sur le dos de qui ?). »

« Voyager, c'est glaner.
Une fois revenu des lointains, on ouvre son panier. Et ne pas s'inquiéter s'il paraît vide. La plupart des glanures ne sont pas visibles : ce sont des mécomptes ou des émerveillements, des parfums, des musiques, des visages, des paysages. Et des histoires. »

Quatrième de couverture

« Cette histoire commence dans la nuit des temps. Un homme qui passe remarque un arbuste dont les branches se terminent par des flocons blancs. On peut imaginer qu'il approche la main. L'espèce humaine vient de faire connaissance avec la douceur du coton. 
Depuis des années, quelque chose me disait qu'en suivant les chemins du coton, de l'agriculture à l'industrie textile en passant par la biochimie, de Koutiala (Mali) à Datang (Chine) en passant par Lubbock (Texas), Cuiabá (Mato Grosso), Alexandrie, Tachkent et la vallée de la Vologne (France, département des Vosges), je comprendrais mieux ma planète.
Les résultats de la longue enquête ont dépassé mes espérances.
Pour comprendre les mondialisations, celles d'hier et celle d'aujourd'hui, rien ne vaut l'examen d'un morceau de tissu. Sans doute parce qu'il n'est fait que de fils et de liens, et des voyages de la navette. »
E.O.

Erik Orsenna est conseiller d'Etat et président du Centre international de la mer.
Calligraphie de François Cheng : « Coton », en chinois. Le trait de gauche représente l'arbre. En haut à droite, le carré-rond avec un point en son milieu figure le soleil, c'est à dire le blanc. L'ébauche de trame, en bas à droite, est le tissu.

Éditions Fayard, avril 2006
285 pages

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