mardi 11 août 2020

Les ronces ★★★★☆ de Cécile Coulon

« Pour moi, depuis que je ne vous vois plus,
je suis comme un ami qui n'a plus d'amis,
comme un père qui a perdu ses enfants,
comme un voyageur qui erre sur la terre, où je suis resté seul.»
Bernardin de Saint-Pierre, Paul et Virginie

Un beau bouquet épineux de poèmes touchant, empreint de nostalgie, de violences également. J'y ai retrouvé la force de l'écriture de l'auteure, la passion des mots que j'avais appréciées dans Trois nuits d'orage, et plus récemment dans Une bête au paradis. Une écriture viscérale.
Des ronces qui piquent, qui émeuvent, qui égratignent et laissent des traces dans le coeur du lecteur, le raccrochant à la vie, au temps qui passe, des souvenirs de l'enfance, des images de paysages qui défilent, la terre des volcans, le pays d'Eyzahut, qui sous la plume poétique de Cécile Coulon deviennent des petits paradis terrestres. 
La nature, la terre, l'Amour, la solitude, la trahison, la douleur, la famille ... autant de thèmes brassés au fil de ces lignes émouvantes, touchantes, imprégnées de sincérité et d’authenticité.  
Des vers écorchés aux comparaisons parfois déconcertantes ; mais une lecture qui m'a beaucoup plu.
Merci Cécile Coulon pour cette escapade.

PUISQUE J'AI TON SANG
« [...] 
Ceux qui restent sont les tombeaux
Des gens que nous aimons
Une dernière fois sur la colline
Nous avons hissé ton drapeau
Rappelé nos promesses et gravé ton prénom
Déposé ton corps dans sa cabine
Les secrets que ton absence emporte
Il nous reste le sang
D'une toute petite dame pour ses tout petits enfants. »


J'AIMERAIS VOUS OFFRIR DES FRITES
« [...]
Sera-t-on encore quelques-uns à se serrer la main
à cette heure-ci du soir,
pour une barquette de frites tièdes et un Coca sans glace ?
Je voudrais que la poésie soit aussi naturelle à ceux
qui m'entourent que l'émotion
qui jaillissait cette nuit-là, devant cette place,
avec cette facilité improbable des moments qui n'auraient
pas dû être,
qui furent tout de même, mal fichus, débordants de grâce
et de paroles impossibles. »

LES HERBES SAUVAGES
« [...]
dans les chambres d'enfance, derrière les volets entrouverts,
là où les ombres se déplacent
et jouent la même mélodie, toujours, sur un piano imaginaire,
dans les nuits qui tombent plus vite qu'une gifle,
dans les aubes qui se lèvent en couleurs,
plus flamboyantes que les plumes d'un oiseau merveilleux,
dans les palais du bout du monde,
dans les caresses qui chuchotent,
dans les souffles qui grondent,
ma fièvre, mon amour,
garde-moi encore un peu. »

INTERLUDE
« ce visage endormi que tes yeux éclaboussent
de ce bleu si profond où la nuit
je ramasse
ce qu'il faut de trajets de tes lèvres 
à ma bouche
pour pouvoir le matin s'arrêter
se suspendre au bord
du temps qui passe
comme deux grands oiseaux
alourdis par la pluie 
font sécher au soleil
leurs plumes d'oreillers »

EYZAHUT
« Comme toujours, il faut rentrer. Quitter les montagnes
pour d'autres montagnes. Quitter les ancêtres
pour d'autres ancêtres. Le même sang. La même pierre.
Les lacets de goudron entre les forêts
aussi profondes que les ravins qui les bordent.
Comme toujours, il faut rentrer. Quitter les troupeaux
pour d'autres troupeaux. Quitter une église pour 
une cathédrale plus noire que les nuits d'ivresse sage
que nous passons là-bas, dans l'espoir
stupide de trouver, à l'ombre d'Eyzahut,
un peu de cette bienveillance naturelle
que nous ne possédons plus
qu'en bribes spontanées.
[...]
En attendant d'avoir cet ultime courage
de ne ressembler qu'à nous-mêmes,
comme toujours, il faut rentrer. 
Quitter les piscines vides. Ranger les cendriers.
Sur le chemin du retour, ne reste que la lumière
qui traverse en diagonale le visage endormi
de la France et les soleils superbes
qui s'écrasent en bouquets
sur les falaises d'Eyzahut
où nous aurions voulu
rester. »

UNE FOIS PAR JOUR
« [...]
Si tu veux te remettre d'une rupture, d'un deuil, cesser d'avoir
honte de ce que tu es et pardonner au monde extérieur
ses innombrables trahisons, mensonges
et croche-pattes,
travaille comme un âne du dix-huitième siècle,
avec acharnement et en silence,
bois souvent mais jamais seul,
fais-toi jouir une fois par jour au moins,
pour que ton corps se souvienne de ce que ça fait,
de plus jouir est excellent pour le sommeil
et contre les mauvaises pensées,
ouvre les fenêtres en plein hiver le froid ça occupe la tête
et ça empêche de pleurer
ne garde rien de ce qui t'a fait tant de mal, les lettres,
les photos, les listes de courses, 
les partitions, les marque-pages,
ne garde rien, ne jette rien non plus,
fais-en cadeaux à quelqu'un qui trouvera ça beau,
travaille comme un cheval du moyen âge,
mange une seule fois dans la journée,
la faim ça occupe la tête et ça empêche de pleurer,
[...]
fais-toi jouir une fois par jour au moins,
pour que ton corps se rappelle que tu en es capable,
fume, mais pas dans ton lit
fume, mais pas dans les toilettes
fume, mais pas en regardant les voisins
qui s'embrassent sur la terrasse
si tu veux t'en sortir, nom de dieu,
fais absolument ce que tu veux de ta vie et cesse donc
de poser la question à quelqu'un qui a mis du temps
avant de trouver ses propres réponses. »

DIFFICILE
« [...]
En vieillissant je sais que mes peurs vont m'aveugler,
que je serai paralysée d'angoisses, incapable de prononcer
certains mots, incapable de revoir certaines personnes,
incapable de m'abandonner à certaines émotions,
incapable de tant d'actes qu'il faudrait une autre poème
pour les lister tous.
Alors j'écris ces choses-là pour, le jour venu, me rappeler
que j'ai eu dans ma jeunesse la possibilité du langage.
Je veux te dire que c'est difficile
de t'aimer comme je t'aime
sans un mot, sans un geste tendre, avec cette flaque
suppliante au fond des yeux et cette rage au bord des lèvres.
[...] »

MA FORCE
Ma force c’est d’avoir enfoncé mon poing sanglant
dans la gorge du passé
Ma force n’a pas d’ailes
Ni de griffes
Ni de longues pattes
Ma force a construit un peu d’humanité
Ma force a toujours soif
[...]
Ma force souffre en silence
Ma force m’accompagne
Elle m’a si souvent ramassée
Ma force est légère
Ma force ne m’oublie pas
Quand je crois l’avoir l’oubliée
Ma force n’est pas un don du ciel
Ma force n’est pas un don du sang
[…]
Ma force est fragile
Ma force ne demande rien
Ma force a toujours faim
Ma force a toujours froid

LA PARTIE
« Il y a des jours comme ça
où je me demande si
la partie est terminée
ou si, au contraire,
elle vient juste de commencer.
Aujourd'hui est un de ces jours-là
sauf qu'il dure depuis dix ans,
déjà.
Je commence à trouver le temps 
long.
En plus de ça, depuis ce matin
je me demande si un poème
est le début, ou la fin 
d'un énième chapitre.
J'en suis arrivée à la conclusion suivante :
un poème c'est quelque chose
d'éphémère et joli
comme la signature d'un doigt
sur la buée d'une vitre. »

Quatrième de couverture
On se remet de tout
mais jamais
à l'endroit.

Cécile Coulon est née en 1990, en Auvergne, à Clermont-Ferrand, ville qu'elle habite, et qui l'habite encore aujourd'hui. Elle a commis de nombreux romans aux éditions Viviane Hamy, dont Le Roi n’a pas sommeil, prix France Culture / Nouvel Observateur et Trois saisons d’orage, prix des Libraires. Les Ronces est son premier recueil de poèmes.

Éditions Le Castor Astral , mars 2018
163 pages
Prix Apollinaire 2018
Prix Révélation poésie de la SGDL 2018

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