mardi 11 août 2020

Le coeur de l'homme ★★★★☆ de Jón Kalman Stefánsson

« Un antique traité des médecine arabe
affirme que le coeur de l'homme
se divise en deux parties,
la première se nomme bonheur,
et la seconde, désespoir.
En laquelle nous faut-il croire ? »

Après Entre ciel et terre et La tristesse des anges, Le coeur de l'homme vient clore cette bouleversante trilogie. 
« Où s’achèvent les rêves, où commence le réel ? Les rêves proviennent de l’intérieur, ils arrivent, goutte à goutte, filtrés, depuis l'univers que chacun de nous porte en lui, sans doute déformés, mais y a-t-il quoi que ce soit qui ne l’est pas, y a-t-il quoi que ce soit qui ne se transforme pas, je t’aime aujourd’hui, demain, je te hais – celui qui ne change pas ment au monde. »
Quand les histoires et la vie nous sont aussi bien contées, avec tant de poésie, comment ne pas succomber aux mots de  Jón Kalman Stefánsson ? 
Comme à son habitude, il nous transporte en Islande, à la fin du XIXème siècle, île brûlée par les feux de la terre et battue par les vents et nous donne à réfléchir sur le sens de la vie. Préjugés. Cupidité. Cruauté. Violence. Égoïsme. La différence. Les traditions. 
« Pourquoi n'avons-nous pas le droit d'exister en paix, s'était insurgé le gamin, pourquoi n'a-t-elle pas le droit de vivre comme elle veut ? 
Kolbeinn : Parce qu'ils ne supportent pas de voir quiconque debout. C'est en cela qu'ils ne sont que des misérables, cela dérange leur digestion de ne pas pouvoir tout régenter. C'est une véritable maladie. Et Geirþrúður les dérange. » 
De nombreux personnages, hauts en couleur.
Une plume poétique pour nous parler du temps, de la mort et de l'oubli, pour nous conter la haine et les rancoeurs, pour mettre un peu de chaleur dans l'atmosphère glaciale et enneigée qui règne sur ces pages, pour nous parler d'amour aussi.
« L'homme est né pour aimer, les fondements de l'existence sont aussi simples que ça. Voilà pourquoi le coeur bat, étrange boussole ; grâce à lui, nous trouvons aisément notre route à travers les brumes opaques où les périls nous guettent de tous côtés, à cause de lui, nous nous perdons et nous mourons en plein soleil. »
J'ai beaucoup aimé cette lecture mais pour être tout à fait honnête, je pense, à mon humble avis, que Jón Kalman Stefánsson s'est laissé emporté par le vent des mots, le rythme est irrégulier, les phrases parfois bien longues, alourdissant la lecture et l'on peut facilement s'y perdre dans la multitude des personnages.
Une lecture qui pourrait donc en dérouter quelques uns, mais une lecture que j'ai tout autant appréciée que les précédents opus, tout aussi envoûtante.
« Notre plus grande tristesse est de n'exister plus. Nous n'avons pas oublié ce que c'est qu'abriter en sa poitrine l'étincelle de la vie. C'est le plus grand étonnement que nous ayons pu connaître, d'où provient cette force, cette lumière immense, terrifiante ? Les étoiles scintillent au-dessus de nos têtes, les oiseaux nous traversent de leur vol et nous avons maintenant conté cette histoire jusqu'au bout. Nous sommes allés puiser les mots dans l'abîme de la mort et dans les grands espaces de la vie, des coeurs ont battu, des plaies se sont ouvertes, nous avons retracé les choses telles qu'elles sont ou ne sont pas advenues, nous avons effectué un si long voyage en quête de tous ces mots qu'il ne reste presque plus rien de nous - et maintenant nous sommes presque uniquement constitués de silence. » 

« Où est la vie, si ce n'est dans un baiser ? »

« Le silence a des natures diverses. Parfois, les gens se taisent car quelque chose est survenu dans leur vie, un événement que les mots ne peuvent cerner, que le langage est impuissant à circonscrire et c'est ce qui se passe en ce moment lorsque ces deux hommes se taisent. L'un est debout, l'autre allongé, le troisième s'est égaré, il est mort, il s'est endormi dans la neige - il est le silence. Tant de choses nous sont arrachées, et pour finir, tout. La mort semble parfois cerner nos existences comme l'espace noir entoure la Terre, cette planète bleue, ce hurlement bleuté envoyé dans l'immensité de l'Univers, ce cri vers Dieu, vers un but. »

« Où résident le bonheur et la plénitude si ce n'est dans les livres, la poésie et la connaissance ? »

«  L'homme est né pour aimer, les fondements de l'existence sont aussi simples que ça. Voilà pourquoi le coeur bat, étrange boussole ; grâce à lui, nous trouvons aisément notre route à travers les brumes opaques où les périls nous guettent de tous côtés, à cause de lui, nous nous perdons et nous mourons en plein soleil. »

« [...] il est douloureux d'être oublié, tellement douloureux, vos épaules s'affaissent, vos yeux perdent leur éclat, la solitude s'infiltre dans le corps et se met à tuer les cellules [...].»

« [...] il envoie des mots qui changeront une vie. »

« Ton ami est mort à cause d'un poème étranger, n'est-ce pas ?
Le gamin : Non, il est mort parce qu'ici le poisson compte plus que la vie. »

« La lecture élargit l'horizon de la vie, la vie devient plus grande, elle devient autre chose, explique le gamin, c'est comme si on possédait une chose que personne ne pourra jamais nous enlever, jamais, répète-t-il, et ça vous rend plus heureux. »

« Le plus difficile dans cette vie est de ne jamais pouvoir se fuir soi-même, quitter son existence, enfermé que nous sommes dans un étui, dans un monde qui ne disparaît jamais, sauf à l'occasion de quelques rêves, et qui vous revient dès que vous ouvrez les yeux, comme peut-on supporter ça ? Le pire est de ne pas savoir vivre, de connaître toutes les notes, mais de ne pas saisir la mélodie. Gísli est assis parmi les mottes d'herbe humides et douces, il regarde quelques mouettes qui planent devant la paroi des montagnes, portées par un courant ascendant, elles savent le faire, elles savent se laisser planer, reposer leurs ailes, elles savent vivre, et pourtant, elles ne pensent jamais. Elles volent haut dans le ciel. Le soleil est au-dessus des montagnes à l'est et il scintille sur elles, il les éclaire, on peut les voir de loin, même Gísli les aperçoit malgré ses yeux fatigués. Il regarde. Puis un nuage vient occulter le soleil, et alors on dirait que la lumière s'éteint dans le corps des oiseaux, ils disparaissent, mais Gísli, hélas, ne disparaît pas, il est assis là, condamné à se supporter. »

« L' homme est d'une nature cruelle, nous devons nous garder d'admirer ceux qui s'élèvent au plus haut tant que nous ignorons ce sur quoi ils se tiennent, leurs propres jambes ou la vie des autres. »

« Puis c'est terminé, oublié, les brins d'herbe se redressent, la brise a perdu le souvenir de cette tourmente, aucune tempête n'est jamais parvenue à dissoudre le quotidien au point qu'il ne puisse s'en remettre. Le quotidien est l'herbe de la vie, dit-on quelque part, sans lui, rien n'advient. »

« [...] affreuse négligence que ne pas lester la cale d'un navire, car toute chose a besoin d'une manière d'équilibre, que ce soient les bateaux ou les êtres. Les navires nécessitent un lest venu d'un monde matériel et il est aisé de veiller à le leur procurer, c'est un travail facile pour le corps, il faut consentir à plus de sacrifice et avoir plus de résistance si on veut parvenir à lester sa vie, certains appellent cela le bonheur, d'autres la sécurité, les mots, comme toujours, ne font que décrire notre for intérieur. »

« Peut-on oublier toute chose, cerné par les mottes d'herbe, lorsqu'on est plus près du ciel que du quotidien ? Le jour éparpille les oiseaux sur la lande, ces notes entre les cieux et la terre, les mottes d'herbe sont des chiens qui sommeillent, les ruisseaux, une musique scintillante et limpide, en de telles journées les landes sont une tranche du pays de l'éternité. »

« On n'a sans doute pas besoin de savoir grand-chose de la vie, il suffit d'y entrer. Et de savoir l'accueillir lorsqu'elle vient à nous. »

« L'art possède le dangereux pouvoir d'engendre le rêve d'une vie meilleure, plus juste et plus belle, le pouvoir de réveiller la conscience et de menacer le quotidien. »

« Il y a une différence capitale entre la capacité à dire de grands mots et le fait d'être grand. Et peu d'occasions nous sont offertes d'en apporter la preuve. Je me dis parfois que nous sommes commandés par de grands mots que de petits hommes profèrent. »

« [...] l'amour vous prive parfois de discernement, le désir, de conscience. »

« Le temps n'est qu'illusion, la seule unité de mesure qui vaille est la vie. »

« Ceux qui n'ont jamais trahi la vie ne redoutent pas la mort. »

Quatrième de couverture

    « Où s’achèvent les rêves, où commence le réel? Les rêves proviennent de l’intérieur, ils arrivent, goutte à goutte, filtrés, depuis l'univers que chacun de nous porte en lui, sans doute déformés, mais y a-t-il quoi que ce soit qui ne l’est pas, y a-t-il quoi que ce soit qui ne se transforme pas, je t’aime aujourd’hui, demain, je te hais – celui qui ne change pas ment au monde. »
    Jens le postier et le gamin ont failli ne pas sortir vivants de cette tempête de neige, quelque part dans le nord-ouest de l’Islande. Ils ont été recueillis après leur chute par le médecin du village, et le gamin, une fois de plus, a l’impression de revenir à la vie. Nous sommes au mois d’avril, la glace fondue succède à la neige et au blizzard. Après avoir repris des forces et fait connaissance avec quelques habitants comme cette jeune femme à la chevelure rousse qui met en émoi le gamin, tous deux peuvent finalement reprendre le bateau pour retrouver une autre communauté villageoise, celle de leur vie d’avant : la belle veuve Geirþrúður, farouchement indépendante, le capitaine aveugle et sa bibliothèque, puis Andrea, la femme du pêcheur Pétur qui rappelle au gamin le pouvoir des mots. Il lui a écrit une de ces lettres qui transforment un destin, l’enjoignant de quitter son mari au cœur si sec...
    Conjuguant le romanesque du récit d’aventure à la poésie du roman introspectif, porté par une narration où chaque mot évoque avec justesse les grandes questions existentielles – le passage du temps, l’éveil au désir, l’espoir d’une vie meilleure – aussi bien que la réalité de l’Islande de la fin du XIXe siècle, Le cœur de l’homme nous offre une lecture tout simplement bouleversante.

Jón Kalman Stefánsson, né à Reykjavík en 1963, est poète, romancier et traducteur. Son oeuvre a reçu les plus hautes distinctions littéraires de son pays. Entre ciel et terre (2010) puis La tristesse des anges (2011), tous deux parus aux Éditions Gallimard, l'ont révélé au public français et ont consacré l'auteur sur le plan international. 

Éditions Gallimard, janvier 2013
455 pages
Traduit de l'islandais par Éric Boury

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