mardi 11 août 2020

À crier dans les ruines ★★★★★ de Alexandra Koszelyk

Le 26 avril 1986, le réacteur n°4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl (Ukraine) explose. Des quantités énormes de radioéléments sont projetés dans l'atmosphère, irradiant des centaines de milliers de personnes. La faune et la flore sont également lourdement touchés. 
À crier dans les ruines nous propulse au coeur de ce drame. 
Une lecture chargée d'émotions. 
Un cri douloureux, un cri nécessaire, un cri qui terrasse. 
Un cri de désolation, de tristesse. 

Des descriptions remarquables de la nature ukrainienne avant et après la catastrophe.

Deux adolescents amoureux aux destins brisés, Léna et Ivan, séparés par la force des choses. La famille de Léna a fait le choix de l'exil. Léna a été contrainte de suivre; elle est persuadée qu'Ivan n'est plus. 
« Face à elle, le réel d'une vi(ll)e à jamais engloutie. »

Vingt ans plus tard, Léna, tiraillée entre deux mondes, revient sur les traces de son passé, revient à ses racines. Malgré les maux, les douleurs, les pertes...subsiste l'espoir.

Un roman puissant, poignant, bouleversant, riche de références littéraires et culturelles, à découvrir absolument !

Un temps suspendu par la grâce des mots.
Merci Alexandra Koszelyk !

« Face à Léna, la nature est hostile. Un vent au chant guerrier emplit ses oreilles. Un tapis d'herbes radioactives se dresse, ses extrémités sont aussi pointues que des lances de soldats. Sur cette terre, les hommes ne sont plus les bienvenus : la nature est devenue la reine, tous ses pions sont tombés en 1986. Elle est une amazone, et défie quiconque veut s'en approcher. Que reste-t-il de Pririat ? »

« Immobile, Léna contemple les vestiges conséquences de la démesure des hommes : le vertige est abyssal. Il lui est impossible de superposer deux réalités : les souvenirs de son enfance n'arrivent pas à se  fixer sur ces ruines. Face à elle, le réel d'une vi(ll)e à jamais engloutie. »

« L'enfance de Léna se balance silencieusement, vide de ses rires. »

« Le temps n'eut plus de prise sur eux. Les parents étaient loin. Leur imagination possédait déjà cette force des mythes éternels. »

« Léna se souviendrait de ces instants où la nature veillait sur elle et Ivan, de leur force et de leurs rêves. Un pays de l'enfance auréolé de brume. »

« [...] quand le dernier instant se fige, quand on sait qu'il portera le nom de « dernier », alors l'instant revient et perfore l'inconscient. Si j'avais su... »

« Le mot « jamais » ne faisait pas partie de son vocabulaire. La jeune fille connaissait l'éphémère, le présent et le rire. »

« Il est des terres où des hommes sont plus enclins à voir le destin s'acharner. Perte de territoires, perte d'identité, peuple déchiré, nature bafouée, l'Ukraine se détricotait chaque saison. Dans ce train de l'exil, se tenaient plusieurs familles slaves : ils n'avaient jamais aussi bien porté leur nom d'esclaves, au corps cousu de cicatrices béantes. »

« Natalia faisait partie du passé. Un H s'était inséré, telle la hache qui fend la bûche, et le A prononcé bouche ouverte avait été remplacé par un E fantôme. Deux lettres pour tout changer. Leur vie d'avant était rayée de la carte, comme soufflée et enfouie sous des tonnes de catacombes irradiées. »

« Seule, face à l'océan, elle cria dans ses ruines. Elle revint avec un coeur funambule : l'absence piétinait la peine et l'espoir réunis. »

« Les guerres éloignent les peuples, les légendes les rassemblent. »

« Ce n'est pas la beauté de la capitale qui la marqua, mais son empreinte géométrique. Ici, nulle vision organique. La nature s'était retirée au profit de l'urbanité. »

« Il est des images que l'on garde à l'abri, dans le creux de nos cicatrices. Elles possèdent le goût de la glaise fraîchement retournée et le bruit de la pelle qui heurte des cailloux. »

« L'homme soumet la nature, il la polit à son image. Il a alors l'impression de lui être supérieur. A l'époque des plans quinquennaux, les dirigeants soviétiques pensaient qu'allier science et technique serait l'avenir de l'homme, la réponse à tout. Une sorte de démesure humaine encore une fois. Les scientifiques n'avaient aucune limite. La Sibérie était vaste, sauvage, loin de tout : il n'y aurait aucune conséquence, pensait-on ingénument. A coups d'explosions nucléaires, les scientifiques ont détourné des fleuves pour irriguer les champs de coton, au détriment de la mer d'Aral qui a vu son cours d'eau s'assécher. »

« Sous un soleil de plomb, la terre criait ses ruines, la cendre se faisait cendre régénératrice. »

« Sais-tu que les vins de 1986 ne sont pas bons ? Se peut-il que la terre sache ? Que le vin porte une trace ? Si loin de Tchernobyl ? En France ? Là, sous nos pieds, des ramifications souterraines ? De nos yeux d'hommes, nous ne percevons pas ces secousses telluriques, mais la terre est un tout, elle ne possède pas ces frontières artificielles. La blessure d'un pays se répercute sur un autre. C'est une guerre mondiale, rampante, dont nous ne connaissons pas tous les dommages collatéraux. »

« L'homme a trois chemins devant lui : la technologie, l'amour et la nature. Les négligences de la première ont brisé ma patrie, le second m'a oublié, il ne me restait plus que la troisième voie. La nature et sa forêt de bras. »

Quatrième de couverture

Tchernobyl, 1986. Léna et Ivan sont deux adolescents qui s’aiment. Ils vivent dans un pays merveilleux, entre une modernité triomphante et une nature bienveillante. C’est alors qu’un incendie, dans la centrale nucléaire, bouleverse leur destin. Les deux amoureux sont séparés. Lena part avec sa famille en France, convaincue qu’Ivan est mort. Ivan, de son côté, ne peut s’éloigner de la zone, de sa terre qui, même sacrifiée, reste le pays de ses ancêtres. Il attend le retour de sa bien-aimée. Lena grandit dans un pays qui n’est pas le sien. Elle s’efforce d’oublier. Un jour, tout ce qui est enfoui remonte, revient, et elle part retrouver ce qu’elle a quitté vingt ans plus tôt.

Alexandra Koszelyk est née en 1976. Elle enseigne, en collège, le français, le latin et le grec ancien.

Éditions Aux forges de Vulcain, août 2019
254 pages
Prix Totem des lycéens 2010
Prix de la librairie Saint-Pierre 2019
Finaliste du prix Stanislas
Sélection Jeunes Talents 2019 des librairies Cultura / Prix Talents Cultura 2019

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