vendredi 21 août 2020

Manifeste incertain 5 ★★★★☆ de Frédéric Pajak

Une biographie écrite et dessinée de Vincent Van Gogh bien sympathique, qui nous donne une idée bien précise de la vie d'errance que fut celle de Vincent Van Gogh, de l'évolution de sa peinture « Fini les gueules pitoyables, les dos courbés, les pommes de terre, les horizons vides : place à la lumière, aux couleurs, à la vibration de l'air. », des dures conditions de vie que furent les siennes, par choix parfois..., de la misère dans laquelle il a vécu une majeure partie de sa vie. « Ce n'est plus une peinture, c'est une blessure mal refermée. »
Une seule peinture vendue de son vivant, c'est quand même dingue ! Son frère a toujours cru en lui, en son talent. Il fut un des seuls êtres finalement à l'avoir aidé, accompagné, soutenu, avec bien sûr le Dr Gachet d'Auvers-sur-Oise.
Les dessins, tous en noir et blanc représentent les oeuvres de Van Gogh et illustrent plus ou moins les propos de l'auteur. 
Très intéressant, très fouillé, bien documenté.
Et pour moi, un complément appréciable après la savoureuse lecture que j'ai eu de  La valse des arbres et du ciel, dans lequel Jean-Michel Guenassia imagine les dernières semaines de sa vie.
Si l'envie vous vient de marcher dans les pas de Vincent Van Gogh, n'hésitez, ce livre vous tend les bras !


« Quant à Van Gogh, encore un de ces êtres comme je les aime, extraordinaire, un peu fou, en dehors de tout le cadre social, de toute la médiocrité de la vie courante. Ils ne sont pas si fréquents ces êtres. Quand on en rencontre un, il ne faut pas se lasser de songer à lui et de l'aimer. Cela nous sort, nous lave de notre au jour le jour, bien forcé, hélas !  et des artistes ou écrivains pour qui leur art ou leur littérature ne sont plus ou moins qu'un entreprise. » PAUL LÉAUTAUD, JOURNAL LITTÉRAIRE, 1905

« J'avais oublié Vincent. Je m'étais pourtant ô combien ému devant l'autoportrait à l'oreille coupée, regard impassible, pipe au bec, qui dit le calme froid après le coup de folie ; ému par ce champ de blé cassé par un chemin de terre battue qui ne mène nulle part, et puis le ciel impatient d'exploser, et puis les corbeaux, pareils à des croix noires, éraflant la fausse quiétude du paysage.
  Je l'avais oublié, même si dans les musées il revenait à moi, jaillissant en pleine lumière, toujours prompt à me cogner les yeux. Sa peinture du Midi m' essoufflait. Tant de pâte, tant de couleur, tant de soleil. »

« Devant une gravure en aquatinte représentant un vieux cheval épuisé par une vie de labeur, Vincent s'exclame : « Spectacle navrant, infiniment mélancolique qui ne manque pas d'émouvoir celui qui sait et qui sent que nous aussi, nous nous retrouverons un jour dans l'impasse appelée mourir, et que la fin de la vie humaine, ce sont des larmes ou des cheveux blancs. » »

« Vincent a trente ans, son front est ridé, ses mains sont crevassés ; il en paraît quarante - « Je vais au-devant d'une époque critique : l'eau monte, monte, elle arrivera peut-être jusqu'à mes lèvres, même plus haut encore : comment le savoir d'avance ? » Il se désole de sa jeunesse envolée et maudit son époque, avec ces usines et ces voies ferrées qui poussent partout, apportant avec elles leur cortège de misère. Il pleure devant les machines qui ôtent aux campagnes leur austère poésie.
Septembre 1883. - Vincent s'apprête à quitter La Haye pour aller vivre quelque temps dans la Drenthe, une région située au nord-est de la Hollande, près de la frontière allemande. Sur le quai de la gare, Sien l'accompagne à son train. Elle porte dans ses bras le petit Willem, âgé d'un an. Vincent s'en souviendra : « Le petit bonhomme m'aimait beaucoup et au moment où j'étais déjà assis dans le wagon, je l'avais encore sur mes genoux. Et c'est ainsi que nous nous sommes quittés, de part et d'autre, je crois, avec une indicible tristesse mais rien de plus. » »

« Fin Décembre 1883. - Vincent quitte la Drenthe sur un coup de tête, sans crier gare. Il devait y rester un an ; il n'a pas tenu trois mois. Il a échoué, une fois encore. Pourtant, il ne se laisse pas abattre. Avec lucidité, il dresse un bilan, sans oublier de résumer son rôle et son ambition : « Considérant le temps que j'ai devant moi pour travailler, je pense pouvoir admettre que mon corps supportera encore un certain nombre d'années, mettons six à dix. Il n'est pas dans mes intentions de m'épargner, d'éviter les émotions et les difficultés ; il m'est relativement indifférent de vivre plus ou moins longtemps. Mais ce je sais fort bien, c'est que j'ai à accomplir en peu d'années une tâche précise. Le monde ne s'intéresse à moi qu'autant que, ayant une dette à régler et une tâche à remplir parce que j'ai vagabondé pendant trente ans, je laisse en reconnaissance un souvenir, sous la forme de dessins ou de peintures, non pas destinés à plaire à certains groupes ou certaines écoles, mais dans lesquels parle un sentiment humain et sincère. Voilà pourquoi cette oeuvre est une fin. »
La pipe au bec, vêtu d'un caleçon de laine et d'un chapeau de paille, chargé de son encombrant matériel de peinture et d'un baluchon, il se rend à pied jusqu'à la gare d'Hoogeveen, traverse les hameaux, sous les injures et les quolibets des villageois. Il marche plusieurs heures sur la lande désolée, bravant la neige et le vent, désespéré, les yeux baignés de larmes. »

« Sa peinture s'éclaircit, le ciel se dégage. Fini les gueules pitoyables, les dos courbés, les pommes de terre, les horizons vides : place à la lumière, aux couleurs, à la vibration de l'air. Il peint des bouquets de fleurs, des autoportraits - environ trente. Il peint également ses Souliers, qu'il prend bien soin de salir dans la boue avant de les écarteler. Ces godillots, ce sont toutes les douleurs de son passé récent, ses marches harassantes sur la terre abîmée de l'hiver hollandais. Une dernière fois, il revient aux gris sales et au verts brunâtre. Ce n'est plus une peinture, c'est une blessure mal refermée. »

« Désormais, son art réclame de la couleur. La peinture s'ouvre à lui. Les personnages du purgatoire, paysans et prolétaires, s'évanouissent : Vincent a oublié sa misère. Comme si sa première vie était morte dans sa terre noire, sous son ciel dégringolé de crachin, de mauvais vent, d'étoiles éteintes.
Dans les galeries et les salons, il observe scrupuleusement les oeuvres de ses contemporains. A sont tour, il s'essaie aux techniques de l'impressionnisme et pointillisme. Les toits de Paris s'élancent à l'infini, comme une mer renaissante. »

« « L'art est long et la vie est courte », écrit-il à Théo. Avant de conclure : « Pour faire du bon travail, il faut bien mangé, être bien logé, tirer son coup de temps en temps, fumer sa pipe et boire son café en paix. » Sage philosophie. Par moments, devant cette nature, il éprouve une « lucidité terrible » : il ne se « sent plus », si bien que le tableau s'accomplit comme dans un rêve. Et ce qu'il redoute - avec une lucide prémonition -, c'est la mélancolie qui succédera fatalement à l'euphorie. »

Quatrième de couverture

Toute sa vie, Vincent Van Gogh s'est considéré comme un « raté ». Mais il a cru en son destin, persuadé qu'il entrerait avec fracas dans l'histoire de l'art. Le dessin et la peinture ont été pour lui un chemin de croix qui a duré dix ans, depuis ses premières esquisses malhabiles jusqu'à ses oeuvres décisives. Dans ce cinquième volume du Manifeste incertain, l'auteur se propose de retracer son errance solitaire, depuis sa Hollande natale jusqu'à sa mort à Auvers-sur-Oise. Cette biographie écrite et dessinée met l'accent sur des épisodes peu connus ou mal interprétés. Apparaît au fil de la chronologie un homme cultivé, attentif aux autres, libre, paradoxal et lucide qui a su peindre affreusement la laideur pour mieux exprimer les violences de la couleur.   

Éditions Les éditions Noir sur Blanc, mars 2017
252 pages

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire