samedi 18 février 2017

Deux ans, huit mois et vingt-huit nuits**** de Salman Rushdie

Éditions Actes Sud, septembre 2016
Traduit de l'anglais par Gérard MEUDAL
313 pages 

Quatrième de couverture


Quand il advient – tous les quelques siècles – que se brisent les sceaux cosmiques, le monde des jinns et celui des hommes entrent momentanément en contact. Sous apparence humaine, les jinns excursionnent alors sur notre planète, fascinés par nos désirables extravagances et lassés de leurs sempiternels accouplements sans plaisir.
Venue une première fois sur terre au xiie siècle, Dunia, princesse jinnia de la Foudre, s’est éprise d’Ibn Rushd (alias Averroès), auquel elle a donné une innombrable descendance dotée de l’ADN des jinns. Lors de son second voyage, neuf siècles plus tard, non seulement son bien-aimé n’est plus que poussière mais les jinns obscurs, prosélytes du lointain radicalisme religieux de Ghazali, ont décidé d’asservir la terre une fois pour toutes. Pour assurer la victoire de la lumière sur l’ombre dans la guerre épique qu’elle va mener contre les visées coercitives de ses cruels semblables, Dunia s’adjoint le concours de quatre de ses rejetons et réactive leurs inconscients pouvoirs magiques, afin que, pendant mille et une nuits (soit : deux ans, huit mois et vingt-huit nuits), ils l’aident à faire pièce aux menées d’un ennemi répandant les fléaux du fanatisme, de la corruption, du terrorisme et du dérèglement climatique…
Inspiré par une tradition narrative deux fois millénaire qu’il conjugue avec la modernité esthétique la plus inventive, Salman Rushdie donne ici une fiction aussi époustouflante d’imagination que saisissante de pertinence et d’actualité.

Mon avis  ★★★★☆


Une fable merveilleuse qui convoque philosophie et humour, fantastique, magie et qui sonne pourtant si réel. Ce conte est envoûtant, les personnages sont nombreux et très atypiques, et nous assistons à un combat époustouflant entre jinns (inspirés par le philosophe Al Ghazali ) et descendants de Ibn Rushd (Averroes), entre deux philosophies islamiques contraires, les premiers semant la terreur, les seconds prônant la raison, se battant pour un monde indépendant de la volonté de Dieu, pour sauver les Hommes du fanatisme religieux et du terrorisme.
«Imaginons la race humaine comme il s'agissait d'un seul individu [...] l'enfant ne comprend rien et se cramponne à la foi parce qu'il ne dispose pas du savoir. La lutte entre la raison et la superstition peut être considérée comme la longue adolescence de l'humanité et le triomphe de la raison sera sa maturité. Ce n'est pas que Dieu n'existe pas mais c'est que comme tout parent fier de sa progéniture il attend le jour où son enfant peut tenir debout sur ses deux pieds, faire son propre chemin dans le monde et se libérer de toute dépendance à son égard.»
«Les tyrans ne sont jamais originaux et ils ne tirent pas la leçon de la disparition de leurs prédécesseurs. Ils se montreront brutaux et étouffants, ils engendreront la haine et détruiront ce qu'aiment les hommes et c'est qui causera leur perte. Toutes les batailles importantes sont, en fin de comte, un conflit entre la haine et l'amour, et nous devons nous raccrocher à l'idée que l'amour est plus fort que la haine.» 
J'ai adoré ce roman, et pourtant j'ai bien failli l'abandonner. J'ai mis beaucoup de temps à rentrer dans cette oeuvre; complètement déroutée au début, l'auteur a su me ramener à l'intrigue, dans laquelle j'ai fini par plonger sans pouvoir la lâcher; elle est porteuse d'un optimisme puissant, et empreinte de beaucoup d'humour.

Un roman complètement fou, qui nécessite un peu de concentration tellement l'auteur part dans tous les sens, mais un roman qui vaut le coup à mon humble avis !

Je suis très admirative du courage de ce grand monsieur. 
«Et donc Ibn Rushd était mort, mais comme on le verra, son adversaire et lui poursuivirent leur dispute au-delà de la tombe, car les polémiques des grands penseurs ne connaissent point de terme, l'idée même de la discussion étant un instrument destiné à ouvrir l'esprit, le plus efficace des instruments, né de l'amour de la connaissance, autrement dit : de la philosophie.
Pour remettre au pas un jardin, déclarait sèchement la châtelaine orpheline de La Incoenrenza, il faut tuer, tuer et encore tuer, on doit détruire et détruire encore. Ce n'est qu'après des années de chaos que l'on peut atteindre un certain degré de durable beauté. Ainsi en va-t-il du sens même de la civilisation. Mais vous avez le regard doux. Je crains que vous ne soyez pas le meurtrier dont j'ai besoin. Mais après tout n'importe qui d'autre serait sans doute tout aussi inefficace.
Les croyants sont les pires avocats de Dieu. Cela prendra peut-être mille et une années mais à la fin la religion va se ratatiner jusqu'à disparaître et alors seulement nous commencerons à vivre dans la vérité de Dieu.
La peur transforme celui qui l'éprouve [...] La peur, c'était un homme qui fuyait son ombre. C'était une femme qui portait des écouteurs et le seul son qu'elle y entendait c'était sa propre terreur. La peur était égoïste, narcissique, aveugle à tout sauf à elle-même. La peu était plus forte que la morale, plus forte que l'opinion, plus forte que le sens des responsabilités, plus forte que la civilisation. La peur était un animal emballé capable de piétiner des enfants en se fuyant elle-même. La peur était sectaire, tyrannique, lâche, c'était un brouillard rouge, une putain. La peur, c'était une balle pointée sur son coeur.
Ce que les Zélés avaient étudié à fond c'était l'art d'interdire : en très peu de temps, ils avaient interdit la peinture, la sculpture, la musique, le théâtre, le cinéma, le journalisme, la haschich, le droit de vote, les élections, l'individualisme, le désaccord, le plaisir, le bonheur, les tables de jeu, les mentons rasés (chez les hommes), le visage des femmes, le corps des femmes, l'éducation des femmes, le sport pour les femmes, les droits des femmes. Ils auraient bien aimé interdire carrément les femmes mais même eux voyaient bien que ce n'était pas complètement possible, ils se contentèrent donc de rendre la vie des femmes aussi désagréable que possible.
[...] M.Geronimo fut tout à coup l'objet d'une sorte de vision intérieure, d'une authentique épiphanie. Les portes de la perception s'ouvrirent en lui et il comprit que ce qu'il y avait de mal et de monstrueux chez les jinns était le reflet de la part mauvaise et monstrueuse des hommes, que la nature humaine contenait la même irrationalité, gratuite, obstinée, malveillante et cruelle et que le combat contre les jinns était à l'image du combat intérieur au sein du coeur humain, ce qui signifiait que les jinns étaient à la fois des abstractions et des réalités et que leur descente sur terre avait pour but de montrer à notre monde ce qu'il devait éradiquer en lui, à savoir la déraison [...] il fallait vaincre l'irrationnel [...] pour qu'advienne le règne de la raison.
Les guerres entraînent toutes sortes de pertes, celles qu'on ne voit pas, les blessures de l'esprit, sont aussi nombreuses que les décès et les blessures physiques.

[...] la rage, quelque soit sa justification, détruit celui qui l'éprouve. De même que nous sommes ressuscités par ce que nous aimons, nous sommes diminués et défaits par ce que nous haïssons.»
Le sommeil de la raison engendre des monstres.


La Grande Librairie invite Salman Rushdie

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