Éditions Christian Bourgois, août 2012
143 pages
Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Christine Laferrière
Quatrième de couverture
Toni Morrison nous plonge dans l'Amérique des années 1950.
« Home est un roman tout en retenue. Magistral. [...] Écrit dans un style percutant, il est d'une simplicité trompeuse. Ce conte au calme terrifiant regroupe tous les thèmes les plus explosifs que Morrison a déjà explorés. Elle n'a jamais fait preuve d'autant de concision. C'est pourtant dans cette concision qu'elle démontre toute l'étendue et la force de son écriture. »
The Washington Post
« Ce petit roman envoûtant est une sorte de pierre de Rosette de l'œuvre de Toni Morrison. Il contient en essence tous les thèmes qui ont toujours alimenté son écriture. [...] Home est empreint d'une petite musique feutrée semblable à celle d'un quatuor, l'accord parfait entre pur naturalisme et fable. [...] Mme Morrison adopte un style tranchant qui lui permet de mettre en mots la vie quotidienne de ses personnages avec une précision poétique. »
The New York Times
Résumé
Frank Money est Noir, brisé par la guerre de Corée, en proie à une rage folle. A Atlanta, il doit retrouver sa jeune soeur Cee, cobaye d'un médecin blanc, pour regagner Lotus en Géorgie, la ville de son enfance ... " le pire endroit du monde ". S'engage pour lui un périple dans l'Amérique ségrégationniste des années 1950 où dansent toutes sortes de démons. Avant de trouver, peut-être, l'apaisement. Parabole épurée, violemment poétique, Home conte avec une grâce authentique la mémoire marquée au fer d'un peuple et l'épiphanie d'un homme.
Mon avis ★★★★★
Un roman court, extrêmement bien construit, au rythme intense, à la lecture douloureuse et attachante.
En refermant ce livre, je me suis dit qu'il était magistral, un tour de force extraordinaire, avec si peu de mots, Toni Morrison avait réussi à m'embarquer dans l'Amérique raciste et violente des années 50. J'ai suivi le parcours dément et bouleversant de Franck Money vers la rédemption, la reconquête de soi, j'ai assisté, impuissante, l'estomac noué, aux violences politiques, institutionnelles, raciales, celles perpétrés en temps de Guerre (ici celle de Corée), celles faites aux femmes «Les époux qui avaient été agressés chuchotèrent entre eux ; elle, d’une voix douce, suppliante ; lui, avec insistance. Quand ils rentreront chez eux, il va la battre, se dit Franck. Et qui ne le ferait pas ? Être humilié en public, c’était une chose. Un homme pouvait s’en remettre. Ce qui était intolérable, c’était qu’une femme avait été témoin, sa femme, qui non seulement avait vu, mais avais osé tenter de lui porter secours ! Il n’avait pas pu se protéger et n’avait pas pu la protéger non plus, comme le prouvait la pierre qu’elle avait reçue au visage. Il faudrait qu’elle paye pour ce nez cassé. Encore et toujours.».
Je me suis attachée à l'histoire d'amour fraternelle entre Franck et sa soeur Cee «Ils se disputaient, se battaient, riaient, raillaient et s'aimaient sans jamais avoir à se le dire.», leur complicité est touchante, et ce chemin chaotique, hanté par les images atroces de cette guerre, torturé par la culpabilité, qu'entreprend Franck pour délivrer sa soeur de l'enfer des pièges de la vie et l'aider à retrouver sa dignité, force l'admiration.
Ce roman est une boucle; il s'achève sur un événement par lequel Home avait commencé. Franck et Cee vont donner une sépulture décente à ce cadavre, dont ils avaient vu le corps jeté dans une fosse. L'image finale forte, la boucle est bouclée, l'accès à la liberté est envisageable, les erreurs expiées. «Quand elle a vu ce pied noir, avec sa plante rose crème striée de boue, enfoui à grands coups de pelle dans la tombe, elle s'est mise à trembler de tout son corps. Je l'ai prise par les épaules en la serrant très fort et j'ai essayé d'attirer son tremblement dans mes os parce que, en tant que grand frère âgé de quatre ans de plus qu'elle, je pensais pouvoir y arriver. Les hommes étaient partis depuis longtemps et la lune était un cantaloup au moment où on s'est sentis suffisamment en sécurité pour déranger ne serait-ce qu'un brin d'herbe et repartir à plat ventre, en cherchant le passage creusé sous la clôture. Quand on est rentrés chez nous, on s'attendait à prendre une raclée ou du moins à se faire gronder pour être restés si tard dehors, mais les adultes ne nous ont pas remarqués. Leur attention était accaparée par des troubles.»
L'écriture de Toni Morrison est percutante, belle et limpide, elle nous livre un roman empreint autant de cruauté et d'amertume que de poésie.
J'ai lu ce roman la semaine dernière, et je suis toujours aussi convaincue qu'il est magistral, et que je ne suis pas prête de l'oublier. Et c'est bien tout ce que j'attends de mes lectures, qu'elles m'accompagnent longtemps encore et encore ... Cette lecture est donc clairement une réussite !
«Tu vois ce que je veux dire? Ne compte que sur toi-même. Tu es libre. Rien ni personne n'est obligé de te secourir à part toi. Sème dans ton propre jardin. Tu es jeune, tu es une femme, ce qui implique de sérieuses restrictions dans les deux cas, mais tu es aussi une personne. Ne laisse pas Lenore ni un petit ami insignifiant, et sûrement pas un médecin démoniaque, décider qui tu es. C'est ça, l'esclavage. Quelque part au fond de toi, il y a cette personne libre dont je te parle. Trouve-la et laisse-la faire du bien dans le monde.
Le malheur ne s’annonce pas. C’est pour ça qu’il faut que tu restes éveillée, sinon il franchit ta porte, c’est tout.
Désignée très tôt par Lenore –la seule dont l’opinion importait à ses parents– comme « enfant du ruisseau » rebutant et à peine tolérée, Cee avait consenti à cette étiquette et se croyait sans valeur, exactement comme l’avait Mlle Ethel. Ida ne disait jamais : « Tu es mon enfant. Je suis folle de toi. Tu n’es pas née dans le ruisseau. Ru es née dans mes bras. Viens ici que je te fasse un câlin ». A défaut de sa mère, quelqu’un, quelque part, aurait dû dire ces mots et les penser.
Vous ne pouvez pas l’imaginer parce que vous n’y étiez pas. Vous ne pouvez pas décrire le paysage lugubre parce que vous ne l’avez jamais vu. Permettez-moi d’abord de vous parler du froid. Je veux dire : froid. Plus que glacial, le froid de Corée fait mal, s’accroche comme une espèce de colle dont on ne peut pas se défaire.
Une armée où les Noirs ont été intégrés, c'est le malheur intégré. Vous allez tous au combat, vous rentrez, on vous traite comme des chiens. Enfin presque. Les chiens, on les traite mieux.
Je suis resté un long moment à contempler cet arbre.Il avait l’air tellement fortTellement beau.Blessé pile en son milieuMais vivant et bien portant.Cee m’a touché l’épauleLégèrement.Franck ?Oui ?Viens, mon frère. On rentre à la maison»
Strange Fruit, Billie Holiday
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