mercredi 1 février 2017

Désert solitaire***** de Edward Abbey


Éditions Gallmeister, 2010 pour la version française
Introduction de Doug Peacock
Traduit de l'américain par Jacques Mailhos
Édition originale, Desert Solitaire, 1968
Nature Writing

Quatrième de couverture


Peu de livres ont autant déchaîné les passions que celui que vous tenez entre les mains. Publié pour la première fois en 1968, Désert solitaire est en effet de ces rares livres dont on peut affirmer sans exagérer qu'il “changeait les vies” comme l'écrit Doug Peacock. À la fin des années 1950, Edward Abbey travaille deux saisons comme ranger dans le parc national des Arches, en plein cœur du désert de l'Utah. Lorsqu'il y retourne, une dizaine d'années plus tard, il constate avec effroi que le progrès est aussi passé par là. Cette aventure forme la base d'un récit envoûtant, véritable chant d'amour à la sauvagerie du monde, mais aussi formidable coup de colère du légendaire auteur du Gang de la clef à molette.

Chef-d'œuvre irrévérencieux et tumultueux, Désert solitaire est un classique du nature writing et sans conteste l'un des plus beaux textes jamais inspirés par le désert américain.

Mon avis ★★★★★

« L’amour de la nature sauvage est plus qu’une soif de ce qui est toujours hors d’atteinte : c’est aussi une affirmation de loyauté à l’égard de la terre, cette terre qui nous fit naître, cette terre qui nous soutient, unique foyer que nous connaîtrons jamais, seul paradis dont nous ayons besoin si nous avions les yeux pour le voir. Le péché originel, le vrai péché originel, est la destruction aveugle par simple appât du gain de ce paradis naturel qui nous entoure, si seulement nous en étions dignes. »
J'attendais ce moment avec impatience, ma première rencontre avec Edward Abbey, le grand Edward Abbey, cet immense défenseur de la nature sauvage, le maître du Nature Writing.
Doug Peacok, dans Une guerre dans la tête écrivait sur Abbey, son ami, avec tant d'éloges et de précisions que j'avais déjà l'impression de le connaître, de le comprendre, de cerner ses combats pour la préservation de la nature sauvage de l'Ouest américain.
Quel rendez-vous ! Un véritable chant d'amour à la nature sauvage, une sublime rencontre avec le désert américain, les colères d'Edward Abbey, son humour provocateur et ses descriptions envoûtantes «Le soleil frappe depuis sa course dans l’espace en rugissant une lumière sainte et sauvage, une fantastique musique pour l’esprit »..., un rendez-vous passionnant avec un passionné et défenseur de la nature, qui nous guide dans ses explorations du désert de l'Ouest américain, ses folles escapades, ses pérégrinations époustouflantes et nous révèle, avec une précision quasi scientifique, les secrets, les dangers et toute la beauté de ses vastes étendues naturelles et si ...fragiles, victimes du tourisme industriel, des constructions pour les rendre accessibles à tous, des constructions de barrages à outrance pour fournir encore davantage d'énergie aux grandes villes américaines qui se peuplent démesurément...
«Capitol Reef National Monument. Paysage majestueux et haut en couleur au coeur d'une terre âpre et escarpée - le centre-sud de l'Utah. La plus belle partie de ce parc était le canyon de Fremont River, superbe pour la marche, le camping, l'exploration. Et que firent les autorités ? Elles y firent passer une route nationale.
Lee's Ferry. Jusqu'à il y a quelques années, c'était un lieu simple, paisible et primitif sur les rives du Colorado; il est désormais tombé sous la protection du Service des parcs. Mais qui le protégera contre le Service des parcs ? Des lignes à haute tension lacèrent aujourd'hui la vue; un château d'eau rose de cent pieds de haute se dresse au-dessus des falaises rouges; on construit des lotissements pour loger les «protecteurs»; on ferme les terrains de camping naturels au bord du fleuve et l'on parque tous les campeurs dans un «camping» artificiel de bitume et d'acier situé à l'endroit le plus chaud et le plus venteux de la zone; des bâtiments historiques sont rasés au bulldozer pour économiser sur leur coût d'entretien alors même que l'on dépense des centaines de milliers de dollars pour construire une route d'accès goudronnée dont personne n'avait besoin. Et les administrateurs osent se plaindre du vandalisme.»
Edward Abbey nous délivre un message essentiel : la nature sauvage se mérite, et pour l'apprécier dans son plus bel état, naturel, préservons-la. 
La lutte semble pourtant vaine face aux pouvoirs publics, aux investisseurs "dans un environnement totalement urbanisé, totalement industrialisé et sans cesse plus peuplé."
« Si l’imagination de l’homme n’était si faible, si aisément épuisée, si sa capacité à s’émerveiller n’était pas si limitée, il apprendrait à voir dans l’eau, les feuilles et le silence plus qu’il n’en faut d’absolu et de merveilleux, plus qu’il n’en faut pour le consoler de la perte de ses anciens rêves. »
Le ton est rude, contestataire, dénonciateur, mais Edward Abbey y ajoute une touche d'humour et de dérision qui apporte légèreté et douceur à ce texte, un texte tout simplement magnifique et nécessaire encore et toujours !
«Plus de voitures dans les parcs nationaux. Que les gens marchent. Ou aillent à cheval, à vélo, à dos d'âne ou de phacochère - ça m'est égal -, mais qu'on interdise les voitures, les motos et tous leurs cousins à moteur. Nous sommes convenus que nous n'entrerions pas en voiture dans les cathédrales, les salles de concert, les musées, les assemblées législatives, les chambres à coucher et autres temples de notre culture; nous devrions traiter les parcs nationaux avec le même respect, car eux aussi sont des lieux sacrés. Peuple de plus en plus païen et hédoniste (Dieu merci !), nous comprenons enfin que les forêts et les montagnes et les canyons désertiques sont plus sacrés que nos églises. Comportons-nous donc en conséquence.»
« Si un objet bizarre et fantastique né de la nature a un sens quelconque, il gît dans le pouvoir qu’ont l’étrange et l’inattendu, d’aiguillonner nos sens et de libérer d’un coup notre esprit des ornières de l’habitude, de nous ouvrir par la force à une conscience ressuscitée du merveilleux, de nous rappeler que, là-bas, il existe un monde différent, beaucoup plus vieux et plus grand que le nôtre, un monde qui entoure et soutient le petit monde des hommes comme la mer et le ciel entourent et soutiennent un navire. Le choc du réel. Un bref moment, nous sommes de nouveau capables de voir un monde de merveilles tel que le voit l’enfant. L’espace de quelques instants, nous découvrons que rien ne peut être pris pour acquis, car si cet objet fantastique issu de la nature est merveilleux, alors tout ce qui l’a façonné est merveilleux, et notre voyage ici sur Terre est la plus merveilleuses des aventures. »



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