samedi 27 janvier 2018

À la mesure de l'univers ★★★★★ de Jón Kalman Stefánsson

Une formidable saga familiale, que je poursuis après la lecture du premier opus «D'ailleurs les poissons n'ont pas de pieds». 
Aux portes d'un passé, douloureux et magique à la fois, Jon Kalman Stefánsson nous entraîne d'une époque à une autre, d'une tranche de vie à une autre, d'une ambiance joyeuse à une autre bien plus sombre, et il le fait si bien, avec tant de fluidité et de souplesse, que les pages de ce roman sont une véritable invitation au voyage

J'ai retrouvé avec plaisir sa plume poétique et délicate et cette atmosphère si unique si intense si calme et apaisante, si troublante parfois, qui se baigne d'une si belle musicalité dans laquelle, une nouvelle fois, je me suis délectée.

Il nous parle de la vie, ses moments magiques, ceux tragiques et ceux plus joyeux, dans lesquels on s'abandonne, ses désespoirs, ses déceptions, ses amours meurtries, ses plaies ouvertes et douloureuses, et ses espoirs aussi, dont celui de trouver la bonne place dans ce monde, sa place. «Chaque homme doit trouver sa place dans la vie, faute de quoi il est malheureux. C'est douloureux de voir un être humain à la mauvaise place dans la vie.» 

Les passages avec la mère du narrateur, Ari, sont empreints d'une vive émotion et m'ont emportée bien loin, dans le monde des souvenirs...

Le tourbillon de la vie par Jon Kalman Stefansson, c'est quelque chose !

Une expérience littéraire belle et intense ! À tenter...à renouveler, pour ma part ;-)

Petite anecdote, en écrivant ce billet, j'ai relu beaucoup de passages, notamment ceux qui suivent, et pour vous témoigner à quel point l'écriture de Stefánsson est un voyage, où l'on oublie le temps, rien qu'en relisant ces passages, il m'a embarquée dans son monde, à tel point, que ma fille, d'un coup de téléphone (cruel ;-) m'a rebranchée à notre terre et m'a gentiment signalé qu'elle poireautait depuis dix minutes devant le gymnase. J'en avais oublié ma fille !! C'est aussi ça l'effet Stefánsson...


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« Elle avait continué à sourire à sa fille afin qu'elle puisse voir quelque chose de beau aux ultimes heures de sa vie, afin qu'elle puisse croire que le trépas se résumait à un pas de côté, une hésitation momentanée face au bonheur [...] Elle la Tenait fort, mais la mort tirait bien plus fort encore. Elle finit par tout attirer à elle, les fleurs, les systèmes solaires, les mendiants et les présidents. Lilla le savait, elle savait que l'amour, les larmes et le désespoir étaient inutiles, qu'au voisinage de la mort, il n'y a aucune justice, qu'il n'y a que la fin [...]
Il n'y a que la neige, qui tombe sans relâche et en telle quantité pendant toute la nuit que la terre et le ciel s'unissent, choses sans doute plus importante que nous en avons conscience, car des sources anciennes affirment, des sources bien plus anciennes que celles qui disent que compter les fenêtres d'une maison permet aux rêves de se réaliser, des sources datant d'une époque où les vitres n'existaient pas, pas plus d'ailleurs que les maisons; or ces sources affirment que par ces nuits tranquilles où la neige tombe en si grande quantité, il n'y a plus de différence entre le ciel et la terre, alors, les morts peuvent communiquer avec nous, qui continuons de vivre : Je t'aime encore; Mon Dieu, comme tu me manques; je vais plutôt bien; si, très bien, merci; ici, on t'offre du café et la vue te rendra muet pendant des années; puisses-tu pourrir en enfer; ne gâche pas ta vie dans des broutilles, marche vers un projet grandiose, ça vaut toujours le coup d'essayer, tu es belle tant que tu essaies; n'oublie pas de t'habiller chaudement demain matin, tu risques d'attraper froid.
... il ne faut pas hésiter, pas réfléchir face à l'amour. Nous pensons trop et ne ressentons pas assez, c'est là le malheur de l'homme.
D'ailleurs, n'est-ce pas ce que vous, les poètes, êtes censés nous aider à comprendre - et vous pourriez peut-être nous expliquer, comme ça, en passant, pourquoi les gens peinent tellement à être heureux ; je veux dire, à quoi servent les poètes s'ils ne sont pas capables de nous aider à vivre ?
...la présence de Megas est le signe que son père est en train de boire - alors dites-nous, qui que vous soyez, mais de préférence, vous : quel mot utiliser ici ? Quels sont les mots justes, à même de décrire l'alcoolisme de manière qu'on puisse plus faire abstraction de son évidence, s'y dérober ou l'ignorer. Quels mots peuvent qualifier l'égoïsme, la cruauté, la faiblesse ? Quels mots sont capables de décrire le mensonge que nourrit cet alcoolisme ? Ce mensonge qui vous conduit à meurtrir ceux que vous êtes censés protéger, vous conduit à leur infliger des blessures à jamais ouvertes ?
On se demande ce qui est le plus difficile pour lui, mourir ou regarder son fils dans les yeux, en tous cas, ils sont là, tous deux ont vécu un bon nombre d'années, ils ont traversé des époques différentes, se sont frottés à la vie, à la mort, ils ont lu un certain nombre de choses, Ari connaît plutôt bien Kierkegaard, il a lu une foule de roman, il connaît la distance qui nous sépare de Pluton, le processus de formation des trous noirs, et Jakob sait ce qu'il sait, étant sur terre depuis un peu plus de soixante-dix ans, il a vu le monde se transformer, l'homme conquérir la Lune, et pourtant, ils se tiennent là, l'un face à l'autre, et n'ont pas la moindre idée de ce qu'ils doivent se dire, rien ne leur vient à l'esprit, tous deux sont des spécialistes du silence, qui se retrouvent ici pour comparer leurs versions.
...la musique est ce lieu où la beauté console la douleur.
Donc, en fin de compte, l'amour n'a rien à voir avec ces je t'aime à mourir, ces you'll always be my endless love, ces tu seras toujours mon amour infini - mais avec cet instant où quelqu'un sort dans le froid avec une couverture et un bonnet pour qu'une autre personne puisse continuer à contempler les étoiles...
...parfois, le silence est si lourd que la vie s'enlise.
La prière des humbles : «Mon Dieu, accorde-moi assez d'humilité pour accepter ce que je ne saurais transformer, le courage de changer ce que je peux changer, et la sagesse pour distinguer les deux.»
Il faut vivre pour soi afin de donner aux autres. C'est de là que nous vient la force : du désir de vivre.
Cela vaut autant pour les nations que pour les individus, celui qui ne connait pas son passé, ou qui refuse de l'assumer, se perd immanquablement dans le futur. Celui qui doit avancer doit parfois d'abord consentir à retourner en arrière.
Le matin ne vient pas toujours, certaines nuits ne prennent jamais fin, et alors, il est trop tard pour les pâtisseries bien fraîches. Bientôt, il sera trop tard pour tout. Rien ne peut arrêter la mort quand elle s'est mise en route, elle pose son pied sur la terre et tu disparaît. puis, on t'oublie.»
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Quatrième de couverture

«Et maintenant, il est trop tard, répond Ari, pétri de remords. Anna esquisse un sourire, elle lui caresse à nouveau la main et lui dit, quelle sottise, il n’est jamais trop tard tant qu’on est en vie. Aussi longtemps que quelqu’un est vivant.» 
À la mesure de l’univers est la suite du roman D’ailleurs, les poissons n’ont pas de pieds. Ari rentre en Islande après avoir reçu une lettre de son père lui annonçant son décès imminent. Le jour se lève sur Keflavík, l’endroit le plus noir de l’île, à l’extrémité d’une lande à la végétation éparse et battue par les vents. Ici, la neige recouvre tout mais, partout, les souvenirs affleurent. Ari retrouve des connaissances qu’il n’a pas vues depuis des années. Ses conversations et ses rencontres le conduisent à s’interroger et finalement à accepter son passé : les deuils, les lâchetés, les trahisons, afin de retrouver celui qu’il était, et qui s’était perdu «au milieu du chemin de la vie». 
Comme dans la première partie de son diptyque, Jón Kalman Stefánsson entremêle les époques, les histoires individuelles et les lieux : le Norðfjörður, dans les fjords de l’Est, où évoluent Margrét et Oddur, les amants magnifiques, et Keflavík, ce village de pêcheurs interdits d’océan, très marqué par la présence de la base militaire américaine. Dans une langue à la fois simple et lyrique, nourrie de poésie et de chansons de variétés, agissant comme autant de madeleines de Proust, l’auteur nous parle de mort, d’amour, de lâcheté et de courage. Mais ce récit délivre aussi un message d’espoir : même si le temps affadit les plus beaux moments, ces derniers restent vivants au cœur de l’homme, car le langage a le pouvoir de les rendre éternels. L’amour est le ciment et la douleur du monde.

Éditions Gallimard, Collection du monde entier, avril 2017
438 pages
Traduit de l'islandais par Éric Boury



Jón Kalman Stefánsson, né à Reykjavík en 1963, est poète, romancier et traducteur. Son oeuvre a reçu les plus hautes distinctions littéraires de son pays. Sa trilogie Entre ciel et terre (2010), La tristesse des anges (2011) et Le coeur de l'homme (2013), ainsi que son roman D'ailleurs les poissons n'ont pas de pieds (2016), tous parus aux Éditions Gallimard, ont fait de lui un auteur particulièrement apprécié du public français.




Jakob. Megas. La bouteille de vodka.
Une trinité inséparable. 
Cela explique évidemment pourquoi Ari n'a que si tardivement écouté 
cet étrange continent musical que constitue Megas.

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