samedi 13 janvier 2018

Le Jour d'avant ★★★★★♥ de Sorj Chalandon

À la mémoire des 42 mineurs morts à la fosse 
Saint-Amé de Liévin-Lens, le 27 décembre 1974.

Sorj Chalandon revient sur ce drame et nous livre un récit absolument bouleversant. 

Il nous éclaire, avec justesse et précision sur la condition des mineurs, ses mots nous transportent dans le quotidien de ces hommes aux gueules noires, aux corps meurtris,  un quotidien qui avait tout d'une descente en enfer. La souffrance des ces hommes nous dévore comme la mine les dévore, la douleur des veuves et des enfants nous saisit, et leur colère face à l'injustice, nous la partageons en parcourant ces pages. 
Chalandon nous confronte à de tristes faits et une sombre réalité; la sécurité n'avait pas été respectée à la fosse 3bis de Liévin. Quarante-deux morts. Autant de familles brisées. Zéro condamnation. Un coupable : la fatalité...un mensonge qui révolte, qui reste en travers de la gorge, qui ronge...
Il ronge Michel Flavent, héros de ce récit, un personnage touchant dans sa colère et son désir de vengeance extrême, empoisonné par l'histoire de son frère, Jojo, que la mine a fini par enlever.
La mine avait faim de ces petits d'hommes. Elle avait dévoré leur regard, leur sourire, leur enfance. Leur liberté aussi.
Il veut lui rendre justice.
Nous sommes à ce moment-là, à peu près à deux tiers du roman, roman qui prend alors un tout autre tournant, un virage à cent quatre-vingts degrés,  pour nous propulser dans un tout autre environnement, celui de la culpabilité.

Le Jour d'avant défend la dignité humaine et rend un hommage vibrant à tous ces hommes, martyrs de l'industrialisation et à leur famille. 

Magnifique roman, qui garde une résonance particulière en moi. Ma famille est originaire du Pas-De-Calais; j'ai eu la sensation d'être intimement liée à cette histoire. Mon livre est d'ailleurs en ce moment hébergé au pays des corons, non loin de Liévin, à Arras. Bonne lecture Eveline !
Merci Sorj Chalandon.

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«N'importe qui peut imiter le chant du coq. Mais le chant du travail, c'est une autre histoire, disait Jojo.Et plus les mois passaient, plus son imitation était parfaite. Ce n'était pas le tapage qu'on pouvait entendre au pied de la machinerie, mais le souffle qui enveloppait la ville. C'était la mine de loin. Pas son cri, sa rumeur. Ce bruit sourd qui courait les toits, les portes closes, la cuisine à l'heure du repas lorsque l'homme était rentré. C'était la musique des jours sans histoire, celle qui fredonnait en surface qu'au fond, tout allait bien. Le silence des molettes était le signe du drame, de la grève. Il précédait les sirènes qui glaçaient la nuit.
Toute notre enfance, mon père nous avait répété que le charbon était fini, que les puits appartenaient à l'histoire du pays. Qu'ils seraient comblés, les uns après les autres. Mon frère lui répondait que la terre aussi, était morte. Les villes l'encerclaient, la dévoraient, les hommes y faisaient pousser des briques. Il n'y aurait plus de paysans, jamais. Lui, Jean Flavent, sa femme, leurs oncles et leurs cousins, ces laboureurs de glaise, allaient disparaître les uns après les autres. On ferait venir les betteraves d'ailleurs, le chicon, la pomme de terre. Ni leurs vaches ni leurs poules ne nourriraient plus leurs familles.
Tout le monde savait, aux pas heurtés d'un homme, qu'il avait passé sa vie à la taille. On l'identifiait à sa respiration de poisson échoué sur la grève, à ses tremblements, ses gestes lents, son dos saccagé, ses yeux désolés, à ses oreilles mortes.
Une fois encore, j'ai décidé de voler des images et du temps. Pour plus tard. [...] Je suis allé à la grille de mon école. Nos rires d'enfants. J'ai posé une main sur l'acier du chevalement de la 3bis, comme un Indien interroge l'arbre sacré. Je me suis recueilli devant les stèles des amis disparus. Les mineurs, les frangins, les héros. Tous ceux que Jojo savait du bout du coeur. J'ai regardé les mollettes immobiles, dans le tout petit matin. J'ai imité Joseph. Le ronflement des grandes roues. Qui remontent les cages à hommes, qui descendent les copains tout au fond, qui offrent aux entrailles l'oxygène du carreau.
J'ai pensé à ma femme, la première fois que je lui ai raconté décembre 1974. Cécile avait les yeux pleins de larmes. Aude écrivait comme on pleure. »
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Quatrième de couverture

« Venge-nous de la mine », avait écrit mon père. Ses derniers mots. Et je le lui ai promis, poings levés au ciel après sa disparition brutale. J’allais venger mon frère, mort en ouvrier. Venger mon père, parti en paysan. Venger ma mère, esseulée à jamais. J’allais punir les Houillères, et tous ces salauds qui n’avaient jamais payé pour leurs crimes.

Après trente-quatre ans à Libération, Sorj Chalandon est aujourd’hui journaliste au Canard enchaîné. Ancien grand reporter, prix Albert-Londres (1988), il est aussi l’auteur de sept romans, tous parus chez Grasset. Le Petit Bonzi (2005), Une promesse (2006 – prix Médicis), Mon traître (2008), La Légende de nos pères (2009), Retour à Killybegs (2011 – Grand Prix du roman de l’Académie française), Le Quatrième Mur (2013 – prix Goncourt des lycéens) et Profession du père (2015).

Éditions Grasset, août 2017
327 pages

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