lundi 17 septembre 2018

Orphelins 88 ★★★★★ de Sarah Cohen-Scali

Un roman jeunesse à mettre entre toutes les mains de treize à soixante-dix sept ans...
Je découvre Sarah Cohen-Scali que je vais avoir le plaisir de rencontrer lundi prochain grâce à Babelio et aux éditions Robert-Laffont que je remercie vivement. Merci à vous également Sarah Cohen-Scali pour cet opus que je comprends être en quelque sorte lié à votre précédent roman Max, que je vais d'ailleurs m'empresser de me procurer, pour vos notes dans les dernières pages qui apportent un éclairage précieux et très appréciable sur le sujet et les personnages de votre roman.

Orphelins 88 est un roman touchant, émouvant, qui aborde un sujet méconnu et atroce de la Seconde Guerre Mondiale : les enfants du programme Lebensborn, des enfants, d' Europe de l'Est majoritairement, kidnappés par les Nazis et entraînés à devenir de véritables et purs Allemands. L'histoire se passe après la guerre. 
C'est Siegfried, rebaptisé Josh, par les Ami (les Américains), héros de ce roman, qui nous livre un aperçu de ce qu'il a pu y subir, et qui a eu pour conséquence de lui faire oublier son passé, jusqu'à son vrai nom, le visage de ses parents, ses origines...
Nous le suivons à la recherche de ses souvenirs volés, une quête parsemée d'embûches et ponctuée de belles rencontres. 
Les personnages de ce roman sont très attachants; il y a Ida, la responsable du centre de l'UNRRA (United Nation Relief and Rehabilitation Administration), une personne dévouée à la cause de ces enfants "perdus", qui ont connu l'enfer, de ces bébés, anormalement sages, aucun n'arriv[ant] à sourire, privés de l'amour maternel pourtant capital, des futurs, pour certains, réfugiés de l'horreur ; il y a Wally, un sergent noir Ami au coeur tendre, le Dr Philippe aux mots encourageants, les "potes" germanisés et les "potes" juifs aux histoires saisissantes et puis les deux jeunes filles Beate, qui a un grain, « Un grain qui a été semé par la guerre. » et la jolie Halina, qui partageront un bout de chemin avec notre courageux  héros, Josh, Jo..., enfant volé, perturbé, tiraillé par un bras gauche tatoué et un bras droit ... « aryen ».
« Je crois bien que, si les deux parties de moi-même pouvaient se séparer, elles se battraient l'une contre l'autre»
La reconstruction n'est pas évidente, il faut réapprendre à vivre normalement dans un temps de paix qui n'en est pas tout à fait un. La Paix ne fait pas disparaître la Haine. 

Sarah Cohen-Scali met en lumière un sombre pan méconnu de l'Histoire des années Nazis, elle rend également un bel hommage à toutes les personnes engagées et dévouées dans les causes humanitaires (militaires, infirmiers, médecins...), qui œuvrent, notamment, pour que des enfants traumatisés, puissent retrouver un semblant de dignité, et apprendre à se construire, se reconstruire, à vivre normalement... Des "Ida", des "Wally" œuvrent encore aujourd'hui sur bien des fronts partout dans le Monde, avec force, amour et courage...

Ce roman est très instructif (je ne connaissais ni le programme Lebensborn, ni l'existence des Braunen Schwestern, ni des centres UNRRA, ni celle dans les camps de la Scheisskarte...). 
Il traite d'un sujet grave, nous plonge à plusieurs reprises dans l'horreur mais je retiens avant tout et surtout, l'humanité et l'espoir qu'il dégage. L'écriture est fluide, parsemée de poésie et d'humour, donnant une légèreté très appréciable au texte.

Une période cruelle de l'Histoire vécue et racontée par un enfant de treize ans. Poignant.

À lire, à partager avec nos ados...
« Il faut que le monde entier sache. Il faut garder la mémoire de ce qui est arrivé...»
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« Dieter, c'est un vieillard de dix-neuf mois qui refuse de communiquer avec le monde extérieur.

Les vieux murs du couvent ont tenu le coup. Ils sont grêlés par le temps, plâtre et peinture se décollent et desquament comme une peu malade. Ils ressemblent à ces survivants atteints de la pellagre, une maladie consécutive à la malnutrition qui troue la peau de plaies suppurantes. Ça donne à la bâtisse un côté humain, solidaire des souffrances des habitants de la région. 

Je n'aime pas dormir.Je n'aime pas rêver. 
[...] 
Pourquoi donc veulent-ils que je retrouve la mémoire ? Les images de mes cauchemars auraient alors un sens et elles seraient encore plus épouvantables. Alors que là, elles passent directement à la trappe de l'oubli. Fini ! Poubelle !

La Mercedes, c'est la voiture allemande par excellence, elle est impossible à dégermaniser (ou à américaniser). Les Alliés devraient penser à délivrer un Persilschein aux objets autant qu'aux personnes. Moi, je l'ai eu tout de suite, mon Persilschein : le tatouage sur mon bras gauche. « Une attestation Persil », alors que les chiffres gravés sur ma peau ne seront jamais lavés ...

Il faut bien se dire que si ce sont des enfants physiquement, psychologiquement, ce sont des adultes.

Toujours cette sensation d'accrocher les fils d'une toile d'araignée, de percer un voile qui se déchire, de lever un rideau qui, dévoré par les mites, tombe en poussière dès que je le touche, sans rien révéler.

Milk and honey, on dit ici en parlant de l'Amérique, le pays de la liberté. Ça ne correspond pas du tout à ce que m'a raconté Wally. Je me représente maintenant l'Amérique coupée en deux, le Nord et le Sud, comme un gros gâteau dont la moitié, en dépit de son aspect appétissant, serait empoisonnée. Un pays de marionnettes. 

Un petit bout d'humain tout rétréci et racrapoté, au visage plissé et aussi ridé qu'une pomme tombée d'un arbre et oubliée au soleil.

À quoi ça sert, franchement hein, d'être honnête avec des cons ?

On dirait que la paix, c'est le temps du recyclage. Recyclage des matières premières. Des enfants aussi ? L'adoption, l'émigration, c'est un peu ça, non ?

Ce qui est bien avec les livres, c'est qu'ils vous permettent de voyager sans visa, sans autorisation, sans restriction d'âge, sans prendre un avion ou un train.

... nos pensées vagabondent et se rejoignent quelque part, dans la moiteur de l'instant, dans le chant d'un oiseau, le bourdonnement d'un insecte, dans un temps qui se figé.

C'est fou comme l'espoir ressemble à la peur. C'est fou comme il est douloureux. »

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Quatrième de couverture

Munich, juillet 1945.
Un garçon erre parmi les décombres…

Qui est-il ? Quel âge a-t-il ? D'où vient-il ? Il n’en sait rien. Il a oublié jusqu’à son nom. Les Alliés le baptisent « Josh » et l’envoient dans un orphelinat où Ida, directrice dévouée, et Wally, jeune soldat noir américain en butte au racisme de ses supérieurs, vont l’aider à lever le voile de son amnésie.
Dans une Europe libérée mais toujours à feu et à sang, Josh et les nombreux autres orphelins de la guerre devront panser leurs blessures tout en empruntant le douloureux chemin des migrants.
Si ces adolescents sont des survivants, ils sont avant tout vivants, animés d’un espoir farouche et d’une intense rage de vivre.

Un roman saisissant qui éclaire un pan méconnu de l’après- Seconde Guerre mondiale et les drames liés au programme eugéniste des nazis, le Lebensborn.

Editions Robert Laffont, Collection R,  20 septembre 2018
432 pages



Sarah Cohen-Scali est née en 1958 à Fès, au Maroc. Licenciée en philosophie, elle a aussi suivi des études d'art dramatique. Elle écrit des romans policiers et fantastiques pour les petits, les adolescents et les adultes, ainsi que des romans noirs. Elle a publié une cinquantaine de livres.


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