dimanche 10 mars 2019

Avec toutes mes sympathies ★★★★☆ de Olivia de Lamberterie

« J'écris pour chérir mon frère mort. J'écris pour imprimer sur une page blanche son sourire lumineux et son dernier cri. Pour dire ce crime dont il est à la fois la victime et le coupable. À moins que nous ne soyons tous coupables, nous qui n'avons pas su l'empêcher, ou tous victimes, nous qui ne vivrons plus qu'à demi. »
Pas toujours facile de comprendre à quel point un être cher peut être ailleurs, « tombé dans de ces trous noirs de l'univers dont les chercheurs tentent de percer les mystères. »  Et l'on comprend aisément aussi comme il doit être difficile de penser à lui comme à un malade. « Est-ce une pathologie de juger la vie dégueulasse ? Oui, certainement, quand on a une femme qu'on aime et qui vous aime des enfants merveilleux qu'on aime et qui vous aiment, un boulot chouette et une belle maison, m'a un jour assuré un ami bien attentionné. Malade ou lucide. Je ne peux pas m'empêcher de le trouver clairvoyant. La société dans laquelle on vit mérite-t-elle tellement qu'on s'y attache ? »

Olivia de Lamberterie écrit que déjà à quinze ans son frère donnait l'impression de marcher à côté de sa vie ... son frère dont la vie pesait une tonne, qui ne savait pas faire les compromis et les arrangements qui permettent de vivre...

« Quand [son] frère a-t-il chaviré ? Mué de petit prince en roi mélancolique ? Existe-t-il un point de rupture ou le découragement a-t-il envahi ses veines en douce ? »
Olivia de Lamberterie s'interroge, et par ces mots nous invite également à nous questionner sur le suicide.
Elle écrit sans tabou, avec sincérité et lucidité, raconte sa vie en l'absence du frère tant aimé, elle nous raconte son deuil, ses doutes, et convie les souvenirs comme une passerelle entre ciel et terre.
« Si, pour toi, c'est mieux, j'accepte de vivre décapitée. »

Elle nous parle aussi de son expérience de l'écriture.
« On n'a pas envie d'écrire, on écrit », disait Françoise Sagan...que tout à coup, l'écriture dépasse [les écrivains], que les phrases jaillissent d'on ne sait plus où, les personnages se mettent à vivre tout seuls et font ce qu'ils veulent. Eh bien, tout est vrai, le livre s'écrit tout seul.

Apprendre à vivre avec les morts n'est pas chose aisée, naturelle; l'écriture aide, mettre des mots sur la douleur apaisent et libèrent des maux. Jérôme Garcin écrit dans son livre "Olivier" qu'il n'y a pas meilleure confidente que la page blanche.

Vous l'aurez compris le sujet n'est pas des plus funky. Il s'en dégage cependant tellement d'amour, de réalisme, de vérités que je ne peux que conseiller cette lecture, à un moment ou à un autre. Elle ne m'a pour ma part pas laissée indifférente et fait encore écho en moi.

Vincent Delerm - Les gens qui doutent

« Je ne me suis jamais arrêtée de lire. Jusqu'à aujourd'hui, où la mort me rend les mots étrangers.
L'amour se nourrit d'absence.
Bienvenue chez les dingos. Les malheureux du monde. Les invisibles. Personne ne veut voir des clochards échoués, ces vieillards déchus, cette jeune fille si maigrichonne qu'on aurait dit qu'elle allait tomber en miettes, ces gens absorbés en eux-mêmes ou au contraire très agités, cette femme fantomatique au crâne rasé. [...] Qui sait où la raison s'est cassé la figure.
L'amour immense qui l'entourait ne lui a pas servi de parachute. Ce ne sont jamais sur les idiots que le couperet de la grande dépression s'abat, en silence, un matin, pour entamer son long travail de sabotage. Sylvia Plath, Romain Gary, Ernest Hemingway [...] je ne les considère pas malades, ces blessés dotés d'une sensibilité trop exacerbée pour supporter de se lever un matin de plus.
C'est la meilleure décision que j'ai prise de toute ma vie. [...] de celles qui nous font accorder notre être avec notre existence, toucher terre puis les étoiles.
C'est qu'il arrive tant de choses. Il arrive trop de choses. C'est cela. L'homme accomplit, engendre tellement plus qu'il ne peut, ou ne devrait, supporter. C'est ainsi qu'il s'aperçoit qu'il peut supporter n'importe quoi. C'est cela. C'est cela qui est terrible, le fait qu'il peut supporter n'importe quoi, n'importe quoi.Light in August(des mots sans issus de Faulkner)
Je me souviens de Françoise Sagan venue présenter Bonjour tristesse à New York en 1955 : « Mon anglais étant limité à mes notes de baccalauréat, c’est-à-dire sept, huit, ma conversation en demeurait disons amène et neutre », écrit-elle dans ses Mémoires. Elle dédicaçait des exemplaires de son roman avec ces mots : With all my sympathy. Il a fallu quinze jours pour qu’une âme avisée lui apprenne qu’elle venait d'adresser ses condoléances à tous ses fans américains.
On écrit pour exprimer ce dont on ne peut pas parler, pour libérer tout ce qui, en nous, était empêché, claquemuré, prisonnier d'une invisible geôle. Et il n'y a pas de meilleure confidente que la page blanche à laquelle, dans le silence, on délègue ses obsessions, ses fantasmes et ses morts. Tu m'as révélé l'incroyable pourvoir de la littérature, qui à la fois prolonge la vie des disparus et empêche les vivants de disparaître. (Jérôme Garcin, Olivier) 
Le chagrin est une traversée, il faut nager jusqu'à atteindre une rive inconnue, au milieu d'îles et d'écueils. Noël semble un sacré obstacle à franchir. Aucun adulte n'a le coeur à faire la fête, mais les enfants, si. Et puis, de toute façon, la vie est foutue, c'est trop tard, alors quoi, on devrait se couvrir la tête de cendres ? Tous pleurnicher les papattes en rond ? On a de la ressource, Alex nous a laissé ça aussi. On déterre la fantaisie qui sommeille a fond de nous. » 

Quatrième de couverture
"Les mots des autres m’ont nourrie, portée, infusé leur énergie et leurs émotions. Jusqu’à la mort de mon frère, le 14 octobre 2015 à Montréal, je ne voyais pas la nécessité d’écrire. Le suicide d’Alex m’a transpercée de chagrin, m’a mise aussi dans une colère folle. Parce qu’un suicide, c’est la double peine, la violence de la disparition génère un silence gêné qui prend toute la place, empêchant même de se souvenir des jours heureux.
Moi, je ne voulais pas me taire.
Alex était un être flamboyant, il a eu une existence belle, pleine, passionnante, aimante et aimée. Il s’est battu contre la mélancolie, elle a gagné. Raconter son courage, dire le bonheur que j’ai eu de l’avoir comme frère, m’a semblé vital. Je ne voulais ni faire mon deuil ni céder à la désolation. Je désirais inventer une manière joyeuse d’être triste.
Les morts peuvent nous rendre plus libres, plus vivants."
O. L.
Éditions Stock, août 2018
254 pages 
Prix Renaudot Essai


Olivia de Lamberterie est journaliste à Elle, chroniqueuse littéraire à « Télématin » sur France 2 le vendredi matin, au « Masque et la plume » sur France Inter et correspondante pour Radio Canada.

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