mercredi 24 avril 2019

La saison des fleurs de flamme ★★★★☆ de Abubakar Adam Ibrahim

« Hajiya Binta Zubaïru naquit à cinquante-cinq ans, le jour où un voyou aux lèvres sombres et aux cheveux hérissés pareils à de minuscules fourmilières escalada sa clôture et atterrit, bottes aux pieds et tout le reste, dans le marasme de son cœur. »
Une histoire d'amour passionnante entre Binta, la soixantaine, et Reza, jeune dealer, qui pourrait être son enfant. Une histoire d'amour qui titille la morale convenue, les habitudes, la norme, et qui dans un pays de traditions, dérange, suscite jalousie, haine et colère. 
Le corps exulte, les passions ne demandent qu'à éclore, les pétales [d'une] vie, pareils à un bourgeon qui avait enduré un demi-siècle de nuits, [qu'] à s'ouvrir enfin. 
Mais ... on est au Nigéria. La romance à l'eau de rose, on oublie. Il faut composer avec la drogue, la corruption politique, les interdits, la bigamie des maris, la violence, la pauvreté, la guerre civile. Un décor qui fait pas franchement rêver. C'est le portrait pourtant bien réel et actuel du Nigéria que brosse Abubakar Adam Ibrahim dans "La saison des fleurs de flamme". 
« L'espace d'un instant, Binta songea comment le destin avait cruellement uni son sort et celui de cette enfant qui luttait encore pour trouver un sens à son existence. Comment elles avaient toutes les deux perdu les hommes de leurs vies, à environ dix ans d'écart, dans les conflagrations de la foi et des identités ethniques qui déchiraient Jos. »
J'ai aimé la poésie, la sensualité qui transparaît dans cette histoire. 
Je salue les talents du traducteur : un voyage sans anicroche, sensoriel et enivrant.

Nous devrions tous être libres d'aimer ! Merci Abubakar Adam Ibrahim pour ce beau message, c'est celui-ci que j'ai envie de retenir.

« ...il avait planté dans le cœur de Binta la graine d'un renouveau qui finirait par donner une fleur d'arum titan, dont le parfum entêtant continuerait à flotter d'une façon qu'elle était bien loin d'imaginer.
... éternellement marquée par le sang de notre innocence....
Sa mère, une Fulani, mince et altière, mais à la taille un peu épaissie, lui adressait à peine la parole. Binta était sa première fille, et, fidèle à la tradition, elle ne lui accordait jamais d'attention ni ne l'appelait par son prénom de peur qu'on la juge indécente. Mais chaque fois que Binta plongeait furtivement le regard dans les yeux maternels, elle y surprenait, juste avant qu'il ne soit promptement effacé, un amour clandestin qu'elle aurait aimé saisir et savourer.  Elle aurait donné tout ce qu'elle avait pour entendre le son de son prénom sur les lèvres de sa mère. Tout.
Elle baissa les yeux vers lui et une ombre de chagrin traversa son regard. Elle se pencha et, doucement, tout doucement, lui fit lâcher le pan de sa robe. Le bruit de ses pas qui s'enfuyaient résonna au fond de sa mémoire dans un tourbillon de musc, d'un reflet d'une dent en or et de ce beau visage qui scintillait comme une image sous la surface d'un ruisseau.
Elle regardait le massif de pétunias que Hadiza avait planté avec amour pour mettre un peu de couleur dans ce jardin envahi de petits oiseaux dès le lever du soleil. Ce fut à ce moment précis, devait-elle songer plus tard, que les pétales de sa vie, pareils à un bourgeon qui avait enduré un demi-siècle de nuits, se mirent à s'ouvrir enfin.
...les larmes avaient commencé à s'enfuir de ses paupières closes.
C’était la première fois que leurs coeurs tourmentés se rejoignaient, se fondaient véritablement l’un dans l’autre. La première fois que celui de Reza touchait le sien. Jamais, au-delà de leur ardeur partagée et de la litanie des souvenirs, il n’avait été aussi proche de ressentir de l’amour pour elle.
Elle ouvrit le dernier tiroir de sa coiffeuse et en sortit l’album photo relié cuir. Avec tendresse, elle le débarrassa de sa pellicule de poussière et le pressa contre sa poitrine. Les cendres de la mémoire s’agitèrent et elle eut l’impression de sentir le temps disparaître. Elle retrouvait le goût des larmes amères, elle revoyait les sourires, les clins d’œil mystérieux et les petits fragments de vie quotidienne qui fusionnaient les uns avec les autres pour former le trésor de son passé.
De l’autre main, elle prit le roman qu’elle lisait avant de s’endormir. En observant le visage transi d’amour de la fille sur la couverture, elle rêva de disparaître entre ces pages et de ne faire qu’une avec ces mots. Qu’il n’y ait plus que des phrases, qu’une intrigue, que de l’amour, où de tendres conversations sont murmurées, nimbées par les voiles de l’adoration. Que tout finisse par des mariages. En happy ends parfumés. Sans sang, sans chairs mutilées, sans cauchemars aux couleurs douloureusement sombres. »
« À mes parents, qui vieillissent mais ne vieilliront jamais à mes yeux, 
dans mon esprit, que leur marche soit encore longue et douce. 
Que le soleil couchant vous soit clément. 
Merci Maman, merci Papa pour une vie chargée d'histoires. »

Quatrième de couverture

Lorsque Hajiya Binta Zubaïru surprend Reza en pleine effraction chez elle, couteau à la main, son destin s’enlace à celui du jeune dealer. Malgré l’étrangeté de leur attirance réciproque, à leurs yeux interdite, éclot entre cet homme de main d’un politicien corrompu et cette veuve musulmane de trente ans son aînée une passion illicite, sensuelle et déchirante.

À travers l’histoire tragique de cette union au parfum de scandale, composée de colères contenues et d’émotions taboues, de couleurs vivaces et d’odeurs éternelles, Abubakar Adam Ibrahim capture l’essence provocante du Nigéria comme peu d’autres romanciers ont osé le faire.



Né en 1979, Abubakar Adam Ibrahim est écrivain et journaliste. Il vit et travaille à Abuja. Son premier recueil de nouvelles, The Whispering Trees, a été remarqué par le Caine Prize et le Etisalat Prize. La saison des fleurs de flamme, son premier roman, a remporté le prestigieux Nigeria Prize for Literature en 2016. 





Éditions de l'Observatoire, août 2018
422 pages 
Traduit de l'anglais (Nigéria) par Marc Amfreville, lauréat du prix Maurice-Edgar Coindreau pour sa traduction du Livre du sel de Monique Truong
Parution originale en 2015 sous le titre Season of Crimson Blossoms, chez Parrésia Publishers
Nigeria Prize for Literature, 2016

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire