jeudi 25 avril 2019

Monsieur Viannet ★★★★★ de Véronique Le Goaziou

« Des pauvres, oui. Des pauvres, merde ! Elle en voyait défiler un paquet dans son bureau, elle savait ce que c'était, non ? Des pauvres, voilà ce qu'on est. C'est important, les mots, non ? Il faut dire ceux qui existent, non ? Ceux qui existent, merde ! »
Une claque ce roman. 
Retentissante, douloureuse et âpre.

Véronique Le Goaziou est sociologue; elle s'intéresse à l'humain. 
Elle porte sur Monsieur Viannet, sur le couple Viannet, des gens simples, blessés par la vie, un regard à la fois tendre et impuissant
Avec un style simple, dénué de pathos, elle nous embarque dans le monde de la précarité, une précarité bien réelle, celle des exclus de la société, des lassés pour compte, des pauvres gens aux vies de chaos. Ils ont à un moment ou un autre, pour une raison ou une autre, glissé, dévié, n'ont jamais pu se relever. 

- [...] Y a des gars, ils portent depuis qu'ils sont tout petits.
J'écarte mon stylo. Je hausse les sourcils.
- Ils portent ... ils portent quoi ?
Il secoue la tête. Il boit. Peut-être a-t-il l'impression que je le fais exprès. 
Exprès de ne rien comprendre.
- Vous me posez vraiment la question ?
- Oui...
Il souffle, presque excédé.
- Ils portent leur vie, madame, quoi d'autre ? 
Et y a des vies plus lourdes que d'autres, vous ne pensez pas ? 

L'atmosphère y est oppressante. 
On ne sort pas indemne d'une telle lecture, de ce dialogue poignant, de ce huis-clos étouffant
Touchant. Terriblement émouvant. 
Ils ne vont pas me quitter.
Nécessaire. À lire. 

«  Ce n'est pas une vie. Ce n'est pas une vie mais c'est sa vie. C'est ce qu'il m'a dit. »

«  Mon père avait essayé d'arrêter de boire. Sa vie à essayer. Mais c'était trop tard. Sa vie, il l'a passée dans les bistrots à se battre. [...]

Tout est motif pour se battre, vous ne pensez pas ? Pour lui, c'était comme ça. Pourquoi ? Pas besoin de pourquoi. Ou juste la gueule d'un mec parfois. Une gueule qui lui r'venait pas. Il défonçait le mec qu'avait cette gueule-là. 
Ils ont vu la crasse et les poux. Ils ont vu les mecs qui se pissent dessus ou qui chient entre deux bagnoles parce que c'est le seul endroit où ils peuvent chier. Ils ont vu les mecs qui picolent et rampent sur le sol, du vomi sur leurs vêtements. Ils ont vu les combats à coups de bouteilles. Les combats à coups de barres de fer. Les combats à coups de pavés ou de blocs de béton...Ils ont vu ce genre de choses, vous voyez ?
Je dois être prudente, garder mes distances, c'est une autre règle dans ce métier. La distance... Pas trop loin, mais surtout pas trop près. Pas trop d'émotions, le moins possible...
Les dettes des gars, elles tiennent dans un dossier lourd comme un frigidaire. Et les psychologues, après, ils te disent d'être léger. Parle, videz votre sac, posez votre histoire...
Douze novembre, Paris. Ici, même le vent est gris. Rien à voir avec le Sud où le mistral râpe le ciel et écarte la moindre étoupe de nuage.
Leurs paroles étaient gravées. Leurs mots et leurs phrases, mais aussi leurs gestes, leurs attitudes ou leurs silences...Et leurs regards. 
[...] à supposer que les psys sachent pourquoi certaines personnes glissent dès que leur vie démarre, à quoi cela sert qu'ils le dissent ? Il a affirmé que ce n'est pas parce que tu sais que tut glisses et même pourquoi tu glisses que tu t'arrêtes de glisser.
Aucune trace, à part peut-être ce pouf oriental et le guéridon, qui rappelle quoi que ce soit d'une vie autre ou du passé.

Rien sur leurs parents. Rien de leurs enfants.
Monsieur et Madame Viannet vivent dans un absolu présent. »

Quatrième de couverture

Monsieur Viannet a cinquante ans et vit dans un minuscule appartement, du côté de Bastille. Monsieur Viannet a autrefois été bel homme. Sportif. Monsieur Viannet a fait l’armée. Monsieur Viannet, surtout, a été acquitté après avoir été accusé du meurtre de son père. Entre la prison, les foyers d’ urgence et les hôtels minables, Monsieur Viannet appartient à ce qu’il est convenu d’appeler le quart-monde. Il ne voit plus ses enfants, et sa femme n’est plus qu’un témoin de son passé. Monsieur Viannet ne sort plus. Il a ses cigarettes qu’il fume à la chaîne, ses bières qu’il vide du matin au soir, son écran plat qu’il n’éteint jamais. Monsieur Viannet est, que cela nous plaise ou non, notre exact contemporain. 

Dans ce roman âpre et tendu, Véronique Le Goaziou explore un fait social par son versant humain, construisant un dialogue poignant qui nous emmène du côté de Beckett et de Kafka.

© Hannah Assouline/Opale


Véronique Le Goaziou est sociologue et chercheuse. Elle est l’auteur de plusieurs ouvrages de sociologie. Elle a publié à La Table Ronde La Vieille Femme et les mouettes (1996) et À cause de la vie (2003). Monsieur Viannet est son quatrième roman.



Éditions de La Table Ronde, collection Vermillon, août 2018
204 pages 

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