mercredi 18 août 2021

L'étoile brisée ★★★★☆ de Nadeije Laneyrie-Dagen

Un roman historique captivant, passionnant, enrichissant et profondément humain. 
Une remontée à la fin du XVème siècle et du début du XVIème siècle, aux temps des grandes découvertes (du Nouveau Monde notamment), de la première mondialisation, des luttes religieuses, de la colonisation, de l'esclavage.  On y apprend l'Art, la Médecine, l'Astronomie...de l'époque.   
On y croise les grands noms qui ont marqué ce temps comme Martin Luther, Amerigo Vespucci, Juan de la Cosa, mais également une multitude de personnages dont les destins vont s'entrecroiser. On entend parler de Cristobal Colón, Leonardo da Vinci, Copernicus.
L'histoire commence en Espagne dans la Cantabrie en 1472 où Isabel de Castille organise l'inquisition espagnole, à l'origine notamment de la chasse aux juifs. C'est d'ailleurs le destin de deux frères juifs, contraints de fuir, que nous suivons en filigrane. L'un va devenir médecin de Martin Luther et l'autre, Juan de la Cosa, cartographe de Amerigo Vespucci.

Le premier planisphère au monde mentionnant 
les terres d'Amérique découvertes 
au XVème siècle et
réalisé par Juan de la Cosa 

Pour ceux qui aiment les romans chargés d'Histoire mais avec une trame romanesque dense et bien présente, n'hésitez surtout pas. Ne vous laissez pas impressionner par les quelques 750 pages, on ne les sent pas passer; l'écriture est fluide, l'auteure ne nous perd jamais vraiment malgré les nombreux personnages et dissémine quelques rappels aux moments idoines.
Quand l'Histoire nous est contée d'une si belle manière, si proche de l'humain, de ses pensées, de ses tourments, de son coeur, alors elle prend une autre dimension et en devient réellement passionnante. Drapées dans la trame romanesque, les vérités historiques se montrent plus accessibles, plus attrayantes pour nous, lecteurs. 
L'épilogue est originale et clôture d'une bien belle façon ce livre !
Une épopée historique magistrale ! Un régal que je dois à Babelio (masse critique privilégiée), aux éditions Gallimard et à Nadeije Laneyrie-Dagen. Alors merci à vous !

« Le dernier jour [des célébrations de la Vierge Marie à Santoña], sur les quais bordant l'eau, était le plus magnifique. Les chars défilaient et l'évêque, tour à tour, les aspergeait d'eau bénite, puis on installait Marie dans un bateau décoré d'asters pour qu'à son tour elle aille bénir les barques et les plus gros navires où on la faisait monter. Les nuits, en revanche, étaient moins tranquilles : des grivoiseries succédaient aux psaumes des heures diurnes tandis que victuailles et vinasse remplaçaient l'eucharistie. Il ne faisait pas bon alors, pour une fille, se trouver dans les rues. Mais ces excès aussi faisaient partie de la fête : n'était-ce pas parce que l'humanité était pécheresse que Jésus était né ? »

« Chez nous [...], on a grand mépris pour le gouvernement des rois ; on se méfie dès lors qu'une famille s'impose dans une ville et veut y conserver le pouvoir. Ici, un monarque et une reine ont créé en se mariant un royaume durable On méprise les marchands en Espagne davantage qu'en Italie, mais on fait en sorte qu'ils s'y enrichissent. C'est que ce pays regarde au-delà de la seule Méditerranée. Ce Génois qui la sert [...], Cristoforo Colombo - Cristobal Colon comme on l'appelle à Séville -, je ne sais où il est parvenu avec ses bateaux mais ce qu'il a rapporté il y a deux ans ou plutôt, devrais-je dire, ceux qu'il a ramenés, ces hommes et ces femmes à l'apparence étrange... C'est un monde, peut-être, qu'il a découvert, un monde neuf, et qui sait, immense, où pourraient se trouver des richesses incroyables. »

« Joachim ne dit rien. Ces histoires de sorcières... Il en avait entendu tant et tant. Si un malheur survenait, il fallait trouver un coupable. Alors, c'était l'hérétique ou celui ou celle qui avait conclu un accord avec le Mal. En Espagne ou en terre d'Empire, c'était la même chose, indéfiniment : de pauvres bêtes souffraient ou mourraient parce que ceux qui se disaient bons chrétiens les désignaient comme leurs ennemis. »
« Le destin des nations tenaient donc à cela : des caprices et des bêtises ? C'était affligeant et comique à la fois. »

« Il trouvait que Martin [Luther] s'était servi un trop fréquemment du vin, ses silences prolongés l'avaient frappé et l'amertume affleurait dans tout ce qu'il disait. Il avait montré une acidité qui frôlait la colère et on pouvait se demander à quoi elle mènerait. »

« Bartolomé avait été ordonné à La Espanola. Cela faisait de lui, dit-il avec fierté, me premier serviteur de Dieu consacré sur les nouvelles terres. Il voulait sauver les Indiens et enseignait aux soldats de se montrer doux avec eux. Il échouait souvent. »
« Comprenez-moi. Je ne sais pas si Luther a raison ou tort dans tout ce qu'il soutient. Mais il y a, pour changer les choses, d'autres moyens que de hurler. [...] Quand nous nous sommes connus, je ne jurais que par un de mes aînés : Mikolaj Kopernik - il signait Copernicus quand il écrivait en latin. Il résidait très loin au nord de la Pologne et il était illustre dans tout le pays. Je crois qu'il vit encore. Sans rien faire imprimer mais en se contentant de lettres, il soutenait que la terre n'est pas au centre du monde comme le dit Ptolémée et comme l'Eglise l'affirme. »

« Quelle bêtise la guerre. […] Un commerce qui va bien est plus utile au pays que des conquêtes vite perdues. »
« Si l'Italien ne se trompait pas, si le Soleil déterminait la vie et que le corps humain était fait avec des matériaux de la terre, alors Sofia avait encore raison : l'idée d'un Dieu n'était pas indispensable. Cette idée foudroya Joachim : ce Dieu pour lequel on se battait et on se détestait, chrétiens contre juifs, gens de l'islam contre les autres, catholiques de Rome contre réformateurs allemands...il n'existait peut-être pas ? Tout ce temps perdu, ce sang versé, pour rien ? »

Quatrième de couverture

Dans la Cantabrie du XVe siècle, un massacre antijuif s’annonce. Pour sauver ses deux fils, un couple les envoie sur les routes. Leurs chemins les conduisent à travers l’Europe de la Renaissance, en Afrique du Nord et jusqu’en Amérique. Ils croisent une esclave canarienne devenue la maîtresse puis l’épouse de son maître, un marchand siennois voyageant entre Blois, Séville et Londres, une demoiselle d’honneur aux mœurs assez libres, des ecclésiastiques peu recommandables, et une foule d’individus aussi singuliers qu’émouvants.
L’un devient marin et cartographe, intime d’Amerigo Vespucci — le navigateur dont le nom fut donné au Nouveau Monde —, l’autre médecin de Luther — le réformateur et initiateur du protestantisme — en Allemagne.
Au terme de cette fresque historique captivante, riche en péripéties et en passions, parviendront-ils à se rejoindre ?

Éditions Gallimard, collection Blanche, mai 2021
742 pages

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